*Chapitre 1* 1. Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres (Jean 8,12). 2. 3. 4. 5. *Chapitre 2* 1. 2. 3. 4) *Chapitre 3* 1. *Chapitre 4* 1. 2. *Chapitre 5* 1. 2. *Chapitre 6* Affections déréglées 1. 2. *Chapitre 7* Orgueil et vaines espérances 1. 2. 3. *Chapitre 8* 1. N'ouvre pas ton coeur au premier venu (Eccli. 8,19), 2. *Chapitre 9* 1. 2. 3. *Chapitre 10* Éviter les entretiens inutiles 1. 2. *Chapitre 11* 1. 2. 3. 4. 5. 6. *Chapitre 12* Utilité de l'adversité 1. 2. *Chapitre 13* 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. *Chapitre 14* 1. 2. *Chapitre 15* 1. 2. *Chapitre 16* Supporter les défauts d'autrui 1. Ce que l'homme ne peut corriger chez lui ou chez les autres, il doit le supporter avec patience, jusqu'à ce que Dieu en dispose autrement. Songe qu'il est sans doute souhaitable qu'il en soit ainsi afin d'éprouver ta patience, sans laquelle tes mérites sont peu de chose. Tu dois cependant prier Dieu de t'aider à vaincre les obstacles ou à les supporter avec résignation. 2. 3. 4. *Chapitre 17* La vie religieuse 1. 2. 3. *Chapitre 18* Les exemples des saints 1. 2. (Jean 12,25). 3. 4. 5. 6. *Chapitre 19* LES EXERCICES DU CHRÉTIEN 1. La vie d'un vrai chrétien doit être une recherche continue de la vertu, afin qu'il soit intérieurement tel qu'il paraît devant les hommes. Et même, il doit être encore plus parfait au-dedans qu'il ne le semble au-dehors, car il est sous le regard de Dieu qui voit tout; ce Dieu que nous devons révérer profondément et supplier de nous accompagner sur notre route. Chaque jour, nous prendrons de nouvelles résolutions, comme si notre conversion commençait à l'instant même, et nous répéterons: "Seigneur mon Dieu, aide-moi dans ma ferme résolution de te servir; donne-moi la grâce de bien commencer maintenant, car ce que j'ai fait jusqu'ici n'est rien." 2. La fermeté de nos résolutions est la condition de notre progrès, et celui qui veut avancer beaucoup doit y mettre tout son coeur. En effet, si les résolutions les plus fortes n'empêchent pas de succomber, qu'adviendra-t-il de celui qui n'aura pris que de faibles déterminations? Comment se fait-il que nous désertons si vite nos bons propos? La plus légère omission de nos exercices ne va pas sans dommage. Les justes comptent bien plus sur la grâce de Dieu que sur leur propre volonté pour voir aboutir leurs résolutions; c'est à lui qu'ils confient toutes leurs entreprises, car l'homme propose, mais Dieu dispose (Prov. 16,9), et personne n'est le maître de sa destinée (Jér. 10,23). 3. Si nous omettons parfois un exercice de piété pour quelque motif charitable, nous y remédierons facilement plus tard. Mais si nous l'omettons sans cause valable, par ennui ou par négligence, nous sommes coupables et nous aurons à en supporter les conséquences. En nous tenant sur nos gardes, nous commettrons encore beaucoup de fautes. C'est pourquoi on doit toujours prendre des résolution précises, surtout dans les voies qui se sont révélées pour nous les plus périlleuses. Il faut veiller aussi bien au comportement de notre esprit qu'à celui de notre corps, car tous deux sont des éléments de progrès. 4. Si tu n'es pas capable d'un recueillement continu, recueille-toi au moins de temps en temps, ne serait-ce qu'une fois le jour, le matin ou le soir. Le matin, prends tes résolutions; le soir, examine ta conduite, ton comportement en paroles, en actions, en pensées, car tu as peut-être en cela offensé Dieu et ton prochain plus d'une fois. Tel un soldat courageux, arme-toi contre les ruses du démon. Refrène ta gourmandise: tu réprimeras ainsi plus aisément toute autre convoitise charnelle. Ne reste jamais tout à fait inactif, mais lis ou écris, prie ou médite, travaille à quelque chose d'utile pour la communauté. En ce qui concerne les travaux manuels, il convient de les exécuter avec discernement, car ils ne conviennent pas à tous sans distinction. 5. Ne te livre pas ostensiblement à des pratiques qui sortent un peu du domaine courant; efforce-toi de ne pas négliger des pratiques communautaires pour d'autres de ton choix; mais, si après avoir accompli fidèlement et jusqu'au bout les devoirs prescrits il te reste du temps, tu pourras te consacrer à la dévotion qui te plaît. Tout le monde ne saurait suivre les mêmes pratiques: l'une convient mieux à celui-ci, une autre à celui-là. On aime même à les faire varier selon les circonstances: il en est qu'on goûte plus les jours de fête, et d'autres les jours ordinaires. Les unes nous sont nécessaires aux temps de la tentation, d'autres au temps de la paix et du repos; certaines nous plaisent quand nous sommes tristes, d'autres quand nous sommes joyeux dans le Seigneur. 