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[P240] La compétence n'est pas le fondement exclusif de l'autorité du chef. Toutefois, le chef doit sans cesse se cultiver pour être en mesure de mieux servir. Son autorité morale grandira dans la mesure où il donnera des preuves de sa valeur.
[P241] Cette compétence du chef n'est pas de la même nature que celle de ses subordonnés. Elle consiste essentiellement dans la précision des idées générales qui lui permettent d'avoir des vues d'ensemble et une connaissance suffisante des différentes branches d'activité de sa partie pour que ses directives puissent passer dans les faits.
[P242] Plus un homme est un exécutant, plus il doit montrer de capacités techniques; plus un homme a de responsabilités, plus il doit acquérir de vues générales et s'évader du détail.
[P243] La compétence spécifique du chef est une compétence de gouvernement, qui consiste à prévoir, organiser, commander, contrôler, en vue de la tâche ou de la mission à remplir; compétence qui permet d'apprécier les valeurs relatives et de peser les opportunités; compétence psychologique que donne la pratique du maniement des hommes.
[P244] La compétence professionnelle n'est pas seulement une condition de prestige, c'est une question d'honnêteté. La plus grande immoralité, écrivait Napoléon à son frère Joseph, c'est de faire un métier qu'on ne sait pas.
[P245] On ne peut demander au chef d'avoir toutes les compétences. On ne trouverait pas de chef. Le chef a le domaine des idées générales. C'est là son domaine propre. S'il a en outre quelque talent particulier, tant mieux, et peut-être tant pis.
Peut-être tant pis parce que s'il a la faiblesse de céder à ses succès, il se diminuera et ne sera plus qu'un spécialiste.
Le chef fait donner ses spécialistes au moment où il a reconnu qu'ils seraient efficaces, et dans les limites qu'il a fixées. Lui s'efforce de «dominer la situation» en orientant et en coordonnant les efforts.
[P246] La culture ne consiste pas à tout savoir, ni à savoir un peu de tout, mais à dominer les choses, pour les saisir d'un point de vue supérieur.
[P247] On ne peut demander à un chef d'être compétent sur tout, mais il doit avoir de sa partie une compétence indiscutée et indiscutable, sinon pour faire, du moins pour juger, apprécier et décider en connaissance de cause.
[P248] Celui qui n'est que militaire n'est qu'un mauvais militaire, celui qui n'est que professeur n'est qu'un mauvais professeur, celui qui n'est qu'un industriel n'est qu'un mauvais industriel.
L'homme complet, celui qui veut remplir sa pleine destinée et être digne de mener des hommes, être un chef en un mot, celui-là doit avoir ses lanternes ouvertes sur tout ce qui fait l'honneur de l'humanité. (LYAUTEY).
[P249] En plus de la compétence technique requise, la compétence propre au chef est celle qui consiste dans l'art de créer l'unité, en sachant ordonner et coordonner les efforts de chacun en vue de l'oeuvre commune.
[P250] La victoire ne se contente pas des vertus de la dernière heure. La réalité du champ de bataille est qu'on n'y étudie pas; simplement on fait ce que l'on peut pour appliquer ce qu'on sait. Dès lors, pour y pouvoir un peu, il faut savoir beaucoup et bien. (FOCH).
[P251] Prévoir et préparer l'avenir est essentiellement le rôle du chef. L'avenir n'est ni entièrement vide, ni entièrement déterminé. C'est sur ce terrain du possible que le chef doit imaginer et, par avance, construire.
[P252] La réussite ou l'insuccès dépendent beaucoup du regard du chef jeté sur l'avenir. Un chef ne peut travailler «à la petite semaine». Il doit prévoir à plus ou moins longue échéance les conséquences de ses décisions, les oppositions ou difficultés qu'il peut rencontrer, et la parade qu'il devra monter dans les différentes hypothèses.
[P253] C'est l'habitude de prévoir et de vivre dans l'avenir qui permet la rapidité de calcul et la promptitude de décision. Si je parais toujours prêt, disait Napoléon, c'est qu'avant d'entreprendre, j'ai longtemps médité. Je vis deux ans à l'avance, et j'ai prévu ce qui pouvait arriver.
[P254] C'est à force de prévoir et de préparer qu'on se rend capable d'improvisation quand les circonstances l'exigent. Au contraire, si, d'une façon délibérée, l'on s'en remet paresseusement à l'inspiration du moment, on court à l'insuccès.
[P255] Ce n'est pas un génie qui me révèle en secret ce que j'ai à faire dans une circonstance inattendue pour les autres, c'est la réflexion, la méditation. (NAPOLÉON).
[P256] Un chef qui n'est pas constamment en éveil, en prévoyance des difficultés, en intuition des événements; qui ne projette pas sa volonté dans le mystérieux avenir, pour y situer par avance les jalons de sa marche: initiatives, créations, campagnes, propagande...; qui ne sait pas, soucieux du réel, sans étouffer l'imagination, bâtir un plan, établir un programme, combiner des horaires, s'assurer des positions de repli ou des lignes de secours, n'est qu'un «chargé d'affaires» inerte, hésitant, routinier, qui ne dominant pas la vie sera dominé et vaincu par elle.
[P257] Les imprévus ne sont jamais tout à fait inopinés. Il y a presque toujours des signes avant coureurs qui les annoncent. Seul peut les percevoir celui qui garde le contact avec les réalités, sans laisser disperser son attention.
[P258] Plus l'image que le chef se formera de l'avenir sera précise, plus cette image aura de chances de devenir la réalité. Vouloir, ce n'est pas seulement dire ce qu'on veut, c'est se représenter avec force comment on agira. (DESCHARD, Mangin).
[P259] Penser à demain, voici notre rôle. C'est hier que nous aurions dû préparer aujourd'hui.
[P260] L'ART de conduire des hommes est difficile. Il l'est d'abord parce qu'il dépend de dons naturels inégalement répartis; il l'est aussi parce que les lois psychologiques qui sont à la base des relations entre chefs et subordonnés sont trop peu connues.
[P261] Un homme d'expérience qui, déjà âgé, parvint rapidement à mener à bien une affaire industrielle employant un nombreux personnel, répondait à des amis qui s'étonnaient d'une réussite aussi prompte: Je ne connaissais pas les machines, en effet, mais je connaissais si bien les hommes!
[P262] Il faut d'abord faire le tour des gens, comme d'une maison, pour voir ce qu'ils valent. (Foch).
[P263] Connaître son métier, c'est bien, et cela peut suffire pour l'artisan qui travaille seul; mais le chef est, par définition, celui qui commande à d'autres; aussi, la connaissance des hommes qu'il est appelé à commander lui est-elle nécessaire au même titre que la connaissance de la tâche pour laquelle il doit les commander.
[P264] L'idéal pour un chef est de mettre chacun à sa place: the right man in the right place. Un homme qui se trouve devant une tâche qui le dépasse paraît gauche et maladroit; un homme qui est à la place qui lui convient paraît toujours intelligent.
[P265] Il n'est pas toujours facile de trouver pour chacun le travail qui lui convient; or, on sait par expérience qu'il suffit parfois d'un déplacement en apparence insignifiant, pour faire un bon ouvrier d'un mauvais.
[P266] Le chef doit connaître ses hommes pour être en mesure d'adapter ses ordres aux capacités de chacun, laissant à ceux qui en sont dignes beaucoup d'initiatives, tenant plus complètement en main ceux qui ne sauraient agir seuls, avec tout un clavier qui va de l'injonction brève à la persuasion subtile. Certains chefs sont si malhabiles que, lorsqu'ils ont parlé, leurs subordonnés ont envie de faire tout le contraire de ce qui a été demandé.
[P267] Un individu qualifié de mauvais par un chef peut être trouvé excellent par un autre, uniquement parce que ce dernier a su le prendre, alors que le premier ne l'avait pas compris.
[P268] Ne considérez pas hâtivement quelqu'un comme incapable. Il y a beaucoup moins d'incapables qu'on ne le croit généralement; il y a surtout des individus mal utilisés, auxquels on n'a pas donné l'emploi qui convenait.
[P269] Un groupe, quel qu'il soit, n'a de la cohésion que lorsque les membres non seulement se connaissent entre eux, mais connaissent leur chef et se savent connus de lui; l'être humain a besoin de se sentir connu, compris, estimé et apprécié pour se donner totalement à la tâche qu'on lui propose, et il sera capable de se surpasser lui-même s'il sait que son chef compte personnellement sur lui pour un effort à accomplir.
[P270] Tout homme a plus ou moins confusément le sens de sa dignité humaine; il entend que sa personnalité soit reconnue. Être traité comme un numéro ou comme un simple rouage de machine détermine en lui un complexe d'infériorité qu'il cherchera à compenser par l'indifférence, la révolte ou le mépris.
[P271] Le chef doit donner à chacun l'impression qu'il lui reconnaît une individualité propre, qu'il ne le confond pas avec d'autres, qu'il le distingue comme ayant une existence et une valeur singulières au milieu de la multitude de ses semblables.
Cette connaissance profonde, elle est en même temps pour le chef la plus grande habileté et la source du plus grand pouvoir: c'est le secret des illustres meneurs d'hommes. (Cf. Napoléon tirant l'oreille au grognard: Toi, je t'ai vu à Marengo!).
[P272] Un chef appelle chaque fois qu'il le peut un homme par son nom. Il n'oublie pas que le nom est pour celui-ci le mot le plus doux et le plus important du vocabulaire.
[P273] La connaissance des hommes permet d'apprécier exactement le moral d'un groupe, et de déterminer ce qu'on peut lui demander à un moment donné sans risquer de provoquer un désarroi. C'est elle qui donne le sentiment de ce qu'on appelle «le praticable» au-delà duquel la discipline se rompt.
[P274] Tout chef étant plus ou moins un éducateur, ne peut exercer une influence heureuse que s'il est aussi perspicace pour deviner les besoins, les aptitudes, les goûts, les caractères, les réflexes de ses hommes. La connaissance du coeur humain ne suffit pas; il faut avoir l'instinct de deviner ce qui se passe dans l'âme de ceux à qui l'on a affaire.
[P275] Pour bien connaître les hommes, le chef doit se garder des simplifications à outrance. L'être humain n'est pas un être toujours rationnel et simple. C'est un être à tendances multiples qui se compensent et s'équilibrent les unes les autres, soumis d'ailleurs à des variations plus ou moins fréquentes selon le tempérament, le caractère, la santé, le milieu qui l'entoure, les évènements qui l'affectent.
