Adorons Jésus-Eucharistie! | Accueil >> Varia >> Livres >> Table des matières
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LES EXPRESSIONS DE LA PRIERE
I. La prière vocale
§2700
Par sa Parole, Dieu parle
à l'homme. C'est par des paroles, mentales ou vocales, que notre prière prend corps.
Mais le plus important est la présence du coeur à Celui à qui nous parlons dans
la prière. «Que notre prière soit entendue dépend, non de la
quantité des paroles, mais de la ferveur de nos âmes» (S. Jean
Chrysostome, ecl. 2: PG 63, 583A).
§2701
La prière vocale est une
donnée indispensable de la vie chrétienne. Aux disciples, attirés par la prière
silencieuse de leur Maître, Celui-ci enseigne une prière vocale: le
«Notre Père». Jésus n'a pas seulement prié les prières
liturgiques de la synagogue, les Évangiles nous Le montrent élever la voix pour
exprimer sa prière personnelle, de la bénédiction exultante du Père (cf. Mt 11,
25-26) jusqu'à la détresse de Gethsémani (cf. Mc 14, 36).
§2702
Ce besoin d'associer les sens
à la prière intérieure répond à une exigence de notre nature humaine. Nous
sommes corps et esprit, et nous éprouvons le besoin de traduire extérieurement
nos sentiments. Il faut prier avec tout notre être pour donner à notre
supplication toute la puissance possible.
§2703
Ce besoin répond aussi à
une exigence divine. Dieu cherche des adorateurs en Esprit et en Vérité, et par
conséquent la prière qui monte vivante des profondeurs de l'âme. Il veut aussi
l'expression extérieure qui associe le corps à la prière intérieure, car elle
Lui apporte cet hommage parfait de tout ce à quoi Il a droit.
§2704
Parce qu'extérieure et si
pleinement humaine, la prière vocale est par excellence la prière des foules.
Mais aussi la prière la plus intérieure ne saurait négliger la prière vocale.
La prière devient intérieure dans la mesure où nous prenons conscience de Celui
«à qui nous parlons» (Ste. Thérèse de Jésus, cam. 26).
Alors la prière vocale devient une première forme de la prière contemplative.
II. La méditation
§2705
La méditation est surtout
une recherche. L'esprit cherche à comprendre le pourquoi et le comment de la
vie chrétienne, afin d'adhérer et de répondre à ce que le Seigneur demande. Il
y faut une attention difficile à discipliner. Habituellement, on s'aide d'un
livre, et les chrétiens n'en manquent pas: les saintes Écritures,
l'Évangile singulièrement, les saintes icônes, les textes liturgiques du jour
ou du temps, les écrits des Pères spirituels, les ouvrages de spiritualité, le
grand livre de la création et celui de l'histoire, la page de
«l'Aujourd'hui» de Dieu.
§2706
Méditer ce qu'on lit
conduit à se l'approprier en le confrontant avec soi-même. Ici, un autre livre
est ouvert: celui de la vie. On passe des pensées à la réalité. A la
mesure de l'humilité et de la foi, on y découvre les mouvements qui agitent le
coeur et on peut les discerner. Il s'agit de faire la vérité pour venir à la
Lumière: «Seigneur, que veux-tu que je
fasse?».
§2707
Les méthodes de méditation
sont aussi diverses que les maîtres spirituels. Un chrétien se doit de vouloir
méditer régulièrement, sinon il ressemble aux trois premiers terrains de la
parabole du semeur (cf. Mc 4, 4-7. 15-19). Mais une méthode n'est qu'un
guide; l'important est d'avancer, avec l'Esprit Saint, sur l'unique
chemin de la prière: le Christ Jésus.
§2708
La méditation met en oeuvre
la pensée, l'imagination, l'émotion et le désir. Cette mobilisation est
nécessaire pour approfondir les convictions de foi, susciter la conversion du
coeur et fortifier la volonté de suivre le Christ. La prière chrétienne
s'applique de préférence à méditer «les mystères du Christ»,
comme dans la «lectio divina» ou le Rosaire. Cette forme
de réflexion priante est de grande valeur, mais la prière chrétienne doit
tendre plus loin: à la connaissance d'amour du Seigneur Jésus, à l'union
avec Lui.
III. L'oraison
§2709
Qu'est-ce que
l'oraison? Ste. Thérèse répond: «L'oraison mentale
n'est, à mon avis, qu'un commerce intime d'amitié où l'on s'entretient souvent
seul à seul avec ce Dieu dont on se sait aimé» (vida 8).
L'oraison cherche «celui que mon coeur aime» (Ct 1, 7; cf. Ct 3, 1-4). C'est Jésus, et en lui, le Père. Il est cherché, parce que le désirer est toujours le commencement de l'amour, et il est cherché dans la foi pure, cette foi qui nous fait naître de lui et vivre en lui. On peut méditer encore dans l'oraison, toutefois le regard porte sur le Seigneur.
§2710
Le choix du temps et de
la durée de l'oraison relève d'une volonté déterminée, révélatrice des
secrets du coeur. On ne fait pas oraison quand on a le temps: on prend le
temps d'être pour le Seigneur, avec la ferme détermination de ne pas le lui
reprendre en cours de route, quelles que soient les épreuves et la sécheresse
de la rencontre. On ne peut pas toujours méditer, on peut toujours entrer en
oraison, indépendamment des conditions de santé, de travail ou d'affectivité.
Le coeur est le lieu de la recherche et de la rencontre, dans la pauvreté et
dans la foi.
§2711
L'entrée en oraison
est analogue à celle de la Liturgie eucharistique:
«rassembler» le coeur, recueillir tout notre être sous la
mouvance de l'Esprit Saint, habiter la demeure du Seigneur que nous sommes,
éveiller la foi pour entrer en la Présence de Celui qui nous attend, faire
tomber nos masques et retourner notre coeur vers le Seigneur qui nous aime afin
de nous remettre à Lui comme une offrande à purifier et à transformer.
§2712
L'oraison est la prière de
l'enfant de Dieu, du pécheur pardonné qui consent à accueillir l'amour dont il
est aimé et qui veut y répondre en aimant plus encore (cf. Lc 7, 36-50;
19, 1-10). Mais il sait que son amour en retour est celui que l'Esprit répand
dans son coeur, car tout est grâce de la part de Dieu. L'oraison est la remise
humble et pauvre à la volonté aimante du Père en union de plus en plus profonde
à son Fils bien-aimé.