6. Aux approches des grandes fêtes, il faut renouveler notre piété et implorer avec plus de ferveur le secours des saints. Proposons-nous de vivre de fête en fête, comme si la prochaine devait être célébrée pour marquer notre départ de ce monde et notre entrée dans la fête éternelle. Tâchons donc de nous y préparer avec soin, en ce temps béni, par une vie plus fervente, par une plus fidèle observance des Règles, comme si nous allions bientôt recevoir de Dieu le prix de notre travail. 7. Et si ce jour-là est différé, il faut nous dire que nous n'étions pas encore bien prêts, ni dignes de cette gloire qui doit se manifester en nous à son heure, et il nous reste à redoubler d'efforts pour mieux nous préparer à ce départ. Heureux ce serviteur, que son maître, en arrivant, trouvera occupé. Je vous dis en vérité, qu'il l'établira sur tous ses biens (Luc 12,43-44). *Chapitre 20* AMOUR DE LA SOLITUDE ET DU SILENCE 1. Cherche à te ménager des entretiens avec toi-même afin de te rappeler souvent les bienfaits de Dieu. Laisse là tout ce qui ne sert qu'à nourrir la curiosité. Lis des ouvrages édifiants de préférence à ce qui distrait l'esprit. Si tu te tiens à l'écart des vains bavardages, si tu fermes l'oreille aux bruits du monde, tu trouveras assez de loisirs pour de fructueuses méditations. Les plus grands saints évitaient, autant que possible, le commerce des hommes et préféraient servir Dieu dans le silence. 2. Un philosophe antique a dit: "Chaque fois que j'ai été parmi les hommes, j'en suis revenu moins homme" (Sénèque, ép. 7). C'est l'impression que nous retirons souvent du contact avec certaines personnes. Il est plus facile de se taire tout à fait que de garder le contrôle de ses paroles, plus facile de rester chez soi que de bien se conduire au-dehors. Celui donc qui aspire à la vie intérieure et spirituelle doit, à l'exemple de Jésus, s'écarter de la foule. Nul ne peut se montrer sans danger, s'il n'aime à demeurer caché. Nul ne peut parler avec mesure, s'il n'aime à se taire. Nul n'est bon supérieur qui n'est pas bon inférieur. Nul ne peut commander sans risque qui n'a pas appris à bien obéir. Nul ne peut goûter la vraie joie sans le témoignage d'une bonne conscience. 3. Cependant, la confiance des saints a toujours marché de pair avec la crainte de Dieu; quel que fût l'éclat de leurs vertus et de leurs grâces, ils n'en demeuraient pas moins humbles et vigilants. L'assurance des méchants, au contraire, naît de l'orgueil et de la présomption et ne peut mener qu'à une défaite. Ne te promets jamais de sécurité dans cette vie, même si tu as la réputation d'un bon religieux ou d'un solitaire éprouvé. 4. Souvent, les hommes les plus estimés par leurs semblables ont couru les plus grands dangers pour avoir eu trop confiance en eux-mêmes. C'est pourquoi, il nous est utile de n'être pas entièrement délivrés des tentations et de subir de fréquents assauts; sinon, nous nous laisserions trop facilement aller à notre orgueil. Oh! si l'on ne recherchait jamais les joies passagères, si l'on ne se souciait jamais des vanités du monde, quelle bonne conscience on garderait! Celui qui débarrasserait son esprit de toutes vaines préoccupations pour ne penser qu'à son salut et aux choses de Dieu, mettant en lui toute son espérance, celui-là jouirait d'une grande paix et d'un repos parfait. 5. Nul n'est digne de recevoir un secours divin s'il ne s'est exercé longtemps à la contrition. Si tu veux trouver la vraie contrition du coeur, entre dans ta chambre et fais taire les bruits extérieurs, car il est écrit: C'est dans votre demeure que vous éprouverez la contrition (Ps. 4,5). Dans ta cellule, tu trouveras ce que, le plus souvent, tu perds au-dehors. Bien gardée, la cellule est douce; souvent désertée, elle engendre l'ennui. Si tu la gardes fidèlement dès le début de ta conversion, elle te sera plus tard une amie très chère et ton réconfort. 