[P276] Connaître, dit l'étymologie, c'est naître avec, vivre avec, sentir avec, et il n'y a de connaissance vraie que dans la mesure où l'on sympathise, où l'on entre dans les peines et les difficultés de chacun, où l'on sait se mettre à leur place.
[P277] Un homme inquiet cherche toujours à qui confier l'objet de ses inquiétudes, mieux vaut que la confidence se trouve recueillie par son chef qui saura rectifier l'erreur ou témoigner de la sympathie. Sinon l'homme est tenté de demander assistance à un ignorant ou un irresponsable.
[P278] Un chef doit s'efforcer de rester en contact avec ses subordonnés. Ce sera pour lui toujours l'occasion d'observations fécondes, car il pourra ainsi saisir sur le vif les réactions les plus spontanées, en même temps qu'il pourra briser les timidités qui paralysent et provoquer les confidences qui soulagent.
[P279] L'homme qui n'a pas l'instinct de deviner ce qui se passe dans l'âme de ses sous-ordres peut être un génie sur un autre plan, il ne sera jamais un vrai chef.
[P280] L'homme qui se plaint n'exige pas nécessairement qu'on lui donne satisfaction: il entend surtout être écouté avec intérêt et provoquer une décision, quel qu'en soit le sens.
[P281] Pour apprécier ses hommes, le chef doit développer en lui vis-à-vis d'eux une disposition bienveillante, car les défauts sont souvent plus apparents que les qualités. L'importance d'un défaut d'ailleurs ne saurait être chiffrée en valeur absolue,
Elle dépend essentiellement des qualités qui lui font contrepoids et de la nature des fonctions confiées à l'intéressé.
[P282] Les relations humaines entre chefs et subordonnés se font par petits riens; au jour le jour, au hasard des circonstances et des occasions: brèves questions sur la santé, surtout si l'on devine une fatigue possible; rapide échange de vues sur le service, fait d'un ton amical; conseils donnés de façon aimable, avec le sourire; en tout cas, paroles qui témoignent de votre intérêt à la personne de votre interlocuteur; petits riens par quoi l'on s'applique à se montrer humain et qui contribuent à détendre l'atmosphère que les heurts inévitables du service tendent sans cesse à charger. Cela permet souvent de reprendre dans le calme certaines questions épineuses, de se faire mieux comprendre et de faire accepter plus facilement décisions et directives. Cela enlève peu à peu aux exigences du service tout ce qu'elles ont de dur ou de coûteux, permettant d'atténuer ou de corriger maladresses et remarques peut-être trop sèches ou trop brusques. Cela contribue plus que tout à créer une atmosphère de collaboration et de confiance.
[P283] Voici ce que le lieutenant-colonel Bugnet disait de l'attitude de Foch que l'on représentait trop souvent comme quelqu'un d'autoritaire et de distant:
Ses dispositions à notre égard sont aussi bienveillantes et favorables que nous pouvons le souhaiter. Elles facilitent notre office que nulle morgue ne rend désagréable. Il ne fait pas sentir les distances, à condition qu'on les observe. Il est juste; ses sévérités ne sont pas imméritées. On se rend compte que la raison le mène, non les sentiments.
[P284] La sympathie et la compréhension mutuelles constituent, entre les membres d'une collectivité, le lien qui engendre l'harmonie dans l'action. Tous les grands sentiments peuvent répondre à l'appel de la sympathie, et le chef avisé saura en user et faire régner l'accord entre ses subordonnés.
[P285] Quand vous parlez à quelqu'un, préoccupez-vous moins de ce que vous dites que de ce que votre interlocuteur saura en comprendre. Au-delà des mots qu'il entendra il y aura toute l'interprétation de ses préventions, ses craintes, ses espoirs lui en donneront.
[P286] Si vous voulez que vos paroles soient interprétées dans un sens favorable, chargez-les d'un sentiment sincère de sympathie et de bienveillance. Lorsqu'il s'agit d'une affaire importante, mettez vous d'accord sur les termes d'une note qui préviendra tout danger d'équivoque.
[P287] Après s'être imposé au respect et à la considération de ses subordonnés par sa valeur personnelle et par l'exemple qu'il leur donne en toute occasion, le chef gagne leur confiance en s'intéressant aux détails de leur vie, en les écoutant avec bienveillance, chaque fois que les règles de la discipline ne s'y opposent pas; en leur prouvant qu'après le bien du service, le bien-être de la troupe est le principal souci du commandement. (Préface du général WEYGAND dans Le Rôle social de l'officier, de LYAUTEY).
[P288] Donner aux hommes le sentiment que leurs préoccupations personnelles intéressent leurs supérieurs.
[P289] Le subordonné est particulièrement susceptible vis-à-vis de son chef, il ne lui permet pas volontiers de se mêler de ses affaires privées; c'est tout le «complexe paternel» qui joue à nouveau vis-à-vis du chef, comme il joue vis-à-vis du père. Il n'est par conséquent pas possible d'aider ses subordonnés en leur donnant des conseils de «haut en bas».
Ces conseils les blessent et les cabrent, ils ne peuvent les suivre. Le seul moyen, c'est que le chef se mette «à côté d'eux» et leur fasse part de ses propres expériences, sans esprit de jugement; ainsi ce n'est pas une ingérence dans leur vie privée, mais un don d'expériences personnelles mises à leur disposition.
[P290] Le chef, en montrant à ses subordonnés qu'il les connaît, qu'il s'inquiète de ce qui les touche, gagnera facilement le coeur des uns et des autres, et il obtiendra bien plus vite leur confiance que si, à leur égard, il ne se départait en aucune circonstance d'une froide et lointaine réserve, semblant d'ailleurs avouer ainsi son peu de foi en son autorité.
[P291] Savoir parler à un soldat de manière à montrer qu'on le connaît et qu'on le comprend est un des plus sûrs moyens de gagner sa confiance, de faire naître en lui la certitude qu'en cas de danger, ses intérêts seront sauvegardés dans la mesure du possible, parce qu'ils auront été reconnus.
[P292] La créature humaine recherche avidement la sympathie compréhensive. Aussi les joies et les peines du travailleur ne sauraient être traitées comme des phénomènes qui le concernent seul, mais comme une occasion pour le chef d'entreprise de prendre contact avec une âme. Le chef qui se rapproche de ses employés à l'heure de leurs épreuves ou de leurs triomphes pénètre plus profondément dans leur coeur en ce court instant que pendant de longues années de travail commandé.
En toute occasion, l'expression de sa sympathie servira sa cause: l'embauchage, l'avancement, la naissance d'un enfant, la mort d'un parent, un anniversaire, offrent précisément des occasions au chef d'entreprise de manifester son intérêt, de resserrer les liens qui l'unissent à l'employé et de provoquer par là même une réciprocité de sentiments.
[P293] S'il existe quelquefois une rancoeur, secrète ou violente, du soldat à l'égard de l'officier, ce n'est pas parce que celui-ci aura exigé de celui-là un acte pénible ou dangereux, c'est parce qu'il l'aura exigé sur un ton qui implique l'indifférence ou le mépris. Neuf fois sur dix, un officier dur au service et au feu, mais qui sait parler humainement à ses soldats, partager leur vie et, comme on dit, leur «expliquer le coup», est plus aimé et mieux servi qu'un chef moins exigeant, mais brutal, froid et dédaigneux.
[P294] Songez à votre supérieur dans la guerre, à votre directeur dans la paix, ou seulement à votre aîné, à votre ancien, qui a omis un jour de vous traiter avec bienveillance. Votre dépit, votre colère, votre rancoeur amère, votre souffrance, dites-vous que les gens qui sont tout le temps sous des chefs ou des supérieurs la ressentent cent fois par jour, et qu'ils en rêvent la nuit. Songez d'ailleurs que tous ces gros nuages, on les dissipe d'un bon regard, et vous ferez de tout votre coeur, à tant d'êtres qui ont besoin d'elle, la divine charité de votre politesse. (Antoine REDIER, Mes garçons et vos filles).
[P295] Ce n'est pas un bon système que de répondre à de l'antipathie par de l'antipathie, à un mauvais procédé par un mauvais procédé. Vous ne faites qu'envenimer les choses.
Pensez fortement que vous êtes plein de bienveillance pour votre inférieur: vous le verrez bientôt se transformer.
Agir ainsi n'est pas veulerie, mais force supérieure - celle qui vainc le mal par le bien.
[P296] Vous ne sauriez croire quelle jouissance supérieure et complète il y a à se sentir en mains la bonne massue et ne pas s'en servir. Les forts sont doux... (LYAUTEY).
[P297] Le chef réaliste, loin de se lamenter stérilement sur les imperfections de ses subordonnés, met toute son application à utiliser ceux-ci suivant leurs capacités.
[P298] Malgré l'excellence de ses intentions et tous ses efforts, le chef ne peut se flatter de conquérir tous ses subordonnés; certains resteront distants, inertes ou fermés jusqu'au bout; d'autres ne se laisseront gagner qu'à la longue. Il y aura des jours où s'infiltrera le mauvais esprit, le mauvais vouloir et toutes les petitesses douloureuses qui s'ensuivent. Mais si vous ne vous découragez pas et si avec désintéressement vous vous efforcez d'être humain avec tous et toujours, vous finirez par créer un climat de confiance et de sympathie dont tous subiront la bienfaisante influence.
[P299] Dans la vie d'affaires, comme dans la vie de famille, on a malheureusement tendance à oublier les qualités pour ne plus voir que les défauts de ceux qui vous approchent; suivant le mot de Shakespeare, nous gravons leurs défauts dans l'airain, mais c'est dans l'eau que nous écrivons leurs vertus: Men's evil manners live in brass; their virtues we write in water...
Phénomène fort compréhensif d'ailleurs, car les plus belles qualités nous paraissent à la longue naturelles, tandis que la manifestation répétée d'un défaut finit par lasser notre patience. Cette erreur d'optique est d'autant plus dangereuse qu'elle est plus inconsciente; mais on peut la corriger en faisant de temps en temps le bilan intellectuel et moral de ses collaborateurs. Mettez d'un côté les qualités, après en avoir bien pesé la valeur, de l'autre les défauts, en les réduisant à leur vraie proportion, et faites le compte de profits et pertes. Si le solde est bénéficiaire, amortissez les défauts par un peu d'indulgence et ne vous privez pas d'un excellent chef de service, sous prétexte qu'il est parfois un peu difficile à vivre.
[P300] Il faut reconnaître les faiblesses humaines et se plier à elles plutôt que de les combattre, disait Napoléon.
