Adorons Jésus-Eucharistie! | Accueil >> Varia >> Livres >> Table des matières
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§1500. Remarquons bien que la présence de ces qualités ne prouve pas l'existence d'une révélation, mais rend le témoignage de la voyante plus croyable; et que leur absence, sans en prouver la non-existence, la rend peu probable.
En outre les renseignements ainsi obtenus permettront plus facilement de découvrir les mensonges ou les illusions des prétendues voyantes. Il en est en effet qui, par orgueil et pour se faire valoir, simulent volontairement des extases et des visions [°882]. D'autres, plus nombreuses, se font illusion, grâce à une vive imagination, et prennent leurs propres pensées pour des visions ou des paroles intérieures [°883].
§1501. C'est de ce côté surtout qu'il faut faire porter son attention: car toute révélation contraire à la foi ou aux bonnes moeurs, doit être impitoyablement rejetée, d'après l'enseignement unanime des Docteurs, fondé sur cette paroles de S. Paul: «Quand nous-mêmes, quand un ange venu du ciel vous annoncerait un autre Évangile que celui que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème» [Ga 1:8]. Dieu ne peut en effet se contredire, ni révéler des choses contraires à ce qu'il nous enseigne par son Église. De là un certain nombre de règles que nous allons rappeler.
a) Il faut regarder comme fausse toute révélation privée en contradiction avec une vérité de foi: telles sont, par exemple, les prétendues révélations spirites qui nient plusieurs de nos dogmes, en particulier l'éternité des peines de l'enfer. -- Il en est de même, si elles sont opposées à l'enseignement unanime des Pères et Théologiens, qui est une des formes du magistère ordinaire de l'Église.
S'il s'agit d'une opinion controversée entre théologiens, il faut tenir en suspicion toute révélation qui prétendrait en donner la solution, par exemple, qui trancherait la controverse entre thomistes et molinistes: Dieu n'a pas coutume de se prononcer sur des questions de ce genre.
§1502. b) On doit rejeter aussi toute vision qui serait contraire aux lois de la morale ou de la décence : par exemple, des apparitions de formes humaines sans vêtements, un langage trivial ou immodeste, des descriptions minutieuses ou détaillées de vices honteux, qui ne peuvent qu'offenser la pudeur [°884]. Dieu, qui ne fait de révélations que pour le bien des âmes, ne peut évidemment être l'auteur de celles qui sont de nature à porter au vice.
C'est en vertu du même principe que sont suspectes les apparitions qui manquent de dignité, de réserve, à plus forte raison toutes celles où éclate le ridicule; ce dernier trait est la marque des contrefaçons humaines ou diaboliques: telles furent les manifestations du cimetière de Saint-Médard.
c) On ne peut admettre non plus comme venant de Dieu des requêtes impossibles à réaliser, en tenant compte des lois providentielles et des miracles que Dieu a coutume de faire: Dieu ne demande pas en effet l'impossible [°885].
§1503. On juge l'arbre à ses fruits; on peut donc juger des révélations par les effets qu'elles produisent dans l'âme.
a) D'après S. Ignace et Ste Thérèse, la vision divine produit au début un sentiment d'étonnement et de crainte, bientôt suivi d'un sentiment profond et durable de paix, de joie et de sécurité. C'est le contraire pour les visions diaboliques; si d'abord elles causent de la joie, elles produisent vite du trouble, de la tristesse, du découragement; c'est par là en effet que le démon fait tomber les âmes.
§1504. b) Les vraies révélations affermissent l'âme dans les vertus d'humilité, d'obéissance, de patience, de conformité à la volonté divine; les fausses engendrent l'orgueil, la présomption, la désobéissance.
Écoutons Ste Thérèse [°886]: «Cette grâce apporte avec elle, en un très haut degré, la confusion et l'humilité; tandis que l'action du démon laisserait des effets tout contraires. Il est si manifeste qu'elle vient de Dieu... que l'âme ainsi favorisée se trouve dans l'impossibilité absolue d'y voir un bien qui lui soit propre: il est clair pour elle que c'est un don divin... Les trésors dont cette grâce enrichit l'âme, et les effets intérieurs qu'elle produit ne permettent pas de l'attribuer à la mélancolie. Le démon non plus ne pourrait procurer un si grand bien; l'âme ne sentirait pas une paix si profonde, des désirs si constants de plaire à Dieu, un si grand mépris de tout ce qui ne la mène pas à lui».
§1505. c) Ici se présente la question de savoir si on peut demander des signes pour confirmer les révélations privées. a) Si la chose est importante on peut le faire, mais humblement et conditionnellement; car Dieu n'est pas tenu de faire des miracles pour prouver la vérité de ces visions. b) Si on lui en demande, il est bon de lui en laisser le choix. Le bon curé de Lourdes avait fait demander à l'apparition de faire fleurir un églantier en plein hiver; ce signe ne fut pas accordé, mais la Vierge immaculée fit jaillir une source miraculeuse qui devait guérir les corps et les âmes. c) Quand le miracle demandé a été bien constaté, ainsi que sa relation avec l'apparition, il y a la une preuve sérieuse qui entraîne la conviction.
§1506. Une révélation peut être vraie en son fond et cependant mêlée d'erreurs accessoires. Dieu ne multiplie pas les miracles sans raison, et ne corrige pas les préjugés ou erreurs qui peuvent se trouver dans l'esprit des voyants: il a en vue leur bien spirituel et non leur formation intellectuelle. C'est ce que nous comprendrons mieux en analysant les principales causes d'erreurs qu'on rencontre en quelques révélations privées.
a) La première cause, c'est le mélange de l'activité humaine avec l'action surnaturelle de Dieu, surtout si l'imagination et l'esprit sont d'une grande vivacité.
1) Ainsi on retrouve dans les révélations privées les erreurs du temps sur les sciences physiques ou historiques. Ste Françoise Romaine affirme qu'elle a vu un ciel de cristal entre le ciel des étoiles et l'empyrée, et attribue la couleur bleue du firmament au ciel des étoiles. Marie d'Agréda crut savoir par révélation que les onze cieux (de Ptolémée) s'ouvrirent par respect pour le Verbe qui allait s'incarner [°887]
2) On y retrouve aussi les idées, et parfois les préjugés ou systèmes des directeurs des voyantes. Sur la foi de ses directeurs, Ste Colette crut voir que Ste Anne s'était mariée trois fois et venait la visiter avec sa nombreuse famille [°888]. Parfois les saintes dominicaines et franciscaines parlent, dans leurs visions, conformément au système particulier de leur Ordre [°889].
3) Des erreurs historiques se glissent aussi parfois dans les révélations: Dieu n'a pas coutume de révéler des détails précis sur la vie de Notre Seigneur ou de la Ste Vierge, quand ils n'ont qu'un intérêt médiocre pour la piété; or plusieurs voyantes, confondant leurs pieuses méditations avec les révélations, donnent des détails, des chiffres, des dates qui contredisent des documents historiques ou d'autres révélations. Ainsi, dans les divers récits sur la Passion, bien des petits détails, racontés dans des visions, sont contradictoires (par exemple sur le nombre de coups que Jésus reçut dans sa flagellation), ou en opposition avec les meilleurs historiens [°890].
§1507. b) Une révélation divine peut être mal interprétée.
Par exemple, Ste Jeanne d'Arc ayant demandé à ses voix si elle serait brûlée, elles lui répondirent de s'en remettre à Notre Seigneur, qu'il l'aiderait et qu'elle serait délivrée par grande victoire; or elle croyait que cette victoire serait sa délivrance de prison; ce fut en réalité son martyre et son entrée au ciel. -- S. Norbert avait déclaré savoir par révélation, d'une manière très certaine, que l'antéchrist viendrait du temps de la génération actuelle (XIIe siècle); poussé à bout par S. Bernard, il dit qu'au moins il ne mourrait pas sans avoir vu une persécution générale dans l'Église [°891]. -- S. Vincent Ferrier avait annoncé le jugement dernier comme prochain, et semblé confirmer cette prédiction par des miracles [°892].
§1508. c) Une révélation peut être inconsciemment altérée par le voyant lui-même au moment où il cherche à l'expliquer, ou, plus souvent encore, par ses secrétaires.
Ste Brigitte reconnaît elle-même que parfois elle retouchait ses révélations pour les mieux expliquer [°893]; ces explications ne sont pas toujours exemptes d'erreurs. On reconnaît aujourd'hui que les secrétaires qui ont écrit les révélations de Marie d'Agréda, de Catherine Emmerich et de Marie Lataste, les ont retouchées dans une mesure qu'il est difficile de reconnaître [°894].
Pour toutes ces raisons, on ne saurait apporter trop de prudence dans l'examen des révélations privées.
§1509. a) Nous ne pouvons mieux faire que d'imiter la sage réserve de l'Église et des Saints. Or l'Église n'admet de révélations que lorsqu'elles sont bien et dûment constatées et, même alors, elle ne les impose pas à la croyance des fidèles. De plus, quand il s'agit de l'institution d'une fête ou de quelque fondation extérieure, elle attend de longues années avant de se prononcer, et ne se décide qu'après avoir examiné mûrement la chose en elle-même, et dans ses rapports avec le Dogme et la Liturgie.
Ainsi la Bse Julienne de Liège, choisie par Dieu pour faire instituer la fête du S. Sacrement, ne soumit son projet aux théologiens que vingt-deux ans après ses premières visions; ce ne fut que seize ans après que l'évêque de Liège institua la fête dans son diocèse, et six ans après la mort de la Bienheureuse que le pape Urbain IV l'institua pour toute l'Église (1264). De même la fête du Sacré-Coeur ne fut approuvée que longtemps après les révélations faites à Ste Marguerite-Marie, et pour des motifs indépendants des révélations elles-mêmes.
Il y a là pour nous une leçon dont il faut profiter.
§1510. b) On ne se prononcera donc avec certitude sur l'existence d'une révélation privée que lorsqu'on aura des preuves convaincantes, ces preuves si bien résumées par Benoît XIV dans son livre sur les Canonisations. En général, on ne se contentera pas d'une seule preuve, on en exigera plusieurs; et on se demandera si elles sont cumulatives et convergentes, si elles se confirment les unes les autres: plus elles sont nombreuses et plus on aura d'assurance.
§1511. c) Quand un directeur reçoit des confidences sur des révélations, il se gardera bien de manifester de l'admiration: ce qui encouragerait les voyants à regarder immédiatement ces visions comme vraies, et peut-être à s'en enorgueillir. Il doit au contraire manifester que ce sont là des choses beaucoup moins importantes que la pratique des vertus, que l'illusion est facile, qu'il faut s'en défier, et, au début, les rejeter plutôt que de les accueillir.
Telle est la règle tracée par les Saints. Voici ce qu'écrit Ste Thérèse [°895]: «Qu'il s'agisse d'âmes malades ou saines, il est toujours bon de se défier, jusqu'à ce qu'on soit bien assuré de l'esprit qui opère. C'est pourquoi je dis que, dans les commencements, le meilleur est toujours de faire opposition. Si ces effets sont de Dieu, ils ne continueront que mieux, car l'épreuve les fait croître au lieu de les diminuer: ceci est l'exacte vérité. Mais, d'autre part, il faut éviter de trop contraindre l'âme, comme aussi de la troubler, car il est certain qu'elle ne peut rien à cela». S. Jean de la Croix est encore plus énergique; après avoir signalé les six inconvénients principaux qu'il y aurait à bien accueillir ces visions, il ajoute: «Rien de plus agréable au démon qu'une âme qui cherche les révélations et en est avide; c'est lui présenter toute facilité pour insinuer des erreurs et pour affaiblir la foi, et par là elle est le plus souvent exposée aux extravagances et aux fortes tentations» [°896].
