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Les trois actes de la Prudence (ou «Butance»): Délibérer, Juger, Commander.
«Qu'est-ce que je suis supposé faire de ma vie?»
Je ne sais pas pour vous, mais cette question continue de me hanter. Qu'est-ce que Dieu veut que je fasse? Quel est le but que je dois atteindre et quels sont les moyens que je dois choisir pour atteindre ce but?
Bien sûr, mon but ultime est de faire le bien et d'éviter le mal; bien sûr, je dois m'efforcer de devenir un saint; bien sûr, mon objectif est d'aller au paradis pour être parfaitement heureux, mais ce But ultime est trop vague. Je parle plutôt ici de buts «intermédiaires». Que devrais-je étudier? Quel travail devrais-je essayer d'obtenir ou de conserver? Devrais-je me marier ou pas? Où devrais-je vivre? Comment vais-je payer mes factures? Et ce sont-là les questions «faciles»! Il y a pire! Ma voisine et meilleure amie se meurt d'une maladie mortelle, comment puis-je prendre soin d'elle? Mon pays est sur le point de s'écrouler, comment puis-je le l'éloigner du précipice? Et même mon Église est en train de s'effondrer, alors que dois-je faire?
Comme vous pouvez le constater, je ne parle pas d'un tas inanimé de questions ici, mais d'un furieux essaim de questions qui me poursuit presque sans relâche.
Saint Thomas d'Aquin aurait probablement répondu en parlant des vertus, en particulier de la vertu cardinale de Prudence. (Je trouve cela aidant de me dire «Butance» tout bas, puisque la Prudence ordonne les Moyens appropriés pour atteindre notre But.) Quelques citations:
La prudence est bonne conseillère en ce qui concerne la totalité de la conduite et la
fin ultime de la vie humaine.
[Summa Theologiae,
Ia-IIae, q. 57, a. 4, ad 3]
la prudence est plus noble que les vertus morales et les met en mouvement.
[Summa Theologiae,
IIa-IIae, q. 47, a. 6, ad 3]
quiconque pèche agit contre la raison droite, qui est la prudence
[Summa Theologiae,
IIa-IIae, q. 53, a. 2, arg. 1]
Le péché rend difficile à comprendre quelque chose comme la Prudence.
[Summa Theologiae,
IIa-IIae, q. 53, a. 6, co.]
Je commence souvent mes articles par une «note méthodologique», comme un savant qui, avant de parler de tout ce qu'il vient de découvrir avec son microscope, rappellera au lecteur les limites de son instrument (par exemple, il ne peut pas voir des objets plus petits que ceci ou cela, il ne peut pas voir à travers des objets opaques, certains objets sont instantanément dénaturés par la lumière qu'il doit faire briller à travers l'échantillon, etc.).
Cela est particulièrement vrai pour un article sur la «Butance» ou Prudence. Premièrement, si j'avais cette vertu merveilleuse, ma vie serait bien organisée et j'aurais résolu mes problèmes et ceux de mon entourage! Deuxièmement, comme l'explique Saint Thomas, le péché rend stupide. Par conséquent, comme je suis un pécheur, je ne suis pas très doué pour comprendre des choses compliquées comme la «Butance» ou Prudence.
La troisième raison est que Saint Thomas d'Aquin ne donne qu'un bref aperçu de la vertu de Prudence. Imaginez que vous vouliez devenir un bon joueur de hockey sur glace et que vous demandiez à Saint Thomas quoi faire. Il répondrait probablement avec quelque chose comme: «Vous devez acquérir la vertu de tirer la rondelle dans le filet, et la vertu de faire des passes aux bons joueurs au bon moment, et la vertu de patiner vite», etc. Tout cela est vrai, mais rien de tout cela ne fait de vous une vedette du hockey. Aligner et étiqueter des «chaudières de connaissances» ou des «boîtes à chaussures pour classer ce que nous savons» n'est pas la même chose que d'avoir le contenu de ces chaudières et de ces boîtes à chaussures. (Mais ça aide: nous pouvons voir ce qui nous manque, et savoir où le mettre quand nous le trouvons.)
[Source]
Si vous n'y êtes pas habitué, lire du Saint Thomas donne l'impression d'être perdu dans une forêt. Mais souvent, Thomas d'Aquin ne fait que grimper à un arbre, un «Arbre de Porphyre», qui permet d'organiser les connaissances de manière à ce que tout soit propre et ordonné. (Saint Thomas d'Aquin est un maniaque de la propreté, alors il aime commencer par le début et tout mettre à sa place.)
