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Évêques fidèles, résultats dissidents

Joahim Patinir. Paysage avec saint Jérôme.
(Joahim Patinir. Paysage avec saint Jérôme. [Source])

Par James Hitchcock. Ré-édité avec permission (Voir la notice au bas de l'original anglais).

Introduction

Un jeune vir se présente pour devenir prêtre et se fait interviewer par un comité dont le président, un représentant diocésain haut-placé, lui demande «ses sentiments» concernant l'ordination des femmes. Le candidat répond que la question a été réglée par le Saint-Père. Le président réplique «On ne vous demande pas ce que le Pape pense. On veut savoir quels sont vos sentiments». Le jeune vir dit simplement qu'il accepte les enseignements de l'Église à ce sujet. On l'informe subséquemment que le comité le considère comme inapte au sacerdoce. Le candidat fait appel de la décision indirectement, mais l'évêque du diocèse répond que tous les candidats doivent être recommandés par le comité de sélection.

** Dans un autre diocèse un jeune vir, étudiant au séminaire, s'aperçoit qu'une religieuse féministe a beaucoup d'influence sur l'approbation des candidats pour l'ordination et qu'elle le considère comme «insensible aux besoins des femmes». Une fois de plus, on fait appel à l'évêque indirectement, mais celui-ci répond qu'il ne veut pas s'ingérer dans le fonctionnement du séminaire et que le candidat doit se débrouiller pour obtenir l'appui de cette religieuse s'il veut se faire ordonner.

** Dans deux diocèses les évêques embauchent des rédacteurs-en-chef laïcs pour leurs journaux diocésains -- des hommes reconnus pour leurs positions conservatrices dans les affaires de l'Église. Mais alors que les nouveaux rédacteurs-en-chef essaient de mieux aligner leurs journaux respectifs avec les enseignements officiels de l'Église, l'opposition grandit, et bientôt les deux perdent leurs postes.

** Deux diocèses introduisent des cours d'éducation sexuelle qui ne respectent pas les enseignements de l'Église sur des points importants, ce qui entraîne des protestations des parents. Dans les deux cas les nouveaux évêques donnent aux directeurs de ces programmes des promotions, et les élèvent à des postes encore plus importants dans la hiérarchie locale.

** Une femme laïque est nommée «ministre pastoral» dans une paroisse où il n'y a pas de prêtre. Bientôt, elle commence à porter des vêtements sacerdotaux en dirigeant des services de Communion et annonce publiquement son désire de se faire ordonner.

** Un évêque publie une lettre pastorale sur l'état des femmes dans l'Église qui, sans aller jusqu'à demander l'ordination des femmes, utilise une approche féministe qui décrit les femmes comme étant systématiquement opprimées autant par l'Église que par la Société.

** Un évêque nomme, comme représentant principal de son diocèse concernant les «questions féminines», une femme reconnue pour être contre les enseignements de l'Église non seulement concernant l'ordination des femmes, mais aussi sur divers aspects de la morale sexuelle. Elle parle ouvertement du fait qu'elle a «éclairé» des prêtres locaux à ce sujet. Les plaintes à l'évêque ne donnent rien.

De simples questions d'opinion?

Des exemples bien pires pourraient être rassemblés, montrant l'état précaire du catholicisme aux USA. Ce qui rend ces exemples particulièrement importants est que dans chaque cas, les problèmes se sont produit sous des évêques bien connus pour être des «conservateurs» et identifiés comme faisant parti de la «contre-réforme» ou la «restauration» de Jean-Paul II.

On a souvent souligné le fait que les termes «libéral» et «conservateur» sont inadéquats pour décrire les questions ecclésiales, mais ils sont devenus si commodes que, si on les définit correctement, ils sont bien pratiques pour signifier les divisions qui rongent l'Église. Néanmoins la manière désinvolte, avec laquelle on accepte ces divisions, devrait elle-même nous choquer, car elle montre bien comment des questions de croyances fondamentales ont été reléguées à la catégorie de simples opinions partisanes, à propos desquelles les catholiques pourraient légitimement adopter des positions différentes.

Avec quelques rares exceptions, les évêques «conservateurs» n'en demandent pas plus que le stricte minimum exigé par les enseignements ou les politiques officielles de l'Église. Presque tous permettent les servantes de messe dans leurs diocèses, et certains le faisaient même avant que Rome autorise cette pratique. Presque aucun n'est attaché au rite Latin de la messe.