§1512. d) Cependant le directeur doit traiter avec douceur les personnes qui croient avoir des révélations: par là il obtiendra leur confiance et pourra plus efficacement connaître les détails qui lui permettront, après mûre réflexion, de porter un jugement. Si elles sont dans l'illusion, il n'en aura que plus d'autorité pour les éclairer et les ramener à la vérité.
C'est le conseil que donne S. Jean de la Croix, pourtant si sévère à l'égard des visions: «Nous avons insisté avec sévérité sur la nécessité qu'il y a de se débarrasser des visions et révélations, ajoutant que les confesseurs doivent en détourner les âmes, loin de s'en entretenir avec elles, et cela ne veut pas dire qu'ils doivent se montrer durs et repousser avec mépris les déclarations faites à ce sujet. Par là on ferme la porte à toute confidence; les âmes se resserrent et se renferment en elles-mêmes, de façon à ne plus rien dire; et il n'en peut résulter que des misères» [°897].
§1513. e) S'il s'agit de quelque institution ou fondation extérieure, le directeur se gardera bien de l'encourager sans avoir auparavant examiné avec soin les raisons pour et contre à la lumière de la prudence surnaturelle.
Telle fut la conduite des Saints: Ste Thérèse, qui eut tant de révélations, ne voulut pas que ses directeurs fussent influencés dans leurs décisions uniquement par les visions qu'elle recevait. Ainsi, quand Notre Seigneur lui eut révélé de fonder le monastère réformé d'Avila, elle soumit humblement ce dessein à son directeur et, comme celui-ci hésitait, elle prit l'avis de St Pierre d'Alcantara, de St François Borgia et de St Louis Bertrand [°898].
Quant aux voyants eux-mêmes, ils n'ont qu'une règle à suivre, faire connaître leurs révélations à un sage directeur, et suivre humblement et en tout la ligne de conduite qu'il leur trace: c'est le plus sûr moyen de ne pas s'égarer.
§1514. Les révélations dont nous venons de parler, sont données surtout pour l'utilité personnelle; les grâces gratuitement données le sont principalement pour l'utilité des autres. Ce sont en effet des dons gratuits, extraordinaires et transitoires, conférés directement pour le bien des autres, bien qu'ils puissent indirectement servir à la sanctification personnelle. Saint Paul les mentionne sous le nom de charismes; dans l'Épître aux Corinthiens, il en distingue neuf, qui tous proviennent du même Esprit:
§1515. 1) La parole de sagesse, sermo sapientiae, qui nous aide à tirer des vérités de foi, considérées comme principes, des conclusions qui enrichissent le dogme.
2) La parole de science, sermo scientia, qui nous fait utiliser les sciences humaines pour expliquer les vérités de foi.
3) Le don de foi, non pas la vertu elle-même, mais une certitude spéciale qui est capable d'enfanter des prodiges.
4) Le don des guérisons, gratia sanitatum, qui n'est autre que le pouvoir de guérir les malades.
5) La puissance d'opérer des miracles; pour confirmer ainsi la révélation divine.
6) Le don de prophétie, ou le don d'enseigner au nom de Dieu, et au besoin, de confirmer son enseignement par des prophéties.
7) Le discernement des esprits, ou don infus de lire les secrets des coeurs et de discerner le bon esprit du mauvais.
8) Le don des langues, qui, en S. Paul, est le don de prier en langue étrangère, avec un certain sentiment d'exaltation; d'après les théologiens, c'est le don de parler plusieurs langues.
9) Le don d'interprétation, ou la faculté d'interpréter les paroles étrangères dont il vient d'être question [°900].
Selon la remarque très juste de S. Paul et de S. Thomas, tous ces charismes sont bien au-dessous de la charité et de la grâce sanctifiante.
§1516. On désigne sous ce nom des phénomènes qui agissent à la fois sur l'âme et sur le corps, et qui se rattachent plus ou moins à l'extase, dont nous avons déjà parlé [§1454]. Les principaux de ces phénomènes sont: 1° la lévitation; 2° les effluves lumineux; 3° les effluves odoriférants; 4° l'abstinence ou inédie; 5° la stigmatisation.
§1517. La lévitation est un phénomène en vertu duquel le corps se trouve soulevé au-dessus du sol et s'y maintient sans aucun appui naturel: on l'appelle alors l'extase ascensionnelle. Parfois le corps s'envole à de grandes hauteurs: c'est le vol extatique. D'autres fois il semble courir rapidement en rasant le sol: c'est la marche extatique.
De nombreux faits de lévitation se lisent dans la vie de plusieurs saints, soit dans les Bollandistes, soit au Bréviaire; par exemple: S. Paul de la Croix, au 28 avril; S. Philippe de Néri, 26 mai; S. Etienne de Hongrie, 2 septembre; S. Joseph de Cupertino, 18 septembre; S. Pierre d'Alcantara, 19 octobre; S. François Xavier, 3 décembre, etc. L'un des plus célèbres est S. Joseph de Cupertino, qui, voyant un jour des ouvriers fort embarrassés pour dresser une croix de mission très lourde, prit son vol aérien, saisit la croix et la planta sans effort dans le trou qui lui était destiné.
À ce phénomène se rattache celui d'une pesanteur extraordinaire, qui fait qu'on ne peut être soulevé même par une force très grande.
§1518. Les rationalistes ont essayé d'expliquer ce phénomène d'une façon naturelle, par l'aspiration profonde de l'air dans les poumons, par une force psychique inconnue, par l'intervention des esprits ou des âmes séparées: autant dire qu'ils n'ont pas d'explication sérieuse à donner. Combien plus sage est Benoît XIV! Il demande tout d'abord que le fait soit bien constaté, afin d'éviter toute supercherie. Puis il déclare: 1) que la lévitation bien constatée ne peut s'expliquer naturellement; 2) qu'elle ne surpasse pas cependant les forces de l'ange et du démon, qui peuvent soulever les corps; 3) que chez les Saints, ce phénomène est comme une anticipation du don d'agilité qui convient aux corps glorieux [°901].
§1519. L'extase est parfois accompagnéede phénomènes lumineux: tantôt c'est une auréole de lumière qui enveloppe le front, tantôt c'est tout le corps qui est environné de lumière.
Ici encore nous résumerons la doctrine de Benoît XIV [°903]. Avant tout, il faut bien étudier le fait avec toutes ses circonstances, pour voir si la lumière ne peut pas s'expliquer naturellement.
On se demandera en particulier: 1) si le phénomène se produit en plein jour ou pendant la nuit, et, dans ce dernier cas, si la lumière est plus brillante que toute autre lumière; 2) si c'est une simple étincelle, analogue à l'étincelle électrique, ou si le phénomène lumineux se prolonge pendant un temps notable et se renouvelle plusieurs fois; 3) s'il se produit au cours d'un acte religieux, une extase, une prédication, une prière; 4) s'il en résulte des effets de grâce, des conversions durables, etc; 5) si la personne, d'où vient ce rayonnement, est vertueuse et sainte.
Ce n'est qu'après avoir mûrement examiné tous ces détails qu'on pourra conclure au caractère surnaturel de ces faits. Ici encore c'est une sorte d'anticipation de la clarté qui illuminera les corps glorieux.
§1520. Parfois Dieu permet que du corps des saints, pendant leur vie, ou après leur mort, se dégagent des parfums, qui expriment ainsi la bonne odeur des vertus qu'ils ont pratiquées.
Ainsi des stigmates de S. François d'Assise s'échappaient quelquefois des odeurs suaves. Quand Ste Thérèse mourut, l'eau avec laquelle on lava son corps demeura parfumée; pendant neuf mois, un parfum mystérieux s'exhala de sa tombe, et, quand on exhuma son corps, une huile odoriférante coulait de ses membres [°904]. Et on cite beaucoup d'autres faits analogues.
Benoît XIV indique comment il faut procéder pour constater le miracle; on examinera: 1) si l'odeur suave est persistante; 2) si rien, auprès du corps ou dans le terrain, ne peut l'expliquer; 3) si quelques miracles ont été produits par l'usage de l'eau ou de l'huile provenant du corps saint [°905].
§1521. Il y a des Saints, surtout parmi les stigmatisés, qui ont vécu sans prendre d'autre nourriture que la sainte communion, pendant plusieurs années.
Le Dr Imbert-Goubeyre signale, en particulier, quelques cas frappants [°906]: «La Bse Angèle de Foligno resta douze ans sans prendre aucune nourriture; Ste Catherine de Sienne, huit ans environ; la Bse Elisabeth de Rente, plus de quinze ans; Ste Lidwine, vingt-huit ans; la Bse Catherine de Racconigi, dix ans... de nos jours, Rosa Andriani, vingt-huit ans... et Louise Lateau, quatorze ans».
L'Église se montre très sévère dans ses enquêtes sur des faits de ce genre et exige une surveillance de tous les instants, pendant un temps notable, par des témoins nombreux et habiles à découvrir les fraudes [°907]. Ils doivent examiner si l'abstinence est totale, s'étendant à la boisson aussi bien qu'à la nourriture solide, si elle est durable, et, si la personne continue de vaquer à ses occupations.
Il faut rapprocher de ce phénomène l'abstinence de sommeil; ainsi S. Pierre d'Alcantara, pendant quarante ans, ne dormit qu'une heure et demie par nuit; Ste Catherine de Ricci ne dormait qu'une heure par semaine.
§1522. 1° Nature et origine. Ce phénomène consiste dans une sorte d'impression des plaies sacrées du Sauveur sur les pieds, les mains, le côté et le front: elles apparaissent spontanément, sans être provoquées par aucune blessure extérieure, et laissent couler périodiquement un sang non vicié.
Le premier stigmatisé connu est S. François d'Assise: dans une extase sublime, sur le mont Alverne, le 17 septembre 1222, il vit un séraphin lui présentant l'image de Jésus crucifié et lui imprimant les sacrés stigmates; il conserva jusqu'à sa mort ces plaies, d'où coulait un sang vermeil. Il essaya de cacher ce miracle, mais ne put y réussir complètement, et, à sa mort, le 11 octobre 1226, le prodige devint public. -- Depuis lors, les cas se sont multipliés. Le Dr Imbert en compte trois cent vingt et un, dont quarante et un parmi les hommes. Soixante-deux stigmatisés ont été canonisés.
§1523. Il semble constaté que la stigmatisation n'existe que chez les extatiques, et qu'elle est précédée et accompagnée de très vives souffrances, physiques et morales, qui rendent ainsi le sujet conforme à Jésus souffrant. L'absence de ces souffrances serait un mauvais signe: car les stigmates ne sont que le symbole de l'union au divin Crucifié et de la participation à son martyre.
L'existence des stigmates est prouvée par de si nombreux témoignages que les incroyants eux-mêmes en admettent généralement l'existence; mais ils essaient de l'expliquer d'une façon naturelle. Ils affirment que, chez certains sujets doués d'une sensibilité exceptionnelle, on peut, en surexcitant l'imagination, provoquer des sueurs de sang qui ressemblent aux stigmates. En fait les quelques résultats que l'on a obtenus sont bien différents de ce qu'on remarque chez les stigmatisés.