§2713
Ainsi l'oraison est-elle
l'expression la plus simple du mystère de la prière. L'oraison est un don,
une grâce; elle ne peut être accueillie que dans l'humilité et la
pauvreté. L'oraison est une relation d'alliance établie par Dieu au fond
de notre être (cf. Jr 31, 33). L'oraison est communion: la Trinité
Sainte y conforme l'homme, image de Dieu, «à sa
ressemblance».
§2714
L'oraison est aussi le
temps fort par excellence de la prière. Dans l'oraison, le Père nous
«arme de puissance par son Esprit pour que se fortifie en nous
l'homme intérieur, que le Christ habite en nos coeurs par la foi et que nous
soyons enracinés, fondés dans l'amour» (Ep 3, 16-17).
§2715
La contemplation est regard
de foi, fixé sur Jésus. «Je L'avise et Il m'avise»,
disait, au temps de son saint curé, le paysan d'Ars en prière devant le
Tabernacle (cf. F. Trochu, Le curé d'Ars Saint Jean Marie Vianney, p.
223-224). Cette attention à Lui est renoncement au «moi».
Son regard purifie le coeur. La lumière du regard de Jésus illumine les yeux de
notre coeur; elle nous apprend à tout voir dans la lumière de sa vérité et
de sa compassion pour tous les hommes. La contemplation porte aussi son regard
sur les mystères de la vie du Christ. Elle apprend ainsi «la
connaissance intérieure du Seigneur» pour L'aimer et Le suivre
davantage (cf. S. Ignace, ex. spir. 104).
§2716
L'oraison est écoute
de la Parole de Dieu. Loin d'être passive, cette écoute est l'obéissance de la
foi, accueil inconditionnel du serviteur et adhésion aimante de l'enfant. Elle
participe au «oui» du Fils devenu Serviteur et au
«fiat» de son humble servante.
§2717
L'oraison est silence,
ce «symbole du monde qui vient» (S. Isaac de Ninive,
tract. myst. 66) ou «silencieux amour» (S. Jean de la
Croix). Les paroles dans l'oraison ne sont pas des discours mais des brindilles
qui alimentent le feu de l'amour. C'est dans ce silence, insupportable à
l'homme «extérieur», que le Père nous dit son Verbe
incarné, souffrant, mort et ressuscité, et que l'Esprit filial nous fait
participer à la prière deJésus.
§2718
L'oraison est union à la
prière du Christ dans la mesure où elle fait participer à son Mystère. Le
Mystère du Christ est célébré par l'Église dans l'Eucharistie, et l'Esprit
Saint le fait vivre dans l'oraison, afin qu'il soit manifesté par la charité en
acte.
§2719
L'oraison est une
communion d'amour porteuse de Vie pour la multitude, dans la mesure où elle est
consentement à demeurer dans la nuit de la foi. La Nuit pascale de la
Résurrection passe par celle de l'agonie et du tombeau. Ce sont ces trois temps
forts de l'Heure de Jésus que son Esprit (et non la «chair qui est
faible») fait vivre dans l'oraison. Il faut consentir à
«veiller une heure avec lui» (cf. Mt 26, 40).
EN BREF
§2720
L'Église invite les fidèles à une
prière régulière: prières quotidiennes, Liturgie des Heures, Eucharistie
dominicale, fêtes de l'année liturgique.
§2721
La tradition chrétienne comprend trois expressions majeures de la vie de
prière: la prière vocale, la méditation et l'oraison. Elles ont en commun
le recueillement du coeur.
§2722
La prière vocale, fondée sur l'union du corps et de l'esprit dans la nature
humaine, associe le corps à la prière intérieure du coeur, à l'exemple du Christ
priant son Père et enseignant le «Notre Père» à ses
disciples.
§2723
La méditation est une recherche priante qui met en oeuvre la pensée,
l'imagination, l'émotion, le désir. Elle a pour but l'appropriation croyante du
sujet considéré, confronté avec la réalité de notre vie.
§2724
L'oraison mentale est l'expression simple du mystère de la prière. Elle est un
regard de foi fixé sur Jésus, une écoute de la Parole de Dieu, un silencieux
amour. Elle réalise l'union à la prière du Christ dans la mesure où elle nous
fait participer à son Mystère.
LE COMBAT DE LA PRIERE
§2725
La prière est un don de la
grâce et une réponse décidée de notre part. Elle suppose toujours un effort.
Les grands priants de l'Ancienne Alliance avant le Christ, comme la Mère de
Dieu et les saints avec Lui nous l'apprennent: la prière est un combat.
Contre qui? contre nous-mêmes et contre les ruses du Tentateur qui fait
tout pour détourner l'homme de la prière, de l'union à son Dieu. On prie comme
on vit, parce qu'on vit comme on prie. Si l'on ne veut pas habituellement agir
selon l'Esprit du Christ, on ne peut pas non plus habituellement prier en son
Nom. Le «combat spirituel» de la vie nouvelle du chrétien
est inséparable du combat de la prière.
I. Les objections à la prière
§2726
Dans le combat de la
prière, nous avons à faire face, en nous-mêmes et autour de nous, à des conceptions
erronées de la prière. Certaines y voient une simple opération psychologique,
d'autres un effort de concentration pour arriver au vide mental. Telles la
codifient dans des attitudes et des paroles rituelles. Dans l'inconscient de
beaucoup de chrétiens, prier est une occupation incompatible avec tout ce
qu'ils ont à faire: ils n'ont pas le temps. Ceux qui cherchent Dieu par
la prière se découragent vite parce qu'ils ignorent que la prière vient aussi
de l'Esprit Saint et non pas d'eux seuls.
§2727
Nous avons aussi à faire
face à des mentalités de «ce monde-ci «;
elles nous pénètrent si nous ne sommes pas vigilants, par exemple: le
vrai serait seulement ce qui est vérifié par la raison et la science (or prier
est un mystère qui déborde notre conscience et notre inconscient); les
valeurs de production et de rendement (la prière, improductive, est donc
inutile); le sensualisme et le confort, critères du vrai, du bien et du
beau (or la prière, «amour de la Beauté» [philocalie],
est éprise de la Gloire du Dieu vivant et vrai); en réaction contre
l'activisme, voici la prière présentée comme fuite du monde (or la prière
chrétienne n'est pas une sortie de l'histoire ni un divorce avec la vie).
§2728
Enfin, notre combat doit
faire face à ce que nous ressentons comme nos échecs dans la prière:
découragement devant nos sécheresses, tristesse de ne pas tout donner au
Seigneur, car nous avons «de grands biens» (cf. Mc 10,
22), déception de ne pas être exaucés selon notre volonté propre, blessure de
notre orgueil qui se durcit sur notre indignité de pécheur, allergie à la
gratuité de la prière, etc. La conclusion est toujours la même: à quoi
bon prier? Pour vaincre ces obstacles, il faut combattre pour l'humilié,
la confiance et la persévérance.
