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«Ma conscience m'a dit de me faire avorter par amour pour mon enfant!»
(Pablo Picasso. Jeune fille tourmentée.
Source)
On entend souvent des gens affirmer que si on obéit à sa conscience, on agit bien. Est-ce vrai? Essayons d'examiner cette affirmation un peu plus en détail.
Si notre conscience «créait» les normes morales, alors n'importe qui pourrait faire n'importe quoi, d'abord qu'il soit «authentique» face à sa conscience. Adolf Hitler pourrait bien agir, tout en exterminant les juifs!
Le moindre effort de réflexion sur ce qu'est la conscience nous montre que, en soi, obéir à sa conscience ne suffit pas pour bien agir. De fait, une bonne définition de l'immoralité, de la perversion morale, c'est de prendre sa conscience comme une sorte de faculté qui «invente» les normes de bien et de mal:
Nous lisons dans le livre de la Genèse: «Le Seigneur Dieu fit à l'homme ce
commandement : "Tu peux manger de tous les arbres du jardin. Mais de l'arbre de la
connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu
deviendras passible de mort"
[Gn 2:16-17].
Par cette image, la Révélation enseigne que
le pouvoir de décider du bien et du mal n'appartient pas à l'homme, mais à Dieu
seul.»
[Veritatis Splendor, N° 35.
Voir aussi N° 32].
Certaines personnes, pour expliquer aux enfants ce qu'est «la conscience», utilisent des métaphores fleuries comme «la conscience, c'est une petite voix dans ton coeur qui te dit ce qu'il faut faire», ou «La conscience est le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où Sa voix se fait entendre» [Gaudium et Spes, N° 16]. Il n'y a rien de mal à employer des métaphores, d'abord qu'à un moment donné, on donne une vraie explication.
«La conscience morale est un jugement de la raison par lequel la personne humaine reconnaît la qualité morale d'un acte concret» [CÉC, N° 1778, mais voir aussi Summa Theologica, I, q. 79, a. 13].
Par exemple, en ce moment vous lisez ce texte. Vous existez non seulement biologiquement, mais aussi mentalement. Vous êtes devant ce texte, et vous savez que vous êtes devant ce texte. Vous êtes conscients de votre existence mentale. Les philosophes vous diront que vous êtes une personne. Si tout à coup vous renversez votre tasse de thé, et que vous voyez la flaque de thé se diriger vers votre ordinateur (ou votre copie papier de ce texte), vous allez réagir. Vous connaissez la règle générale: «Les ordinateurs (ou les livres en papier) sont facilement endommagés par les solutions aqueuses». Vous savez aussi que votre ordinateur coûte cher, et qu'il faut autant que possible ne pas le briser. Et bien sûr vous connaissez la règle la plus générale de l'agir: «Il faut faire le bien, et éviter le mal». Votre raison va donc appliquer ces connaissances à cette situation particulière, et votre volonté va «donner un ordre»: «VITE! Enlève l'ordinateur (ou le livre) de la table, et va chercher une guenille!». Voilà! Votre «conscience» vous a dit d'enlever votre ordinateur et d'aller chercher une guenille.
La première fois, on peut trouver ça bizarre de penser que notre «conscience morale» ne nous sert pas seulement pour des choses nobles et héroïques comme se sacrifier pour la patrie, ou préférer perdre notre emploi, plutôt que d'obéir à notre patron qui nous demande de poser un geste criminel. On peut aussi trouver ça bizarre que quelque chose d'aussi important que notre conscience morale soit en fait rien d'autre que nous-mêmes, lorsqu'on agit en tant que personne (et plus précisément l'acte de notre raison qui compare sa situation avec les connaissances morales qui y sont pertinentes).
Par contre, si on poursuit nos réflexions, on peut voir quelques liens entre les concepts un peu ternes de la philosophie, et les meilleures métaphores fleuries. En effet, en tant que personne, vous êtes incommunicable. Nul, à part Dieu, ne peut «entendre» ce qui se passe quand vous existez mentalement. C'est pourquoi on dit que votre conscience est votre «centre le plus secret».
De plus, on peut montrer que, en dernière analyse, les règles de moralité sont fondées sur Dieu. Bien sûr, normalement on n'a pas besoin de faire entrer Dieu dans l'équation pour savoir qu'il faut aller chercher une guenille (et vite!), mais en fin de compte, pour comprendre pourquoi le meurtre, le viol, le mensonge, etc., sont mauvais, il faut remonter à l'Auteur de la Loi naturelle, Dieu [Voir entre autres Summa Theologica, I-II, q. 93, a. 3]. On comprend donc mieux pourquoi les bonnes métaphores disent que la conscience est le lieu où «la voix de Dieu se fait entendre».
Qu'arrive-t-il quand notre raison utilise des connaissances erronées pour faire son jugement? Doit-on obéir à sa conscience? et si oui, est-ce qu'on agit bien quand on obéit à sa conscience erronée?