Adopter les termes «libéral» et «consevateur» -- même pour les évêques -- donne, en effet, une légitimité aux positions qui divergent activement d'un ou l'autre enseignement officiel de l'Église. Ces enseignements sont réduits à de simples opinions ou questions de goût, presque à des questions de tempérament -- «certaines personnes s'adaptent plus rapidement que d'autres et sont plus à l'aise avec le changement», etc.

Même si cela n'a pas été reconnu, les racines du libéralisme parmi les évêques des USA datent en fait de la période qui suit immédiatement le deuxième Concile du Vatican, pendant que des géants épiscopaux légendaires comme le Cardinal Francis I. Spellman de New York étaient encore en poste. Avec quelques exceptions, ces prélats eux-mêmes ont montré des signes de confusion post-conciliaire. Souvent ils ne faisaient pas grand chose pour clarifier cette confusion, ou ils agissaient de manière apparamment capricieuse et incohérente, imposant des peines sévères pour certaines déviations, tout en tolérant insipidement des choses bien pires.

Le Concile et la crise

Le grand échec de la génération plus vieille des évêques a été le fait qu'ils n'ont pas réussi à contrôler le processus d'éducation post-conciliaire. Partout aux USA des interprètes du «renouveau» sont apparus pour tordre la signification du Concile de bien des manières, un processus qui n'a fait qu'empirer avec le temps. Rares fûrent les évêques qui tentèrent -- même dans leur propre diocèse, encore moins nationalement -- d'établir un programme authentique d'éducation dans la «nouvelle Église».

Le résultat fût que, durant les décennies qui suivirent, les clercs de l'Église à tous les niveaux -- des évêques eux-mêmes aux professeurs de maternelle -- ont été systématiquement entraînés à accepter une vision du «renouveau» qui déviait de plus en plus des enseignements officiels et des textes mêmes du Concile. Dès 1975, et même peut-être avant, l'Église aux USA avait perdu peut-être la majorité de ses «gestionnaires de niveau intermédiaire», car ils succombaient à des degrées plus ou moins élevés de dissension, alors que la plupart des évêques regardaient passivement et même avec approbation.

La tempête d'opposition qui a suivi l'encyclique sur la pilule anti-conceptionnelle Humanae Vitae en 1968 a été un moment critique, pour lequel on a malheureusement manqué des occasions en or. Apparemment, à ce moment, les évêques des USA ont pris une décision de groupe de ne pas essayer systématiquement d'éduquer les gens à propos des enseignements de l'encyclique, et la dissidence a donc acquis une grande crédibilité. (Toute cette question a été habilement exploitée par certains théologiens précisément parce qu'elle avait une pertinence directe pour la plupart des laïcs).

Le gros bon sens aurait dicté que, devant une dissidence généralisée des enseignements officiels, les évêques auraient fait des efforts pour dénicher les «purs et durs» qui acceptaient ces enseignements, qu'ils soient prêtres ou laïcs, pour ensuite les encourager de toutes les manières possibles, et utiliser ce noyeau comme une base à partir de laquelle ils auraient pu rejoindre les autres. Mais les évêques des USA ont apparemment décidé à ce moment d'ignorer ces gens, qui ont rapidement été abandonnés à leurs propres moyens. Tous les efforts pastoraux ont plutôt été dirigés vers les dissidents. Par contre, le but de ses efforts pastoraux n'était pas de ramener les brebis perdues mais de ré-examiner le concept même d'être «perdu», créant la possibilité que les brebis perdues étaient en fait les nouveaux chefs du troupeau.

En décidant de ne pas appuyer Humanae Vitae sauf du bout des lèvres, les évêques des USA ont commis la même erreur stratégique qui a perdu le Protestantisme libéral. Pendant plus d'un siècle, le Protestantisme libéral a continuellement abandonné des positions chrétiennes perçues comme étant impossibles à tenir par une époque historique particulière, supposément pour mieux défendre le coeur de la Foi. Mais à chaque génération, on demande de plus en plus de telles capitulations, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien, et que la capitulation en elle-même devienne l'attente principale que les libéraux doivent satisfaire.