II. L'humble vigilance du coeur
Face aux difficultés de la prière
§2729
La difficulté habituelle
de notre prière est la distraction. Elle peut porter sur les mots et
leur sens, dans la prière vocale; elle peut porter, plus profondément,
sur Celui que nous prions, dans la prière vocale (liturgique ou personnelle),
dans la méditation et dans l'oraison. Partir à la chasse des distractions
serait tomber dans leurs pièges, alors qu'il suffit de revenir à notre
coeur: une distraction nous révèle ce à quoi nous sommes attachés et cette
prise de conscience humble devant le Seigneur doit réveiller notre amour de
préférence pour lui, en lui offrant résolument notre coeur pour qu'il le
purifie. Là se situe le combat, le choix du Maître à servir (cf. Mt 6, 21. 24).
§2730
Positivement, le combat
contre notre moi possessif et dominateur est la vigilance, la sobriété
du coeur. Quand Jésus insiste sur la vigilance, elle est toujours relative à
Lui, à sa Venue, au dernier jour et chaque jour:
«aujourd'hui». L'Époux vient au milieu de la nuit;
la lumière qui ne doit pas s'éteindre est celle de la foi: «De
toi mon coeur a dit: 'Cherche sa Face'» (Ps 27, 8).
§2731
Une autre difficulté,
spécialement pour ceux qui veulent sincèrement prier, est la sécheresse.
Elle fait partie de l'oraison où le coeur est sevré, sans goût pour les pensées,
souvenirs et sentiments, même spirituels. C'est le moment de la foi pure qui se
tient fidèlement avec Jésus dans l'agonie et au tombeau. «Le grain
de blé, s'il meurt, porte beaucoup de fruit» (Jn 12, 24). Si la
sécheresse est due au manque de racine, parce que la Parole est tombée sur du
roc, le combat relève de la conversion (cf. Lc 8, 6. 13).
Face aux tentations dans la prière
§2732
La tentation la plus courante,
la plus cachée, est notre manque de foi. Elle s'exprime moins par une
incrédulité déclarée que par une préférence de fait. Quand nous commençons à
prier, mille travaux ou soucis, estimés urgents, se présentent comme
prioritaires; de nouveau, c'est le moment de la vérité du coeur et de son
amour de préférence. Tantôt nous nous tournons vers le Seigneur comme le
dernier recours: mais y croit-on vraiment? Tantôt nous prenons le
Seigneur comme allié, mais le coeur est encore dans la présomption. Dans tous
les cas, notre manque de foi révèle que nous ne sommes pas encore dans la
disposition du coeur humble: «Hors de moi, vous ne pouvez rien
faire» (Jn 15, 5).
§2733
Une autre tentation, à
laquelle la présomption ouvre la porte, est l'acédie. Les Pères
spirituels entendent par là une forme de dépression due au relâchement de
l'ascèse, à la baisse de la vigilance, à la négligence du coeur.
«L'esprit est ardent, mais la chair est faible» (Mt 26,
41). Plus on tombe de haut, plus on se fait mal. Le découragement, douloureux,
est l'envers de la présomption. Qui est humble ne s'étonne pas de sa misère,
elle le porte à plus de confiance, à tenir ferme dans la constance.
III. La confiance filiale
§2734
La confiance filiale est
éprouvée -- elle se prouve -- dans la tribulation (cf. Rm 5, 3-5). La difficulté
principale concerne la prière de demande, pour soi ou pour les autres
dans l'intercession. Certains cessent même de prier parce que, pensent-ils,
leur demande n'est pas exaucée. Ici deux questions se posent: Pourquoi
pensons-nous que notre demande n'a pas été exaucée? Comment notre prière
est-elle exaucée, «efficace «?
Pourquoi nous plaindre de ne pas être exaucés?
§2735
Une constatation devrait
d'abord nous étonner. Quand nous louons Dieu ou lui rendons grâces pour ses
bienfaits en général, nous ne sommes guère inquiets de savoir si notre prière
lui est agréable. Par contre, nous exigeons de voir le résultat de notre
demande. Quelle est donc l'image de Dieu qui motive notre prière: un
moyen à utiliser ou le Père de notre Seigneur Jésus-Christ?
§2736
Sommes-nous convaincus que
«nous ne savons que demander pour prier comme il faut»
(Rm 8, 26)? Demandons-nous à Dieu «les biens
convenables «? Notre Père sait bien ce qu'il nous faut, avant
que nous le lui demandions (cf. Mt 6, 8) mais il attend notre demande parce que
la dignité de ses enfants est dans leur liberté. Or il faut prier avec son
Esprit de liberté, pour pouvoir connaître en vérité son désir (cf. Rm 8, 27).
§2737
«Vous ne
possédez pas parce que vous ne demandez pas. Vous demandez et ne recevez pas
parce que vous demandez mal, afin de dépenser pour vos passions» (Jc
4, 2-3; cf. tout le contexte Jc 4, 1-10; 1, 5-8; 5, 16). Si
nous demandons avec un coeur partagé, «adultère» (Jc 4,
4), Dieu ne peut nous exaucer, car il veut notre bien, notre vie.
«Pensez-vous que l'Écriture dise en vain: il désire avec
jalousie l'Esprit qu'il a mis en vous» (Jc 4, 5)? Notre Dieu
est «jaloux» de nous, ce qui est le signe de la vérité de
son amour. Entrons dans le désir de son Esprit et nous serons exaucés:
Ne t'afflige pas si tu ne reçois pas immédiatement de Dieu ce que tu lui demandes; c'est qu'il veut te faire plus de bien encore par ta persévérance à demeurer avec lui dans la prière (Evagre, or. 34: PG 79, 1173). Il veut que notre désir s'éprouve dans la prière. Ainsi, il nous dispose à recevoir ce qu'il est prêt à nous donner (S. Augustin, ep. 130, 8, 17: PL 33, 500).
Comment notre prière est-elle efficace?
§2738
La révélation de la prière
dans l'Economie du salut nous apprend que la foi s'appuie sur l'action de Dieu dans
l'histoire. La confiance filiale est suscitée par son action par
excellence: la Passion et la Résurrection de son Fils. La prière
chrétienne est coopération à sa Providence, à son Dessein d'amour pour les
hommes.