Craignez surtout qu'en les contrecarrant trop brutalement, vous ne fassiez naître autour de vous l'hypocrisie.
[P301] Tout le monde connaît le célèbre ordre du jour du G.Q.G. français en date du 19 mai 1917:
Nos officiers... hésitent à signaler à leurs chefs les difficultés d'exécution qu'ils constatent, dans la crainte d'être taxés d'esprits timorés. Il résulte de cette abstention craintive que le Commandement supérieur maintient parfois des ordres qu'il n'eut pas hésité à compléter ou à différer s'il eut été mieux renseigné.
C'est un fait. Il y a des renseignements précieux pour le Commandement qu'un inférieur n'osera fournir à son chef que s'il est assuré d'être écouté d'une oreille sympathique.
C'est pourquoi l'ordre du jour ajoute: Le supérieur doit ménager à son subordonné un accueil bienveillant, montrer le désir de l'aider à résoudre les difficultés qui l'arrêtent, faire appel aux renseignements utiles et même les provoquer. L'attitude bienveillante du chef est conforme aux traditions les plus nobles de l'Armée française... lorsqu'elle s'atténue, elle tend à provoquer un état fâcheux et blâmable: les esprits aigris confient leur rancoeur à des indifférents ou à des incompétents, créant peu à peu une atmosphère de mécontentement et d'inquiétude qui peut devenir dangereuse.
Ceci est vrai, non seulement dans l'Armée, mais partout.
[P302] Toute autre science est dommageable, dit Montaigne, à qui n'a pas la science de la bonté. Quand je pourrais me faire craindre, j'aimerais encore mieux me faire aimer!
[P303] On peut résister à un argument, on peut résister à un acte bon, mais on ne résiste pas à l'influence d'un coeur bon; il crée autour de lui comme une atmosphère où les vies baignent et s'imprègnent de la même substance que lui.
[P304] Autant sa sévérité était inflexible au cours de l'action, autant, cette action étant terminée, sa bonté, sa longanimité s'affirmaient, en toute occasion, dans sa manière de traiter et de juger les individus... Je l'entends encore me répéter: «Un chef ne se trompe jamais par excès de bonté». (SÉRIEYX, à propos de Foch).
[P305] Il y a une manière d'être qui influe sur la manière de voir. Réciproquement ceux qui voient le bien en dehors d'eux prouvent qu'ils l'ont déjà expérimenté en eux...
[P306] Quand la bonté nous semble déserter le monde, jugeons qu'elle a, d'abord, déserté notre coeur. (DUHAMEL).
[P307] Un esprit droit, un coeur bon ne se laissent pas halluciner par le déficit ni par le mal. Sans être exclusifs, ils extraient de préférence la moelle bonne; dans une théorie, ils voient l'embryon de vérité; dans un geste, le désir plus simple que lui; dans une âme, la virtualité généreuse; dans le grain de sénevé, un arbre en puissance.
[P308] La récompense du capitaine n'est pas dans les notes du commandant, mais dans le regard de ses hommes. (LARROUY, Le Révolté)
[P309] La récompense du chef, ce sont moins les félicitations du supérieur que l'attachement muet mais total de tous ceux qui, jusqu'au moindre échelon, sentent qu'ils font partie de la maison.
[P310] Quant aux grands chefs, leur amour m'a toujours infiniment moins intéressé que celui de mes sous-ordres, le seul auquel je tienne... (LYAUTEY)
[P311] Un coeur sec pourra bien se faire craindre... mais on est très mal servi par des esclaves.
[P312] C'est une erreur de croire que l'indulgence et la politesse sont prohibitives de l'autorité.
On connaît le mot de Turenne à l'un de ses officiers: Je ne parle durement à personne... mais je vous ferai couper la tête dans le moment que vous refuserez d'obéir.
Simple boutade d'ailleurs, chez un homme dont l'autorité était surtout faite d'équité et dont l'indulgence et l'humanité sont restées proverbiales.
Sévère à lui-même, il comptait tous ses malheurs pour des fautes; indulgent à ceux qui avaient failli, il faisait passer leurs fautes pour des malheurs. (Général WEYGAND, Vie de Turenne.)
[P313] C'est une telle puissance que le coeur! Celui-là qui n'a pas réussi à s'en emparer dans nos poitrines, qu'il soit timide dans ses ordres et qu'il n'espère pas nous conduire loin sur le chemin de l'obéissance. Mais si quelqu'un s'est rendu maître total de nos coeurs, l'audace lui est permise dans ses exigences. Il peut tout demander. L'autorité forte est celle qui s'appuie sur la force de l'amour. (Abbé THELUER DE PONCHEVILLE).
[P314] Le terme de l'habileté est de gouverner sans la force, écrit fort justement Vauvenargues; et Lacordaire dit plus justement encore: On ne peut régner sur les hommes quand on ne règne pas sur leur coeur.
[P315] Il n'y a pas de commandement efficace sans amour: la volonté imposée par la seule force est, sans doute, capable d'entraîner l'exécution momentanée d'une tâche déterminée; elle ne peut pas obtenir cette «adhésion totale des volontés, des esprits et des coeurs» absolument nécessaire au chef pour accomplir sa mission.
Cette adhésion, les inférieurs ne l'accordent que s'ils sentent chez celui qui les mène un amour profond et sincère, un désir de se donner à eux avec tout son coeur et toute son intelligence, une volonté de les faire réaliser pleinement, en fonction de leur personnalité, tout ce qui existe en eux en puissance et, par là, de les faire collaborer à l'oeuvre commune. Ainsi commandés, ils rendent à celui qui s'est donné à eux leur propre amour: et c'est seulement à partir de là qu'un homme peut tout demander à ceux qu'il a la mission de conduire, alors seulement qu'il peut se dire vraiment le chef.
Rien n'est obtenu, en effet, tant que la confiance de l'inférieur n'a pas répondu à la confiance du supérieur, tant qu'un immense échange d'amour vrai ne s'est pas établi entre tous ceux qui, aux divers échelons de la hiérarchie, ont à collaborer au travail commun. (A. GÈZE).
[P316] Les Français valent dix fois leur nombre avec des chefs qu'ils estiment et qu'ils aiment, mais sont au-dessous de tout avec un chef qui ne leur inspire ni estime, ni confiance. (MARMONT).
[P317] Une bonne parole est souvent plus efficace qu'une bonne raison. (Gustave LE BON).
[P318] Plus on est élevé dans la hiérarchie et plus on monte, plus il faut être bon. (FOCH).
[P319] Avec une pince on peut bien ouvrir les oursins, mais non les coeurs.
[P320] Lorsque La Bruyère a voulu dépeindre la vraie grandeur d'âme, c'est de Turenne qu'il a tracé le portrait:
La vraie grandeur est libre, douce, familière, populaire; elle se laisse toucher et manier; elle ne perd rien à être vue de près; plus on la connaît, plus on l'admire; elle se courbe par la bonté vers ses inférieurs et revient sans effort à son naturel...
On l'approche tout ensemble avec liberté et avec retenue...
Et là est le secret des sentiments tout particuliers qu'il inspira aux hommes de son époque dans lesquels l'affection l'unissait à l'admiration.
[P321] En parlant d'un résident qui n'avait guère réussi, Lyautey disait: Il est très intelligent, mais il ne fera jamais rien parce qu'il lui manque cette parcelle d'amour sans laquelle ne s'accomplit nulle grande oeuvre humaine.
[P322] Les hommes sont souvent des timides et des méfiants dont les coeurs sont ouverts par la cordialité et fermés par la brusquerie.
[P323] En parlant de ses soldats, l'officier dit volontiers: «mes hommes». Mais il ne songe pas toujours à la valeur de ce possessif audacieux.
L'homme, étant libre par nature, est essentiellement celui qui n'est pas possédé, sinon par amour.
L'officier qui dit: «mes hommes» devrait donc n'y mettre jamais aucune marque de souveraineté oppressive, mais toujours une nuance d'affectueuse sollicitude, comme le père dit: «mes enfants», ou le chrétien: «mes frères».
[P324] Certes, un chef doit avoir le souci du bien être, de la santé, du moral de tous ceux dont il a la charge. Mais il doit avoir le souci majeur de leur dignité. Jamais il ne sera à ce point de vue trop délicat. Le progrès social n'a fait qu'affiner la susceptibilité des hommes, qui ont le droit de ne pas vouloir être traités comme d'éternels mineurs.
[P325] Un chef ne doit jamais oublier que ses subordonnés sont des hommes.
À coté du service, ils ont leurs intérêts, leurs soucis, leurs sentiments humains. C'est à toute leur humanité qu'un chef compréhensif doit s'intéresser avec tact et discrétion.
[P326] La question sociale est avant tout une question d'égards, disait Léon Harmel.
[P327] Le devoir le plus essentiel du chef vis-à-vis de ses subordonnés est, dans l'exercice même du commandement, de reconnaître leur valeur d'hommes et de les traiter selon leur dignité de personnes raisonnables et libres.
[P328] Parce que l'homme est une personne, il n'appartient qu'à lui-même et à Dieu; il ne saurait appartenir à un autre homme qui puisse le considérer comme sa chose. Ce serait revenir à une conception païenne de l'autorité, en vertu de laquelle le maître antique possédait ses esclaves au même titre que ses troupeaux ou ses terres.
[P329] Le service avant tout, cela est vrai. Mais le service n'est pas tout; à quoi servirait une belle tâche pour le bien de l'humanité si elle aboutissait à rendre moins hommes ceux qui doivent y travailler?
[P330] La discipline est un moyen et non un but.
Elle doit être souple pour être formatrice; elle doit laisser les hommes prendre leurs responsabilités.
On agit en homme dans la mesure où l'on comprend le pourquoi de ses actes.
[P331] De la formation chrétienne, il a conservé l'idée belle et profonde que tout homme est important, non seulement comme sujet, comme citoyen, mais comme individu fraternel. (MAUROIS, en parlant de LYAUTEY).
[P332] L'homme refuse la servitude mais ne répugne pas au service. À servir il trouve même la satisfaction d'un instinct naturel de fidélité et de sécurité.
Mais il veut être assuré d'obtenir l'estime et la confiance de son chef; il veut avoir la certitude d'être par lui traité en homme.
[P333] Brusque ou calme, celui qui reconnaît à chaque homme une individualité qui fait sa richesse et son orgueil ne peut pas ne pas mettre secrètement dans le ton comme la solennité d'un appel, appel d'un homme à un homme, comme le sentiment, malgré les différences et la hiérarchie nécessaires, d'une profonde et fondamentale égalité.