6. C'est dans le silence et le calme que l'âme peut progresser et pénétrer les secrets des saintes Ecritures. Elle y trouve la source des larmes dont elle se purifie chaque nuit, et elle devient d'autant plus intime avec son Créateur qu'elle vit plus éloignée de tous les bruits du monde. Le Seigneur viendra à la rencontre de celui qui aura su renoncer à ses relations, à ses amis. Il vaut mieux vivre caché et s'occuper de son âme, que de faire des prodiges pour s'éblouir soi-même. Sortir peu, éviter de voir et d'être vu, c'est pour un religieux chose très louable. 7. Pourquoi désirer obtenir ce qu'il ne t'est pas permis d'avoir? Le monde passe, et ainsi toute sa séduction (1 Jean 2,17). Les désirs des sens t'entraîneront çà et là, mais qu'en rapporteras-tu, l'heure passée, sinon un poids sur la conscience et un grand vide dans le coeur? Un joyeux départ mène souvent à un triste retour; ainsi, toute joie des sens commence dans la douceur, mais finit dans l'amertume et la désolation. 8. Que pourrais-tu voir ailleurs que tu ne vois déjà là où tu es? Voici le ciel, la terre et tous les éléments: c'est d'eux que toutes choses sont faites. Où que tu ailles, que peux-tu trouver de durable sous le soleil? Tu essaieras peut-être ainsi d'apaiser ta faim, mais tu n'y parviendras jamais par ce moyen. Lève plutôt les yeux vers Dieu et prie pour tes péchés et tes négligences. Laisse aux hommes vains les occupations vaines; pour ta part, ne t'occupe que de ce que Dieu te commande. Ferme ta porte et appelle à toi Jésus, ton bien-aimé. Demeure aussi en sa présence, car jamais tu ne trouveras une aussi grande paix. Si tu n'étais pas sorti et si tu n'avais pas entendu une seule nouvelle, tu serais demeuré dans la paix. C'est le plaisir que tu prends aux bruits du monde qui te cause tout ce trouble dans l'âme. *Chapitre 21* LA CONTRITION 1. Si tu veux faire quelque progrès, garde en toi la crainte de Dieu, et ne te conduis pas trop librement; soumets tes sens à une sévère discipline et ne te livre jamais à une exubérance déraisonnable. Prépare ton coeur à la contrition et tu trouveras la vraie dévotion. La contrition apporte les richesses que la dissipation gaspille. C'est une chose étrange, que l'homme puisse être une seule fois parfaitement heureux en celle vie en prenant conscience de son exil et des dangers auxquels est exposée son âme. 2. Notre légèreté et nos défauts nous empêchent de ressentir les maux de l'âme, et souvent nous rions sans souci, alors que nous devrions plutôt pleurer. Il n'y a de vraie liberté et de joie pure que dans la crainte de Dieu et la bonne conscience. Heureux celui qui peut éloigner tout objet de distraction et se recueillir tout entier dans une parfaite contrition. Heureux celui qui sait repousser à temps tout ce qui peut souiller ou charger sa conscience! Lutte sans te décourager: une bonne habitude en chasse une mauvaise. 3. Ne t'occupe ni des affaires des autres ni des causes des "grands". Garde toujours les yeux fixés sur toi-même et corrige-toi d'abord, avant de vouloir corriger tes amis. Si tu n'as pas la faveur des hommes, ne t'en attriste pas, mais que ton chagrin soit de pas avoir la vie recueillie et vigilante qui conviendrait à un bon serviteur de Dieu. Il est souvent plus utile et plus sûr de ne pas recevoir de réconfort en cette vie, surtout des consolations sensibles. Mais si nous sommes privés du secours divin ou si nous ne l'éprouvons que rarement, c'est notre faute, parce que nous ne recherchons pas la contrition du coeur et que nous ne rejetons pas entièrement les vaines satisfactions extérieures. 4. Reconnais que tu es indigne de l'aide divine, et plutôt digne d'une abondante tribulation. Quand un homme est pénétré d'une parfaite contrition, toutes les choses du monde lui paraissent alors amères et pénibles à supporter. Un homme juste trouve toujours assez de sujets d'affiction car, soit qu'il se considère lui-même soit qu'il pense aux autres, il sait que nul ne vit ici-bas sans tourments; et plus il se considère attentivement, plus profonde est sa douleur. Les motifs de notre tristesse intérieure, ce sont nos péchés et nos vices. Nous y sommes ensevelis à tel point que nous sommes rarement capables d'élever les yeux jusqu'au ciel. 5. Si tu pensais plus souvent à la mort, nul doute que tu travaillerais plus sérieusement à te corriger. Et si tu réfléchissais sérieusement aux peines de l'enfer ou du purgatoire, tu supporterais volontiers labeur et douleur, et ne redouterais aucune austérité. Mais parce que ces vérités ne pénètrent pas jusqu'à notre coeur, et que nous aimons encore ce qui nous flatte, nous demeurons dans notre paresse. 