§2739
Chez S. Paul, cette
confiance est audacieuse (cf. Rm 10, 12-13), fondée sur la prière de l'Esprit
en nous et sur l'amour fidèle du Père qui nous a donné son Fils unique (cf. Rm
8, 26-39). La transformation du coeur qui prie est la première réponse à notre
demande.
§2740
La prière de Jésus fait de
la prière chrétienne une demande efficace. Il en est le modèle, Il prie en nous
et avec nous. Puisque le coeur du Fils ne cherche que ce qui plaît au Père,
comment celui des enfants d'adoption s'attacherait-il aux dons plutôt qu'au
Donateur?
§2741
Jésus prie aussi pour
nous, à notre place et en notre faveur. Toutes nos demandes ont été recueillies
une fois pour toutes dans son Cri sur la Croix et exaucées par le Père dans sa
Résurrection et c'est pourquoi il ne cesse d'intercéder pour nous auprès du
Père (cf. He 5, 7; 7, 25; 9, 24). Si notre prière est résolument
unie à celle de Jésus, dans la confiance et l'audace filiale, nous obtenons
tout ce que nous demandons en son Nom, bien davantage que ceci ou cela:
l'Esprit Saint lui-même, qui contient tous les dons.
IV. Persévérer dans l'amour
§2742
«Priez sans
cesse» (1 Th 5, 17), «en tout temps et à tout propos,
rendez grâces à Dieu le Père au Nom de notre Seigneur Jésus Christ»
(Ep 5, 20), «vivez dans la prière et les supplications; priez
en tout temps dans l'Esprit, apportez-y une vigilance inlassable et intercédez
pour tous les saints» (Ep 6, 18). «Il ne nous a pas été
prescrit de travailler, de veiller et de jeûner constamment, tandis que c'est
pour nous une loi de prier sans cesse» (Evagre, cap. pract.
49: PG 40, 1245C). Cette ardeur inlassable ne peut venir que de l'amour.
Contre notre pesanteur et notre paresse le combat de la prière est celui de l'amour
humble, confiant et persévérant. Cet amour ouvre nos coeurs sur trois évidences
de foi, lumineuses et vivifiantes:
§2743
Prier est toujours
possible: Le temps du chrétien est celui du Christ ressuscité qui est
«avec nous, tous les jours» (Mt 28, 20), quelles que
soient les tempêtes (cf. Lc 8, 24). Notre temps est dans la main de Dieu:
Il est possible, même au marché ou dans une promenade solitaire, de faire une fréquente et fervente prière. Assis dans votre boutique, soit en train d'acheter ou de vendre, ou même de faire la cuisine (S. Jean Chrysostome, ecl. 2: PG 63, 585A).
§2744
Prier est une nécessité
vitale. La preuve par le contraire n'est pas moins convaincante: si
nous ne laissons pas mener par l'Esprit, nous retombons sous l'esclavage du
péché (cf. Ga 5, 16-25). Comment l'Esprit Saint peut-il être «notre
Vie» si notre coeur est loin de lui?
Rien ne vaut la prière; elle rend possible ce qui est impossible, facile ce qui est difficile. Il est impossible que l'homme qui prie puisse pécher (S. Jean Chrysostome, Anna 4, 5: PG 54, 666).
Qui prie, se sauve certainement; qui ne prie pas se damne certainement (S. Alphonse de Liguori, mez.).
§2745
Prière et vie
chrétiennes sont inséparables car il s'agit du même amouret du même
renoncementqui procède de l'amour. La même conformité filiale et aimante au
Dessein d'amour du Père. La même union transformante dans l'Esprit Saint qui
nous conforme toujours plus au Christ Jésus. Le même amour pour tous les
hommes, de cet amour dont Jésus nous a aimés. «Tout ce que vous
demanderez au Père en mon Nom, il vous l'accordera. Ce que je vous commande,
c'est de vous aimer les uns les autres» (Jn 15, 16-17).
Celui-là prie sans cesse qui unit la prière aux oeuvres et les oeuvres à la prière. Ainsi seulement nous pouvons considérer comme réalisable le principe de prier sans cesse (Origène, or. 12).
§2746
Quand son Heure est venue,
Jésus prie le Père (cf. Jn 17). Sa prière, la plus longue transmise par
l'Évangile, embrasse toute l'Economie de la création et du salut, comme sa Mort
et sa Résurrection. La prière de l'Heure de Jésus demeure toujours la sienne,
de même que sa Pâque, advenue «une fois pour toutes»,
demeure présente dans la Liturgie de son Église.
§2747
La tradition chrétienne
l'appelle à juste titre la prière «sacerdotale» de Jésus.
Elle est celle de notre Grand Prêtre, elle est inséparable de son Sacrifice, de
son «passage» [pâque] vers le Père où il est
«consacré» tout entier au Père (cf. Jn 17, 11. 13. 19).
§2748
Dans cette prière pascale,
sacrificielle, tout est «récapitulé» en Lui (cf. Ep 1,
10): Dieu et le monde, le Verbe et la chair, la vie éternelle et le
temps, l'amour qui se livre et le péché qui le trahit, les disciples présents
et ceux qui croiront en Lui par leur parole, l'abaissement et la Gloire. Elle
est la prière de l'Unité.
§2749
Jésus a tout accompli de
l'oeuvre du Père et sa prière, comme son Sacrifice, s'étend jusqu'à la
consommation du temps. La prière de l'Heure emplit les derniers temps et les
porte vers leur consommation. Jésus, le Fils à qui le Père a tout donné, est
tout remis au Père, et, en même temps, il s'exprime avec une liberté souveraine
(cf. Jn 17, 11. 13. 19. 24) de par le pouvoir que le Père lui a donné sur toute
chair. Le Fils, qui s'est fait Serviteur, est le Seigneur, le Pantocratôr.
Notre Grand Prêtre qui prie pour nous est aussi Celui qui prie en nous et le
Dieu qui nous exauce.
§2750
C'est en entrant dans le
saint Nom du Seigneur Jésus que nous pouvons accueillir, du dedans, la prière
qu'il nous apprend: «Notre Père!». Sa prière
sacerdotale inspire, du dedans, les grandes demandes du Pater: le souci
du Nom du Père (cf. Jn 17, 6. 11. 12. 26), la passion de son Règne (la
Gloire; cf. Jn 17, 1. 5. 10. 24. 23-26), l'accomplissement de la volonté
du Père, de son Dessein de salut (cf. Jn 17, 2. 4. 6. 9. 11. 12. 24) et la
libération du mal (cf. Jn 17, 15).