Nous ne parlons pas de cette égalité insultante, de ces tapes sur le ventre, de ce bon garçonnisme qui n'inspire que le dégoût à celui que l'on flatte, mais de ces fiers rapports d'un homme à un homme, d'un à un, l'un suzerain, l'autre vassal, liés par le devoir nécessaire du commandement et de l'obéissance. Ainsi, sous le monde de la féodalité, hiérarchisé à l'extrême et plein de célèbres et tragiques obéissances, coulait le flot souterrain et vivifiant de la fraternité chrétienne des âmes égales devant Dieu, malgré les inégalités salutaires, universellement acceptées. (Capitaine MOREL, Esprit de finesse et de commandement)
[P334] Un mot maladroit, un manque d'égards, une expression dure ou méprisante peuvent semer aujourd'hui une rancune qui lèvera demain en colère.
[P335] Plus un chef est élevé en dignité, plus il doit ménager la susceptibilité de ses subordonnés, car plus une flèche tombe de haut, plus elle pénètre profondément; si elle touche le coeur, elle peut être mortelle.
[P336] Une injure dans la bouche d'un chef le déshonore et ouvre dans l'âme de l'inférieur une blessure inguérissable.
[P337] Le maréchal de Belle-Isle écrivait à son fils:
Je vous dirai de n'employer jamais, avec vos soldats, des expressions dures, des épithètes flétrissantes, et de ne proférer jamais en leur présence des mots ignobles et bas. Croyez bien, mon fils, que ce moyen est le seul bon, qu'il peut seul faire respecter les ordres, les rendre agréables, en accélérer l'exécution, et inspirer aux soldats cette confiance en leurs officiers qui est la mère d'une bonne discipline et des succès.
[P338] Voici l'extrait très suggestif de la lettre écrite en 1831 par un canonnier au général Drouot sous les ordres duquel il avait servi en 1809:
La principale chose, suivant moi, c'est de se faire aimer du soldat, parce que, si le colonel n'est pas aimé, on ne se soucie pas beaucoup de se faire tuer par les ordres de quelqu'un qu'on déteste. À Wagram, où ça chauffait et où notre régiment a tant fait, est-ce que vous croyez que, si vous n'aviez pas été aimé comme vous l'étiez, les canonniers de la Garde auraient si bien manoeuvré?
Moi, mon général, je n'ai jamais trouvé aucun colonel qui sut parler comme vous à un soldat; vous étiez sévère, j'en conviens, mais juste; enfin, vous parliez à un soldat comme s'il eut été votre égal. Il y a des officiers qui parlent aux soldats comme s'ils étaient les égaux des soldats, mais ça ne vaut rien selon moi...
[P339] Un chef doit s'efforcer de créer entre lui et ses subordonnés une atmosphère et des relations de vraie collaboration. Le meilleur moyen pour cela n'est-il pas de les intéresser à la tâche qu'ils ont à accomplir en leur faisant partager, dans la mesure où ils en sont capables, l'idéal que vous poursuivez?
[P340] Chacun de nous est naturellement persuadé qu'il respecte la personnalité de ses collaborateurs. Tout homme de coeur cherche à le faire; mais observer ce respect jusqu'au bout n'est pas si facile qu'on le croit. Car respecter la personnalité humaine chez chacun de ses subordonnés, c'est leur parler avec la même estime qu'à ses chefs. (A. CARRARD, Le Chef, sa formation et sa tâche .)
[P341] Un militaire ne s'incline pas lorsqu'il salue son supérieur. Il doit au contraire se redresser franchement, et son geste crâne symbolise la fierté qu'il doit avoir de servir.
Ce serait déshonorer un pareil geste, tout de confiance et de fierté, que de lui faire signifier la platitude ou la faiblesse.
[P342] Lors des premières occupations d'usines en France, quelles sont celles qui n'ont pas fait grève? Partout où nous avons pu le contrôler, c'étaient des usines où le chef avait un contact personnel avec ses sous-ordres, où «l'homme» en tant que personnalité humaine était le sujet de son attention et de ses soins, où le chef savait s'intéresser à la famille des ouvriers, leur demandait des nouvelles de la maison et leur apportait de l'aide personnelle effective.
J'ai connu dans un de ces établissements un chef qui commence ses rapports d'usine par le coté personnel: il veut que ses sous-ordres le renseignent sur les fêtes ou les deuils, les anniversaires, les difficultés momentanées des hommes qu'il leur a confiés. Ce n'est qu'après qu'il passe aux questions techniques.
Lorsque ce contact personnel manquait, malgré tout ce qui d'autre part avait été fait pour les ouvriers, ces derniers ont occupé l'usine et manifesté une haine profonde contre des chefs qui les avaient traités en somme comme des «machines à produire». (A. CARRARD, op. cit.)
[P343] J'ai toujours été convaincu que le supérieur doit respecter la personnalité de ses subordonnés; ceux-ci ne remplissent jamais évidemment son idéal absolu. Mais nous devons nous servir de nos subordonnés tels qu'ils sont, en utilisant leurs qualités et même leurs défauts qui souvent ne sont que des exagérations de qualités.
Efforçons-nous de commander et d'obéir avec bonne humeur; l'homme de mauvaise humeur et l'homme en colère sont des malades, donc des êtres de qualité momentanément inférieure.
Soyons toujours polis avec nos inférieurs; quand on est poli, on élève ceux à qui l'on s'adresse; quand on est grossier, on se rabaisse soi-même. Vis-à-vis du supérieur, l'impolitesse est une faute contre la discipline; vis-à-vis de l'inférieur, elle est en outre une lâcheté.
La politesse seule rend supportable la dureté d'un reproche.
Parlons toujours doucement, ce qui n'empêche pas de parler avec fermeté; en donnant des ordres, en faisant des observations sur un ton trop élevé, on affole les subordonnés, on les pousse eux-mêmes à crier, on enfièvre le service. (DE MAUD'HUY).
[P344] Longtemps les ouvriers, écrasés par le machinisme, ont été victimes des progrès d'une technique sans âme et d'un libéralisme païen qui les a réduits au rang de matériel humain, parfois moins considéré que la machine qu'ils conduisaient.
Il en est résulté, dans l'âme ouvrière, un complexe d'infériorité qui a amené çà et là des réactions violentes.
C'est à partir du moment où un chef respecte la fierté de ses hommes et les traite véritablement en hommes que commence à être résolue la question sociale.
[P345] Être juste, c'est la première qualité qu'un homme digne de ce nom réclame de celui qui a autorité sur lui.
[P346] Ce sentiment de justice est tellement inné au coeur de l'homme que toute injustice, même chez un chef aimé, le déçoit, le révolte et le cabre.
Il comprendra qu'un supérieur soit exigeant, sévère même; il sera dérouté par une manoeuvre déloyale ou un acte arbitraire, et s'il ne peut exprimer tout haut ce sentiment, il gardera au fond du coeur une blessure secrète, qui s'exhalera un jour ou l'autre en plainte amère, en rancoeur tenace et peut-être en haine implacable.
[P347] Être juste, c'est distribuer éloges et blâmes avec discernement, c'est savoir reconnaître la bonne volonté de chacun, c'est aller au fond des choses et tenir compte, le cas échéant, des causes qui ont freiné l'effort de celui qui a fait de son mieux.
[P348] Être juste, c'est attribuer à qui de droit, même et surtout à un inférieur, le mérite de telle idée ingénieuse, c'est savoir faire loyalement la part du succès qui revient à chacun des collaborateurs.
[P349] Être juste, c'est rester impartial en toutes circonstances, sans jamais se laisser guider par ses sympathies ou ses antipathies, c'est accorder l'avancement d'après la valeur et les aptitudes éprouvées, et non d'après le poids des recommandations ou l'habileté dans l'art de flatter que pourrait posséder le candidat.
[P350] Être juste, c'est respecter la hiérarchie que soi-même on a créée, c'est renforcer l'autorité de ceux qu'on a placés à la tête d'un service ou d'une section, et ne pas intervenir dans leur rayon sans passer par eux.
[P351] Être juste, c'est reconnaître loyalement son erreur ou sa faute, et ne pas chercher à la faire retomber sur autrui, encore moins la rejeter sur un subalterne qui n'a fait qu'exécuter de son mieux, et avec les moyens dont il disposait, des ordres imprécis ou incomplets.
[P352] Être juste, c'est apporter dans l'exercice de sa mission une droiture irréprochable, qui fait plus pour assurer l'ascendant moral sur une collectivité que l'usage de tous les artifices du commandement.
[P353] Il n'y a point d'homme au monde qui, pour vertueux qu'il soit, passe pour innocent dans l'esprit d'un maître qui, n'examinant pas les choses par soi-même, ouvrirait les oreilles aux calomnies. (RICHELIEU).
[P354] Nos inférieurs ont droit à la justice absolue; faisons tous nos efforts pour la leur donner.
Ne cherchons pas à inspirer à nos subordonnés la terreur, mais la confiance: qu'ils ne craignent pas, mais désirent la présence du chef.
Couvrons-les toujours quand ils ont exécuté ou cru exécuter nos ordres.
[P355] Pas d'exigences inutiles. Le Français n'aime pas à être perpétuellement ennuyé pour des bêtises. Mais ce que nous exigeons, exigeons-le d'une façon absolue et continue. Surtout, faisons saisir à nos inférieurs le pourquoi de nos exigences; faisons-leur comprendre que la discipline est nécessaire, non seulement pour le service, mais pour le bien de chacun. (DE MAUD'HUY, Testament militaire.)
[P356] Le chef couvrira toujours ses inférieurs si ses ordres leur valent des observations; il doit rayonner la loyauté, car c'est le déshonneur du chef que de condamner ses inférieurs à la duplicité parce que lui-même n'agit point avec droiture.
Croyez que tout être humain est perfectible.
Que vos jugements soient seulement provisoires et jamais irréformables. Prenez garde à ne jamais «ficher» définitivement un homme. Rien ne serait plus injuste et plus débilitant.
[P357] Il n'y a rien qui tue d'avance l'effort qu'un homme serait tenté de faire pour se relever ou se corriger, que la pensée d'un «à quoi bon? Je suis classé».
[P358] Soyez surtout prudent vis-à-vis des gens que vous ne voyez que rarement. Gardez-vous d'une impression qu'ils vous ont laissée dans une prise de contact fugitive, il y a plusieurs années. Depuis, ils ont pu se modifier. Ne vous fiez pas à vos seuls souvenirs.