Donc en capitulant sur le contrôle des naissances, les évêques de 1968 pensaient probablement qu'ils préservaient leur crédibilité pour les autres dossiers. Mais inévitablement il y a eu une érosion de chaque position morale nettement catholique. Finalement, en 1995, un sondage a montré qu'une majorité de catholiques n'acceptent pas l'enseignement de l'Église sur la Présence réelle du Christ dans l'Eucharistie. La stratégie de tolérer la dissension sélective ne peut qu'avoir de tels résultats, et la zone de dissension ne peut que s'agrandir.

Le renouveau-fantôme

Dans un épisode qui demeure mystérieux, durant la plus grande partie des années 1970, le Saint-Siège a nommé des évêques aux USA qui au minimum toléraient la dissidence, et dans certains cas y étaient personnellement sympathiques. Ce genre de nominations a continué plusieurs années après le début du pontificat de Jean-Paul II.

Commençant à peu près en 1980, ce pattern a semblé être renversé, alors qu'on faisait savoir que les hommes élevés à l'épiscopat étaient fidèles, solides, et chargés de rescaper le vrai catholicisme du quasi-chaos du «renouveau» frauduleux. Les conservateurs ont été portés par ce vent d'optimisme pour une grande partie de cette décennie, et c'est seulement vers la fin des années 1980 que les gens bien informés ont commencé à se rendre compte que, pour une raison ou une autre, la contre-réforme promise ne se produisait pas.

Dans des diocèses où un évêque conservateur succédait à un prédécesseur conservateur, il n'y a pas eu beaucoup de problèmes. Toutefois, de tels cas fûrent rares, car durant les années 1970 c'était une politique claire du Vatican de remplacer des évêques conservateurs par des libéraux. Donc, les seuls diocèses solidement conservateurs sont ceux dont les ordinaires se sont adonnées à être en poste avant les années 1970 jusqu'à la fin des années 1980.

Dans la plupart des diocèses, donc, les évêques conservateurs ont suivi des évêques qui étaient soit libéraux eux-mêmes, ou qui toléraient le libéralisme, et dans peut-être la majorité de ces cas les nouveaux évêques conservateurs n'ont pas sérieusement dérangé la situation qu'ils ont hérité.

Les dangers d'agir trop prudemment

La dynamique d'un tel processus est facile à comprendre. Quelles que soient ses intentions, un nouvel évêque découvre rapidement jusqu'à quel point les libéraux contrôlent l'appareil diocésain -- le bureau des écoles, le sénat des prêtres, le bureau de la justice sociale, et d'autres bureaux -- et il se rend compte que de déloger de tels gens ne sera pas une mince affaire, et que ça va être désagréable.

Il prend donc la résolution d'agir lentement, jusqu'à temps qu'il ait une bonne compréhension de la situation, qu'il connaisse bien son personnel, et conçoive une stratégie efficace. Très rapidement il se fait pousser dans le dos par les conservateurs, surtout les laïcs, concernant les abus, mais il refuse même d'admettre l'existence de tels abus, tant qu'il n'aura pas moyen de les corriger.

Mais le temps passe vite. Bientôt, l'évêque se rend compte que, alors qu'il avait pris possession de son siège épiscopal avec une certaine crainte concernant les problèmes qu'il aurait à faire face, son mandat a été en fait agréable. À un moment donné, le Chancellier va peut-être dire quelque chose comme: «Franchement, Monseigneur, il y a des gens ici qui s'attendaient au pire lorsque vous êtes arrivé, mais tout le monde a été heureusement surpris. Vous avez confondu vos critiques».

Étant donné de tels renforcements, il faudrait un évêque vraiment déterminé pour aller de l'avant avec les changement radicaux qui sont nécessaires pour un renouveau authentique. Les hommes sont capables de se trouver une infinité d'excuses pour remettre à plus tard des tâches désagréables, et l'évêque se dit qu'il doit avoir la liberté d'accomplir sa mission à sa manière et en son temps.

Pendant ce temps, par contre, les conservateurs dans le diocèse, qui ont peut-être toujours manqué de réalisme dans leurs attentes, deviennent de plus en plus impatients. Par nécessité, étant donné qu'il ne veut pas agir, l'évêque se retrouve dans la position où il défend des choses qu'il sait être indéfendables. Il se retrouve aussi dans la position où il est devient agacé par les gens qui ne semblent pas comprendre ses problèmes et qui veulent qu'il agisse instantanément. À un moment donné, son Chancellier va peut-être sourire ironiquement et susurrer: «Maintenant vous voyez, Monseigneur, tout ce qu'on a dû endurer de ces gens pendant toutes ces années».