§2751
Enfin, c'est dans cette
prière que Jésus nous révèle et nous donne la
«connaissance» indissociable du Père et du Fils (cf. Jn
17, 3. 6-10. 25) qui est le mystère même de la Vie de prière.
EN BREF
§2752
La prière suppose un effort et une
lutte contre nous mêmes et contre les ruses du Tentateur. Le combat de la
prière est inséparable du «combat spirituel» nécessaire
pour agir habituellement selon l'Esprit du Christ: On prie comme on vit,
parce qu'on vit comme on prie.
§2753
Dans le combat de la prière nous devons faire face à des conceptions erronées,
à divers courants de mentalité, à l'expérience de nos échecs. A ces tentations
qui jettent le doute sur l'utilité ou la possibilité même de la prière il
convient de répondre par l'humilité, la confiance et la persévérance.
§2754
Les difficultés principales dans l'exercice de la prière sont la distraction et
la sécheresse. Le remède est dans la foi, la conversion et la vigilance du
coeur.
§2755
Deux tentations fréquentes menacent la prière: le manque de foi et
l'acédie qui est une forme de dépression due au relâchement de l'ascèse et
portant au découragement.
§2756
La confiance filiale est mise à l'épreuve quand nous avons le sentiment de
n'être pas toujours exaucés. L'Évangile nous invite à nous interroger sur la
conformité de notre prière au désir de l'Esprit.
§2757
«Priez sans
cesse» (1 Th 5, 17). Prier est toujours possible. C'est même une
nécessité vitale. Prière et vie chrétienne sont inséparables.
§2758
La prière de l'Heure de Jésus, appelée à juste titre «prière
sacerdotale» (cf. Jn 17), récapitule toute l'Economie de la création
et du salut. Elle inspire les grandes demandes du «Notre
Père».
§2759
«Un jour,
quelque part, Jésus priait. Quand il eut fini, l'un de ses disciples lui
demanda: 'Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean l'a appris à ses
disciples'» (Lc 11, 1). C'est en réponse à cette demande que le
Seigneur confie à ses disciples et à son Église la prière chrétienne fondamentale.
S. Luc en donne un texte bref (de cinq demandes: cf. Lc 11, 2-4), S.
Matthieu une version plus développée (de sept demandes: cf. Mt 6, 9-13).
C'est le texte de S. Matthieu que la tradition liturgique de l'Église a retenu
(Mt 6, 9-13).
Notre Père qui es aux cieux,
que ton Nom soit sanctifié,
que ton Règne vienne,
que ta Volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour,
pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés,
et ne nous soumets pas à la tentation,
mais délivre-nous du Mal.
§2760
Très tôt, l'usage
liturgique a conclu la Prière du Seigneur par une doxologie. Dans la Didaché
(8, 2): «Car c'est à toi qu'appartiennent la puissance et la
gloire dans les siècles». Les Constitutions apostoliques (7, 24, 1)
ajoutent en commençant: «le règne», et c'est la
formule retenue de nos jours dans la prière oecuménique. La tradition byzantine
ajoute après la gloire «Père, Fils et Saint Esprit». Le
missel romain développe la dernière demande (cf. Embolisme) dans la perspective
explicite de «l'attente de la bienheureuse espérance» (Tt
2, 13) et de l'Avènement de Jésus-Christ notre Seigneur, puis vient
l'acclamation de l'assemblée ou la reprise de la doxologie des Constitutions
apostoliques.
«LE RESUME DE TOUT L'EVANGILE»
§2761
«L'Oraison
dominicale est vraiment le résumé de tout l'Évangile» (Tertullien,
or. 1). «Quand le Seigneur nous eut légué cette formule de prière,
il ajouta: 'Demandez et vous recevrez' (Lc 11, 9). Chacun peut donc
adresser au ciel diverses prières selon ses besoins, mais en commençant
toujours par la Prière du Seigneur qui demeure le prière fondamentale»
(Tertullien, or. 10).
I. Au centre des Écritures
§2762
Après avoir montré comment
les Psaumes sont l'aliment principal de la prière chrétienne et confluent dans
les demandes du Notre Père, S. Augustin conclut:
Parcourez toutes les prières qui sont dans les Écritures, et je ne crois pas que vous puissiez y trouver quelque chose qui ne soit pas compris dans l'Oraison dominicale (ep. 130, 12, 22: PL 33, 502).
§2763
Toutes les Écritures (la
Loi, les Prophètes et les Psaumes) sont accomplies dans le Christ (cf. Lc 24,
44). L'Évangile est cette «Bonne nouvelle». Sa première
annonce est résumée par S. Matthieu dans le Sermon sur la montagne (cf. Mt
5-7). Or la prière à Notre Père est au centre de cette annonce. C'est dans ce
contexte que s'éclaire chaque demande de la prière léguée par le
Seigneur:
L'Oraison dominicale est la plus parfaite des prières ... En elle non seulement nous demandons tout ce que nous pouvons désirer avec rectitude, mais encore selon l'ordre où il convient de le désirer. De sorte que cette prière non seulement nous enseigne à demander, mais elle forme aussi toute notre affectivité (S. Thomas d'A., s. th. 2-2, 83, 9).
§2764
Le Sermon sur la montagne
est doctrine de vie, l'Oraison dominicale est prière, mais dans l'un et l'autre
l'Esprit du Seigneur donne forme nouvelle à nos désirs, ces mouvements
intérieurs qui animent notre vie. Jésus nous enseigne cette vie nouvelle par
ses paroles et il nous apprend à la demander par la prière. De la rectitude de
notre prière dépendra celle de notre vie en Lui.
II. «La prière du Seigneur»
§2765
L'expression
traditionnelle «Oraison dominicale» [c'est-à-dire
«prière du Seigneur»] signifie que la prière à Notre Père
nous est enseignée et donnée par le Seigneur Jésus. Cette prière qui nous vient
de Jésus est véritablement unique: elle est «du
Seigneur». D'une part, en effet, par les paroles de cette prière, le
Fils unique nous donne les paroles que le Père lui a données (cf. Jn 17,
7): il est le Maître de notre prière. D'autre part, Verbe incarné, il
connaît dans son coeur d'homme les besoins de ses frères et soeurs humains, et il
nous les révèle: il est le Modèle de notre prière.
§2766
Mais Jésus ne nous laisse
pas une formule à répéter machinalement (cf. Mt 6, 7; 1 R 18, 26-29).