[P359] Que de germes de révolte déposés, au cours de la guerre, en des milliers d'âmes de soldats, par l'arrogance de chefs indignes! Le coeur du soldat ne cherchait qu'à se donner, à admirer; il entourait d'une vraie tendresse le chef qui savait gagner son estime. Mais ce besoin d'admiration, d'affection, se muait en colère et en mépris devant l'injustice, la lâcheté ou la dureté. (BESSIÈRES).
[P360] Comme le roi était le défenseur naturel de son peuple contre l'avidité des grands, ainsi tout chef suprême doit veiller à ce que les «exécutants», ouvriers, soldats, marins, soient traités par ses subordonnés avec justice et honneur. C'est là le rôle le plus difficile, car le devoir du «patron» est double. Il ne doit pas affaiblir l'autorité de ses lieutenants; il ne doit pas tolérer les abus d'autorité.
Affaire de tact, d'énergie et de formation éclairée des sous-ordres.
[P361] Il est parfois difficile de tenir ce que l'on a promis; il l'est peut-être encore plus de ne promettre que ce que l'on est sur de pouvoir tenir.
[P362] Rien ne gagne la confiance des subordonnés comme la franchise. D'Ernest Psichari, ses hommes disaient: Il est tellement sincère qu'on a envie de l'imiter.
[P363] Le maintien de la discipline, absolument nécessaire pour atteindre aux fins de l'action militaire, exige de la part de l'officier non seulement de la fermeté, mais un certain respect des distances.
Qui voudrait commander seulement par amitié et persuasion en renonçant au prestige du grade et à cette manière de pouvoir absolu que donne le galon, s'exposerait à de graves mécomptes: le procédé réussirait sans doute avec les meilleurs, mais les pires en profiteraient pour se soustraire à leur devoir, et les meilleurs eux-mêmes ne tarderaient pas à crier à l'injustice et à perdre courage.
[P364] La fermeté est une excellente méthode de commandement quand elle est une manière d'être habituelle, mais peu efficace quand elle procède par à-coups inconsidérés.
Vous avez le droit d'être exigeant, mais évitez les accès brusques de colère. Gardez la stabilité dans la sérénité.
[P365] Le chef doit mériter la réputation de quelqu'un qui sait ce qu'il veut et le veut jusqu'au bout. Ce qui ne l'empêche pas en même temps d'être capable d'écouter un avis justifié de ses subordonnés, et de corriger les erreurs de ses décisions ou de ses directives.
[P366] Rien n'est meurtrier comme la faiblesse et la lâcheté. Et rien n'est humain comme la fermeté. Les régimes de lâcheté sont ceux qui coûtent le plus au monde et, en définitive, ce sont ceux qui peuvent finir et qui finissent réellement dans l'atrocité. Je n'aime pas un bon homme qui est au pouvoir.
Dieu veuille que nos maîtres soient fermes, c'est tout ce que nous leur demandons. Rien n'est dangereux pour celui qui est dessous comme la bonhomie de celui qui est dessus. (PÉGUY).
[P367] Cet homme (le capitaine) était dur; juste, oui, mais d'une justice sévère et non pas indulgente. Aucun de ses subordonnés ne put jamais croire qu'il fût possible de ne point faire ou de ne faire qu'à demi ce qu'il avait ordonné, et chacun savait ou plutôt sentait qu'il eut bel et bien risqué une balle dans la tête en cas de défaillance. Tous les matins, en ligne ou au repos, il parcourait sa compagnie, à grandes enjambées, exerçant sa justice, comme il disait. Il ne passait rien et ne tolérait pas qu'un homme ou qu'un gradé ne fit pas son métier.
Je l'accompagnais souvent et parfois je le trouvais trop rigoureux; il me semblait qu'à sa place, j'aurais été plus accommodant; mais aujourd'hui, je vois qu'il avait raison.
La règle inflexible est toujours bonne, car elle protège du désordre, et c'est être bienfaisant qu'être sévère. Sa sévérité d'ailleurs croissait avec le grade, car à ses yeux un grade, c'était un surcroît de devoirs avant d'être un surcroît de solde ou de bien-être; et certes, il ne se privait point de secouer vigoureusement ses sous-officiers et ses officiers. Je l'ai été comme les autres, et fortement, sans jamais songer a lui en vouloir. (A. BRIDOUX, Souvenirs du Temps des Morts).
[P368] Il y a des gens qui veulent à tout prix se mettre en avant, pour lesquels tous les moyens sont bons pour se faire valoir et pour écraser les autres sur leur passage. Ils profitent de chaque occasion pour dire quelque chose de désavantageux de leurs camarades et pour faire ressortir leur propre supériorité en se parant souvent du savoir des autres. Dès qu'on sent que le chef se laisse influencer par ces arrivistes et que l'on a plus de chance d'avancer en faisant comme eux qu'en travaillant consciencieusement à sa place, alors tout change; chacun se confine dans son travail, ne laisse plus rien voir à ses collègues et cherche à intriguer à son tour. La collaboration idéale se transforme en méfiance, en lutte sournoise de chacun contre tous; l'atmosphère devient irrespirable.
[P369] Il est un autre genre de collaborateur encore plus dangereux parce que plus difficile à reconnaître. Vis-à-vis de ses chefs, il est serviable, soumis, toujours d'accord, sans personnalité. Vis-à-vis de ses sous-ordres, il est dur, écrasant, distant et méfiant. Il ne peut pas souffrir que les autres réussissent.
C'est ici que doit intervenir la fermeté clairvoyante du chef. Il doit «estimer chacun à sa juste valeur» sans se laisser éblouir par le zèle ou la déférence de celui-ci ou de celui-là.
[P370] Soyez bienveillant mais jamais naïf.
Soyez prêt à faire confiance mais ne vous confiez qu'à bon escient.
[P371] Il n'est pas nécessaire d'aveugler sa confiance pour la donner à quelqu'un.
[P372] Tout en mettant vos collaborateurs dans les conditions optima pour réussir, graduez leurs responsabilités et leur autorité. Il vaut mieux les leur augmenter que d'être obligé, après des échecs, de les diminuer.
[P373] Quand on sait que le chef n'est ni impulsif ni influençable, on se le tient pour dit.
[P374] Veillez à ce qu'on ne puisse pas dire de vous «c'est le dernier qui a parlé qui a raison».
[P375] Un chef, c'est quelqu'un qui ne se laisse pas manoeuvrer.
[P376] Il arrive souvent que des subordonnés, qui tous aiment et servent bien leur chef, soient jaloux les uns des autres et se disputent avec trop d'âpreté les marques de son estime.
Le «patron» doit deviner et apaiser ces susceptibilités qui affaiblissent dangereusement un corps. Comme un chauffeur expérimenté sait, en entendant le bruit de son moteur, qu'un des cylindres ne donne pas bien, ainsi le chef né sent que l'équipe ne rend plus, en cherche la cause et la trouve. Cette cause est souvent minuscule: grain de poussière dans un tuyau, haussement d'épaules qui n'était qu'un tic et qui fut pris pour une insulte.
Lyautey avait l'instinct de ces choses: «Un Tel est en arrière de la main», disait-il, et aussitôt, avec douceur et fermeté, il faisait sentir la bride au rebelle. (MAUROIS).
[P377] Poursuivez jusqu'à ce que vous ayez obtenu un résultat. Il ne faut rien abandonner quand on n'a pas été jusqu'au bout. Quand il n'y a pas de résultat, rien n'est fait. Il faut aboutir. (FOCH).
[P378] Un chef doit être un homme de caractère.
Avoir du caractère n'est pas avoir mauvais caractère comme trop de gens le pensent. C'est savoir garder son esprit libre et indépendant, c'est commander sans chercher de satisfaction immédiate comme celle, légitime pourtant, d'être aimé. C'est, quand on a acquis la certitude d'une vérité, savoir s'y maintenir coûte que coûte, quoi qu'il arrive.
C'est savoir rester seul à la barre à espérer quand tout lâche autour de soi. C'est enfin savoir être impartial vis-à-vis de soi-même et reconnaître ses erreurs.
[P379] Le chef est un point de mire. Les yeux de ses subordonnés sont constamment dirigés sur lui, et son exemple a d'autant plus de poids qu'il est plus apprécié.
[P380] Exempla trahent: les exemples entraînent. Ils concrétisent un acte ou une attitude qui n'était jusqu'alors qu'une vue abstraite de l'esprit.
[P381] Les hommes ne se conduisent jamais avec les prescriptions de la raison pure; ils ont besoin de voir leur idéal incarné dans un homme qui les entraîne à sa suite par la séduction de son exemple.
[P382] Un chef qui donne l'exemple peut tout demander à ses hommes, parce qu'il finit toujours par mériter et conquérir leur confiance.
[P383] La vie du chef parle toujours aux hommes plus fort que sa voix, et si sa vie est en contradiction avec ses paroles, il y a là un illogisme qui scandalise les faibles et révolte les forts.
[P384] Le sens de l'autorité, dans l'action et aux heures dangereuses, se transforme: celle que le chef tire de son grade diminue, tandis que croit celle qu'il doit à son caractère et à son exemple.
[P385] Un chef qui demande aux autres un dur labeur doit être lui-même un exemple de travail. On n'obtient facilement la collaboration des autres que si l'on exige encore davantage de soi-même.
[P386] Un chef qui s'abandonne à la loi du moindre effort autorise tacitement ses hommes à faire de même.
L'homme moderne n'accepte plus de discipline si elle n'est réciproque, et si celui qui commande ne remplit pas les devoirs de sa charge avec autant d'exactitude qu'il en exige de ses subordonnés.
[P387] Quand un subordonné voit le supérieur travailler sans trêve, mépriser le confort légitime, dédaigner la richesse, faire fi des honneurs; quand il sait qu'une seule passion l'anime: la bonne marche du groupement et le bonheur de ses inférieurs, alors il est gagné lui aussi par cette générosité et ne veut plus rien refuser à celui qui ne s'accorde rien.
[P388] Celui qui pense qu'il en fait toujours assez pour la récompense qu'il reçoit sera toujours un subalterne, jamais un chef.
[P389] On entend souvent dire qu'il suffit de donner le bon exemple dans le service, et qu'en dehors le chef peut faire ce qu'il veut. Non, ce que le subordonné doit pouvoir trouver dans son chef, c'est un exemple dans le travail d'abord, mais aussi dans la façon de surmonter les problèmes que pose la vie en général; l'influence ne peut être profonde que si l'exemple est total.
[P390] Plus un homme est haut placé, moins le contrôle de ses supérieurs est fréquent; aussi la conscience doit grandir chez le chef au fur et à mesure que, montant dans la hiérarchie, il devient plus libre et plus solitaire.