§1524. 2° Signes pour discerner les stigmates. Voilà pourquoi, afin de mieux différencier la stigmatisation des phénomènes artificiels qu'on provoque chez certains individus, il faut faire attention à toutes les circonstances qui caractérisent les vrais stigmates.
1) Les stigmates sont localisés aux endroits mêmes où Notre Seigneur reçut les cinq plaies, tandis que l'exsudation sanguine des hypnotisés n'est pas localisée de la même façon.
2) En général le renouvellement des plaies et des douleurs des stigmatisés a lieu aux jours ou aux époques qui rappellent le souvenir de la Passion du Sauveur, comme le Vendredi ou quelque fête de Notre Seigneur.
3) Ces plaies ne suppurent pas: le sang qui en coule est pur, tandis que la plus petite lésion naturelle sur un autre point du corps amène de la suppuration, même chez les stigmatisés. Elles ne guérissent pas, malgré les remèdes ordinaires, et persistent parfois pendant trente et quarante ans.
4) Elles produisent d'abondantes hémorragies ; ce qui se conçoit le premier jour où elles paraissent, mais devient inexplicable pour les jours suivants. L'abondance des hémorragies demeure aussi inexpliquée; les stigmates sont généralement à la surface, loin des gros vaisseaux sanguins, et cependant ils laissent couler des flots de sang!
5) Enfin, et surtout, ces stigmates ne se trouvent que chez des personnes qui pratiquent les vertus les plus héroïques, et qui ont en particulier un grand amour de la croix.
L'étude de ces circonstances montre bien que nous ne sommes pas ici en face d'un cas pathologique ordinaire, mais qu'il y a là l'intervention d'une cause intelligente et libre qui agit sur ces stigmatisés pour les rendre plus conformes au divin Crucifié.
§1525. Les phénomènes qui se rattachent à l'extase sont si bien prouvés que les positivistes ne peuvent les nier; ils essaient seulement de les assimiler à certains phénomènes morbides provenant de psycho-névroses et en particulier de l'hystérie; quelques-uns mêmes y voient une forme de la folie. -- Assurément les Saints sont sujets à la maladie, comme les autres hommes; mais là n'est pas la question; il s'agit de savoir si, malgré leurs maladies, ils nous apparaissent sains et bien équilibrés au point de vue mental. Or sur ce point, il y a des différences tellement essentielles entre les phénomènes mystiques et les psycho-névroses, que nul homme de bonne foi ne peut s'empêcher de les constater et d'en conclure qu'il n'y a aucune assimilation possible [°908]. Ces différences se tirent spécialement: 1° du sujet; 2° de la diversité des phénomènes; 3° des résultats.
§1526. 1° Différences du côté du sujet. Si on compare les malades atteints de psycho-névroses aux extatiques, les premiers sont des déséquilibrés au point de vue physique et moral, tandis que les seconds sont, au point de vue moral du moins, parfaitement équilibrés.
A) Les premiers sont des déséquilibrés au point de vue mental aussi bien qu'au point de vue physique.
On constate chez eux une diminution de l'activité intellectuelle et de la puissance de la volonté: la conscience est altérée ou suspendue, l'attention se ralentit, l'intelligence s'appauvrit, la mémoire se désagrège au point qu'on croit à un dédoublement de la personnalité; bientôt il ne reste plus dans l'esprit qu'un petit nombre d'idées fixes; de là un certain monoidéisme, voisin de la folie. En même temps la volonté s'affaiblit; les émotions prennent le dessus; on est le jouet de ses caprices, ou des suggestions d'une volonté supérieure, on ne s'appartient plus. C'est donc un affaiblissement, une diminution de la personnalité, des forces intellectuelles et morales [°909].
§1527. B) C'est tout le contraire qui a lieu chez les mystiques: leur intelligence s'agrandit, leur volonté se fortifie, et ils deviennent capables de concevoir et de réaliser les plus grandes entreprises. Nous avons vu en effet comment ils acquièrent de nouvelles connaissances sur Dieu, sur ses attributs, sur les dogmes de foi, sur eux-mêmes. Sans doute ils ne peuvent exprimer tout ce qu'ils voient; mais ils déclarent en toute sincérité avoir plus appris en quelques instants de contemplation qu'en de longues lectures; et cette conviction se traduit par un progrès réel dans la pratique des vertus les plus héroïques. On les voit en effet plus humbles, plus charitables, plus soumis à la volonté divine, au milieu même des souffrances les plus rudes, et jouissant d'un calme, d'une paix, d'une sérénité inaltérables. Que nous sommes loin des agitations et des mouvements passionnés des hystériques!
§1528. 2° Différences du côté des phénomènes. Il n'y a pas moins de différences du côté de la manière dont se produisent les phénomènes de part et d'autre.
A) Rien de plus triste, de plus écoeurant que les crises hystériques:
1) La première phase ressemble à une légère attaque d'épilepsie, mais s'en distingue par la sensation d'une boule qui monte à la gorge, et qui au fond n'est qu'un gonflement de la gorge avec une impression d'étouffement, et par une sorte de sifflement qu'on perçoit par les oreilles. 2) La seconde consiste en des gestes désordonnés, des contorsions de tout le corps, notamment en arc de cercle. 3) La troisième est celle des attitudes passionnelles de frayeur, de jalousie, de lubricité en rapport avec l'image ou l'idée obsédante. 4) Le tout finit par des accès de pleurs ou de rires: c'est la détente qui se produit. -- Au sortir de ces crises, les sujets sont fatigués, épuisés et souffrent de diverses indispositions.
B) Ici encore quelle différence d'avec les extatiques! Point de convulsions, point d'agitations violentes: c'est le calme, le ravissement d'une âme intimèment unie à Dieu, si bien que les témoins de l'extase, par exemple ceux qui ont vu Bernadette au moment de ses visions à la grotte de Massabielle, ne peuvent retenir leur admiration. Aussi, comme le déclare S. Thérèse [§1456], le corps, au lieu d'être épuisé, reprend dans l'extase de nouvelles forces.
§1529. 3° Différences du côté des effets. Quant aux effets, ils sont bien différents dans les deux cas.
A) Chez les hystériques, plus se multiplient les scènes décrites, et plus le déséquilibre des facultés augmente: la dissimulation, le mensonge, l'abrutissement, la lubricité, tel est le résultat des expériences faites sur ces malheureuses victimes.
B) Au contraire, chez les mystiques, c'est un accroissement constant d'intelligence, d'amour de Dieu, de dévouement au prochain. Quand ils ont occasion d'entreprendre des oeuvres, des fondations, ils déploient un bon sens, un esprit ouvert et ferme, une volonté énergique, que vient couronner le succès.
Ste Thérèse, avant de mourir, avait fondé, malgré des oppositions nombreuses, seize couvents de femmes et quatorze d'hommes; Ste Colette fonda treize monastères et ranima la discipline dans un grand nombre d'autres; Mme Acarie, extatique dès l'âge de seize ans, fut mariée pendant trente ans, éleva six enfants, releva la fortune de sa famille compromise par les imprudences de son mari, et contribua, quand elle fut veuve, à fonder le Carmel en France; Ste Catherine de Sienne, morte à trente-deux ans, qui pendant longtemps ne savait ni lire ni écrire, joua un rôle si important dans les affaires du temps et en particulier dans le retour des Papes à Rome, qu'un historien récent l'a appelée un homme d'état et un grand homme d'état [°910].
On le voit donc, il y a entre les hystériques et les stigmatisés de telles différences que vouloir les assimiler est aller contre toutes les règles de l'observation scientifique.
§1530. 4° Objection. Cependant il reste une dernière difficulté à résoudre: il en est qui, avec Ribot, prétendent que l'extase est un rétrécissement progressif du champ de la conscience aboutissant au monoidéisme affectif; puisque les mystiques ne rêvent plus que d'union intime avec Dieu. Pour répondre à cette difficulté spécieuse, on peut distinguer un double monoidéisme: l'un est désorganisateur et désagrège peu à peu la personnalité en faussant le jugement; telle est l'idée fixe du suicide qui recherche le néant comme le bien suprême; mais l'autre est au contraire un monoidéisme coordinateur, qui fait sans doute prédominer dans l'âme une idée principale et y ramène toutes les autres, mais sans les fausser. Ce dernier, loin de désagréger la personnalité ne fait que la fortifier; c'est parce que les grands politiques ont une idée fixe et y ramènent tous leurs desseins, qu'ils peuvent accomplir de grandes choses, pourvu que cette idée soit juste.
Or c'est bien le cas pour les mystiques. Ils ont une idée prédominante, une idée fixe, celle de poursuivre avant tout leur fin dernière, c'est-à-dire l'union intime avec Dieu, source de tout bonheur et de toute perfection; et ils y ramènent toutes leurs autres pensées, tous leurs sentiments, toutes leurs énergies. Cette idée est parfaitement juste; elle ne désagrège rien, elle coordonne au contraire toutes les pensées et toutes les actions, en les orientant vers cette fin unique qui seule peut nous donner la perfection et le bonheur. Voilà pourquoi, même au point de vue humain, les Saints sont de grands actifs, pleins de bon sens, d'énergie et de constance, qui conçoivent et mènent à bonne fin de grandes entreprises. C'est ce qu'ont remarqué des incroyants eux-mêmes, comme nous l'avons déjà noté [§43].
Soyons donc justes et avouons que les mystiques sont des hommes supérieurs en même temps que des Saints.
§1531. Jaloux d'imiter l'action divine dans l'âme des Saints, le démon s'efforce d'exercer lui aussi son empire ou plutôt sa tyrannie sur les hommes. Tantôt il assiège pour ainsi dire l'âme par le dehors en lui suscitant d'horribles tentations; tantôt il s'installe dans le corps et le meut à son gré comme s'il en était le maître, afin de jeter le trouble dans l'âme. Dans le premier cas c'est l'obsession, dans le second c'est la possession.
Sur l'action du démon il y a un double excès à éviter: il en est qui lui attribuent tous les maux qui nous arrivent; c'est oublier qu'il y a en nous des états morbides qui ne supposent aucune intervention diabolique, les tendances mauvaises qui viennent de la triple concupiscence, et que ces causes naturelles suffisent à expliquer bien des tentations. Il en est d'autres au contraire qui, oubliant ce que nos Saints Livres et la Tradition nous disent de l'action du démon, ne veulent admettre en aucun cas son intervention. Pour se tenir dans le juste milieu, la règle à suivre est de n'accepter comme phénomènes diaboliques que ceux qui, soit par leur caractère extraordinaire, soit par un ensemble de circonstances, dénotent l'action du malin esprit.
Nous traiterons successivement de l'obsession et de la possession.
§1532. I. Sa nature. L'obsession est au fond une série de tentations plus violentes et plus durables que les tentations ordinaires. Elle est externe, lorsqu'elle agit sur les sens extérieurs, par des apparitions; elle est interne, lorsqu'elle provoque des impressions intimes. Il est rare qu'elle soit purement externe, le démon n'agissant sur les sens que pour troubler plus facilement l'âme. Cependant il y a des saints qui, tout en étant obsédes extérieurement par toutes sortes de fantômes, conservent dans leur âme une paix inaltérable.