Petit à petit, par un processus qui est, en gros, inconscient jusqu'à temps qu'il soit presque terminé, l'évêque est recruté comme allié par les gens mêmes dont il était supposé corriger les abus. À moins qu'il soit cynique, il ne peut pas continuer à défendre les choses qu'il sait être mauvaises, donc il finit par se convaincre que les supposés abus ne sont pas des abus après tout, et que tous les problèmes dans le diocèse sont causés par «les gens qui n'acceptent pas les réformes de Vatican II». Pour autant que l'évêque conserve de vagues remords concernant son incapacité d'agir là où il fallait agir, son malaise est projeté sur les conservateurs qui le critiquent.

La stratégie d'attendre une intervalle décente de temps avant d'agir peut se défendre. Mais il est bon de noter que cela ne cadre pas avec les pratiques établies dans le gouvernement et l'industrie, où chaque nouveau cadre supérieur a ses «cent jours» ou sa «lune de miel», durant laquelle il fait ses changements radicaux de personnel de manière à installer des gens qui vont accepter son ordre du jour. Un administrateur qui renouvelle les mandats de subordonnés, qu'on soupçonne être incompatibles avec ses propres objectifs, se fait rarement respecter. Au contraire, son inaction est perçue correctement comme une faiblesse, et ses subordonnés commencent à réagir en conséquence.

Les évêques libéraux nommés durant les années 1970 se comportaient invariablement ainsi, remplaçant les conservateurs aux services diocésains avec leurs propres hommes. Mais plusieurs évêques conservateurs n'ont pas jugé bon de faire la même chose, présumément parce qu'ils croyaient que la continuité administrative assurerait la paix dans le diocèse. Les anciennes politiques ont donc continué, presque sans modifications, sous le nouveau régime (Dans un diocèse où un évêque conservateur avait renouvelé le mandat du vicaire général de son prédécesseur, un prêtre des lieux remarquait: «Tout le monde sait qu'il est bien plus dangereux d'offenser le vicaire général que d'offenser l'évêque».)

Le clericalisme à la hausse

Tout ceci est incompréhensible à moins de voir un fait qui a été systématiquement voilé pendant trois décennies: l'Église post-conciliaire est plus cléricale qu'elle ne l'était, pas moins.

De bien des manières, le cléricalisme de l'Église pré-conciliaire était tempéré par le légalisme même que les libéraux dénoncent -- les prêtres et les évêques avaient une autorité qui était soigneusement circonscrite par le Droit canon, et ils n'avaient pas la liberté, la plupart du temps, d'agir selon leurs caprices. Au contraire, dans l'Église «ouverte» et anti-légaliste, les clercs peuvent souvent imposer leurs propres théologies, leurs propres liturgies, leurs propres moralités, leurs propres ecclésiologies, sur des paroisses sans défenses, puisque qu'il n'y a pas moyen de déterminer l'authenticité du renouveau, ni de moyen efficace pour contraindre les prêtres à se conformer au Droit canon. L'Église est aussi plus cléricale parce qu'un grand nombre de personnes laïques ont été dans les faits introduits dans les rangs du clergé, en tant que bureaucrates diocésains ou paroissiaux.

Une des grandes erreurs faites même par les «vieux» évêques de la période conciliaire a été d'accepter la notion de professionnalisme presque sans discussion. Ainsi on peut faire taire les évêques en leur rappelant qu'ils n'ont pas les diplômes professionnels pour juger du travail des professeurs, des canonistes, ou des liturgistes. Tôt après le concile, ces professionnels se sont organisés en corporations nationales qui en fait ont controlé la discussion. Dans plusieurs diocèses il y a une parade sans fin de discours et d'ateliers dans lesquels des «experts» accrédités sont importés pour parler aux gens des lieux. Normalement l'évêque, même s'il est conservateur, fait au moins une apparition symbolique à de tels rassemblements et leur donne sa bénédiction formelle. Il tente rarement de les arrêter ou même de les encadrer sérieusement.

Lorsqu'ils admettent l'évidence que les catholiques rejettent à grande échelle les enseignements officiels, les évêques pointent habituellement du doigt la culture sécularisée comme étant la cause (pour la diminution des vocations religieuses, par exemple). Ils reconnaissent rarement que les organes officiels de l'Église -- les écoles, la presse catholique, les conférences parrainées officiellement, même la chaire du prédicateur -- ont été les canaux les plus efficaces pour répandre la dissension. Depuis le Concile, les catholiques ont été, d'une certaine manière, reprogrammés pour croire à une nouvelle foi. Et les répétitions formelles des enseignements officiels n'ont pas fait grand chose contre ce nouveau programme.