[P391] Autrefois ma devise était: science et conscience. Je la garde encore aujourd'hui, mais en disant de préférence: conscience et science. Oui, conscience d'abord. C'est ce qui importe le plus. (Foch).
[P392] Commander est une fonction publique; on s'y prépare en se débarrassant de l'égoïsme étroit, des préoccupations trop intéressées et de la suffisance qui les accompagne souvent.
[P393] Évitons surtout de parler souvent de nous-mêmes et de nous donner pour exemple. Rien n'est plus désagréable qu'un homme qui se cite lui-même à tout propos.
L'exemple en effet n'est efficace que s'il s'impose naturellement à l'attention et au respect des subordonnés; ce serait une lourde erreur psychologique de croire que vous pouvez en augmenter l'effet utile par des affirmations gratuites ou en vous gargarisant de compliments; car l'esprit de contradiction, qui dort dans toute âme française, s'éveillerait chez vos collaborateurs et viendrait secrètement démolir l'effet que vous croyez produire. (COURAU, op. cit.)
[P394] Un chef doit être né grand ou le devenir; mais l'on n'est grand que dans la mesure où l'on est désintéressé de soi-même. Comme l'affirme Lacordaire, tout ce qui s'est fait de grand dans le monde s'est fait au cri du devoir; tout ce qui s'y est fait de misérable s'est fait au nom de l'intérêt.
[P395] La mission du chef lui est confiée essentiellement pour le bien commun; ni le caprice, ni l'intérêt, ni l'orgueil, ne doivent dicter au chef ses décisions.
[P396] Sans humilité la force n'est que violence; seule l'humilité permet d'amoindrir les risques, de diminuer les travers, de reconnaître et réparer les fautes.
[P397] Quand quelque chose ne va pas, les neuf dixièmes des hommes ont une tendance toute naturelle à se justifier en cherchant des raisons en dehors d'eux, c'est-à-dire à coté, en prouvant que c'est le voisin qui a tort.
Eh bien! Il faut tâcher, quand on veut s'élever dans la vie et être à la hauteur d'une situation, d'être dans le dernier dixième, dans celui qui sait reconnaître loyalement, franchement, sans fausse honte, qu'il a pu se tromper... et qui sait chercher le moyen de mieux faire à l'avenir, ou de mieux faire faire, ce qui est plus exact.
Tout le monde se trompe; nul ne fait son métier à la perfection, et je n'ai certes pas la prétention de faire le mien d'une façon irréprochable; mais du moins, quand on me signale ou que je vois moi-même des choses qui ne vont pas, je tâche de les faire mieux aller, et je ne cherche pas à m'excuser à mes propres yeux. (Camille CAVALLlER, op. cit.)
[P398] Le moi est haïssable, surtout dans l'exercice de l'autorité. Toute autorité qui n'est pas humble est grotesque, affirme Foerster. Dire «c'est moi le maître» est ridicule, dire «c'est moi qui ai raison» est pédant, dire «c'est à moi que vous aurez affaire» est rancunier et tyrannique.
[P399] Le chef n'a pas à s'abaisser devant ses inférieurs.
Il convient aux relations humaines qu'il ait du prestige. Mais devant l'oeuvre à faire, il doit rester modeste. Par sa soumission aux données du réel, à tout instant, il doit se rappeler que le chef, si grand soit-il, n'est jamais la règle de la vie du monde, mais qu'il n'en est que l'interprète.
[P400] Le grand obstacle à l'esprit d'équipe, c'est l'orgueil qui fait qu'à force de tout rapporter à soi, on devient incapable de comprendre les besoins des autres et par conséquent de collaborer avec eux.
[P401] Le vrai chef est désintéressé. Il va au but parce que son devoir est de l'atteindre; il ne va pas à son succès personnel. Il ne cherche ni son avantage particulier ni sa propre gloire; il se rappelle qu'il n'est chef que pour représenter ou réaliser le bien commun; il n'est pas chef pour lui-même, mais pour les autres.
Le chef ne doit pas attendre de reconnaissance. Il ne doit même jamais se plaindre de l'ingratitude des hommes. Se plaindre d'un bienfait perdu, disait Sénèque, c'est signe qu'il était mal donné.
[P402] Le chef doit se garder d'accepter de ses collaborateurs la moindre flatterie. Ils ne sont pas là pour le louer ou pour le blâmer; quelques critiques de leur part sont admissibles lorsqu'elles sont présentées respectueusement et qu'elles sont l'expression de leur dévouement à la cause commune. Mais la louange d'un subordonné est rarement désintéressée. Elle est d'autant plus dangereuse qu'elle est plus subtile: On croit haïr la flatterie et on ne hait que la manière de flatter, dit La Bruyère, et il faut avouer que l'on devient moins exigeant sur la manière quand on se laisse gagner par l'habitude.
[P403] Les critiques sont toujours désagréables à un chef, mais il faut qu'il prenne assez sur lui pour les recevoir avec calme sinon avec reconnaissance. Même si elles ne sont pas totalement fondées, elles comportent toujours une parcelle de vérité que nous aurions peut-être tendance à oublier et elles nous forcent ainsi à nous améliorer.
[P404] L'homme a besoin de s'appuyer sur quelque chose de plus grand que lui. Il cherche un être supérieur qui le conduise et sur lequel il puisse compter, car peu d'hommes supportent l'idée d'être absolument seuls. Le sous-ordre aura donc facilement tendance à attribuer à son chef des qualités surhumaines. Il y sera d'autant plus facilement amené que ce dernier est tenté de favoriser cette tendance qui flatte son amour-propre, car il aime à «jouer un rôle», à marquer sa «supériorité». Mais c'est un jeu dangereux, parce qu'en s'entourant de courtisans, qui ne voient que par ses yeux, il se prive de l'aide qu'apporte la saine critique de personnes qui peuvent voir les choses sous un autre angle; il perd ainsi le contact avec le milieu dans lequel il vit. Il ne peut plus diriger en connaissance de cause.
[P405] Quelles que soient ses qualités, le chef n'est pas un surhomme et tôt ou tard le subordonné s'aperçoit qu'il avait surestimé son supérieur. Si celui-ci est modeste, l'inférieur ne s'en prendra qu'à lui-même de son erreur d'optique et ne modifiera en rien l'intensité de son dévouement. Si au contraire il estime qu'il a été trompé par des promesses qui n'ont pas été tenues, il s'ensuit chez lui une réaction violente, qui peut aller jusqu'au mépris du chef.
[P406] Un chef ne fait pas longtemps illusion à ceux qu'il commande. Après quelques tâtonnements, ceux-là savent.
D'être humble devant lui-même, le chef est plus fort devant les autres; vrai devant lui-même, il peut demander aux autres d'être vrais devant lui. Il y a une façon de dire à un homme en le regardant sans dureté dans les yeux: «Ne me raconte pas cela à moi», qui dégonfle tous les bluffs. On reconnaît vite les chefs à qui «on ne bourre pas le crâne». À ceux-là on ose avouer ses faiblesses, non pour les parer, non pour les glorifier, mais pour demander, comme au médecin: «Comment pourrais-je guérir?». (Jean-Jacques CHEVALLIER)
[P407] Le vrai chef ne parle jamais de lui; il ne dit jamais «moi». Il s'inclut dans la collectivité et pense «nous». Tant que le «moi» demeure sa préoccupation centrale, il se fait lui-même le but final de son action et exploite plus ou moins consciemment les autres à son service. Il ne comprend sa mission qu'à partir du moment où il s'est arraché à lui-même pour se donner sans reprise à l'intérêt général.
[P408] Ne jouez jamais au prophète victorieux ou méconnu: «Je l'avais bien dit... je l'avais bien prévu... une fois de plus, j'ai eu raison... j'avais bien annoncé ce qui s'est passé...», car si vous aviez effectivement prévu ce qui est arrivé, de deux choses l'une: ou vous avez pris les mesures en conséquence et dans ce cas il n'y a pas lieu de claironner votre victoire; ou vous n'avez pas pris les mesures qui s'imposaient et dans ce cas vous avez tout intérêt à vous taire car, en jouant au prophète méconnu, vous vous rendrez ridicule ou odieux à tous vos collaborateurs.
Le signe le plus sur de la fécondité d'un chef, c'est de le voir travailler pour son successeur, connu ou inconnu, car c'est la preuve qu'il place la durée de l'oeuvre au-dessus de lui-même.
[P409] Un homme n'est qu'un homme et il doit s'en souvenir chaque jour. Celui qui ne rentre pas en lui-même, et ne se remet pas constamment à sa place en face de Dieu, sombrera fatalement dans l'orgueil; ses efforts demeureront stériles, parce qu'il ne peut tout embrasser dans son intelligence toujours bornée, et que l'orgueilleux a perdu la précieuse faculté d'écouter.
[P410] La vertu fondamentale d'un chef, et peut-être la plus rare, c'est l'humilité.
Si nos chefs n'en sont pas profondément convaincus, s'ils ne savent pas accepter les leçons véritables qui leur viennent des hommes et des choses, s'ils persistent dans leurs opinions au point de ne vouloir écouter personne, ils seront très vite épuisés et débordés.
À coup sur, ils trouveront immédiatement une cour d'admirateurs et il leur semblera qu'ils sont soutenus par leurs subordonnés, sinon par tous, du moins par ceux qui sont intelligents, compréhensifs... qu'ils prennent garde. Les plus serviles adorateurs se retourneront contre eux à la première occasion quand il leur apparaîtra que leur intérêt est de flatter un autre. Et en attendant, ils abuseront très vite du maître qu'ils affectent de servir pour se servir eux-mêmes d'abord.
Trop de gens confondent volonté et entêtement, caractère et mauvais caractère. C'est au contraire faire preuve d'une grande force d'âme que d'accepter une remarque, d'écouter une observation, d'y réfléchir en se dépouillant de ses propres idées et d'y plier sa volonté.
L'homme qui reconnaît loyalement qu'il s'est trompé, ou plus simplement qu'il ne sait pas tout, se grandit singulièrement. Et par surcroît, il conquiert, en se conquérant ainsi lui-même, une magnifique indépendance. Là seulement est la véritable liberté: l'esclavage vis-à-vis d'un autre homme est dur, mais l'esclavage vis-à-vis de soi-même est pire encore. (DE LA PORTE DU THEIL).