§1533. 1° Le démon peut agir sur tous les sens extérieurs:
a) Sur la vue, en apparaissant tantôt sous des formes repoussantes, pour effrayer les personnes et les détourner de la pratique des vertus, comme il le fit pour la Vén. Mère Agnès de Langeac [°912] et bien d'autres; tantôt sous des formes séduisantes, pour attirer au mal, comme il arriva souvent à S. Alphonse Rodriguez [°913].
b) Sur l'ouie, enfaisant entendre des paroles ou des chants blasphématoires ou obscènes, comme on le lit dans la vie de la Bse Marguerite de Cortone [°914]; ou en faisant du tapage pour effrayer comme il arrivait parfois à Ste Madeleine de Pazzi et au Bx Curé d'Ars [°915].
c) Sur le toucher, de deux façons, en infligeant des coups et des blessures, comme on le lit dans les bulles de canonisation de Ste Catherine de Sienne, de St François Xavier, et dans la Vie de Ste Thérèse [°916], d'autrefois par des embrassements qui ont pour but de provoquer au mal, comme S. Alphonse Rodriguez le raconte de lui-même [°917].
Comme le remarque le P. Schram [°918], il est des cas où ces apparitions sont de simples hallucinations produites par une surexcitation nerveuse; même dans ce cas, ce sont de redoutables tentations.
§1534. 2° Le démon agit aussi sur les sens intérieurs, l'imagination et la mémoire, et sur les passions, pour les exciter. Comme malgré soi, on est envahi par des images importunes, obsédantes, qui persistent malgré des efforts énergiques; on se sent en proie aux bouillonnements de la colère, aux angoisses du désespoir, à des mouvements instinctifs d'antipathie, ou au contraire à des tendresses dangereuses et que rien ne semble justifier. Sans doute il est difficile parfois de décider s'il y a obsession véritable; mais quand ces tentations sont à la fois soudaines, violentes, persistantes, et difficiles à expliquer par une cause naturelle, on peut y voir une action spéciale du démon. En cas de doute, il est bon de consulter un médecin chrétien, qui puisse examiner si ces phénomènes ne sont pas dus à un état morbide qu'une bonne hygiène peut atténuer.
§1535. II. Conduite du directeur. Il doit joindre la prudence la plus avisée à la bonté la plus paternelle.
a) Sans doute il ne croira pas, sans preuves sérieuses, à une véritable obsession. Mais, qu'il y ait obsession ou non, il doit avoir pitié des pénitents assaillis de tentations violentes et persistantes, et les soutenir par de sages conseils. Il leur rappellera en particulier ce que nous avons dit de la tentation, de la manière d'y résister [§902-918], et des rémèdes spéciaux contre la tentation diabolique [§223-224].
b) Si, dans la violence de la tentation, des désordres se sont produits sans aucun consentement de la volonté, il rappellera qu'il n'y a pas de péché sans consentement. En cas de doute, il jugera qu'il n'y a pas eu faute, au moins grave, quand il s'agit d'une personne qui habituellement est bien disposée.
c) Quand il s'agit de personnes ferventes, le directeur se demandera si ces tentations persistantes ne font pas partie des épreuves passives que nous avons décrites plus haut [§1426]; et alors il donnera à ces personnes les conseils appropriés à leur état d'âme.
§1536. d) Si l'obsession diabolique est moralement certaine ou très probable, on peut employer, d'une façon privée, les exorcismes prescrits par le Rituel Romain ou des formules abrégées; dans ce cas, il est bon de ne pas prévenir la personne qu'on va l'exorciser, si on craint que cette déclaration ne trouble et n'exalte son imagination; il suffit de l'avertir qu'on va réciter sur elle une prière approuvée par l'Église. Quant aux exorcismes solennels, on ne peut les employer qu'avec la permission de l'Ordinaire, et avec les précautions que nous allons signaler en parlant de la possession.
Nous expliquerons: 1° sa nature; 2° les remèdes prescrits par le Rituel.
§1537. 1° Ses éléments constitutifs. Deux éléments constituent la possession: la présence du démon dans le corps du possédé, et l'empire qu'il exerce sur ce corps, et, par son intermédiaire, sur son âme. C'est ce dernier point qu'il faut expliquer. Le démon n'est pas uni au corps comme l'âme l'est au corps; il n'est par rapport à l'âme qu'un moteur externe, et s'il agit sur elle, c'est par l'intermédiaire du corps dans lequel il habite. Il peut agir directement sur les membres du corps, et leur faire exécuter toutes sortes de mouvements; indirectement il agit sur les facultés dans la mesure où celles-ci dépendent du corps pour leurs opérations.
On peut distinguer dans les possédés deux états distincts: l'état de crise et l'état de calme. La crise est comme une sorte d'accès violent, où le démon manifeste son empire tyrannique en imprimant au corps une agitation fébrile qui se traduit par des contorsions, des éclats de rage, des paroles impies et blasphématoires. Les patients perdent alors, ce semble, tout sentiment de ce qui se passe en eux, et, revenus à eux-mêmes, ne conservent aucun souvenir de ce qu'ils ont dit ou fait, ou plutôt de ce que le démon a fait par eux. Ce n'est qu'au début qu'ils sentent l'irruption du démon, après cela, ils semblent perdre conscience.
§1538. Il y a cependant des exceptions à cette règle générale. Le P. Surin, qui, en exorcisant les Ursulines de Loudun, devint lui-même possédé, gardait conscience de ce qui se passait en lui [°920]. Il décrit comment son âme est partagée, ouverte d'un côté aux impressions diaboliques, et de l'autre abandonnée à l'action de Dieu; comment il prie pendant que son corps roule par terre. Il ajoute: «Mon état est tel qu'il me reste très peu d'actions où je sois libre. Si je veux parler, ma langue est rebelle; pendant la messe, je suis contraint de m'arrêter tout à coup; à table, je ne puis porter les morceaux à ma bouche. Si je me confesse, mes péchés m'échappent; et je sens que le démon est chez moi comme en sa maison, entrant et sortant comme il lui plaît».
§1539. Dans les intervalles de calme, rien ne vient décéler la présence du malin esprit: on dirait qu'il s'est retiré. Parfois cependant cette présence se manifeste par une sorte d'infirmité chronique qui déroute toutes les ressources de l'art médical.
Souvent il y a plusieurs démons à posséder une seule personne: ce qui montre leur faiblesse.
Généralement la possession ne s'attaque qu'aux pécheurs; il y a cependant des exceptions, comme dans le cas du P. Surin.
§1540. 2° Les signes de la possession. Comme il y a des maladies nerveuses, et des monomanies ou cas d'aliénation mentale, qui se rapprochent, dans leurs manifestations, de la possession diabolique, il importe de donner des signes qui puissent la distinguer de ces phénomènes morbides.
Or, d'après le Rituel Romain [°921], il y trois signes principaux qui peuvent faire reconnaître la possession: «parler une langue inconnue en faisant usage de plusieurs mots de cette langue, ou comprendre celui qui la parle; découvrir les choses éloignées et occultes; faire montre de forces qui dépassent les forces naturelles de l'âge ou de la condition. -- Ces signes et autres semblables, lorsqu'ils se trouvent réunis en grand nombre, sont les plus forts indices de la possession». Un mot pour expliquer ces signes.
a) L'usage de langues inconnues. Il faut, pour le constater, un examen approfondi sur le sujet, voir s'il n'a pas eu occasion dans le passé d'apprendre quelques mots de ces langues, si, au lieu d'articuler quelques phrases apprises par coeur, il parle et comprend une langue qui lui était vraiment inconnue [°922].
b) La révélation de choses occultes qu'aucun moyen naturel ne peut expliquer. Ici encore il faut donc une enquête approfondie: s'il s'agit, par exemple, de choses éloignées, il faut être sûr que le sujet ne les connaît pas par lettre, télégramme ou autre moyen naturel; s'il s'agit de choses futures, il faut attendre leur réalisation pour voir si elles arrivent bien de la façon annoncée, et si elles sont assez précises pour ne donner lieu à aucune équivoque. On ne doit donc pas tenir compte de ces prédictions vagues annonçant de grands malheurs, suivis d'heureux succès; il serait ainsi trop facile de se faire une réputation de prophète! Quand le fait est dûment constaté, reste à voir si cette connaissance préternaturelle vient du bon ou du malin esprit, selon les règles sur le discernement des esprits; et d'un malin esprit actuellement présent dans le possédé.
c) Le déploiement de forces dépassant notablement les forces naturelles du sujet, en tenant compte de son âge, de son entraînement, de son état morbide, etc.; il y a en effet des cas de surexcitation où les énergies sont doublées. Nous avons déjà dit que le phénomène de lévitation, quand il est bien constaté, est préternaturel; il est des cas où, en tenant compte des circonstances, on ne peut l'attribuer à Dieu ou à ses anges; on doit donc alors y reconnaître une marque d'intervention diabolique.
§1541. On peut ajouter à ces signes ceux qui résultent des effets produits par l'emploi des exorcismes ou des choses sacrées, surtout lorsque cet emploi se fait à l'insu des personnes qu'on croit possédées. Il en est, par exemple, qui au contact d'un objet saint, ou lorsqu'on récite sur elles des prières liturgiques, entrent dans des états de fureur indicible, et blasphèment horriblement. Mais ce signe n'est certain que lorsque ceci se fait à leur insu; si elles s'en aperçoivent en effet, elles peuvent entrer en fureur, soit à cause de leur horreur de tout ce qui est religieux, soit par simulation.
Il n'est donc pas aisé de reconnaître une vraie possession, et on ne saurait être trop réservé avant de se prononcer.
§1542. 3° Différences entre la possession et les troubles nerveux. Les expériences faites sur des personnes atteintes de maladies nerveuses ont montré une certaine analogie entre ces états morbides et les attitudes extérieures des possédés [°923]. Il ne faut pas s'en étonner: le démon peut produire soit des maladies nerveuses, soit des phénomènes extérieurs analogues à ceux des névroses. C'est une raison de plus pour être très réservé dans ses jugements sur les prétendus cas de possession.
Mais ces analogies portent uniquement sur les gestes extérieurs, qui par eux-mêmes sont insuffisants pour prouver la possession. On n'a pas trouvé de névrosés qui parlent des langues inconnues, révèlent les secrets des coeurs ou prédisent l'avenir avec précision et certitude. Or ce sont là, avons-nous dit, les véritables signes de la possession; quand ils sont tous absents, on peut croire à une simple névrose. Si parfois des exorcistes se sont trompés, c'est qu'ils s'étaient éloignés des règles tracées par le Rituel. Pour éviter ces erreurs, il est opportun de faire examiner le cas non seulement par des prêtres mais aussi par des médecins chrétiens.
§1543. Ainsi le P. Debreyne, qui, avant d'entrer à la Trappe, avait exercé la médecine, raconte qu'il a eu à traiter une comunauté de femmes dont l'état présentait de grandes ressemblances avec celui des Ursulines de Loudun. Il les guérit en peu de temps par des moyens hygiéniques en particulier par un travail manuel assidu et varié [°924].
Il faut en particulier se défier des possessions épidémiques: il peut se faire qu'un cas réel de possession amène chez ceux qui en sont les témoins un état nerveux analogue extérieurement à la possession. Le meilleur moyen d'éviter cette sorte de contagion est de disperser les personnes atteintes et de les éloigner du milieu où elles ont contracté cette nervosité.