6. C'est souvent du fait de notre pauvreté spirituelle que notre chair misérable se plaint sans raison. Prie donc humblement le Seigneur de te donner l'esprit de contrition, et dis avec le prophète: Nourrissez-moi, Seigneur, du pain des larmes; abreuvez-moi du calice des pleurs (Ps. 79,6). *Chapitre 22* CONSIDÉRATION DE LA MISÈRE HUMAINE 1. Où que tu sois et où que tu ailles, tu seras toujours malheureux si tu ne marches pas vers Dieu. Pourquoi te troubles-tu lorsque tout n'arrive pas selon ta volonté, selon ton désir? C'est le sort commun à tous les hommes. Personne en ce monde n'est sans souffrance et douleur, fût-il roi ou pape. Quel est donc l'homme le plus heureux sur terre? Celui qui sait endurer sa souffrance pour Dieu. 2. Dans leur pauvreté spirituelle, certains disent: "Oh! que cet homme-là a une belle vie! Qu'il est riche! Qu'il est puissant! Quelle situation!" Mais considère les biens célestes et tu verras que tous ces avantages temporels ne sont autre chose qu'une source d'incertitudes, parce qu'on ne les possède jamais sans crainte ni souci. Le bonheur de l'homme ne réside pas dans l'abondance des biens temporels; peu de choses suffisent d'ailleurs à satisfaire ses besoins en ce domaine. C'est vraiment une grande misère que notre passage sur la terre! Plus on veut avancer dans le domaine spirituel, plus la vie présente devient pesante, parce qu'on voit plus clairement combien la nature humaine est corrompue et aveuglée. Manger, boire, veiller, dormir, se reposer, travailler, être assujetti à toutes les lois de la nature, c'est vraiment une grande misère et affliction pour un homme qui voudrait vivre dégagé de ses liens terrestres et au-dessus de toute faute. 3. L'homme juste porte en ce monde les nécessités de son corps comme un poids. Et c'est pourquoi le prophète supplie d'en être affranchi, disant: Seigneur, délivrez-moi de mes nécessités (Ps. 24,17). Malheur à ceux qui ne connaissent pas leur misère! Et malheur surtout à ceux qui aiment cette vie périssable! Car il y en a qui l'embrassent aussi éperdument que s'ils devaient toujours vivre ici-bas, et ne s'inquiètent nullement du royaume de Dieu. 4. O insensés et coeurs incrédules, si profondément enfoncés dans les choses terrestres qu'ils ne goûtent plus d'autres joies que les charnelles! Les malheureux, ils sauront amèrement, à la fin, la misère et le néant de ce qu'ils ont aimé. Mais les saints, eux, au contraire, et tous les fidèles amis de Jésus Christ, ne se sont pas arrêtés à tout ce qui flatte la chair et au succès d'un instant; tous leurs espoirs, toutes leurs intentions étaient dirigées vers la conquête des biens éternels. Tous leurs désirs s'élevaient vers des richesses invisibles et impérissables, de peur que l'amour trop humain ne les rabaissât vers la terre. 5. Mon frère, ne te décourage pas dans ton cheminement spirituel; il ne pourra s'effectuer que très lentement. Pourquoi veux-tu remettre au lendemain l'exécution de tes résolutions? Allons! Commence dès maintenant et dis-toi: "Voici le moment d'agir, de combattre, voici le moment de me corriger!" Quand ça ne va pas et que tu souffres, c'est justement le temps de méditer ceci: Il faut passer por le feu et l'eau avant d'entrer dans le lieu de rafraîchissement (Ps. 65,12). Si tu ne te fais violence, tu ne triompheras pas du vice. Tant que nous sommes liés à ce corps fragile, nous ne pouvons être sans péché ni vivre sans douleur et ennui. Nous aimerions jouir d'un repos exempt de toute misère; mais en perdant l'innocence par le péché, nous avons aussi perdu la vraie béatitude. Il faut donc persévérer dans la patience et attendre la miséricorde de Dieu, jusqu'à ce que l'iniquité passe (Ps. 56,2), et que ce qu'il y a de mortel en vous soit absorbé por la vie (2 Cor. 5,4). 6. Oh! combien l'homme est fragile et toujours enclin au mal! Aujourd'hui, tu confesses tes péchés, et demain tu retombes dans les mêmes fautes. Tu te promets de faire attention et, une heure après, tu agis comme si tu avais tout oublié. Ainsi, nous avons dans notre fragilité et notre inconstance un grand sujet d'humiliation. Comment pourrions-nous donc garder bonne opinion de nous-mêmes? En une seconde, par négligence, on peut perdre un bien acquis par la grâce après de longs efforts. 