[P411] Un vrai chef est un éducateur qui s'efforce de faire surgir chez ceux qu'il a associés à sa tâche les possibilités cachées déposées en eux, possibilités dont parfois ils ne se doutaient même pas. Peu à peu, en les leur révélant, il leur donne la nostalgie et la fierté d'un «moi» meilleur, les mettant à même de réaliser ce que leur mission attend d'eux.
[P412] Le vrai chef n'est pas le propriétaire d'une sorte de talisman réservé à son usage, il est un éveilleur de pairs. Il aime que le plus humble de ses exécutants soit fait à son image, et qu'il lui renvoie le reflet d'un homme libre, créateur, fier. Il se réjouit quand il a développé autour de lui l'initiative, la lucidité, l'esprit de décision, la franchise, chez ceux qui étaient tout à l'heure encore des enfants devant la vie. (Bussy-Robin).
[P413] L'un des meilleurs moyens de gagner la confiance d'un homme est de l'amener à se dépasser lui-même et souvent de le traiter comme meilleur qu'il n'est en apparence.
[P414] Le chef éducateur devra voir, au delà des défauts et des vices qui forment écran, les qualités profondes dont il faut faire prendre conscience à l'individu, pour que, ravi de joie à la vue de ses richesses inconnues, il s'applique à les mettre en valeur.
[P415] Rien ne détermine davantage un homme à se perfectionner que le sentiment d'être compris et encouragé par son chef.
[P416] On fait toujours avec intelligence et coeur ce à quoi l'on s'intéresse et où l'on excelle. En vertu de ce principe, le chef doit s'appliquer à susciter l'intérêt du subordonné pour la tâche à accomplir, et le mettre à même d'y réussir.
[P417] L'éducation donnée par le chef doit aboutir à développer chez le subordonné l'amour de l'effort, le sens des responsabilités et le goût du travail en commun.
[P418] C'est le goût du moindre effort qui conduit à la routine, brise les élans les plus généreux, et stérilise les activités les plus prometteuses.
[P419] On n'obtient rien sans mal et les choses ne valent que ce qu'elles coûtent.
[P420] Renoncer à l'effort, c'est renoncer à la vie, renoncer au progrès, renoncer à la fécondité.
[P421] L'être humain n'est pas naturellement courageux, et pour lui donner l'habitude de se vaincre lui-même et de trouver dans sa victoire une joie suffisante pour qu'elle paie l'effort accompli, il est nécessaire d'avoir déterminé chez lui une attitude positive en face des difficultés qui l'attendent, selon l'une des deux formules suivantes: «Les difficultés sont faites pour être vaincues» - «Les difficultés ne sont pas des barrières qui nous arrêtent, mais des tremplins qui nous amènent à nous surpasser en nous obligeant à les surmonter.»
[P422] À propos d'éducation, Dugas écrivait: Le maître qui tente d'instruire sans inspirer le goût de l'instruction est un forgeron qui bat le fer à froid. On pourrait dire la même chose d'un chef qui essaie d'entraîner les hommes sans leur inspirer le goût de l'effort et de la tâche à accomplir.
[P423] L'éducation de l'effort est d'autant plus nécessaire que l'homme est poussé par son instinct de conservation à éviter le danger et à rechercher ses aises.
[P424] L'éducation de l'effort doit aussi aboutir à développer le goût du travail bien fait, le souci du détail fini pour lui-même, et le sens de l'ordre sans lequel tout le reste devient gaspillage et incurie.
[P425] Il ne s'agit pas tant d'imposer des efforts que de les provoquer habilement, car il n'y a oeuvre d'éducation véritable et profonde que dans la mesure où il y a adhésion et collaboration.
[P426] L'un des meilleurs moyens de stimuler l'effort de ses subordonnés consiste à faire goûter la joie du progrès réalisé et plus encore la satisfaction d'être en mesure de mieux servir.
[P427] L'être humain est complexe. Il est un champ de bataille de tendances profondes qui se corrigent et se neutralisent. C'est le rôle du chef, surtout lorsqu'il veut remplir son devoir d'éducateur, de faire appel aux tendances généreuses qui se trouvent au fond de chaque homme, et de neutraliser ainsi les instincts de paresse et de peur.
[P428] Ne repousse pas le héros qui est dans ton âme, pourrait-on dire à l'homme qui veut être digne de ce nom. En tout être humain, quel qu'il soit, il y a toujours une flamme possible, une mèche qui fume. C'est au chef à mettre les tâches qu'il confie ou les restrictions qu'il impose en rapport avec ce que chacun porte en soi-même d'héroïsme latent.
[P429] Il est permis, pour développer chez les hommes le goût de l'effort, de stimuler l'amour-propre. Le manque d'amour-propre et d'une saine estime de soi-même, écrit le R.P. Kieffer dans «Éducation et Équilibre», brise l'élan de l'âme, tue l'esprit d'initiative, crée des êtres passifs et inertes.
[P430] Le chef doit bien se garder de demander des efforts disproportionnés avec les possibilités actuelles de ceux qui doivent les accomplir. C'est progressivement qu'il faut habituer les hommes à triompher d'obstacles toujours plus difficiles, de manière à ce qu'ils ne se découragent pas, mais qu'en prenant confiance en leurs moyens ils soient mis en goût de continuer à progresser.
[P431] Il y a une erreur grave dans cette conception du progrès qui n'aurait pour but que d'apporter de plus en plus à l'homme les moyens de faire de moins en moins d'efforts; alors que le progrès n'est légitime que s'il devient un moyen de servir plus et mieux.
[P432] Ce qui différencie essentiellement l'homme de l'automate ou de l'animal, c'est que le premier est doué de liberté et donc de responsabilité. Éveiller le sens des responsabilités chez ses subordonnés c'est, pour le chef, un des moyens les plus efficaces de les rendre plus hommes.
[P433] Que d'hommes prendraient goût davantage à leur tâche si elle leur était présentée comme un service social dont ils se sentiraient responsables!
[P434] Que d'hommes aussi tendraient toutes leurs facultés pour obtenir le résultat qu'on attend d'eux s'ils sentaient que leur chef a mis en eux sa confiance!
[P435] Dans une grande usine de produits chimiques, le contremaître explique à un nouvel ouvrier comment il doit se comporter et il insiste sur les très graves accidents qui pourraient se produire s'il n'observe pas ces prescriptions. Tout cela est normal. À partir de ce moment, le contremaître peut prendre deux attitudes vis-à-vis de lui: montrer sa méfiance en lui faisant craindre le «contrôle» ou témoigner de la confiance en lui disant: «C'est précisément parce que c'est dangereux que je vous ai choisi, vous, pour cette tâche, parce que je sais que je peux compter sur vous». Cela ne supprime pas la nécessité du contrôle, mais celui-ci devient une aide bienvenue ou une constatation du devoir accompli. (A. CARRARD, op. cit.)
[P436] Un homme est d'autant plus intéressé à une tâche qu'il se sent plus capable de la faire, qu'il en comprend mieux l'utilité, et qu'il peut avoir l'occasion d'exercer son intelligence et son esprit d'initiative.
[P437] Il y a deux tendances dans le besoin d'indépendance: l'une négative, qui consiste à ne pas vouloir se soumettre à une discipline, l'autre positive, qui consiste à vouloir choisir soi-même le meilleur moyen pour arriver au but que l'on s'est donné. L'art du chef consiste par conséquent à amener ses subordonnés à trouver par eux-mêmes le meilleur moyen d'atteindre le but commun. Il doit être sous ce rapport un animateur et non un dictateur.
[P438] L'homme a toujours tendance à protester contre le travail qu'on lui impose et à être fier du travail qu'on lui confie.
[P439] Il y a deux façons de faire pour un chef: se «débarrasser» du travail désagréable et de moindre importance sur ses subordonnés, ou leur «confier» le travail qu'ils sont capables de faire. Si l'état d'esprit du chef est bon, il trouvera facilement la formule correspondante, par exemple: «Voulez-vous vous occuper de cette affaire, car je tiens à ce que ce soit bien fait». Des hommes dirigés de cette façon travailleront avec un tout autre sentiment du devoir, avec une toute autre fierté professionnelle, avec un tout autre plaisir au travail, les conditions extérieures étant par ailleurs les mêmes, que lorsqu'ils sont traités de l'autre façon.
[P440] L'idée de responsabilité ne grandit que dans la mesure où se développe en même temps le sentiment de solidarité, en vertu duquel nos actes nous suivent et que rien de ce que nous faisons n'est indifférent pour le bien de l'ensemble. C'est l'art du vrai chef de savoir éveiller ce sens de la solidarité chez tous ses subordonnés.
[P441] Imposer une parfaite entente à l'intérieur de l'équipe est souvent difficile. Le chef ne doit pas tolérer que chaque service acquière un esprit de caste et comme un patriotisme local qui le mettrait en guerre avec les autres services. Qu'il s'agisse, dans les chemins de fer, de la traction ou de l'exploitation, ou dans un état-major, du premier et du deuxième bureau, il importe que le chef fasse comprendre à tous qu'une armée, une usine, un pays forment un corps unique et vivant et que toute lutte d'un organe contre les autres serait, à la lettre, un suicide. (MAUROIS).
[P442] Le simple fait de travailler en même temps sous le même toit ne suffit pas à produire la cohésion et le sens de l'unité. Un groupe quel qu'il soit, si l'on ne veut pas qu'il s'émiette en efforts stériles et parfois contradictoires, doit devenir un organisme vivant, où chaque élément travaille en harmonie avec les autres, tous s'inspirant de la pensée du grand chef, qui se transmet, diverse en ses modes, immuable en son fond, jusqu'aux échelons les plus humbles.
[P443] Diviser le travail, c'est bien, mais il faut veiller à ce que les services n'oublient pas l'action collective, ne s'ignorent pas entre eux, collaborent avec amitié, afin qu'il n'y ait pas une mosaïque d'efforts juxtaposés, mais une action concordante et multipliée.
[P444] L'être humain est facilement porté à se mettre à son point de vue personnel pour juger toutes choses. Dans une mesure prise par un chef, facilement il ne voit que le coté vexatoire ou simplement gênant pour lui. Il ne sait pas se placer au point de vue de l'ordre général et du bien général qui a ses exigences. Il faut une certaine abnégation de soi-même pour juger les choses du point de vue de l'ensemble; mais c'est le rôle du chef de s'appliquer à faire saisir à ses subordonnés le rapport de chaque directive à la prospérité collective ou à la réalisation de la tâche commune.
[P445] L'esprit communautaire s'oppose diamétralement à l'esprit de concurrence sur lequel ont été fondées jusqu'à nos jours la vie sociale et toutes les méthodes d'éducation et d'enseignement.
