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Vite! Il faut bloquer ce bêta!
Imaginez l'inventeur de la roue en train d'essayer de construire la première roue de l'histoire de l'humanité. Que serait-il arrivé si, à chaque fois qu'il avait essayé de se mettre au travail, un bêta l'avait interrompu en disant: «Mais pourquoi perds-tu ton temps avec ces gros morceaux de bois en forme de pizza? Il suffit de pousser sur le mammouth que tu viens d'abattre, pour le ramener chez toi! Es-tu trop paresseux pour pousser? Ou trop idiot pour savoir le chemin pour retourner à ta caverne?»
Même si notre inventeur avait patiemment pris le temps d'expliquer à ce bêta les concepts de friction, de roulement et d'économie d'énergie, un autre bêta aurait pu arriver tout de suite après et lui aussi, l'empêcher de travailler. À la limite, avec suffisament de bêtas, la roue n'aurait jamais été inventée!
À un moment donné, pour que la civilisation puisse se développer, il faut bloquer les bêtas.
La roue est inventée, et nous ne vivons plus dans les cavernes. Par contre, encore de nos jours nous devons faire face à de graves problèmes. Pensons à la pollution, la guerre au Moyen-orient, l'avortement, la dette nationale, etc. Heureusement, encore de nos jours il y a des inventeurs intelligents et acharnés au travail qui s'efforcent de régler ces problèmes. Malheureusement, il y aussi des bêtas qui leur mettent des bâtons dans les roues.
Que font ces bêtas pour nuire au progrès? En général, ils ne font pas le moindre effort pour s'instruire. Ils se précipitent pour condamner ce que les autres font, sans même savoir vaguement de quoi ils parlent.
L'inventeur de la roue était chanceux: si trop de bêtas le dérangeaient, il pouvait simplement se retirer dans sa caverne et travailler dans la solitude. Malheureusement, les problèmes que nous avons aujourd'hui peuvent rarement être réglés par une seule personne. Souvent au contraire, ils exigent une longue et délicate collaboration intellectuelle entre des groupes de gens qui n'ont pas naturellement tendance à s'entendre. L'effet négatif des bêtas s'en trouve décuplé.
En tant que programmeur, je pense que je pourrais écrire un programme informatique qui serait capable de détecter les courriels envoyés par des bêtas. (L'idée de base n'est pas compliquée puisque, d'une certaine manière, ce petit texte sur le «bloque-bêta» est l'image en négatif du: «Feu de circulation critique».) Le logiciel n'aurait qu'à faire l'analyse lexicale du courriel intrant et de calculer les heuristiques typiques des bêtas:
3.1) Le rapport «Temps d'écriture à Temps de réplique». Le programme calculerait la longueur de mon courriel d'origine, et estimerait le temps que j'ai pris pour l'écrire. Il regarderait ensuite les horodates sur mon courriel d'origine et sur la réplique reçue. Si une personne répond en beaucoup moins de temps que j'ai pris pour écrire mon courriel, il est probable que cette personne n'a pas soigneusement lu ce que j'ai écrit.
3.2) Le nombre de «Régurgitations intercalées». Il est très difficile de répondre avec précision au courriel de quelqu'un, si vous ne le citez pas souvent. Répondre à un courriel, par définition, signifie que vous fournissez des réponses à des questions. Le logiciel ne peut pas comprendre cela (il n'est pas intelligent), mais il peut se servir des fonctionnalités de programmes de comparaison de fichiers comme «diff», afin de calculer combien de bribes du courriel d'origine sont intercalées dans la réplique. Par exemple, si 30% du courriel d'origine est présent dans la réplique, cela signifie que la personne a: (a) probablement lu le courriel original; et (b) pris le temps d'enlever le 70% du courriel initial qui n'était pas nécessaire à la réplique, mais a conservé le 30% qui serait utilisé comme «questions» auxquelles la réplique tente de répondre. Si le courriel original n'est même pas cité, ou s'il se retrouve en tas au bas de la réplique, il est probable que le courriel d'origine n'a pas été soigneusement lu.
3.3) Le nombre de «Liens suivis». Le logiciel ne ferait que compter le nombre d'hyperliens dans le courriel original, pour ensuite télécharger les pages référencées et comparer leur contenu à celui du courriel-réplique. Si la réplique ne cite rien des pages référencées, il est fort probable que la personne n'a pas cliqué sur ces liens, ou du moins n'a pas lu, même en diagonale, les textes référencés.
3.4) La Longueur des paragraphes. Les paragraphes longs dans un courriel de réplique indiquent souvent que l'auteur radote. Plus vous écoutez les voix dans votre tête, plutôt que de lire le courriel qui vous a été envoyé, plus vos paragraphes vont avoir tendance à s'allonger.
3.5) Les fautes de frappe et autres indices de hâte. Les fautes de frappe, les fautes de français, plusieurs courriels envoyés en rafale, etc., sont tous des indices que l'auteur était trop pressé pour réfléchir soigneusement. De plus, moins un auteur trouve important de se relire, plus il risque d'être aveuglé par son orgueil.
Etc., etc...
(Pendant qu'on parle de mauvais courriels, voir aussi Comment écrire un bon courriel)
J'aimerais bien pouvoir inventer une manière de rendre tout le monde intelligent! (Je prendrais en premier une bonne dose de mon invention!) Le mieux que je puisse offrir, c'est le «bloque-bêta». L'idée est que chaque problème a une sorte de limite inférieure de connaissances, en-deça de laquelle il est impossible de participer intelligemment à la discussion. Comme la connaissance se transmet par les mots, on peut calculer un «bloque-bêta» pour chaque problème à régler. Par exemple, on peut dire que tel problème a un BB5000, c'est-à-dire un texte de 5000 mots qu'il faut absolument lire, avant de s'ouvrir la bouche. (C'est aussi, en partie, l'idée derrière les «FAQ» ou «Foires Aux Questions», lorsqu'elles sont bien faites.)
Bien sûr, le bloque-bêta n'est pas magique. Pour qu'il fonctionne, il faut au moins que:
4.1) Le nombre de mots doit être un minimum. Par exemple, la définition des termes essentiels, un aperçu des «solutions» déjà tentées qui n'ont pas fonctionné, des références aux sources d'information plus complètes, etc.
4.2) Le texte doit faire le plus possible consensus. Selon moi, même dans les cas les plus difficiles, il est toujours possible de trouver au moins certains points en commun. (Voir par exemple «Avortement: Avons-nous fait nos devoirs?»)
4.3) Les bêtas qui ne le lisent pas attentivement doivent être bloqués. À la limite, un petit examen devrait devoir être réussi pour accéder à la discussion.
Etc., etc.
Hum, je me demande quels sont les bloque-bêtas que j'aurais dû lire avant d'écrire cet article...
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