À la question: «Qu'est-ce que la prudence?», Le singe d'Aquin pourrait grimper ainsi:
Est-ce une substance ou non? (Rappel: l'être est divisé en substance (homme, chien, rocher, etc.), ou accidents.) Non. Donc c'est un accident. Maintenant, est-ce une qualité, ou pas? (Rappel: les accidents sont la quantité, la qualité, la relation, le lieu, le temps, etc.) Oui. Donc c'est une qualité. Maintenant, est-ce une disposition stable de quelque puissance, ou pas? (Rappel: la qualité est divisée en «figure» (comme des formes géométriques), «habitus» ou dispositions stables d'une certaine puissance ou faculté, etc.) Oui. C'est donc un «habitus». Maintenant, est-ce une disposition stable qui fait faire de mauvaises choses à cette puissance? (Rappel: le vice!) Non. Donc c'est une vertu. Maintenant est-ce une vertu de la puissance appétitive, ou pas? (Rappel: nous avons des «puissances» ou des «facultés» de la raison et de la volonté, aussi connu sous le nom de puissances intellectives et appétitives.) Non. C'est donc une vertu intellectuelle. Maintenant, est-ce dans la raison spéculative, ou pas? (Rappel: nous pouvons utiliser notre raison pour rechercher des connaissances, ou pour faire quelque chose.) Non. C'est donc une vertu de l'intellect pratique. Maintenant, est-ce que c'est l'art, ou pas? (Rappel: «Faire quelque chose» signifie ordonner les moyens pour atteindre un but. «Art» en latin comprend à la fois les beaux-arts qui visent à «fabriquer» la beauté, mais aussi ce que nous appellerions «l'ingénierie» aujourd'hui, ou «arts mécaniques», comme la construction de ponts, maisons, voitures, etc. L'art est «recta ratio factibilium», ou la raison droite des «choses fabriquables», et est opposé à «recta ratio agibilium», ou la droite raison des «choses agissables».) Non. Donc la Prudence ou «Butance» est une bonne disposition stable de l'intellect pratique qui ordonne les comportements pour atteindre le but.
À ce stade de «l'arbre», il est logique de se demander: «Est-ce que Butance décide quel est le but?».
[Source]
Contrairement à ce que dit Dogbert, nous ne sommes pas des «bio-accumulateurs de douleur en chute libre vers le néant», mais des bio-chercheurs de Dieu, capables de courir vers le bonheur éternel au Ciel. Parce que nous sommes dotés d'intelligence et de volonté libre, et parce que nous ne sommes pas actuellement en possession du But Ultime (également connu sous le nom de «Bien absolu» ou «L'Être suprême», ou «Dieu»), nous devons choisir librement les bons comportements qui nous mèneront au Bonheur, notre But Ultime.
il n'appartient pas à la prudence de fournir leur fin aux vertus morales, mais
seulement d'organiser ce qui est en vue de la fin.
[Summa Theologiae,
IIa-IIae, q. 47, a. 6, co.]
les préceptes du décalogue [...] sont compris par tous comme relevant de la raison
naturelle. Or, ce qui est dicté avant tout par la raison naturelle ce sont les fins de
la vie humaine [...]. Mais la prudence ne concerne pas la fin, elle concerne ce qui est
en vue de la fin
[Summa Theologiae,
IIa-IIae, q. 56, a. 1, co.]
Nous pouvons maintenant considérer la nature réelle de la Prudence ou de la «Butance». Premièrement, elle détermine le «juste milieu» des autres vertus morales. Quel est ce «juste milieu»? Simplement l'ordonnancement des moyens qui permettront d'atteindre le but:
En effet, bien qu'atteindre le milieu soit la fin de la vertu morale, cependant
ce milieu n'est trouvé que par la droite disposition de ce qui est ordonné à la
fin.
[Summa Theologiae,
IIa-IIae, q. 47, a. 7, co.]
Ensuite, la Prudence a trois actes (voir l'image en haut de cette page Web), qu'on pourrait appeler de nos jours: la recherche sur les options disponibles, la sélection du meilleur plan d'action, et la mise en oeuvre:
Celle-ci a trois actes. Le premier est le conseil: il se rattache à l'invention, car
délibérer c'est chercher [...]. Le deuxième acte est le jugement relatif à ce qu'on a
trouvé, ce que fait la raison spéculative. Mais la raison pratique, ordonnée à l'oeuvre
effective, va plus loin et son troisième acte est de commander; cet acte-là consiste en
ce qu'on applique à la réalisation le résultat du conseil et du jugement.
[Summa Theologiae,
IIa-IIae, q. 47, a. 8, co.]