7. Dans quel état serons-nous à la fin du jour, si nous nous montrons si lâches dès le matin? Malheur à nous si nous voulons nous abandonner au repos avant le temps comme si nous avions déjà atteint le but, alors qu'on ne peut trouver dans notre vie une seule trace de sainteté! Il faudrait plutôt qu'on se remette à nous former comme des débutants: peut-être y aurait-il espoir d'une conversion et d'un plus grand progrès spirituel. *Chapitre 23* LA MORT 1. Il en sera vite fait de ton existence ici-bas; tu n'as qu'à examiner ta condition. Un homme est là aujourd'hui, demain il n'est plus et il est vite oublié. O sottise et dureté du coeur humain, qui ne pense qu'aux choses présentes et ne prévoit pas les futures! Dans toutes tes actions et tes pensées, comporte-toi comme s'il te fallait mourir aujourd'hui. Si tu avais bonne conscience, tu craindrais peu la mort. Il vaut mieux éviter le péché que fuir la pensée de la mort. Si tu n'es pas prêt maintenant, comment le serais-tu plus tard? Le lendemain est incertain; et sais-tu même s'il y aura encore pour toi un lendemain? 2. A quoi sert de vivre longtemps, puisque nous nous corrigeons si peu? Une longue vie ne mène pas toujours à la perfection; souvent, elle augmente même le poids des fautes. Plût à Dieu que nous eussions bien passé ne fût-ce qu'un jour en ce monde! Certains comptent de nombreuses années depuis leur conversion, mais leur progrès dans la perfection est souvent médiocre. S'il est terrible de mourir, il est peut-être plus dangereux de vivre plus longtemps. Heureux celui qui garde toujours les yeux tournés vers l'heure de sa mort, et qui chaque jour, se prépare à mourir. S'il t'est arrivé de voir quelqu'un mourir, songe que toi aussi tu prendras le même chemin. 3. Le matin, pense que tu pourrais ne pas atteindre le soir; la nuit venue, ne sois pas assuré de voir le matin. Tiens-toi donc toujours prêt et vis de telle sorte que la mort ne te prenne jamais au dépourvu. Beaucoup d'hommes sont enlevés par une mort soudaine et imprévue, car le Fils de l'homme viendra à l'heure où l'on n'y pense pas (Luc 12,40). Quand viendra cette heure dernière, tu commenceras à juger tout autrement de ta vie passée, et tu regretteras amèrement de t'être conduit avec autant de négligence et de lâcheté. 4. Combien est sage celui qui s'efforce de mener une vie telle qu'il la souhaitera à l'heure de sa mort! Car rien ne donnera une si grande confiance pour une bonne mort que le parfait mépris des vanités du monde, le désir ardent de progresser dans la vertu, l'esprit de contrition et d'obéissance, l'abnégation de soi-même et la constance à souffrir toutes sortes d'adversités pour l'amour de Jésus Christ. En bonne santé, tu peux faire beaucoup de bien; une fois malade, que pourras-tu faire encore? Il est peu d'hommes qui sortent meilleurs d'une maladie; peu qui se sanctifient par de fréquents pèlerinages. 5. Ne compte ni sur tes amis ni sur tes proches, et ne remets pas à plus tard le soin de travailler à ton salut, car les hommes t'oublieront plus vite que tu ne le penses. Il vaut mieux y pourvoir à temps et faire de bonnes oeuvres que de compter sur le secours des autres. Si tu ne penses pas à toi-même maintenant, qui pensera à toi dans l'avenir? Maintenant, ton temps est très précieux. Voici le temps propice! Voici le jour du salut! (2 Cor. 6,2). Quel dommage pour toi de ne pas utiliser pleinement le temps qui devrait te servir à mériter la vie éternelle! 6. Le moment viendra où tu désireras bénéficier encore d'un jour ou même d'une heure pour t'amender, et peut-être cela ne te sera-t-il pas accordé. Mon ami, quel danger écarté, quelle épouvante épargnée alors, si tu vis dans la crainte de Dieu et la pensée de la mort! Vis dès à présent de manière à avoir à l'heure de ta mort plus de sujets d'espérer que de crainte. Apprends maintenant à mourir au monde, afin que tu commences alors à vivre avec Jésus Christ. Apprends maintenant à te détacher de tout afin que tu puisses aller librement à Jésus Christ. Châtie maintenant ton corps par la pénitence, afin que tu puisses avoir alors une confiance certaine. 