Comme pour toute prière vocale, c'est par la Parole de Dieu que l'Esprit Saint apprend
aux enfants de Dieu à prier leur Père. Jésus nous donne non seulement les
paroles de notre prière filiale, il nous donne en même temps l'Esprit par qui
elles deviennent en nous «esprit et vie» (Jn 6, 63). Plus
encore: la preuve et la possibilité de notre prière filiale c'est que le
Père «a envoyé dans nos coeurs l'Esprit de son Fils qui crie:
'Abba, Père!'» (Ga 4, 6). Puisque notre prière interprète nos
désirs auprès de Dieu, c'est encore «Celui qui sonde les
coeurs», le Père, qui «sait le désir de l'Esprit et que
son intercession pour les saints correspond aux vues de Dieu» (Rm 8,
27). La prière à Notre Père s'insère dans la mission mystérieuse du Fils et de
l'Esprit.
III. La prière de l'Église
§2767
Ce don indissociable des
paroles du Seigneur et de l'Esprit Saint qui leur donne vie dans le coeur des
croyants a été reçu et vécu par l'Église dès les origines. Les premières
communautés prient la Prière du Seigneur «trois fois par jour»
(Didaché 8, 3), à la place des «Dix-huit bénédictions» en
usage dans la piété juive.
§2768
Selon la Tradition
apostolique, la Prière du Seigneur est essentiellement enracinée dans la prière
liturgique.
Le Seigneur nous apprend à faire nos prières en commun pour tous nos frères. Car il ne dit pas «mon Père» qui es dans les cieux, mais «notre» Père, afin que notre prière soit, d'une seule âme, pour tout le Corps de l'Église (S. Jean Chrysostome, hom. in Mt. 19, 4: PG 57, 278D).
Dans toutes les traditions liturgiques, la Prière du Seigneur est une partie intégrante des grandes Heures de l'Office divin. Mais c'est surtout dans les trois sacrements de l'initiation chrétienne que son caractère ecclésial apparaît à l'évidence:
§2769
Dans le Baptême et
la Confirmation, la remise (traditio) de la Prière du Seigneur
signifie la nouvelle naissance à la vie divine. Puisque la prière chrétienne
est de parler à Dieu avec la Parole même de Dieu, ceux qui sont
«engendrés de nouveau par la Parole du Dieu vivant» (1 P
1, 23) apprennent à invoquer leur Père par la seule Parole qu'il exauce
toujours. Et ils le peuvent désormais, car le Sceau de l'Onction de l'Esprit
Saint est posé, indélébile, sur leur coeur, leurs oreilles, leurs lèvres, sur
tout leur être filial. C'est pourquoi la plupart des commentaires patristiques
du Notre Père sont adressés aux catéchumènes et aux néophytes. Quand l'Église
prie la Prière du Seigneur, c'est toujours le Peuple des
«nouveaux-nés» qui prie et obtient miséricorde (cf. 1 P
2, 1-10).
§2770
Dans la Liturgie
eucharistique la Prière du Seigneur apparaît comme la prière de toute
l'Église. Là se révèle son sens plénier et son efficacité. Située entre
l'Anaphore (Prière eucharistique) et la liturgie de la Communion, elle
récapitule d'une part toutes les demandes et intercessions exprimées dans le
mouvement de l'épiclèse, et, d'autre part, elle frappe à la porte du Festin du
Royaume que la Communion sacramentelle va anticiper.
§2771
Dans l'Eucharistie, la
Prière du Seigneur manifeste aussi le caractère eschatologique de ses
demandes. Elle est la prière propre aux «derniers temps»,
des temps du salut qui ont commencé avec l'effusion de l'Esprit Saint et qui
s'achèveront avec le Retour du Seigneur. Les demandes à Notre Père, à la
différence des prières de l'Ancienne Alliance, s'appuient sur le mystère du
salut déjà réalisé, une fois pour toutes, dans le Christ crucifié et
ressuscité.
§2772
De cette foi inébranlable
jaillit l'espérance qui soulève chacune des sept demandes. Celles-ci expriment
les gémissements du temps présent, ce temps de la patience et de l'attente
durant lequel «ce que nous serons n'est pas encore
manifesté» (1 Jn 3, 2; cf. Col 3, 4). L'Eucharistie et le Pater
sont tendus vers la venue du Seigneur, «jusqu'à ce qu'il
vienne!» (1
Co 11, 26).
EN BREF
§2773
En réponse à la demande de ses
disciples («Seigneur, apprends-nous à prier «: Lc
11, 1), Jésus leur confie la prière chrétienne fondamentale du
«Notre Père».
§2774
«L'Oraison dominicale est vraiment le résumé de tout
l'Évangile» (Tertullien, or. 1), «la plus parfaite des
prières» (S. Thomas d'A., s. th. 2-2, 83, 9). Elle est au centre des
Écritures.
§2775
Elle est appelée «Oraison dominicale» parce qu'elle nous
vient du Seigneur Jésus, Maître et modèle de notre prière.
§2776
L'Oraison dominicale est la prière de l'Église par excellence. Elle fait partie
intégrante des grandes heures de l'Office divin et des sacrements de
l'initiation chrétienne: Baptême, Confirmation et Eucharistie. Intégrée à
l'Eucharistie elle manifeste le caractère
«eschatologique» de ses demandes, dans l'espérance du
Seigneur, «jusqu'à ce qu'il vienne» (1 Co 11, 26).
«NOTRE PERE QUI ES AUX CIEUX»
I. «Oser nous approcher en toute confiance»
§2777
Dans la liturgie romaine, l'assemblée
eucharistique est invitée à prier Notre Père avec une audace filiale; les
liturgies orientales utilisent et développent des expressions analogues:
«Oser en toute assurance», «Rends-nous dignes
de». Devant le Buisson ardent, il fut dit à Moïse:
«N'approche pas. Ote tes sandales» (Ex 3, 5). Ce seuil de
la Sainteté divine, Jésus seul pouvait le franchir, lui qui, «ayant
accompli la purification des péchés» (He 1, 3), nous introduit
devant la Face du Père: «Nous voici, moi et mes enfants que tu
m'as donnés» (He 2, 13):
La conscience que nous avons de notre situation d'esclaves nous ferait rentrer sous terre, notre condition terrestre se fondrait en poussière, si l'autorité de notre Père lui-même et l'Esprit de son Fils ne nous poussaient à proférer ce cri: 'Abba, Père!' (Rm 8, 15) ... Quand la faiblesse d'un mortel oserait-elle appeler Dieu son Père, sinon seulement lorsque l'intime de l'homme est animé par la Puissance d'en haut? (S. Pierre Chrysologue, serm. 71: PL 52, 401CD).