Ces remèdes sont, d'une façon générale, tous ceux qui peuvent affaiblir l'action du démon sur l'homme, purifier l'âme et fortifier la volonté contre les assauts diaboliques; d'une façon spéciale, ce sont les exorcismes.
§1544. 1° Remèdes généraux. On emploiera tous ceux que nous avons signalés en parlant de la tentation diabolique [§223-224].
A) L'un des plus efficaces est la purification de l'âme par une bonne confession, surtout une confession générale, qui en nous humiliant et en nous sanctifiant, met en fuite l'esprit orgueilleux et impur. Le Rituel conseille d'y ajouter le jeûne, la prière et la sainte communion [°925]. Plus on est pur et mortifié, et moins le démon a de prise sur nous; et la sainte communion met en nous Celui qui a triomphé de Satan. Toutefois la sainte communion ne doit être recue que dans les moments de calme.
B) Les sacramentaux et les objets bénis ont aussi une grande efficacité, à cause des prières que l'Église a faites en les bénissant. Ste Thérèse avait une confiance spéciale en l'eau bénite, confiance bien fondée puisque l'Église y attache la vertu de chasser le démon [°926]. Mais il faut en user avec un grand esprit de foi, d'humilité et de confiance.
C) Le crucifix, le signe de la croix et surtout les reliques authentiques de la vraie croix sont redoutables au démon qui a été vaincu par la croix: «et qui in ligno vincebat, in ligno quoque vinceretur» [°927]. Pour la même raison l'esprit malin craint beaucoup l'invocation du saint nom de Jésus, qui, d'après la promesse même du Maître, a un pouvoir merveilleux pour mettre le démon en fuite [°928].
§1545. 2° Exorcismes. Jésus-Christ ayant laissé à son Église le pouvoir de chasser les démons, elle institua de bonne heure l'ordre des Exorcistes, auxquels elle conféra le pouvoir d'imposer les mains sur les possédés, catéchumènes ou baptisés; et plus tard elle composa des formules de prières dont ils devaient se servir. Mais, comme la fonction d'exorciste est difficile à remplir, et qu'elle suppose beaucoup de science, de vertu et de tact, ce pouvoir est lié aujourd'hui, et ne peut être exercé d'une façon solennelle que par des prêtres choisis à cet effet par l'Ordinaire. Toutefois les prêtres peuvent faire des exorcismes privés, en utilisant les prières de l'Église ou d'autres formules; les laïques eux-mêmes peuvent réciter ces prières, mais non pas au nom de l'Église [°929].
§1546. Le Rituel indique la façon de procéder et donne aux exorcistes de très sages conseils. Nous ne pouvons que rappeler les principaux. Quand une fois la possession a été constatée et qu'on a été délégué pour pratiquer les exorcismes:
1) Il convient de se préparer à cette fonction redoutable par une humble et sincère confession, afin que le démon ne puisse reprocher aux exorcistes leurs fautes; et par le jeûne et la prière, puisqu'il est des démons qui ne cèdent qu'à ces moyens [Mc 9:28].
2) C'est dans une église ou chapelle que doivent se faire généralement les exorcismes, à moins que, pour de graves raisons on ne juge à propos de les faire dans une maison particulière. En tout cas, l'exorciste ne sera jamais seul avec le possédé: il doit être accompagné de témoins graves et pieux, assez robustes pour maîtriser le patient dans ses crises. S'il s'agit d'une femme, il y aura, pour la contenir, des matrones d'une prudence et vertu éprouvées; et le prêtre y montrera la plus grande réserve et modestie.
§1547. 3) Après avoir récité les prières prescrites, l'exorciste procédera aux interrogations. Il doit poser les questions avec autorité et se borner à celles qui sont utiles, et que conseille le Rituel: sur le nombre et le nom des esprits possesseurs, le temps et les motifs de leur invasion; on le somme de déclarer quand il sortira et à quel signe on reconnaîtra sa fuite, le menaçant, s'il s'obstine à résister, d'augmenter ses tortures en proportion de sa résistance. Dans ce but, on redoublera les adjurations qui semblent l'irriter davantage, les invocations des Saints Noms de Jésus et de Marie, les signes de croix et les aspersions d'eau bénite; on les obligera à se prosterner devant la ste Eucharistie ou le crucifix ou les saintes reliques. -- On évitera avec soin le verbiage, les plaisanteries, les questions oiseuses; si l'esprit malin fait des réponses mordantes ou risibles, se lance dans des digressions, on lui impose silence avec autorité et dignité.
§1548. 4) Il ne faut pas permettre aux témoins, -- qui du reste doivent être peu nombreux [°930], -- de faire des questions; qu'ils se tiennent silencieux, recueillis, et prient en union avec Celui qui chasse les démons.
5) L'exorciste ne doit pas, malgré l'autorité dont il est revêtu, vouloir reléguer le démon dans un lieu plutôt que dans un autre; il se borne à expulser l'esprit malin, en abandonnant son sort à la divine justice. Il faut continuer les exorcismes plusieurs heures, et même plusieurs jours, avec des intervalles de répit, jusqu'à ce que le démon sorte ou du moins se déclare prêt à sortir.
6) Quand la délivrance est bien constatée, l'exorciste prie Dieu d'interdire au démon de jamais rentrer dans le corps qu'il a dû abandonner; il remercie Dieu, et invite la personne délivrée à le bénir; et à éviter avec soin tout péché, pour ne pas retomber sous l'empire du malin.
§1549. Ces phénomènes extraordinaires, divins ou diaboliques, montrent d'un côté la miséricordieuse bonté de Dieu pour ses amis privilégiés, auxquels il accorde, à côté d'indicibles souffrances, comme dans le cas de la stigmatisation, d'insignes faveurs qui sont comme un présage et un prélude de la gloire qu'il leur donnera dans le ciel; et de l'autre la jalousie, la haine du démon qui, lui aussi, veut exercer son pouvoir tyrannique sur les hommes, en les sollicitant au mal d'une façon extraordinaire, en les persécutant quand ils résistent et étendent le règne de Dieu, en torturant par la possession certaines de leurs victimes.
Il y a donc sur terre les deux cités si bien décrites par S. Augustin, les deux camps et les deux étendards dont parle S. Ignace. Les vrais chrétiens ne peuvent hésiter; plus ils se donnent à Dieu, plus ils échappent à l'empire du démon: si Dieu permet qu'ils soient éprouvés, ce n'est que pour leur bien, et, au milieu même de leurs angoisses, ils peuvent redire en toute confiance: «Si Deus pro nobis, quis contra nos? [Rm 8:31]... Quis ut Deus?»
§1550. Jusqu'ici nous avons exposé la doctrine communément reçue dans les diverses écoles de spiritualité, et nos lecteurs ont pu se rendre compte qu'elle suffit pleinement pour conduire et élever les âmes à la plus haute perfection, Dieu n'ayant pas voulu attacher le progrès dans la sainteté à la solution des questions librement controversées. Le moment est venu cependant d'exposer brièvement les principaux points en discussion; nous le ferons aussi impartialement que possible, en vue non pas de concilier des opinions divergentes (ce qui est impossible), mais d'essayer un rapprochement entre les hommes modérés des diverses écoles.
§1551. Causes de ces divergences. Un mot d'abord sur les causes principales de ces divergences.
1) La première se tire assurément de la difficulté même et de l'obscurité des questions débattues. Ce n'est pas en effet chose aisée de pénétrer les secrets desseins de Dieu sur l'appel universel des baptisés à la contemplation infuse, ou de préciser la nature même de cet acte mystérieux où la part principale revient à Dieu, et où l'âme est plus passive qu'active, où elle reçoit lumière et amour sans perdre sa liberté. Il n'est donc pas étonnant que les auteurs qui essaient de se rendre compte de ces merveilles, n'arrivent pas toujours aux mêmes explications.
2) Il est une autre cause qui vient de la diversité des méthodes. Comme nous l'avons dit [§28], toutes les Écoles s'efforcent de combiner ensemble les deux méthodes, expérimentale et déductive, mais, tandis que les unes font surtout appel à l'expérience, d'autres s'appuient davantage sur la méthode déductive. De là des différences dans les conclusions: les uns, frappés du petit nombre des contemplatifs, l'expliqueront en disant que tous ne sont pas appelés à la contemplation; les autres, voyant que nous avons tous un organisme surnaturel suffisant pour arriver à la contemplation, en concluront que s'il y a peu de contemplatifs, c'est parce qu'il y a peu d'âmes assez généreuses pour faire les sacrifices nécessaires à la contemplation.
§1552. 3) Cette divergence de vues est accentuée par le tempérament, l'éducation, le genre de vie que l'on mène: il y a des natures plus aptes à la contemplation que d'autres, et lorsque cette aptitude est augmentée par l'éducation et le genre de vie, on est naturellement porté à penser que la contemplation est quelque chose de normal; d'autres, plus actifs, et trouvant, dans leur tempérament et leurs occupations, plus d'obstacles à la contemplation, en concluent facilement que c'est un état extraordinaire.
4) Enfin il ne faut pas oublier que les systèmes philosophiques et théologiques qu'on a embrassés sur la connaissance et l'amour, sur la grâce efficace et suffisante, ont leur retentissement en théologie mystique; ainsi, quand on admet, avec les thomistes, que la grâce est efficace par elle-même, on est plus enclin à voir dans l'état passif le prolongement de l'état actif, puisque même dans ce dernier on agit déjà sous la motion efficace de la grâce.
Qu'on ne soit donc pas surpris de ces divergences sur des points si ardus, et que chacun demeure libre de choisir le système qui lui semble le mieux fondé.
On peut ramener à trois les principales questions discutées aujourd'hui: 1° la nature de la contemplation infuse; 2° l'appel universel à cette contemplation; 3° le moment normal où elle commence.
§1553. Tout le monde admet que la contemplation infuse ou mystique est un don gratuit de Dieu qui nous met dans l'état passif et nous donne une connaissance et un amour de Dieu que nous n'avons qu'à recevoir. Mais en quoi consiste cette connaissance? Elle est évidemment distincte de celle que nous acquérons à l'aide des lumières de la foi; de l'aveu de tous, elle est expérimentale ou quasi-expérimentale [§1394]. Mais est-elle immédiate, sans intermédiaire, ou est-elle médiate, avec des espèces soit acquises soit infuses? Deux systèmes sont en présence.
§1554. 1° Théorie de la connaissance immédiate. Cette théorie qui se réclame de l'autorité du Pseudo-Denys, de l'école de S. Victor et de l'école mystique flamande, admet que la contemplation infuse est une perception ou intuition ou vision immédiate, quoique obscure et confuse de Dieu; étant immédiate, elle se distingue de la connaissance ordinaire de la foi; étant obscure, elle diffère de la vision béatifique. Il y a des nuances dans la façon dont on l'expose.
Ainsi le P. Poulain [°933], s'appuyant sur la théorie des sens spirituels, pense que l'âme contemplative sent directement la présence de Dieu: «Pendant cette union, quand elle n'est pas trop élevée, nous ressemblons à un homme placé auprès d'un de ses amis, mais dans un lieu complètement obscur, et en silence. Il ne le voit donc pas, il ne l'entend pas, seulement il sent qu'il est là, au moyen du toucher, parce qu'il tient sa main dans la sienne. Il reste ainsi à penser à lui et à l'aimer».