7. O insensé! pourquoi penses-tu vivre si longtemps, alors que pas un seul de tes jours ne t'est assuré? Combien s'y sont trompés et ont été arrachés subitement à ce monde! Souvent tu entends dire: un tel a été assassiné, un autre s'est noyé, un autre a été victime d'un accident; l'un est mort en prenant son repas, un autre durant les vacances; l'un a péri par le feu, un autre à la guerre, un autre du fait de la maladie, un autre à la suite d'une agression; la fin de tous, c'est la mort, et la vie des hommes passe comme une ombre (Ps. 143,4). 8. Qui, après la mort, se souviendra de toi? Qui priera pour toi? Allons, mon ami! efforce-toi maintenant d'agir le mieux possible, car tu ne sais pas quand tu mourras, ni ce qui t'attend après la mort. Amasse des richesses impérissables pendant qu'il en est encore temps. Ne pense qu'à ton salut et n'aie souci que des choses de Dieu. Fais-toi maintenant des amis en priant et imitant les saints, afin qu'arrivé au terme de cette vie, ils te reçoivent dans les tabernacles éternels (Luc 16,9). 9. Vis, sur la terre, com me un voyageur et un étranger que les affaires de ce monde ne concernent pas. Garde ton coeur toujours libre et élevé vers Dieu, parce que tu n'as pas ici-bas de demeure durable (Hébr. 13,14). Adresse là-haut, chaque jour, tes prières et supplications, afin qu'après la mort, ton esprit mérite d'aller à Dieu. *Chapitre 24* JUGEMENT ET PEINES DES PÉCHEURS 1. En toutes choses, considère la fin et l'instant où tu paraîtras devant le Juge Suprême, à qui rien ne peut être caché et qui jugera selon la justice. O pécheur misérable et insensé! Que vas-tu répondre à Dieu qui connaît toutes tes fautes, toi qui trembles quelquefois seulement devant le visage d'un homme irrité? Pourquoi ne penses-tu donc pas à te prémunir pour le jour du jugement, où nul ne pourra excuser ou défendre un autre, mais où chacun sera à soi-même un fardeau assez lourd? Maintenant, ton travail peut encore produire des fruits, ton repentir peut encore être accepté, ta douleur d'avoir péché peut réparer tes fautes et purifier ton âme. 2. L'homme patient qui sous le coup de l'injustice s'afflige plus de la malice d'autrui que de sa propre peine, qui prie de bon coeur pour ceux qui l'oppriment et pardonne leurs fautes, qui est plus enclin à la compassion qu'à la colère, qui se fait violence à lui-même et s'efforce de soumettre entièrement la chair à l'esprit, cet homme-là fait son purgatoire de façon profonde et salutaire. Il vaut mieux expier maintenant ses péchés que d'attendre de les expier dans l'autre monde, car, vraiment, l'amour désordonné que nous avons pour la chair nous fait commettre beaucoup de fautes. 3. Plus tu te laisses aller maintenant, et plus tu flattes la chair, plus sévère sera alors le châtiment, ayant plus d'aliment pour le feu éternel. Où l'homme aura le plus péché, là il sera le plus puni. Là, les paresseux seront percés par des aiguillons ardents, et les gourmands tourmentés d'une faim et d'une soif extrêmes; les voluptueux et les impudiques seront plongés dans une poix brûlante et un soufre fétide; les envieux, dans leur douleur, hurleront comme des chiens enragés. 4. Pas de vice qui ne trouve là-bas son propre tourment. Les orgueilleux seront remplis de confusion, et les avares réduits à une noire indigence. Une heure de châtiment là-bas sera plus terrible à supporter que cent années ici de la plus dure pénitence. Ici, quelquefois, nous interrompons nos occupations pour nous distraire avec des amis: là, nul repos, nulle consolation pour les damnés. Prends conscience de tes péchés et aies-en le regret, afin qu'au jour du jugement, tu puisses partager la félicité des saints. Les justes, alors, se dresseront avec une grande fierté en face de ceux qui les opprimaient et méprisaient (Sag. 5,1). Alors se lèvera pour juger Celui qui se soumet maintenant au jugement des hommes. Alors, l'humble ou le pauvre en esprit se sentira empli d'une grande confiance, tandis que l'orgueilleux tremblera d'épouvante. 5. Alors, on verra que celui qui sut se laisser mépriser et maltraiter pour Jésus Christ fut sage en ce monde. Alors, les tourments soufferts avec patience se changeront en joie, et toute iniquité sera muette (Ps. 106,42). Alors, les justes seront transportés d'allégresse, et les pécheurs impénitents accablés de douleur. Alors, il y aura une grande joie pour le saint et une grande tristesse pour l'impie; la chair affligée se réjouira plus que si elle avait toujours été repue de délices. Le vêtement grossier sera lumière, et ténèbre le vêtement fin. La plus pauvre demeure aura plus de valeur qu'une riche villa. Une patience constamment soutenue aura plus de poids que toute la puissance du monde, et une obéissance toute simple vaudra mieux aux yeux de Dieu que toute la prudence du siècle. 