La prudence nous maintient dans un état de vigilance afin que nous puissions détecter les occasions de nous rapprocher de notre objectif, et sauter sur ces occasions [IIa-IIae, q. 47, a. 9, co.]. Cela implique malheureusement un certain manque de paix et de tranquillité dans nos vies [IIa-IIae, q. 47, a. 9, ad. 2], de sorte que la Prudence ne peut jamais totalement éliminer «le furieux essaim» mentionné dans l'introduction.
Parce que le Bien Commun de tous les hommes vaut mieux que notre bien personnel, la Prudence à proprement parler vise avant tout le Bien Commun:
Lorsque l'on cherche le bien commun de la multitude, par voie de conséquence on
cherche en outre son bien propre, pour deux raisons. La première est que le bien
propre ne peut exister sans le bien commun de la famille, de la cité ou du royaume
[...]. La seconde raison est que, l'homme étant partie de la maison et de la cité,
il doit considérer le bien qui lui convient d'après ce qui est prudent relativement
au bien de la multitude; en effet, la bonne disposition des parties se prend de
leur rapport au tout.
[Summa Theologiae,
IIa-IIae, q. 47, a. 10, ad. 2]
Je me souviens d'un vieux professeur de Logique au département de Philosophie de l'Université Laval, qui disait que l'ordre des questions pour une nouvelle science était: «An sit, quid sit, quot et quae partes». D'abord, la chose que nous étudions existe-t-elle? («An sit» en latin) Si oui, qu'est-ce que c'est? («Quid sit») Ensuite, combien de parties a-t-elle et quelles sont-elles («Quot et quae partes»). Prévisiblement, saint Thomas d'Aquin à ce stade commence à parler des parties de la Prudence.
Traditionnellement, on distingue trois types de parties: intégrale, subjective et potentielle. De nos jours, les programmeurs pourraient décrire les deux premiers comme «A-Un» et «Est-Un». Par exemple, un véhicule «A-Un» moteur, «A-Un» châssis, «A-Une» transmission, etc. (c'est-à-dire des «parties intégrales»). Pour les parties «subjectives» de «mammifère», nous pourrions dire qu'un zèbre «Est-Un» mammifère, un chien «Est-Un» mammifère, un écureuil «Est-Un» mammifère, etc. Je ne suis pas sûr de comprendre les «parties potentielles»; selon moi, elles semblent être «tout ce qui n'est pas intégral ou subjectif, mais qui est tellement relié, que nous ne pouvons pas honnêtement les appeler des parties de quelque chose d'autre»! Pour rendre les choses plus compliquées, Thomas d'Aquin parle de parties «quasi-intégrales» et «quasi-potentielles» de la Prudence. J'ai besoin d'aspirine. Pour me faciliter la vie, je vais d'abord me débarasser des parties subjectives et potentielles.
Parties subjectives
La prudence a des parties subjectives en raison de la nature du Bien Commun (social) et de ceux qui doivent collaborer pour l'atteindre (les individus). La Prudence peut donc être soit pour tous les hommes (Prudence «régnative/politique»), soit pour un homme (Prudence «monastique»), soit pour un groupe social intermédiaire (Prudence «économique», normalement pour la famille, mais même si saint Thomas ne le dit pas, j'imagine qu'il pourrait aussi considérer la «Prudence économique» comme un fourre-tout pour les autres groupes sociaux intermédiaires) [IIa-IIae, q. 47, a. 11, co.]. L'Aquinate ajoute un autre type, la Prudence «militaire», ce qui semble un peu étrange, jusqu'à ce que vous réfléchissiez à mes questions dans l'introduction («Mon pays est attaqué, que dois-je faire?» et «Mon église est également attaquée»):
la nature vise deux fins: premièrement gouverner chaque chose en elle-même,
deuxièmement résister aux attaques extérieures et aux causes de destruction. C'est pour
cette raison qu'elle a donné aux animaux non seulement la puissance concupiscible par
laquelle ils sont mus à rechercher ce qui est conforme à leur bien, mais encore la
puissance irascible par laquelle l'animal résiste à ceux qui l'attaquent. Aussi, dans
les oeuvres de la raison, n'est-il pas besoin seulement de la prudence politique par
laquelle soit convenablement disposé ce qui a rapport au bien commun, mais il faut
encore la prudence militaire, par laquelle soient repoussés les assauts ennemis.
[Summa Theologiae,
IIa-IIae, q. 50, a. 4, co.]
Parties quasi-potentielles
Je ne les pige pas encore [Summa Theologiae, IIa-IIae, q. 51, pr.] Pour moi, elles semblent des trucs-machins qui aident deux des trois actes susmentionnés de la Prudence. «Eubulia» aide le conseil, et «synésis» et «gnôme» aident le jugement (avec «gnôme» étant une sorte de «super-synésis»). Désolé. Ai-je mentionné que le péché me rend stupide?