Les évêques jugent que leurs pouvoirs disciplinaires ne peuvent être exercés globalement, et il y a des organismes pour lesquelles ils n'ont que peu de contrôle, comme les universités catholiques. Mais, à part imposer des punitions aux dissidents, les évêques peuvent au moins les contredire publiquement, une chose qu'ils font rarement. Alors même si l'université catholique locale est un centre de dissidence organisée, l'évêque participe presque toujours à ses cérémonies publiques officielles, où il exprime invariablement sa gratitude pour un tel centre vibrant de savoir catholique. Les catholiques qui se demandent si ce que ces canaux disent est l'enseignement authentique de l'Église seront rarement éclairés par l'évêque. Selon toutes les apparences, l'évêque et les dissidents partagent la même foi.

Au contraire, une «voix laïque» n'existe pas, puisque les laïcs sont souvent divisés d'une douzaine de manières différentes. Même si cette «voix laïque» existait, elle n'aurait pas de moyen établi pour exprimer son opinion.

Ainsi, lorsqu'un nouvel évêque arrive dans un diocèse, il sait déjà qu'il n'a pas besoin de s'inquiéter des laïques lésés, alors qu'il doit ménager les sentiments des prêtres ou des communautés religieuses dans le diocèse. En pratique, quand vient le temps pour l'évêque de formuler ses politiques administratives, de tels groupes sont l'Église. Pour le redire différemment, les évêques autoritaires pré-conciliaires avaient la liberté de ne pas tenir compte des sensibilités des clercs ou des religieux s'il le voulait, alors que les évêques modernes ne le peuvent pas. Dans les deux cas, les laïcs n'ont pas voix au chapitre, pas plus qu'un prêtre ou un religieux qui est hors du «courant principal» de l'organisme clérical local.

Le compromis non-dit

Ce que les évêques craignent n'est pas clair. Parfois ils se sentent probablement contraints par la rareté du personnel; les prêtres et les religieux sont rares, et l'évêque ne peut pas se permettre d'offenser ceux qu'il a. Mais c'est là un problème qui s'auto-perpétue car, comme on l'a noté ci-haut, les jeunes hommes conservateurs sont détournés ou parfois carrément empêchés de devenir prêtres par la bureaucratie diocésaine existante.

D'une certaine manière, un diocèse libéral présidé par un évêque ayant une réputation de conservateur est meilleur pour la cause libérale que d'avoir un évêque libéral, puisque l'évêque conservateur donne un vernis de respectabilité aux politiques libérales. Les laïcs qui se plaignent peuvent être repoussés du revers de la main encore plus facilement, sous prétexte que «même notre évêque conservateur ne les rend pas heureux». Souvent il y a un compromis secret: l'évêque dit des choses d'une orthodoxie inspirante durant des événements publiques, au moment même où les politiques diocésaines vont dans des directions tout-à-fait différentes.

Les laïcs conservateurs se retrouvent devant la tâche quasi-impossible de défendre l'orthodoxie dans un diocèse libéral, précisément parce que ce qu'ils disent est considéré comme une opinion parmi d'autres. Même si le Pape et l'évêque peuvent énoncer clairement des enseignements orthodoxes, dans les situations concrètes l'évêque se permet rarement d'identifier les déviations de cette orthodoxie. Ainsi, les laïcs conservateurs qui protestent contre les pratiques diocésaines sont presque inévitablement perçus comme des détraqués, puisque l'évêque lui-même ne reconnait pas publiquement les abus que les laïcs voient.

Les alliés dans les médias

Malgré leurs belles paroles à propos du «pluralisme», les libéraux comprennent bien qu'une église divisée ne peut tenir. Ceci explique pourquoi, partout où ils ont le pouvoir, ils travaillent sans relâche à marginaliser les conservateurs, un travail aidé parfois par les évêques conservateurs.