§2778
Cette puissance de
l'Esprit qui nous introduit à la Prière du Seigneur est exprimée dans les
liturgies d'Orient et d'Occident par la belle expression typiquement
chrétienne: parrhésia, simplicité sans détour, confiance filiale,
joyeuse assurance, humble audace, certitude d'être aimé (cf. Ep 3, 12; He
3, 6; 4, 16; 10, 19; 1 Jn 2, 28; 3, 21; 5, 14).
II. «Père!»
§2779
Avant de faire nôtre ce
premier élan de la Prière du Seigneur, il n'est pas inutile de purifier
humblement notre coeur de certaines fausses images de «ce
monde-ci». L'humilité nous fait reconnaître que
«nul ne connaît le Père, si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils
veut bien le révéler», c'est-à-dire «aux tout petits»
(Mt 11, 25-27). La purification du coeur concerne les images paternelles
ou maternelles, issues de notre histoire personnelle et culturelle, et qui
influencent notre relation à Dieu. Dieu notre Père transcende les catégories du
monde créé. Transposer sur lui, ou contre lui, nos idées en ce domaine serait
fabriquer des idoles, à adorer ou à abattre. Prier le Père c'est entrer dans
son mystère, tel qu'Il est, et tel que le Fils nous l'a révélé:
L'expression Dieu le Père n'avait jamais été révélée à personne. Lorsque Moïse lui-même demanda à Dieu qui il était, il entendit un autre nom. A nous ce nom a été révélé dans le Fils, car ce nom implique le nom nouveau de Père (Tertullien, or. 3).
§2780
Nous pouvons invoquer Dieu
comme «Père» parce qu'il nous est révélé par son
Fils devenu homme et que son Esprit nous le fait connaître. Ce que l'homme ne
peut concevoir ni les puissances angéliques entrevoir, la relation personnelle
du Fils vers le Père (cf. Jn 1, 1), voici que l'Esprit du Fils nous y fait
participer, nous qui croyons que Jésus est le Christ et sommes nés de Dieu (cf.
1 Jn 5, 1).
§2781
Quand nous prions le Père,
nous sommes en communion avec lui et avec son Fils, Jésus-Christ (cf. 1
Jn 1, 3). C'est alors que nous le connaissons et le reconnaissons dans un
émerveillement toujours nouveau. La première parole de la Prière du Seigneur
est une bénédiction d'adoration, avant d'être une imploration. Car c'est la
Gloire de Dieu que nous le reconnaissions comme «Père», Dieu
véritable. Nous lui rendons grâce de nous avoir révélé son Nom, de nous avoir
donné d'y croire et d'être habités par sa Présence.
§2782
Nous pouvons adorer le
Père parce qu'il nous a fait renaître à sa Vie en nous adoptant comme
ses enfants dans son Fils unique: par le Baptême, il nous incorpore au
Corps de son Christ, et, par l'Onction de son Esprit qui s'épanche de la Tête
dans les membres, il fait de nous des «christs «:
Dieu, en effet, qui nous a prédestinés à l'adoption de fils, nous a rendus conformes au Corps glorieux du Christ. Désormais donc, participants du Christ, vous êtes à juste titre appelés «christs» (S. Cyrille de Jérusalem, catech. myst. 3, 1: PG 33, 1088A).
L'homme nouveau, qui est rené et rendu à son Dieu par la grâce, dit d'abord «Père!», parce qu'il est devenu fils (S. Cyprien, Dom. orat. 9: PL 4, 525A).
§2783
C'est ainsi que, par la
Prière du Seigneur, nous sommes révélés à nous-mêmes en même temps que
le Père nous est révélé (cf. GS 22, § 1):
O homme, tu n'osais pas lever ton visage vers le ciel, tu baissais les yeux vers la terre, et soudain tu as reçu la grâce du Christ: tous tes péchés t'ont été remis. De méchant serviteur tu es devenu un bon fils.... Lève donc les yeux vers le Père qui t'a racheté par son Fils et dis: notre Père... Mais ne te réclame d'aucun privilège. Il n'est le Père, d'une manière spéciale, que du Christ seul, tandis que nous, il nous a créés. Dis donc toi aussi par grâce: notre Père, pour mériter d'être son fils (S. Ambroise, sacr. 5, 19: PL 16, 450C).
§2784
Ce don gratuit de
l'adoption exige de notre part une conversion continuelle et une vie
nouvelle. Prier notre Père doit développer en nous deux dispositions
fondamentales:
Le désir et la volonté de lui ressembler. Créés à son image, c'est par grâce que la ressemblance nous est rendue et nous avons à y répondre.
Il faut nous souvenir, quand nous nommons Dieu 'notre Père' que nous devons nous comporter en fils de Dieu (S. Cyprien, Dom. orat. 11: PL 4, 526B).
Vous ne pouvez appeler votre Père le Dieu de toute bonté si vous gardez un coeur cruel et inhumain; car dans ce cas vous n'avez plus en vous la marque de la bonté du Père céleste (S. Jean Chrysostome, hom. in Mt. 7, 14: PG 51, 44B).
Il faut contempler sans cesse la beauté du Père et en imprégner notre âme (S. Grégoire de Nysse, or. dom. 2: PG 44, 1148B).
§2785
Un coeur humble et
confiant qui nous fait «retourner à l'état des
enfants» (Mt 18, 3): car c'est aux «tout petits»
que le Père se révèle (Mt 11, 25):
C'est un regard sur Dieu seul, un grand feu d'amour. L'âme s'y fond et s'abîme en la sainte dilection, et s'entretient avec Dieu comme avec son propre Père, très familièrement, dans une tendresse de piété toute particulière (S. Jean Cassien, coll. 9, 18: PL 49, 788C).
Notre Père: ce nom suscite en nous, tout à la fois, l'amour, l'affection dans la prière, ... et aussi l'espérance d'obtenir ce que nous allons demander ... Que peut-il en effet refuser à la prière de ses enfants, quand il leur a déjà préalablement permis d'être ses enfants? (S. Augustin, serm. Dom. 2, 4, 16: PL 34, 1276).
III. «Notre» Père
§2786
«Notre»
Père concerne Dieu. Cet adjectif, de notre part, n'exprime pas une possession,
mais une relation toute nouvelle à Dieu.