[Source]
Quelles «parties intégrales» devons-nous regrouper pour obtenir la Prudence? Saint Thomais en nomme huit, la première et la plus importante étant la «prévoyance». Cela semble évident: si nous pouvions voir dans l'avenir, il serait si facile de choisir le bon chemin pour atteindre notre objectif! Nous serions en mesure de voir quels chemins sont des impasses, lesquels mènent au désastre, lesquels ne marchent presque pas, même avec des efforts énormes et des tonnes d'argent, et quel est le bon chemin menant à une victoire rapide et facile!
la prévoyance est principale entre toutes les parties de la prudence - car tous les
autres éléments requis à cette vertu ne sont nécessaires que pour assurer le bon
ordre de l'action à sa fin.
[Summa Theologiae,
IIa-IIae, q. 49, a. 6, ad 1]
connaître le futur à partir du présent et du passé [...] est le fait de la prudence
[Summa Theologiae,
IIa-IIae, q. 47, a. 1, co.]
Pour autant que je sache, toutes les autres parties de la Prudence sont là en vue de la prévoyance. Alors, comment pouvons-nous prédire l'avenir? Comment pouvons-nous regarder un but donné, voir la situation dans laquelle nous nous trouvons, et en quelque sorte «pré-voir», voir à l'avance ce qui se passera si nous faisons ceci ou cela? J'aimerais bien le savoir! Saint Thomas pourrait dire que la prévoyance nécessite:
- La connaissance des principes universels (règles générales décrivant comment la réalité réagit quand vous faites ceci ou cela). Ceci nécessite à son tour: - Premièrement, une vision claire des «points de départ» de votre processus de pensée [«intellectus», IIa-IIae, q. 49, a. 2, co.] - Ensuite, de solides raisonnements fondées sur ces «points de départ», pour passer du connu à inconnu [«ratio», IIa-IIae, q. 49, a. 5, co.] - aidé par vous-même [«sollertia», IIa-IIae, q. 49, a. 4, co.] - aidé par les autres [«docilité», IIa-IIae, q. 49, a. 3, co.] - aidé par l'École de l'Adversité [«mémoire», IIa-IIae, q. 49, a. 1, co.] - Ensuite, ces principes universels doivent être appliqués à votre situation particulière. Vous devez donc pouvoir détecter: - Les circonstances qui transformeraient des actions normalement appropriées en échecs [«circonspection», IIa-IIae, q. 49, a. 7, co.] - Les mauvaises personnes, ou mauvais lieux, etc., qui semblent bons, c'est-à-dire des pièges [«cautio» en latin, «prudence» en français moderne, IIa-IIae, q. 49, a. 8, co.]
Après les parties de la Prudence, saint Thomas d'Aquin décrit de nombreux vices contraires à la vertu de Prudence, certains directement opposés [Questions 53-54], certains «opposés» en étant de fausses imitations [Question 55]. Il conclut avec les «préceptes» liés à Prudence [Question 56], une autre section que je n'ai pas bien comprise.
[Source]
Si vous trouvez cet article trop long à lire, Thomas d'Aquin pourrait dire: «Souvenez-vous au moins de la Béatitude correspondant à la prudence»:
«Bienheureux les miséricordieux»
[Summa Theologiae,
IIa-IIae, q. 52, a. 4, co.]
En effet, quel est le raccourci pour atteindre LE BUT (c'est-à-dire le Paradis)? Les oeuvres de Miséricorde! La Miséricorde est un effet de la Charité, et «l'amour pousse à l'acte de la prudence» [IIa-IIae, q. 47, a. 1, ad 1]. Il y a sept oeuvres de Miséricorde corporelle et sept oeuvres de Miséricorde spirituelle (la Bible les résume souvent sous le vocable de «eleemosyna» ou «aumône»):
visito, poto, cibo, redimo, tego, colligo, condo visiter les malades, («visito» = je visite) donner à boire à ceux qui ont soif, («poto» = j'abreuve) donner à manger à ceux qui ont faim, («cibo» = j'alimente) racheter les captifs, («redimo» = je rachète) vêtir ceux qui sont nus, («tego» = je couvre) donner l'hospitalité aux étrangers, («colligo» = je recueuille) ensevelir les morts («condo» = j'enfouis) consule, castiga, solare, remitte, fer, ora donner de bons conseils, ce qui inclut «instruire les ignorants», («consule» = conseille!) exhorter les pécheurs, («castiga» = châtie!) consoler les affligés, («solare» = console!) pardonner toutes les offenses, («remitte» = remets!) supporter patiemment les injures, («fer» = supporte!) prier pour les vivants et les morts («ora» = prie!)
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