6. Une conscience droite et pure donnera plus de joie qu'un grand savoir. Le mépris des richesses triomphera de tous les trésors de la terre. Alors une prière fervente te réjouira plus qu'un repas délicieux; tu seras plus heureux d'avoir gardé le silence que d'avoir beaucoup parlé. Les actions saintes vaudront mieux que les belles paroles; une vie de peine et de travail rapportera plus que tous les plaisirs de la terre. Exerce-toi donc dès à présent à supporter quelques légères afflictions, afin de te trouver alors à l'abri de souffrances bien plus grandes. Si tu ne peux maintenant endurer la moindre des choses, comment supporteras-tu les tourments éternels? Si la plus petite douleur te cause tant d'impatience, qu'en sera-t-il alors des tortures de l'enfer? Il y a deux joies qui sont tout à fait incompatibles: goûter les délices de ce monde et régner ensuite avec Jésus Christ. 7. A quoi te servirait d'avoir vécu jusqu'à ce jour dans les honneurs et les plaisirs s'il te fallait mourir à l'instant? Tout n'est que vanité, hormis l'amour de Dieu et son divin service (Eccl. 1,2). Celui qui aime Dieu de tout son coeur ne craint ni la mort, ni le jugement, ni l'enfer, parce que l'amour parfait mène sûrement à Dieu. Mais pour celui qui se complaît encore dans le péché, il n'est pas surprenant qu'il redoute de comparaître devant le Seigneur. Cependant, si l'amour de Dieu ne t'a pas encore détourné du mal, il est bon que tu sois au moins retenu par la crainte de l'enfer. Celui qui ne craint pas Dieu ne peut persévérer longtemps dans le bien; il tombera bientôt dans les pièges du diable. *Chapitre 25* TRAVAILLER A PERFECTIONNER SA VIE 1. Reste un serviteur de Dieu, vigilant et attentif, et pose-toi souvent ces questions: pourquoi ai-je quitté le siècle? N'est-ce pas afin de vivre pour Dieu et atteindre à un haut degré de vie spirituelle? Emplis-toi donc du désir de te perfectionner, parce que tu recevras bientôt le prix de ton labeur, et alors, il n'y aura plus pour toi ni crainte ni souffrance. Un peu de labeur maintenant, et puis le repos même de Dieu, une joie immense, une joie sans fin. Si tu restes fidèle et dévoué à Dieu, il saura te récompenser fidèlement. Garde le ferme espoir de parvenir à la gioire, mais sans te fier trop à toi-même, de peur de tomber dans la présomption ou dans la paresse. 2. Un homme vivait dans l'anxiété, sans cesse partagé entre la crainte et l'espérance. Un jour, accablé de tristesse, il entra dans une église et là, prosterné devant l'autel, il disait et redisait en lui-même: "Oh! si j'étais sûr de persévérer!" Aussitôt, il entendit intérieurement cette réponse divine: "Si tu le savais, que ferais-tu? Agis maintenant comme tu agirais alors et tu retrouveras la paix." Rasséréné à l'instant même et réconforté, il s'abandonna à la volonté de Dieu, et son angoisse cessa. Il ne chercha plus à connaître son avenir, mais s'appliqua à discerner la volonté et le bon plaisir de Dieu, afin de mener à bien toutes les oeuvres justes et bonnes qu'il entreprenait. 3. Compte sur la grâce de Dieu et agis bien, dit le prophète; habite la terre et vis tranquille; place en Dieu toute ta joie, et il comblera les désirs de fon coeur (Ps. 36,3). Il est une chose qui en empêche beaucoup d'avancer dans la voie de la conversion et du progrès: c'est la peur devant l'effort et les difficultés du combat. Et pourtant, ceux qui luttent courageusement pour se vaincre en ce qui leur est le plus pénible, parce que le plus contraire à leurs penchants, sont les plus dignes d'admiration. Car l'homme mérite d'autant plus de grâces qu'il se surmonte lui-même et se mortifie davantage. 4. Il est vrai que tous n'ont pas un égal combat à soutenir pour se vaincre et mourir à eux-mêmes; cependant, un homme plein de passions, mais doué d'une grande volonté, fera plus de progrès qu'un homme qui a moins à lutter mais est moins ardent pour la vertu. Il y a deux buts essentiels à atteindre: s'arracher aux inclinations mauvaises de la nature, et travailler ardemment à acquérir la vertu qui nous manque le plus. Tâche aussi d'éviter de commettre ces mêmes fautes qui te déplaisent chez les autres. 