§1555. Le P. Maréchal, après avoir constaté que les mystiques affirment l'existence, dans les états de haute contemplation, d'une intuition intellectuelle de Dieu et de l'indivisible Trinité, estime «que la haute contemplation implique un élément nouveau, qualitativement distinct des activités normales et de la grâce ordinaire... la présentation active, non symbolique, de Dieu à l'âme, avec son corrélatif psychologique: l'intuition immédiate de Dieu par l'âme» [°934]. Ce qui, ajoute-t-il, ne paraît pas tellement étrange si l'on admet (ce qu'il a exposé auparavant) que l'intuition de l'être est pour ainsi dire le centre de la perspective de la psychologie humaine.
Cette théorie est perfectionnée par le P. Picard [°935]. Après avoir exposé qu'au point de vue naturel, une saisie ou intuition immédiate de Dieu, mais confuse et obscure, n'est pas impossible quand une fois on a démontré l'existence de Dieu par les preuves classiques, il fait l'application de cette théorie à la contemplation mystique. Ce Dieu, dont la présence s'est animée au fond de l'âme «tantôt s'empare d'elle en l'étreignant par ses facultés connaissantes qu'il concentre sur Lui, dans le silence, l'admiration et la paix; tantôt il saisit en maître sa volonté et ses puissances affectives... lorsque la saisie de l'âme par Dieu se fait sentir à l'âme plutôt selon ses facultés de connaissance, nous avons l'oraison de recueillement; lorsque l'âme se sent prise par ses puissances volontaires et affectives, elle est dans l'oraison de quiétude». L'auteur montre ensuite qu'au fur et à mesure que Dieu augmente la force de son étreinte, qu'il lui donne un empire plus absolu, plus exclusif, plus envahissant, l'âme progresse dans les degrés supérieurs de la contemplation.
Il ajoute enfin que cette théorie est bien distincte de l'ontologisme; car elle affirme que la notion d'être trouve son origine dans la perception de l'être fini, qu'elle est analogue, et attend, pour être appliquée à Dieu, que l'existence de Dieu ait été démontrée. Elle rejette la vision en Dieu: c'est notre esprit fini et imparfait, qui, à l'aide de ses seules idées et actes finis et imparfaits, atteint toutes les vérités dont il prend connaissance; d'ailleurs cette intuition est essentiellement confuse et obscure.
§1556. 2° Connaissance médiate. Mais l'opinion communément admise est que la connaissance du contemplatif, si parfaite soit-elle, demeure médiate en même temps que confuse et obscure, bien que quasi-expérimentale. Dans les premiers degrés, Dieu se contente de projeter sa lumière, la lumière des dons , sur nos concepts déjà existants, soit en attirant notre attention sur une idée d'une façon saisissante, soit en tirant de deux prémisses une conclusion qui nous frappe vivement [§1390]; dans les états supérieurs, comme l'union extatique, il met en nous de nouvelles espèces intelligibles qui représentent les vérités divines d'une façon beaucoup plus saisissante que nos propres concepts, et c'est alors que l'âme est dans le ravissement en percevant des vérités qui jusque là lui étaient inconnues. Et, comme elle goûte et savoure ces vérités, elle en a une connaissance quasi-expérimentale. Cette connaissance demeure donc une connaissance de foi mais beaucoup plus vive et surtout beaucoup plus affectueuse que la connaissance ordinaire et ce qui la différencie de celle-ci, c'est qu'elle est reçue de Dieu, l'âme recevant à la fois connaissance et amour et n'ayant qu'à consentir à l'action divine qui produit en elle ces dons si précieux.
§1557. Nous nous rallions à cette doctrine que nous avons déjà exposée dans notre chapitre second. Elle nous paraît mieux sauvegarder la différence essentielle entre la contemplation, qui demeure médiate et obscure, per speculum et in aenigmate, et la vision béatifique qui est immédiate et claire. Mais nous nous garderons bien d'accuser d'ontologisme ceux qui maintiennent comme probable l'opinion d'une intuition immédiate, du moment qu'ils insistent sur son caractère confus et obscur, et rejettent le principe fondamental de l'ontologisme, en affirmant que l'esprit ne s'élève à Dieu qu'en partant des créatures [°936].
Sans doute plusieurs mystiques emploient des expressions hardies qui semblent, à première vue, supposer qu'ils sont en contact immédiat avec la substance divine, qu'ils voient Dieu; mais, quand on examine le contexte, il semble bien que ces paroles doivent s'entendre des effets produits dans l'âme par l'action divine [°937]. Par le don de sagesse nous goûtons l'amour, la joie, la paix spirituelle, que Dieu met dans notre âme: de là ce nom de goûts divins donné à l'oraison de quiétude par Ste Thérèse. Par les touches divines il semble aux mystiques que la substance même de leur âme est atteinte, tant l'impression produite par l'amour divin est profonde! Mais quand ils viennent à détailler leurs impressions, ce qu'ils décrivent se ramène aux différents effets d'un amour ardent et généreux. On peut donc penser que s'ils emploient ces expressions si fortes, c'est à cause de la pauvreté du langage humain à décrire les impressions de grâce produites en leur âme.
§1558. Il ne s'agit pas ici de l'appel individuel et prochain à la contemplation infuse, dont nous avons déjà parlé [§1406]; sur ce point tout le monde s'entend et accepte la doctrine de Tauler et de S. Jean de la Croix. Mais il s'agit de l'appel éloigné suffisant et général; en d'autres termes, on se demande si toutes les âmes en état de grâce sont appelées d'une façon générale, éloignée et suffisante à la contemplation infuse. Or sur ce point précis il y a deux solutions opposées, qui découlent, en grande partie du moins, de l'idée différente qu'on se fait de la contemplation.
§1559. 1° L'appel universel, éloigné et suffisant, est admis aujourd'hui, avec des nuances diverses, par un grand nombre d'auteurs, appartenant à divers Ordres Religieux, comme les Dominicains [°938], les Bénédictins [°939]; on en trouve aussi quelques-uns chez les Franciscains [°940], les Carmes [°941], les Pères de la Compagnie de Jésus [°942], les Eudistes [°943], et, dans le clergé séculier [°944]; des Revues, en particulier la Vie spirituelle, ont été fondées pour soutenir et propager cette opinion. -- Le P. Garrigou-Lagrange expose vigoureusement cette thèse, en essayant d'établir que la vie mystique est le développement normal de la vie intérieure, et que par conséquent toutes les âmes en état de grâce y sont appelées. Voici en résumé ses arguments:
a) Le principe radical de la vie mystique est le même que celui de la vie intérieure commune: c'est la grâce sanctifiante ou grâce des vertus et des dons. Or ces dons grandissent avec la charité, et, quand ils sont arrivés à leur entier développement, ils agissent en nous selon leur mode supra-humain, et nous mettent dans l'état passif ou mystique. Donc le principe de la vie intérieure contient en germe la vie mystique, qui est ici-bas comme la fleur de la vie surnaturelle.
§1560. b) Dans le progrès de la vie intérieure, la purification de l'âme n'est complète que par les purifications passives. Or ces purifications sont d'ordre mystique. Donc la vie intérieure ne peut atteindre son progrès complet que par la vie mystique.
c) La fin de la vie intérieure est la même que celle de la vie mystique, c'est une disposition très parfaite à recevoir la lumière de gloire aussitôt après la mort, sans passer par le purgatoire. «Or la disposition parfaite à recevoir la vision béatifique sitôt après le dernier soupir, ne peut être que la charité intense d'une âme pleinement purifiée, avec l'ardent désir de voir Dieu, tels que nous les constatons dans l'union mystique, et particulièrement dans l'union transformante. Celle-ci est donc bien ici-bas le sommet du développement de la vie de la grâce» [°945].
§1561. 2° Théorie d'un appel spécial et limité. Cependant ces arguments ne paraissent pas convaincants à tout le monde; et un grand nombre d'auteurs spirituels appartenant à la Compagnie de Jésus, comme le Card. Billot, les PP. de Maumigny, Poulain, Bainvel, J. de Guibert, aux Carmes déchaussés, comme le P. Marie-Joseph du Sacré-Creur, ou vivant en dehors des écoles, comme Mgr Lejeune et Mgr Farges, pensent que la contemplation infuse est un don gratuit qui n'est pas donné à tout le monde, et qui par ailleurs n'est pas nécessaire pour arriver à la sainteté. Nous résumons leurs arguments [°946].
a) Assurément la théorie précédente est une magnifique construction théologique; mais plusieurs des pierres de cet édifice ne semblent pas également solides. Ainsi il n'est pas démontré «que le septenaire des dons corresponde à sept habitus infus distincts, et non pas seulement à sept ordres de grâces diverses, à la réception desquelles l'intelligence et la volonté sont préparées chacune par un seul habitus. Et en outre, cela fût-il démontré, il faudrait prouver encore que les dons de Sagesse et d'Intelligence ne peuvent exercer pleinement leur fonction que dans la contemplation, et non pas aussi dans la réception des grâces de lumière ne comportant pas nécessairement cette forme particulière d'oraison: ce qui ne paraît pas non plus hors de conteste» [°947].
Il n'est pas démontré non plus que les dons agissent toujours selon le mode supra-humain; le Card. Billot [°948] pense que ces dons agissent de deux façons, tantôt d'une façon ordinaire, en s'accommodant à notre mode humain d'agir, et tantôt d'une façon extraordinaire, en produisant en nous la contemplation infuse.
§1562. b) Sans doute les épreuves passives semblent être le plus puissant moyen de purifier une âme, en la faisant passer par un véritable purgatoire; mais, dans cette vallée de larmes où il y a tant d'occasions de souffrir et de se mortifier, n'est-il pas possible, par une douce résignation à la volonté de Dieu et par des mortifications positives faites sous la conduite du Saint Esprit et d'un sage directeur, d'arriver à faire son Purgatoire sur terre? Est-il démontré que les grâces de la contemplation soient la seule forme des grâces de choix? Tout le monde avoue qu'il y a des âmes non encore élevées à la contemplation infuse, qui sont plus parfaites que d'autres que Dieu, par un libre choix, élève à la contemplation, afin précisément de les rendre meilleures [§1407]; étant plus parfaites, elles sont par là même mieux purifiées. Il peut donc arriver qu'au moment de la mort leur purification soit complète.
c) Il est bien vrai que la fin de la vie intérieure comme de la vie mystique est de nous préparer à la vision béatifique, et que l'union transformante en est, pour certaines âmes, la meilleure préparation. Est-ce la seule? Il y a des âmes qui restent dans l'oraison discursive et affective et sont des modèles de vertus héroïques, qui extérieurement, et aux yeux de ceux qui les connaissent à fond paraissent aussi vertueuses et même plus que d'autres qui sont contemplatives. Est-il prouvé que les dons du Saint Esprit n'interviennent pas d'une façon éminente dans ces milliers d'oraisons jaculatoires que font certaines personnes en vaquant à leurs occupations chaque jour, dans l'exercice constant et surnaturel des devoirs professionnels, qui par leur continuité demandent un courage héroïque? Et cependant, quand on interroge ces personnes, on ne trouve pas de traces de contemplation proprement dite, au moins habituelle. -- Ne faut-il donc pas avouer que Dieu, qui sait adapter ses grâces au caractère, à l'éducation, à la situation providentielle de chacun, ne conduit pas toutes les âmes par les mêmes voies; que, tout en demandant à chacune une docilité parfaite aux inspirations du Saint Esprit, il se réserve de les sanctifier par des moyens différents?
