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L'Oeil était dans la chambre à coucher et regardait Trudeau

Max Ernst. La cité entière.
(Max Ernst. La cité entière. Source)

1) Explication du titre

Le titre de cet article est une double allusion. D'abord, un ancien premier ministre du Canada, Pierre Eliot Trudeau, est resté célèbre pour avoir dit que l'État n'avait pas d'affaires à se mettre le nez dans la chambre à coucher des adultes consentants.

La deuxième allusion concerne «La conscience», ce célèbre poème de Victor Hugo qui parle de la punition de Caïn, le premier meurtrier de l'histoire de l'humanité [Gn 4:8]. Même résumé, ce poème est un peu long, mais prenez le temps; il en vaut la peine!


LA CONSCIENCE

[Lorsque] Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
Comme le soir tombait, l'homme sombre arriva
Au bas d'une montagne en une grande plaine ;
Sa femme fatiguée et ses fils hors d'haleine
Lui dirent : «Couchons-nous sur la terre, et dormons.»
Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.
Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,
Il vit un oeil, tout grand ouvert dans les ténèbres,
Et qui le regardait dans l'ombre fixement.
«Je suis trop près», dit-il avec un tremblement.
Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,
Et se remit à fuir sinistre dans l'espace.

[...]

Et, comme il s'asseyait, il vit dans les cieux mornes
L'oeil à la même place au fond de l'horizon.
Alors il tressaillit en proie au noir frisson.
«Cachez-moi !» cria-t-il

[...]

Alors Tubalcaïn, père des forgerons,
Construisit une ville énorme et surhumaine.

[...]

Ils donnèrent aux murs l'épaisseur des montagnes ;
Sur la porte on grava : «Défense à Dieu d'entrer.»
Quand ils eurent fini de clore et de murer,
On mit l'aïeul au centre en une tour de pierre ;
Et lui restait lugubre et hagard. «Ô mon père !
L'oeil a-t-il disparu ?» dit en tremblant Tsilla.
Et Caïn répondit : " Non, il est toujours là.»
Alors il dit: «je veux habiter sous la terre
Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien.»
On fit donc une fosse, et Caïn dit «C'est bien !»
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre
Et qu'on eut sur son front fermé le souterrain,

L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn.

2) L'État doit respecter la vie privée des adultes consentants

Tout le monde est d'accord que, en général, l'État n'a pas d'affaires à se mettre le nez dans la chambre à coucher des adultes consentants.

Pourquoi? Il me semble que le principe général est que l'État existe pour le bien des citoyens. Or, le respect de la vie privée des citoyens est un grand bien, car il est un des éléments de la paix et de la liberté dont les citoyens ont besoin pour s'épanouir. L'État doit donc respecter la vie privée des citoyens consentants.

Par contre, je pense qu'on abuse souvent de ce principe depuis quelques années.

3) La tapisserie magique de Pierre Eliot Trudeau

Le consentement des adultes n'est pas une sorte de «tapisserie magique» qui recouvre les murs des chambres à coucher au Canada, et qui empêche les notions de bien et de mal d'y pénétrer!

Imaginons quelques exemples pour s'en convaincre:

3.1) Le tabagisme. Si tous les adultes Canadiens décidaient de se mettre à fumer dans leur chambre à coucher, cela ne changerait rien si tous étaient consentants! Les poumons des Canadiens se détérioreraient, les coûts pour le système de santé augmenteraient, l'absentéisme au travail aussi, et ainsi de suite.

3.2) L'obésité. Si tous les adultes Canadiens se mettaient à enfourner des quantités immenses de malbouffe dans leur chambre à coucher, encore là, le consentement entre adultes ne protégerait pas le Canada contre les effets sociaux néfastes d'une mauvaise alimentation généralisée.

3.3) L'abrutissement télévisuel. Si tous les adultes Canadiens décidaient d'arrêter de lire, et de s'instruire seulement au lit en regardant des émissions idiotes à la télévision, notre pays en souffrirait tôt ou tard. Entre autres, les citoyens deviendraient plus facilement manipulables par les grosses sociétés transnationales qui font les messages publicitaires, et qui décident aussi souvent du contenu des émissions.

3.4) Le suicide collectif. À la limite, on pourrait imaginer le cas d'une secte religieuse cinglée qui se propagerait à travers tout le pays, et qui réussirait à convaincre les citoyens de tous se suicider dans leur chambre à coucher (entre adultes consentants, bien sûr!).

Il me semble évident que d'un côté, l'État doit respecter la vie privée des gens, mais que d'un autre côté, l'État ne peut pas faire comme si de rien n'était, lorsque le Bien commun est menacé par des comportements privés entre adultes consentants.

4) Quel est le juste milieu entre la chambre à coucher et le Parlement?

Voilà une bonne question! Il m'apparaît raisonnable d'affirmer que:

Si une proportion suffisante d'adultes consentants adopte des comportements privés qui menacent le bien commun, et que l'État peut détecter et corriger (ou au moins atténuer) ces comportements sans enfreindre les justes limites de la vie privée des gens, alors l'État doit intervenir.

L'application de ce principe semble délicate. Par contre, l'État n'est pas impuissant, même si l'État agit «sans enfreindre les justes limites». Voir entre autres Les trois différentes sortes de pouvoir politique.

5) Conclusion

Jusqu'à maintenant, nous n'avons pas mentionné la sexualité dans cet article, même si l'affirmation de Trudeau visait spécifiquement les comportements sexuels immoraux.

Certaines personnes ont peut-être ri en lisant le point N° 3.4 ci-haut, où je parlais du cas d'une secte religieuse qui entraînait les citoyens dans un suicide collectif consensuel.

Ce cas est-il si farfelu que ça? Songez qu'en ce moment, le peuple québécois est tout bonnement en train de se suicider, avec la pilule anticonceptionnelle, l'avortement, le divorce, le concubinage, et la glorification juridique des actes homosexuels. Le «suicide» se passe en privé, entre adultes consentants, mais les résultats désastreux sont publics et peuvent être constatés par n'importe qui.

Trudeau est peut être dans sa tombe, mais l'Oeil n'a pas cessé de le regarder.

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