5. Saisis toutes les occasions pour te fortifier dans la vertu. Ainsi, tâche d'imiter tous les bons exemples que tu pourras voir ou qu'on te rapportera. Si tu aperçois quelque chose de répréhensible, prends garde de tomber dans le même piège, et si jamais cela t'arrive, tâche de te corriger au plus tôt. Ton oeil observe les autres, mais les autres aussi te jugent. Qu'il est bon et réconfortant de voir des religieux pieux et fervents, observant fidèlement la Règle! Mais comme on s'attriste devant ceux qui ne suivent pas la voie que Dieu avait tracée devant eux! Qu'il est nuisible de négliger les devoirs de sa vocation pour prendre goût à des choses dont on n'est pas chargé! 6. Souviens-toi de ce que tu as promis et garde toujours devant les yeux l'image de Jésus crucifié. Si tu considères la vie de Jésus Christ, tu y verras matière à rougir de toi-même d'avoir fait jusqu'ici si peu d'efforts pour y conformer la tienne. Un religieux qui médite sérieusement la vie et la Passion du Seigneur y puisera en abondance tout ce qui lui est utile et nécessaire, et il n'a pas besoin de chercher hors de Jésus quelque chose de meilleur. Oh! si Jésus crucifié entrait dans notre coeur, comme nous serions vite instruits! 7. Un religieux fervent comprend le sens de ce qu'on lui ordonne et s'y soumet sans peine. Le religieux tiède ne rencontrera qu'adversité et amertume de toutes parts, parce qu'il est privé du réconfort intérieur et que le réconfort extérieur lui est interdit. Un religieux qui vit en marge de la discipline s'expose à un grand danger. Celui qui recherche une vie plus libre et moins austère connaît une inquiétude! perpétuelle, car il trouve sans cesse des sujets d'incertitude sur son chemin. 8. Quelle est l'existence de tant d'autres religieux qui observent la sévère discipline du cloître? Ils sortent rarement, ils vivent retirés, ils ont une table frugale, un vêtement grossier, ils travaillent beaucoup, parlent peu, veillent tard, se lèvent tôt, font de longues prières, de fréquentes lectures et observent en tout une obéissance parfaite. Regarde les Chartreux, les Cisterciens, les religieux et les religieuses de différents Ordres: ils se lèvent chaque nuit pour chanter la gioire du Seigneur. Ne serait-ce donc pas une honte que tu te montres paresseux dans une tâche si sainte, à l'heure même où tant de religieux célèbrent Dieu dans la joie? 9. Oh! si nous n'avions d'autre tâche à accomplir que celle de louer Dieu de toutes nos forces, à tout instant! Si tu n'éprouvais jamais le besoin de manger, de boire, de dormir, et si tu pouvais te consacrer uniquement à l'étude des matières spirituelles, tu serais alors beaucoup plus heureux que maintenant où tu es assujetti à ton corps et à toutes ses nécessités. Oh! si elles n'existaient pas, ces nécessités, mais seule la nourriture spirituelle que nous goûtons si rarement! 10. Quand un homme est arrivé au point de ne rechercher de réconfort auprès d'aucune créature humaine, alors Dieu commence à devenir pour lui une nourriture délicieuse dont il continuera à se rassasier, quoi qu'il arrive. Il ne se laissera emporter ni par l'élan d'un grand bonheur ni par l'accablement d'une petite peine; il s'abandonnera tout entier, avec une pleine confiance, à Dieu, qui lui est tout en toutes choses, et en qui rien ne périt. 11. Souviens-toi toujours que tu es mortel et que le temps perdu ne revient plus. Les vertus ne s'acquièrent qu'avec beaucoup de patience et d'efforts constants. Si tu commences à tiédir, tu commences à devenir malheureux. Mais si tu persévères dans la ferveur, tu trouveras une grande paix; la grâce de Dieu et ton amour de la vertu rendront ton fardeau léger. L'homme diligent et charitable est toujours prêt à toute oeuvre bonne. Il y a plus de labeur à résister aux vices et aux passions qu'à peiner dans les travaux corporels. Celui qui n'évite pus les petites fautes tombera peu à peu dans les plus grandes (Eccli. 19,1). Tu te sentiras plein de bonheur le soir si tu as bien employé ta journée. Veille sur toi-même, ne laisse pas ton zèle s'éteindre et, quelle que soit la conduite des autres, ne néglige pas la tienne. Tu accompliras des progrès dans la mesure où tu te feras violence à toi-même. Amen.