Les médias sont indispensables aux succès de la stratégie libérale. Avant même la fin du Concile, les libéraux utilisaient l'appétit insatiable des médias pour les controverses religieuses, leur mentalité uniformément libérale, leur promptitude à publiciser les conflits internes de l'Église de manière à forcer la main des évêques. Cette stratégie dure sans interruption depuis trente ans, au point où la menace des médias hostiles n'a souvent même pas besoin d'être prononcée: tout le monde en est pleinement conscient, tout le temps.

Les évêques reconnus pour leur autoritarisme dur ont, peu après le Concile, été intimidés et forcés à se taire par l'expérience inhabituelle de se faire ridiculiser dans les médias. Ce fut une leçon que la prochaine génération d'évêques a trop bien apprise. Souvent, les évêques semblent maintenant motivés surtout par la peur de la publicité négative si, par exemple, un tel bureaucrate-clé du diocèse est remplacé.

Les journalistes séculiers conservateurs ont cyniquement inventé le «Nouveau et bizarre prix pour le respect humain», qui est décerné par les médias aux hommes publiques conservateurs qui sont les plus enclins à trahir leur principes. Tout évêque, qu'il tente de gagner ou non ce prix, sait qu'il existe. (Ainsi un évêque qui avait une réputation nationale pour être conservateur avant d'être nommé à son nouveau diocèse, se fait encenser régulièrement par les médias locaux, pendant même qu'il coopère activement à présenter les catholiques conservateurs comme des fanatiques déséquilibrés.)

Il y a d'autres éléments dans la culture des USA, entre autres l'attente qu'on a que les évêques et autres «chefs de la communauté» vont être des gens affables qui vont «bien s'intégrer» sur la scène locale, qui vient renforcer la tendance humaine naturelle d'éviter les décisions pénibles. Les conditions particulières dans un diocèse donné ont le même effet.

Sans doute, le Saint-Siège a parfois été déçu par l'inaction des gens qu'il avait nommé. Toutefois, il n'est pas possible de comprendre le phénomène de l'évêque inactif, sans comprendre la part de responsabilité du Vatican.

Le rôle du Vatican

On peut presque dire que les Italiens ont inventé la diplomatie. Ce fut un art qui a été parachevé durant la Renaissance, et la papauté elle-même le pratiquait plus habilement que tous. Cette tradition vénérable s'est perpétuée jusqu'à nos jours, et malgré le fait qu'elle est parfois dénoncée par les libéraux comme étant une forme de contrôle centralisé, elle déssert souvent les intérêts libéraux dans l'Église.

L'art de la diplomatie peut être défini simplement comme la tentative d'atteindre ses propres objectifs par la manipulation habile de ses adversaires, grâce à des stratégies que ces adversaires ne comprennent souvent pas jusqu'au moment où elles se réalisent. Mais si la guerre est la continuation de la diplomatie par d'autres moyens, alors la fréquence des guerres dans l'histoire humaine montre comment la diplomatie échoue souvent.

La diplomatie tend à être particulièrement inefficace dans des situations où l'idéologie règne, où les gens qui s'affrontent ont des croyances qu'ils considèrent des questions de principe et pour lesquelles ils ont des convictions profondes, où ils ne voient rien de moins que le bien-être du monde entier comme étant en jeu. Voilà exactement la situation actuelle dans l'Église aujourd'hui, qui implique des groupes ayant des désaccords profonds concernant la moralité, la doctrine, et la nature même de l'Église.

Au cours des siècles, le Saint-Siège a souvent dû recourir à la diplomatie parce qu'il n'avait pas de pouvoir militaire et politique. («Combien de divisions armées le Pape possède-t-il?») Une telle diplomatie devait même être utilisée à l'interne dans l'Église, lorsque des gouvernements séculiers exerçaient une forte influence sur les nominations d'évêques, par exemple.

Il est donc ironique, et décourageant, que dans notre ère démocratique moderne, alors que l'Église profite des bénédictions d'une indépendance complète du contrôle politique, une telle diplomatie semble encore nécessaire, qui plus est pour des questions strictement internes à l'Église. Il semble, par exemple, que le Pape n'est pas libre de simplement nommer l'évêque qu'il considère comme approprié, mais qu'il faut suivre un processus complexe de consultations, de freins et contrepoids, après quoi les candidats qui réussissent sont souvent des gens qui n'ont pas d'ennemis haut-placés.