L'esprit de concurrence oppose les intérêts particuliers et excite les égoïsmes. Il place l'intérêt général et le bien commun au deuxième plan. Il crée des classes. Il oppose. Il suscite les luttes sociales et les guerres.
[P446] Avant de signifier «commander», «ordonner» veut d'abord dire mettre en ordre, c'est-à-dire organiser.
[P447] Un colonel ne commande pas 3000 hommes, un chef de bataillon 1000, un capitaine 250. Le colonel commande trois bataillons, le commandant quatre compagnies, le capitaine quatre sections, le chef de section quatre escouades. Ne l'oublions pas.
Instruisons nos subordonnés directs et commandons par leur intermédiaire; surtout ne faisons pas leur métier; nous ne ferions pas le nôtre. (DE MAUD'HUY, op. cit.)
[P448] Dans la vie comme dans l'armée, le technicien passe en importance générale après l'organisateur. Un de nos généraux qui s'est fâcheusement illustré dans le passé, Bazaine, a éprouvé bien des déboires parce qu'il faisait un métier d'adjudant, qu'il allait aussi bien rectifier un tir, commander la position d'une arme ou la position d'un tireur, sans rien donner à ses généraux groupés autour de lui et qui sollicitaient, qui mendiaient presque un ordre ou une idée d'ensemble capable de nourrir leur propre action.
[P449] S'il veut être à la hauteur de sa tâche, le chef doit d'abord organiser son propre travail et trouver le temps nécessaire pour s'occuper des problèmes qui lui incombent en tant que chef, à savoir: la division du travail et la répartition judicieuse des tâches en fonction des aptitudes des différents collaborateurs, puis la coordination des mouvements en fonction de l'idée directrice à réaliser.
[P450] Pour ce qui est de l'ordre et de la méthode, le Maréchal Lyautey donne l'exemple. Pour aboutir dans une grande oeuvre, il y a de petites choses que le chef doit savoir faire lui-même. Parmi ces petites tâches journalières, il y en avait une que le Maréchal appelait «faire sa cuisine»; c'était capital quand le Maréchal faisait sa cuisine, il ne fallait pas essayer de le déranger. «Tu comprends, c'est trop important», disait-il même à l'ami qui survenait dans son bureau à pareil moment et il fallait attendre, un peu stupéfait et peut-être impatient, jusqu'à ce qu'il eut mis chaque chose exactement à sa place. Il y donnait toute son attention de façon que chaque papier, chaque lettre, chaque note fût du premier coup à l'endroit voulu, dans la «chemise» de tel de ses officiers d'État-major, dans le panier «à répondre», dans les «engagements pris» ou le dossier «à garder sous la main». Ce n'était pas une manie de bureaucrate, mais la conviction qu'un ordre réel et méthodique est à la base de toute action profonde et durable. (Patrick HEIDSIECK).
[P451] Plus la perfection d'un être croit, plus se multiplient ses organes et plus ils différencient leur effort: un organe, une fonction. C'est la loi de la division du travail dont l'inobservation entraîne la confusion.
[P452] Le travail étant clairement différencié doit être ensuite nettement réparti entre les exécutants, compte tenu des aptitudes. Il en résulte un tableau d'organisation qui fixe à chacun sa tâche, son remplaçant, ses collaborateurs, son supérieur. Un principe cher à Fayol est en effet que pour une action déterminée un agent ne doit recevoir d'ordre que d'un seul chef. Ainsi est assurée l'unité de commandement, différente de l'unité de direction, mais aussi nécessaire. La violation de cette loi est une des causes les plus ordinaires des malaises organiques, hésitations, troubles, froissements, conflits. Elle interdit donc au supérieur majeur d'agir en écartant les intermédiaires, mais elle exige également une catégorique définition des pouvoirs.
[P453] La division du travail présente certains dangers qui ne visent à rien moins qu'à détruire l'unité vivante du groupe ou de l'entreprise, et le devoir du chef doit être de ramener sans cesse les tendances centrifuges vers une coordination féconde. L'un des meilleurs moyens d'assurer cette coordination sera la conférence ou confrontation fréquente des chefs de service en présence du directeur, pour faire connaître à chacun les besoins, les difficultés, les ressources des autres, résoudre les problèmes d'intérêt commun et assurer la marche harmonieuse de l'ensemble. Pour rendre ces conférences fructueuses, il faut communiquer à l'avance à chacun, et assez tôt pour en permettre l'étude, l'ordre des questions dont on s'occupera. Ne traiter en commun que les choses intéressant tous les participants; liquider rapidement les affaires en suspens (ce qui n'est pas mûr pour une décision rapide doit être remis à l'étude en dehors du rapport); éduquer ses chefs de service à présenter leurs demandes sous une forme claire et concise, puis à proposer eux-mêmes les solutions qui leur paraissent les meilleures. La tâche du chef consistera donc à diriger ses chefs de service par des questions pour leur faire préciser leurs idées, et les amener à la solution qu'ils désirent, puis à sanctionner (éventuellement «protocoler») la décision prise.
[P454] Certes, il faut des Conseils pour permettre à un chef de créer un climat humain d'unanimité autour de certaines questions fondamentales. Il faut des Conseils pour faciliter la mise au courant mutuelle d'un certain nombre de services qui ont intérêt à se mieux comprendre pour mieux synchroniser leur effort. Il faut des Conseils; mais point trop n'en faut! Car, s'ils sont trop fréquents et comportent trop de membres, ils énervent l'initiative, ils inhibent la spontanéité, ils gaspillent les énergies.
[P455] Il y a dans tous les Conseils pour le chef un écueil à éviter, celui de trop parler. Les chefs qui parlent toujours eux-mêmes et qui ne savent pas écouter et laisser parler leurs sous-ordres ne sauront jamais exactement ce qui se passe et, ce qui est tout aussi grave, éteignent toute initiative chez leurs collaborateurs.
[P456] C'est grâce au concours de tous les services et de toutes les compétences que s'élabore le programme des réunions de Conseil. Chacun des agents interrogés sur le passé récent, pèse le présent qui l'entoure et formule l'avenir qu'il soupçonne. Lorsque à cette expérience et à ce bilan se sera ajoutée la science des spécialistes, alors, informé de tout, jugeant tout, le chef posera son acte de coordonnateur et arrêtera ses desseins.
[P457] On mesure ce que coûte ce travail. Il a exigé des participants un gros effort d'inspection et d'imagination. Il suppose que tous s'intéressent à l'entreprise et s'y donnent avec zèle, et qu'ils y sont assez stables pour en connaître le passé et les possibilités. Mais c'est de la part du chef qu'il réclame le plus de peine et de capacités: notamment la compétence, le courage d'envisager l'avenir et de lui commander, le courage aussi de se compromettre, alors que le wait and see est si facile et, par dessus tout, l'art de susciter la collaboration de ses chefs de service.
[P458] Évitez en commandant les hésitations, les fausses manoeuvres, les changements brutaux d'orientation sans raison proportionnée.
[P459] Ce sont les caprices des chefs qui font les incertitudes de l'action.
[P460] Quand un chef a su créer un climat de confiance, ses ordres et ses directives sont compris à demi-mot. En face d'une difficulté imprévue, les subordonnés devinent ce qu'il aurait fait; tout le monde garde le calme et l'optimisme.
[P461] La réunion hebdomadaire des cadres parait une excellente occasion de dresser le bilan de la vie du groupe pendant la semaine écoulée.
[P462] Au cours de ce conseil de famille, les heureux résultats sont soulignés, les erreurs relevées, dans un esprit strictement éducatif, exempt de toute polémique personnelle, empreint de sérénité, mais en recherchant toujours les causes, pour expliquer les effets. D'ailleurs les mêmes remarques reviennent sans cesse. Leur répétition à travers des cas différents finit peu à peu par frapper, convaincre les sujets les plus rebelles et se traduire, dans l'exécution, par des actes sans reproches. (POUMEYROL).
[P463] Si, pour remédier aux lenteurs inévitables de la voie hiérarchique, on use de la passerelle ou passage immédiat d'un service à l'autre, il faut que le chef supérieur l'autorise, et qu'un compte rendu lui soit fait.
[P464] Il n'y a d'action efficace qu'organisée, mais il n'y a organisation que là où il y a hiérarchie.
Tous doivent collaborer au but entrevu, mais il faut que chacun reste à sa place.
[P465] Il faut éviter à tout prix ces situations fausses, où deux associés, ayant les mêmes pouvoirs sur les mêmes hommes, comptent que l'affection, la confiance mutuelle, le souci de l'intérêt commun, le tact, rendront inutile un immédiat partage des attributions. L'illusion est de courte durée. À la gêne succèdent vite l'irritation et la brouille.
[P466] Les charges écrasantes et les qualités exceptionnelles qu'impose ou exige la fonction «capitale» font péniblement ressortir les déficiences des hommes. Limités dans le temps, dans l'espace, dans les connaissances acquises et dans les capacités, n'est-ce point une nécessité pour eux de se compléter en s'unissant à d'autres? Oui, mais à condition que tous les organes se multipliant, la faculté qui ordonne et coordonne l'ensemble reste unique.
Et c'est ainsi que tout chef s'entoure d'un état-major qui lui apporte des yeux, des mains, des jambes, des oreilles, des lèvres, des cerveaux, des mémoires et des compétences, par lesquels seront décuplés ses moyens de voir, d'écrire, d'entendre, d'étudier. Mais, sous quelque forme qu'ils se présentent, secrétaires, spécialistes-conseils, bureaux d'études, laboratoires, etc., ce ne sont que des organes ou des facultés subsidiaires de la personne unique du chef. Ils n'ont aucune autorité ordinaire, il est dangereux que le chef la leur délègue, ils ont peut-être la signature, mais ils n'ont jamais le commandement.
[P467] Fayol veut que, le chef faisant défaut, ce soit un directeur subordonné et non un officier d'état-major qui le remplace.
[P468] L'une des préoccupations dominantes du chef doit être de mettre à la place qui convient chacun des hommes dont il dispose. Trouver à chacun son emboîtement, c'est découvrir, compte tenu du bien général et de la bonne marche de l'ensemble, la situation où il pourra être répondu affirmativement à ces deux questions: Sera-t-il heureux? - Fera-t-il bien?
[P469] Comme il y a une gamme des valeurs, il y a une échelle des charges. L'essentiel est d'établir la concordance entre les exigences d'un poste et les possibilités d'un homme. Tel sera excellent chef de compagnie qui ne sera jamais un chef de régiment.
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