Pour répondre à ces questions, il faut d'abord se rappeler que «Bonum ex integra causa, malum ex quolibet defectu». En d'autres mots, pour que quelque chose soit bon, tout ce qui est nécessaire à cette chose doit être présent. Mais pour que cette chose soit mauvaise, il suffit d'un seul défaut essentiel, n'importe lequel.
Par exemple, pour compter un but au hockey, il faut que plusieurs conditions soient satisfaites:
- la rondelle doit traverser la ligne rouge des
buts ;
- il doit rester du temps sur le chronomètre ;
- le filet doit être sur ses amarres;
- la rondelle ne doit pas avoir été poussée délibérément avec la main ;
- et ainsi de suite.
Par contre, pour que le but soit refusé, il suffit qu'une seule de ces conditions soit incorrecte (et bien sûr, plusieurs peuvent être incorrectes en même temps).
C'est la même chose pour qu'un homme puisse bien agir. Pour agir bien, il faut obéir à sa conscience, ET il faut que notre conscience soit droite. Si on n'obéit pas à sa conscience, OU si notre conscience est dans l'erreur, on agit mal.
Prenons un exemple. Supposons qu'une infirmière tue un patient, parce qu'elle lui injecte un poison mortel. L'infirmière agit mal, mais par contre elle pourrait ne pas être coupable. Si un assassin est entré par effraction dans l'hôpital pendant la nuit, et a mis du poison dans la bouteille de médicament (de manière à ce qu'on ne puisse pas voir que la bouteille avait été trafiquée), l'infirmière ne pouvait pas savoir qu'elle injectait un poison au patient.
«La conscience erronée excuse-t-elle? Cette question dépend de ce que nous
avons dit sur l'ignorance. Car nous avons vu que l'ignorance produit parfois
l'involontaire, et parfois ne le produit pas. Et parce que le bien et le mal
moral dépendent du caractère volontaire de l'acte, il est évident que
l'ignorance qui rend un acte involontaire lui enlève sa valeur de bien et de
mal moral, mais non l'ignorance qui ne le rend pas involontaire. [...] Si la
raison ou la conscience se trompe volontairement, soit directement, soit
indirectement, par une erreur portant sur ce qu'on est tenu de savoir, une
telle erreur n'excuse pas du mal la volonté qui agit conformément à cette
raison ou conscience erronée. Mais, si l'erreur qui cause l'involontaire
provient de l'ignorance d'une circonstance quelconque, sans qu'il y ait eu
négligence, cette erreur excuse du mal.»
[Summa
Theologica, I-II, q. 19, a. 6].
Remarquez bien que même quand l'ignorance est involontaire et qu'on est exempt de culpabilité, on agit quand même mal en obéissant à sa conscience erronée: «Le mal commis à cause d'une ignorance invincible ou d'une erreur de jugement non coupable peut ne pas être imputable à la personne qui le commet ; mais, même dans ce cas, il n'en demeure pas moins un mal, un désordre par rapport à la vérité sur le bien.» [Veritatis Splendor, N° 63].
Je ne peux pas répondre complètement à cette question ici, mais je peux donner quelques indications. D'abord, comme notre conscience morale n'est rien d'autre que notre raison, les règles pour bien diriger notre raison seront aussi les règles qui nous disent comment «éclairer» notre conscience. Ainsi, d'une certaine manière, la première «lampe de poche» qui puisse commencer à «éclairer» notre conscience, c'est «Le Gant du philosophe», et la pleine lumière (humainement parlant), c'est la philosophie, plus spécifiquement l'Éthique, quatrième partie de la philosophie.
On peut prendre un cas plus concret. Prenez des jeunes qui vivent en concubinage, en refusant le mariage. Souvent, ces couples vont affirmer péremptoirement qu'il n'y a rien de mal à vivre en concubinage. Mais si vous leur demandez quelle est la définition du mariage, ou de la moralité, ou du bien et du mal, ils ne sauront pas quoi vous répondre. Et si vous leur faites remarquer que cette information existe, dans de bons livres de philosophie, souvent ils refuseront de s'informer. On peut voir, dans des cas semblables, que l'ignorance est probablement volontaire (donc elle n'excuse pas), et que ces gens ne veulent pas faire l'effort pour utiliser leur raison correctement, afin d'éclairer leur conscience.
Il y a aussi une sorte de «raccourci» pour éclairer sa conscience. Si Dieu existe, et si Dieu a fondé une Église qui transmet fidèlement Ses enseignements, alors on pourra éclairer sa conscience en écoutant docilement ce «professeur», ce Magistère. En effet, Dieu sait tout, et il connaît toutes les circonstances possibles de toutes nos vies. Si Dieu énonce une loi, comme par exemple: «Tu ne tueras pas l'homme innocent», on saura comment agir dans tous les cas où une vie innocente est en jeu. On pourra bien agir, sans pour autant être capable de refaire la longue démonstration philosophique qui explique le bien-fondé de cette loi. Ce raccourci explique en partie pourquoi de nombreuses personnes ont pu devenir des saints, sans être des philosophes chevronnés.
Strictement parlant, le simple fait d'obéir à sa conscience ne suffit pas pour bien agir, même si c'est un très bon commencement!
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