§1563. 3° Essai de rapprochement. En réfléchissant sur les raisons apportées de part et d'autre il nous a semblé que les deux opinions pouvaient se rapprocher.
A) Constatons tout d'abord les points communs sur lesquels les hommes modérés de chaque opinion s'entendent: --
a) Il y a eu et il peut y avoir des contemplatifs de tous les tempéraments et de toutes les conditions; mais en fait il y a des tempéraments et des genres de vie qui sont plus aptes que d'autres à la contemplation infuse. La raison en est que la contemplation est un don gratuit, que Dieu accorde à qui il veut et quand il le veut [§1387], et que par ailleurs Dieu a coutume d'adapter ses grâces au tempérament et aux devoirs professionnels de chacun.
b) La contemplation n'est pas la sainteté, mais un des moyens les plus efficaces pour y arriver; la sainteté consiste en effet dans la charité, l'union intime et habituelle à Dieu. Or la contemplation est bien en soi la voie de raccourci pour arriver à cette union, mais ce n'est pas la seule, et il y a des âmes non contemplatives qui «peuvent être plus avancées dans la vertu, dans la vraie charité, que d'autres qui ont reçu plus rapidement la contemplation infuse» [°949].
c) Nous avons tous reçu au baptême un organisme surnaturel (grâce habituelle, vertus et dons) qui, lorsqu'il est arrivé à son plein développement, conduit normalement à la contemplation, en ce sens qu'il nous donne cette souplesse, cette docilité qui permet à Dieu de nous mettre dans l'état passif quand il veut et de la manière qu'il le veut. Mais en fait il y a des âmes qui, sans qu'il y ait de leur faute, n'arrivent pas sur terre à la contemplation [°950].
§1564. B) Malgré l'accord sur ces points importants, il reste cependant des divergences, qui viennent, nous le pensons, de tendances plus ou moins favorables à l'état mystique, et du caractère plus ou moins ordinaire ou extraordinaire qu'on attribue à cet état. Nous exposerons modestement notre solution, qui comprend deux affirmations: a) la contemplation infuse est en soi un prolongement normal de la vie chrétienne; b) cependant, en fait, toutes les âmes en état de grâce ne semblent pas appelées à cette contemplation; y compris l'union transformante.
a) La contemplation infuse, quand on la considère indépendamment des phénomènes mystiques extraordinaires qui parfois l'accompagnent, n'est pas quelque chose de miraculeux, d'anormal, mais résulte de deux causes: la culture de notre organisme surnaturel, surtout des dons du Saint Esprit [§1355], et d'une grâce opérante qui elle-même n'a rien de miraculeux. Nous avons dit en effet que l'infusion d'espèces intellectuelles nouvelles n'est pas nécessaire pour les premiers degrés de contemplation [§1390]. -- On peut même ajouter, avec le Congrès carmélitain de Madrid, que la contemplation est en soi l'état d'union entre Dieu et l'âme le plus parfait qu'on puisse atteindre en cette vie, l'idéal le plus élevé et comme la dernière étape de la vie chrétienne en ce monde dans les âmes appelées à l'union mystique avec Dieu, le chemin ordinaire de la sainteté et de la vertu habituellement héroïque [°951]. Cette doctrine semble bien être la doctrine traditionnelle telle qu'on la trouve dans les auteurs mystiques, depuis Clément d'Alexandrie jusqu'à Saint François de Sales.
§1565. b) Cependant il ne résulte pas nécessairement de ces prémisses que toutes les âmes en état de grâce soient vraiment appelées, même d'une façon éloignée, à l'union transformante. De même qu'au ciel il y a des degrés très différents dans la gloire, «stella enim a stella differt in claritate» [1Co 15:41], ainsi il y a sur terre différents degrés de sainteté auxquels les âmes sont appelées dès cette vie. Or Dieu, toujours libre dans la distribution de ses dons, et qui sait adapter son action au tempérament, à l'éducation et au genre de vie de chacun, peut élever les âmes au degré de sainteté auquel il les destine, par des voies diverses.
À celles qui, par leur caractère plus actif, et leurs occupations plus absorbantes, semblent faites pour l'action plus que pour la contemplation, il donnera des grâces pour exercer surtout les dons actifs: ces âmes vivront dans l'union intime et habituelle avec Dieu, parfois même multiplieront leurs oraisons jaculatoires au delà de ce qui semble dépasser les forces humaines; et surtout elles accompliront, sous le regard de Dieu et par amour pour lui, avec une constance héroïque, les mille petits devoirs de chaque jour, constamment dociles aux inspirations de la grâce. Ainsi elles atteindront le degré de sainteté auquel Dieu les destine, et cela sans le secours, au moins habituel, de la contemplation infuse. Elles seront dans la voie unitive simple, telle que nous l'avons décrite [§1303 ss].
On dit sans doute que ce sont là des exceptions, et que la voie normale de la sainteté est la contemplation [°952]. Mais quand ces exceptions sont nombreuses, ne faut-il pas en tenir compte dans le problème de l'appel éloigné, puisque le tempérament et les devoirs d'état sont des éléments qui aident à résoudre la question de la vocation?
Au fond, l'accord est plus réel que ne semble l'indiquer la différence de langage. Les uns, se plaçant au point de vue abstrait et formel, admettent des exceptions nombreuses à l'appel universel, mais maintiennent le principe de l'universalité; les autres, se plaçant sur le terrain pratique des faits, préfèrent déclarer tout simplement que l'appel n'est pas universel, bien que la contemplation soit un prolongement normal de la vie chrétienne.
§1566. c) La solution que nous proposons est, ce nous semble, appuyée sur la doctrine traditionnelle. 1) D'un côté, presque tous les auteurs spirituels, de Clément d'Alexandrie à S. François de Sales, traitent de la contemplation comme du couronnement normal de la vie spirituelle [°953]. 2) D'un autre côté bien peu d'entre eux examinent explicitement la question de l'appel universel à la contemplation; ceux qui le font ne s'adressent la plupart du temps qu'à des âmes d'élite, vivant dans des communautés contemplatives ou du moins très ferventes. Quand donc ils affirment que tous ou presque tous peuvent arriver à la fontaine d'eau vive (contemplation), c'est pour les membres de leur communauté qu'ils parlent, et non pour toutes les âmes en état de grâce. Par ailleurs, à partir du XVIIe s., époque où l'on commence à entrer dans la voie des précisions, un grand nombre d'auteurs demandent pour la contemplation infuse un appel spécial, et plusieurs affirment positivement qu'on peut arriver à la sainteté sans cette contemplation [°954].
Il y a donc lieu de ne pas confondre les deux questions; et on peut admettre que la contemplation est le prolongement normal de la vie spirituelle, sans affirmer que toutes les âmes en état de grâce sont appelées à l'union transformante.
§1567. Ajoutons que l'acquisition de la sainteté et la direction des âmes qui y tendent, ne dépendent pas de la solution de ce problème si ardu. Quand on insiste sur la culture des dons du Saint Esprit aussi bien que sur le détachement parfait de soi-même et des créatures, quand on conduit peu à peu les âmes à l'oraison de simplicité, qu'on leur apprend à écouter la voix de Dieu et à suivre ses inspirations, on les met ainsi sur le chemin qui conduit à la contemplation; le reste appartient à Dieu, qui seul peut saisir ces âmes, et, selon la gracieuse comparaison de Ste Thérèse, les mettre dans le nid, c'est-à-dire dans le repos contemplatif.
§1568. Avec le commun des auteurs, nous pensons que la contemplation infuse appartient à la voie unitive. Sans doute il est des cas exceptionnels où Dieu élève à la contemplation des âmes moins parfaites, précisément en vue de les perfectionner plus efficacement [§1407]. Mais ce n'est pas là ce qu'il fait habituellement.
Cependant des auteurs de marque, comme le P. Garrigou-Lagrange, placent dans la voie illuminative la purification des sens et l'oraison de quiétude. Ils s'appuient sur S. Jean de la Croix, qui écrit, dans la Nuit obscure [°955]: «La purification passive des sens est commune, elle se produit chez le grand nombre des commençants... Les progressants ou avancés se trouvent dans la voie illuminative, c'est là que Dieu nourrit et fortifie l'âme par contemptation infuse». Nous connaissons ce texte depuis longtemps, mais avec le traducteur du grand mystique, H. Hoornaert [°956], nous interprétons ce passage autrement. S. Jean de la Croix ne parle, dans ses divers ouvrages, que de la contemplation infuse; or, dans cette contemplation, il y a des débutants, des progressants et des parfaits: les débutants sont, pour lui, ceux qui vont entrer dans la purification passive des sens: voilà pourquoi il en parle dès le premier chapitre de la Nuit obscure; les avancés sont ceux qui sont entrés dans la contemplation infuse, la quiétude et l'union pleine; les parfaits sont ceux qui ont traversé la nuit de l'esprit et sont dans l'union extatique ou l'union transformante. C'est donc un point de vue différent.
§1569. D'ailleurs au point de vue didactique, qui doit dominer dans un Précis, il importe de rapprocher tout ce qui se rapporte aux différents genres de contemplation, afin d'en mieux faire ressortir la nature et les divers degrés. Voilà pourquoi nous avons cru devoir conserver le plan communément suivi. Mais je me hâte d'ajouter que Dieu, dont les voies sont aussi multiples qu'admirables, ne suit pas toujours les cadres logiques que nous essayons de tracer; l'important pour le directeur est de suivre les mouvements de la grâce et non de les précéder.
§1570. Voilà pourquoi nous ajoutons en terminant avec l'Ami du Clergé [°957] que «ce qui est discuté si vivement en théorie n'empêche pas la certitude sur un certain nombre de règles pratiques essentielles... Pour profiter des bienfaits médicinaux d'une plante, il n'est pas strictement indispensable de connaître sa famille et son nom scientifique. Il en va de même pour la contemplation: on ne s'entend ni sur sa définition ni sur la place qu'il convient de lui assigner dans les classifications théologiques... Sans attendre les résultats techniques et théoriques, nos confrères en savent assez pour connaître le but vers lequel s'acheminent les âmes généreuses et pré-destinées et pour les aider à l'atteindre». -- C'est ce qui résultera plus clairement des conclusions que nous allons maintenant tirer.
Au cours de ce livre nous avons déjà plusieurs fois tracé les règles à suivre pour cette direction; il importe d'en donner un coup d'oeil synthétique, et d'indiquer quelle doit être la conduite du directeur pour préparer les âmes à la contemplation, les guider au milieu des écueils qu'on y rencontre, les relever si elles avaient le malheur de déchoir.
§1571. 1° C'est un devoir pour le directeur, s'il a sous sa conduite des âmes généreuses, de les préparer peu à peu à la voie unitive et à la contemplation. Ici deux excès à éviter: celui de vouloir pousser toutes les âmes pieuses indistinctement et rapidement à la contemplation, et celui de s'imaginer qu'il est inutile de s'en occuper.
§1572. A) Pour éviter le premier écueil: a) le directeur se rappellera que normalement on ne peut songer à la contemplation que lorsqu'on a pratiqué pendant longtemps l'oraison et les vertus chrétiennes, la pureté de coeur, le détachement de soi et des créatures, l'humilité, l'obéissance, la conformité à la volonté de Dieu, l'esprit de foi, de confiance et d'amour.