§2787
Quand nous disons
«notre» Père, nous reconnaissons d'abord que toutes ses
Promesses d'amour annoncées par les Prophètes sont accomplies dans la
nouvelle et éternelle Alliance en son Christ: nous sommes devenus
«son» Peuple et il est désormais
«notre» Dieu. Cette relation nouvelle est une
appartenance mutuelle donnée gratuitement: c'est par l'amour et la
fidélité (cf. Os 2, 21-22; 6, 1-6) que nous avons à répondre à
«la grâce et à la vérité» qui nous sont données en
Jésus-Christ (Jn 1, 17).
§2788
Puisque la Prière du
Seigneur est celle de son Peuple dans les «derniers
temps», ce «notre» exprime aussi la certitude
de notre espérance en l'ultime promesse de Dieu: dans la Jérusalem
nouvelle il dira au vainqueur: «Je serai son Dieu et lui sera
mon fils» (Ap 21, 7).
§2789
En priant
«notre» Père, c'est au Père de notre Seigneur Jésus
Christ que nous nous adressons personnellement. Nous ne divisons pas la
divinité, puisque le Père en est «la source et
l'origine», mais nous confessons par là qu'éternellement le Fils est
engendré par Lui et que de Lui procède l'Esprit Saint. Nous ne confondons pas
non plus les Personnes, puisque nous confessons que notre communion est avec le
Père et son Fils, Jésus Christ, dans leur unique Esprit Saint. La Trinité
Sainte est consubstantielle et indivisible. Quand nous prions le Père, nous
l'adorons et le glorifions avec le Fils et le Saint-Esprit.
§2790
Grammaticalement,
«notre» qualifie une réalité commune à plusieurs. Il n'y
a qu'un seul Dieu et il est reconnu Père par ceux qui, par la foi à son Fils
unique, sont renés de Lui par l'eau et par l'Esprit (cf. 1 Jn 5, 1; Jn 3,
5). L'Église est cette nouvelle Communion de Dieu et des hommes:
unie au Fils unique devenu «l'aîné d'une multitude de
frères» (Rm 8, 29), elle est en Communion avec un seul et même Père,
dans un seul et même Esprit Saint (cf. Ep 4, 4-6). En priant
«notre» Père, chaque baptisé prie dans cette
Communion: «La multitude des croyants n'avait qu'un seul coeur
et qu'une seule âme» (Ac 4, 32).
§2791
C'est pourquoi, malgré les
divisions des chrétiens, la prière à «notre» Père demeure
le bien commun et un appel urgent pour tous les baptisés. En communion par la
foi au Christ et par le Baptême, ils doivent participer à la prière de Jésus
pour l'unité de ses disciples (cf. UR 8; 22).
§2792
Enfin, si nous prions en
vérité «Notre Père», nous sortons de l'individualisme,
car l'Amour que nous accueillons nous en libère. Le
«notre» du début de la Prière du Seigneur, comme le
«nous» des quatre dernières demandes, n'est exclusif de
personne. Pour qu'il soit dit en vérité (cf. Mt 5, 23-24; 6, 14-16), nos
divisions et nos oppositions doivent être surmontées.
§2793
Les baptisés ne peuvent
prier «notre» Père sans porter auprès de Lui tous ceux
pour qui il a donné son Fils bien-aimé. L'amour de Dieu est sans frontière,
notre prière doit l'être aussi (cf. NA 5). Prier «notre»
Père nous ouvre aux dimensions de Son amour manifesté dans le Christ:
prier avec et pour tous les hommes qui ne Le connaissent pas encore, afin
qu'ils soient «rassemblés dans l'unité» (Jn 11, 52). Ce
souci divin de tous les hommes et de toute la création a animé tous les grands
priants: il doit dilater notre prière en largeur d'amour lorsque nous
osons dire «notre» Père.
IV. «Qui es aux cieux»
§2794
Cette expression biblique
ne signifie pas un lieu [»l'espace»], mais une manière
d'être; non pas l'éloignement de Dieu mais sa majesté. Notre Père n'est
pas «ailleurs», il est «au-delà de tout»
ce que nous pouvons concevoir de sa Sainteté. C'est parce qu'il est trois fois
Saint, qu'il est tout proche du coeur humble et contrit:
C'est avec raison que ces paroles 'Notre Père qui es aux cieux' s'entendent du coeur des justes, où Dieu habite comme dans son temple. Par là aussi celui qui prie désirera voir résider en lui Celui qu'il invoque (S. Augustin, serm. Dom. 2, 5, 17: PL 34, 1277).
Les «cieux» pourraient bien être aussi ceux qui portent l'image du monde céleste, et en qui Dieu habite et se promène (S. Cyrille de Jérusalem, catech. myst. 5, 11: PG 33, 1117B).
§2795
Le symbole des cieux nous
renvoie au mystère de l'Alliance que nous vivons lorsque nous prions notre
Père. Il est aux cieux, c'est sa Demeure, la Maison du Père est donc notre
«patrie». C'est de la terre de l'Alliance que le péché
nous a exilés (cf. Gn 3) et c'est vers le Père, vers le ciel que la conversion
du coeur nous fait revenir (cf. Jr 3, 19 -- 4, 1a; Lc 15, 18. 21). Or c'est
dans le Christ que le ciel et la terre sont réconciliés (cf. Is 45, 8; Ps
85, 12), car le Fils «est descendu du ciel», seul, et il
nous y fait remonter avec lui, par sa Croix, sa Résurrection et son Ascension
(cf. Jn 12, 32; 14, 2-3; 16, 28; 20, 17; Ep 4,
9-10; He 1, 3; 2, 13).
§2796
Quand l'Église prie
«notre Père qui es aux cieux», elle professe que nous
sommes le Peuple de Dieu déjà «assis aux cieux dans le Christ
Jésus» (Ep 2, 6), «cachés avec le Christ en
Dieu» (Col 3, 3), et, en même temps, «gémissant dans cet
état, ardemment désireux de revêtir, par dessus l'autre notre habitation
céleste» (2 Co 5, 2; cf. Ph 3, 20; He 13, 14):
Les chrétiens sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur terre, mais sont citoyens du ciel (Epître à Diognète 5, 8-9).
EN BREF
§2797
La confiance simple et fidèle,
l'assurance humble et joyeuse sont les dispositions qui conviennent à celui qui
prie le «Notre Père».
§2798
Nous pouvons invoquer Dieu comme «Père» parce que le Fils
de Dieu fait homme nous l'a révélé, en qui, par le Baptême, nous sommes
incorporés et adoptés en fils de Dieu.
§2799
La prière du Seigneur nous met en communion avec le Père et avec son Fils, Jésus
Christ. Elle nous révèle en même temps à nous mêmes (cf. GS 22, § 1).
Catéchisme de l'Église catholique © Libreria Editrice Vaticana 1992.
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