Le Saint-Siège semble maintenant traiter les conférences épiscopales nationales, et les nombreux ordres religieux, presque comme des puissances étrangères. Une rectitude scrupuleuse est observée en tout temps, le verbiage formel cache à peine les désaccords, et par-dessus tout, on évite les «incidents» potentiels. Les catholiques conservateurs ne peuvent pas être encouragés à défendre l'orthodoxie au niveau local, tout comme les gouvernements ne peuvent pas permettre à leurs ressortissants, habitant dans des pays étrangers, de violer les lois locales. (Ainsi, les libéraux se sont plaints amèrement pendant dix ans du fait que le Saint-Siège semblait porter une attention au plaintes des catholiques conservateurs des USA -- et depuis ce temps le Saint-Siège semble avoir cessé d'écouter les plaintes de ces conservateurs.)

Cette pratique endémique de la diplomatie à l'interieur de l'Église n'a pas donné grand chose. Les abus ont souvent été tolérés, non pour la cause de l'unité, mais seulement pour l'apparence de l'unité, qui est rapidement devenu un but en soi.

Sauver les apparences

Alors que le Vatican a commencé à nommer des évêques apparemment plus conservateurs après 1980, il semble aussi s'être développé un profil de l'évêque idéal qui cadre bien avec la majorité des nominations de Jean-Paul II -- des gens personnellement orthodoxes et pieux, mais avec une approche feutrée, prudente et qui évite les confrontations. On peut déduire que la stratégie du Vatican pour réformer les diocèses est de nommer des évêques qui vont agir tellement prudemment et habilement que le changement va survenir à un moment donné -- sans même que les gens s'en rendent compte. Les éléments libéraux retranchés ne résisteront pas, et les médias ne s'ingéreront pas, parce qu'ils ne comprendront même pas ce qui se passe.

Mais dans un environnement qui baigne dans l'idéologie, un tel scénario ne peut pas se réaliser. Les libéraux détectent rapidement même des petits pas «en arrière» faits par leur évêque, et ils le mettent à l'épreuve sans cesse en mettant de l'avant leur ordre du jour, pour qu'il soit obligé de les confronter ou de capituler. Même si ce n'était pas le cas, la stratégie de réforme sans douleur, sans controverse, presque incognito est une stratégie que même le diplomate le plus génial aurait peine à réaliser.

Ainsi les évêques conservateurs, qui finissent par décevoir dans leurs diocèses, déçoivent précisément parce qu'ils ont été choisis par le Saint-Siège pour certaines qualités personnelles, qui rendaient inévitable un tel dénouement. L'ancienne maxime, «suaviter in modo, fortiter in re» -- «Doucement pour la manière, mais fermement pour la substance», dégénère facilement en une obsession pour la «manière», au détriment de la «substance».

Une fois nommé, un évêque conservateur trouve d'autres obstacles à part ceux dans son diocèse. Malgré quinze ans (en 1995) de nominations épiscopales par Jean-Paul II, la Conférence nationale des évêques catholiques des USA (le NCCB) demeure une entité essentiellement libérale, dans laquelle les conservateurs déterminés ont de la difficulté à retarder les défaites graves, encore moins à gagner des victoires d'importance. Une fois de plus il faut un homme particulièrement résolu pour accepter le statut de minorité à l'intérieur d'une entité qui place une grande importance sur l'esprit d'appartenance. Un nouvel évêque va probablement découvrir rapidement qu'il va toujours perdre, à moins de modérer ses positions substantiellement.

Les considérations qui dictent une telle modération ne sont pas insignifiantes, ce pourquoi le Saint-Siège lui-même semble les estimer grandement. La mauvaise publicité n'aide jamais l'Église, surtout lorsqu'elle concerne des divisions internes amères. Idéalement, l'évêque devrait avoir le respect et la loyauté de tout son diocèse, et ne pas être un foyer de controverse. L'esprit de collégialité dicte que le NCCB ne peut pas être simplement ignoré.

Mais un chercheur séculier et objectif qui étudie le catholicisme doit conclure que peu de religions dans l'histoire mondiale ont placé plus d'importance que l'Église catholique sur la pureté doctrinale, la rectitude de la liturgie, et l'authenticité des enseignements moraux. Comme quelqu'un le faisait remarquer, la tradition Anglicane a été de tolérer un degré presque infini de diversité liturgique et doctrinale afin d'éviter le schisme, alors que la tradition catholique a été presque le contraire.

Si, à presque tous les moments de l'histoire de l'Église, une préoccupation pour l'orthodoxie a été d'une importance suprême, l'Église contemporaine donne presque des frissons d'horreur, précisément à cause de l'absence d'une telle préoccupation. Aux niveaux diocésain et national on peut soulever des questions sur la stratégie pastorale, la compétence administrative, la faisabilité économique, la conscientisation des sensibilités humaines concernant l'injustice, et bien d'autres choses, mais jamais l'orthodoxie. Même le mot, et son opposé -- «hérésie» -- est rarement prononcé, et même les évêques conservateurs donnent l'impression qu'ils ont honte d'être surpris à penser à de tels mots. (Ainsi des gens hétérodoxes sont parfois déplacés de postes délicats, en donnant des raisons que tout le monde sait être fallacieuses, et ceci entraîne encore plus de récriminations.)

Souvent, l'inaction épiscopale devant les abus manifestes est expliquée par le principe de la collégialité -- même si l'évêque veut agir, il ne peut supposément pas le faire unilatéralement, mais seulement par concensus. Mais l'ineptie de cette explication peut être exposé en applicant le test du Ku Klux Klan -- si un comité de prêtres, par exemple, était contrôlé par des racistes agissant à découvert, l'évêque agirait fermement et rapidement, sans aucune considération pour le protocole. Lorsque l'évêque décide de ne pas agir de cette façon, c'est qu'il ne croit pas que le dossier soit suffisamment important (pureté doctrinale, rectitude liturgique, fidélité au Saint-Siège).

La prudence héroïque?

La vertu cardinale des évêques des USA semble ces jours-ci d'être la prudence, qui est une vertu légitime mais, devrait-on remarquer, une vertu qui n'existe qu'en relation avec d'autres vertus. (Comme le poète Roy Campbell disait à propos du néo-classicisme en littérature: «Je vois bien la bride et le mors, mais où est le verrat de cheval?») La prudence (ou «butance» selon un néologisme plus parlant) cherche à atteindre des buts d'une manière qui ne nuit pas aux autres vertus. Elle n'est pas un simple synonyme de «caution» en anglais.

Dans toute l'histoire de l'Église, probablement qu'il n'y a pas un seul saint qui a été canonisé pour sa vertu de prudence, et plusieurs (d'un point de vue humain) étaient assez imprudents. Ceci s'applique aux évêques canonisés, dont plusieurs sont morts martyrs, et presque tous ont été impliqués dans diverses sortes de conflits graves. (Lorsque saint Charles Borromé a commencé à reformer le diocèse de Milan, les moines d'un certain monastère ont réellement embauché un assassin qui a tiré sur l'évêque durant l'office de Vêpres.)

Selon la logique de la prudence telle qu'on la comprend aujourd'hui, l'Église n'aurait pas dû canoniser John Fisher le seul évêque qui a tenu tête à Henri VIII, mais au contraire Stephen Gardiner et Cuthbert Tunstall -- des hommes qui, même s'ils avaient quand même certains principes, ont réussi à survivre aux changements ecclésiastiques de trois règnes. (Même si la plupart des gens savent que tous les évêques, sauf un, ont plié devant Henri VIII en 1534, peu savent que en 1559 aucun évêque Anglais n'a cédé devant Élizabeth I, et tous furent démis de leur fonctions, incluant Tunstall -- un fait qui montre bien qu'on peut réformer complètement toute une hiérarchie épiscopale nationale.)

Les évêques d'aujourd'hui se sentent peut-être découragés, lorsqu'on leur demande de corriger les abus qui perdurent depuis trois décennies, et dont on peut souvent retracer la cause précisément dans la génération d'évêques soi-disant forts au moment du Concile. Mais ceci ne fait qu'illustrer un principe bien connu: tout problème, que ce soit une défaillance morale ou un toit qui coule, ne fait qu'empirer si on ne s'en occupe pas. Malgré la prétention qu'il est un Pape rigide et contre-réformateur, ces problèmes sont de nos jours plus difficiles à résoudre que lorsque Jean-Paul II a été élevé au trône papal, et ils ne vont qu'empirer s'ils ne sont pas réglés.

Un journal a dit d'un évêque des USA qu'il avait provoqué plus de controverses durant sa première année en poste que son prédécesseur l'avait fait durant vingt ans. Même si nulconque devrait désirer la controverse pour elle-même, la triste réalité de la situation fait que de telles choses seront dites de tout évêque qui essaie sincèrement d'accomplir son mandat divin.

(c) James Hitchcock

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