Il se rappellera l'enseignement de S. Bernard [°958]: S'il y a, parmi les moines, des contemplatifs, ce ne sont pas les novices dans la vertu, qui, récemment morts au péché, travaillent dans les gémissements et la crainte du jugement à guérir leurs plaies encore fraîches. Ce sont ceux qui, après une longue coopération à la grâce, ont fait des progrès sérieux dans la vertu, n'ont plus à tourner et à retourner dans leur esprit la triste image de leurs péchés, mais font leurs délices de méditer jour et nuit et de pratiquer la loi de Dieu.
b) S'il remarquait des désirs empressés, présomptueux pour la contemplation, il aurait soin de les calmer, en rappelant que nul ne peut s'y ingérer, et que d'ailleurs les suavités de l'oraison sont généralement précédées d'amères épreuves.
c). Il se gardera bien de confondre les consolations sensibles des commençants ou même spirituelles des progressants avec les goûts divins [§1439], et attendra, pour se prononcer sur l'entrée dans l'état passif, l'apparition des trois signes distinctifs que nous avons exposés [§1413-1416].
§1573. B) Pour éviter le second écueil, il se rappellera que Dieu, toujours libéral en ses dons, se communique généreusement aux âmes ferventes et dociles.
a) Sans parler directement de contemplation, il formera les bonnes âmes non seulement aux vertus, mais à la dévotion au Saint Esprit: il leur rappellera souvent l'habitation de ce divin Esprit dans l'âme, le devoir de penser souvent à lui, de l'adorer, d'obéir à ses inspirations, de cultiver ses dons.
b) Il les aidera peu à peu à rendre leur oraison plus affective, à prolonger les actes de religion, d'amour, de donation de soi-même, d'abandon à la volonté de Dieu, actes qu'ils rediront souvent dans le courant de la journée, par une simple élévation de coeur, et sans négliger leurs devoirs d'état, et la pratique des vertus. -- Quand il remarquera qu'elles sont portées à demeurer silencieusement sous le regard de Dieu, pour l'écouter et faire sa volonté, il les encouragera en leur disant que c'est là une oraison excellente et très fructueuse.
§1574. 2° Quand l'âme est entrée dans les voies mystiques, le directeur a besoin d'une prudence extrême pour guider l'âme au milieu des sécheresses et des douceurs divines.
A) Il faut, dans les épreuves passives, soutenir l'âme contre le découragement et les autres tentations, comme nous l'avons indiqué [§1432-1434].
B) Dans la contemplation suave, on peut être exposé à la gourmandise spirituelle ou à la vaine complaisance.
a) Pour éviter le premier défaut, il importe de se rappeler sans cesse que c'est Dieu seul, et non les goûts divins, qu'il faut aimer, que les consolations ne sont qu'un moyen pour nous unir à lui, et qu'il faut être prêt à y renoncer de coeur, aussitôt qu'il lui plaît de nous en sevrer: Dieu seul suffit.
b) Parfois Dieu se charge lui-même d'empêcher les mouvements d'orgueil, en imprimant dans l'âme d'une façon très vive le sentiment de son néant et de ses misères, et en montrant clairement que ces faveurs sont un pur don, dont on ne peut nullement se prévaloir. Mais, quand les âmes n'ont pas été complètement purifiées par la nuit de l'esprit, elles ont besoin, comme le dit Ste Thérèse, de s'exercer sans cesse à l'humilité et à la conformité à la volonté de Dieu [§1447, §1474]. Il faudra surtout les prémunir contre le désir des visions, révélations et autres phénomènes extraordinaires; il n'est jamais permis de les désirer, et les saints les repoussent soigneusement, par humilité [§1496].
§1575. C) On n'oubliera pas que l'extase est une illusion quand elle n'est pas accompagnée d'une extase dans la vie, selon l'expression de S. François de Sales, c'est-à-dire de la pratique des vertus héroïques [§1461]. Ce serait une grave illusion de négliger les devoirs d'état pour donner plus de temps à la contemplation: le P. Balthazar Alvarez, qui avait été confesseur de Ste Thérèse, déclare nettement qu'on doit laisser la contemplation pour remplir son office ou subvenir aux besoins du prochain; il ajoute que Dieu donne à celui qui sait ainsi se mortifier plus de lumière et d'amour en une heure d'oraison qu'à un autre en plusieurs heures [°959].
§1576. D) Ce serait une illusion plus grave ençore de s'imaginer que la contemplation confère le privilège de l'impeccabilité. L'histoire montre que les faux mystiques qui, comme les Béghards et les Quiétistes, se croyaient impeccables, sont tombés dans les vices les plus grossiers. Ste Thérèse insiste constamment sur la nécessité de la vigilance pour éviter le péché, même quand on est arrivé aux plus hauts degrés de la contemplation; et S. Philippe de Néri disait souvent: «Mon Dieu, méfiez-vous de Philippe, autrement il vous trahirait». Nous ne pouvons en effet persévérer longtemps sans une grâce spéciale; or cette grâce est accordée aux humbles qui se défient d'eux-mêmes et mettent toute leur confiance en Dieu.
§1577. 3° Il faut donc prévoir le cas où des âmes contemplatives tomberaient dans le péché. Ces chutes peuvent provenir de plusieurs causes:
a) L'âme avait été élevée à la contemplation avant d'avoir suffisamment maîtrisé ses passions; au lieu de continuer vigoureusement la lutte, elle s'est endormie dans un doux repos; de violentes tentations ont surgi, et, trop confiante en elle-même, elle a succombé. -- Le remède, c'est la componction, c'est le retour à Dieu avec un coeur contrit et humilié, c'est une longue et laborieuse pénitence: plus on est tombé de haut, et plus il faut d'efforts humbles et constants pour remonter la pente et revenir aux sommets. Il appartient au directeur de le lui rappeler sans cesse avec bonté et fermeté.
b) Il est des contemplatifs qui avaient lutté vigoureusement pour dominer leurs tendances mauvaises; ils y avaient réussi; mais s'imaginant que la lutte est finie, ils ralentissent leurs efforts, manquent de générosité dans l'accomplissement de certains devoirs considérés comme moins importants; c'est une sorte de relâchement progressif, qui pourrait engendrer la tiédeur. -- Il importe d'enrayer ce mouvement rétrograde, en leur rappelant que plus le Bon Dieu se montre généreux à leur égard, et plus ils doivent redoubler de ferveur; que les moindres négligences dans les amis de Dieu blessent au vif Celui qui leur prodigue ses faveurs. Qu'on lise dans l'auto-biographie de Ste Marguerite-Marie les reproches sévères que Notre Seigneur lui adressait pour la corriger de ses moindres infidélités, de ses manques de respect et d'attention dans le temps de l'office et de l'oraison, des défauts de droiture et de pureté en ses intentions, de la vaine curiosité, des moindres manquements à l'obéissance, même en vue de s'infliger plus d'austérités; et qu'on s'inspire de ces reproches pour ramener ces âmes à la ferveur.
§1578. c) D'autres s'attendaient à ne trouver dans la contemplation, après les premières épreuves passives, que suavité et goûts divins. Or en réalité Dieu continue de leur envoyer alternativement des désolations et des consolations, afin de les sanctifier d'une façon plus efficace. Elles se découragent et sont exposées au relâchement et à ses suites. -- Le grand remède, c'est de leur inculquer sans cesse l'amour de la croix, non que la croix soit aimable en elle-même, mais parce qu'elle nous rend plus conformes à Jésus crucifié.
D'ailleurs, disait le Bx Curé d'Ars [°960], «la croix est le don que Dieu fait à ses amis. Il faut demander l'amour des croix, alors elles deviennent douces. J'en ai fait l'expérience... oh! j'avais bien des croix, j'en avais presque plus que je n'en pouvais porter! Je me mis à demander l'amour des croix; alors je fus heureux... Vraiment il n'y a de bonheur que là».
Pour tout résumer en un mot, ce que le directeur des âmes contemplatives doit faire, c'est d'étudier les ouvrages et les biographies des mystiques, et de demander le don de conseil, pour ne rien dire à ces âmes qu'après avoir consulté le Saint Esprit.
§1579. Après avoir parcouru les trois voies ou les trois étapes qui mènent à la perfection, il ne sera pas inutile de voir comment chaque année la Sainte Église nous invite, dans sa liturgie, à recommencer et à perfectionner l'oeuvre de notre sanctification, avec ses trois degrés, la purification, l'illumination et l'union à Dieu. La vie spirituelle est en effet une série de perpétuels recommencements, et le cycle liturgique vient chaque année nous solliciter à de nouveaux efforts.
Tout, dans la liturgie, se rapporte au Verbe Incarné, médiateur de religion aussi bien que de rédemption, qui nous est présenté non seulement comme un modèle à imiter, mais aussi comme la tête d'un corps mystique qui vient vivre dans ses membres pour leur faire pratiquer les vertus dont il leur a donné l'exemple. Chaque fête, chaque période liturgique nous rappelle donc quelqu'une des vertus de Jésus, et nous apporte les grâces qu'il a méritées pour que nous les reproduisions en nous, avec sa collaboration.
§1580. L'année liturgique, qui correspond aux quatre saisons de l'année, s'harmonise bien aussi avec les quatre phases principales de la vie spirituelle [°962]. L'Avent correspond à la voie purgative; le temps de Noël et de l'Epiphanie répond à la voie illuminative où nous suivons Jésus en imitant ses vertus; le temps de la Septuagésime et du Carême amène une seconde purification de l'âme, plus profonde que la première; le temps pascal, c'est la voie unitive, avec l'union à Jésus ressuscité, union qui se perfectionne avec l'Ascension, et la descente du Saint Esprit. -- Expliquons brièvement ce cycle liturgique.
§1581. 1° L'Avent, qui signifie avènement, est une préparation à la venue du Sauveur, et, comme telle, une période de purification et de pénitence.
L'Église nous invite à méditer sur le triple avènement de Jésus: sa venue sur terre par l'Incarnation, son entrée dans les âmes par la grâce, son apparition à la fin des temps pour juger tous les hommes. Mais c'est sur le premier avènement qu'elle attire surtout notre attention: elle nous rappelle les soupirs des patriarches et des prophètes, pour nous faire désirer avec eux la venue du Libérateur promis, et l'établissement ou l'affermissement de son royaume dans nos âmes. C'est donc un temps de saints désirs et d'ardentes supplications, où nous demandons à Dieu de faire descendre sur nous la rosée de la grâce et surtout le Rédempteur lui-même: Rorate, caeli, desuper, et nubes pluant justum! Cette prière devient plus pressante, avec les grandes antiennes, O Emmanuel, Rex gloriae, Oriens, etc., qui en nous rappelant les titres glorieux donnés au Messie par les prophètes et les principaux traits de sa mission, nous fait désirer la venue de Celui qui seul peut soulager notre détresse.
§1582. Mais c'est aussi un temps de pénitence. L'Église nous y rappelle le jugement dernier auquel il faut nous préparer par l'expiation de nos péchés; la prédication de S. Jean Baptiste nous invitant à faire pénitence pour préparer la voie au Sauveur: «Parate viam Domini, rectas facite semitas ejus» [Lc 3:4]. Autrefois on jeûnait trois fois par semaine, on le fait encore dans certains Ordres religieux, et si l'Église n'impose plus le jeûne à ses enfants, elle les exhorte à y suppléer par d'autres mortifications, et, pour le leur rappeler, célèbre les messes du temps en couleur violette, symbole de deuil.
Ces saints désirs et ces pratiques de pénitence tendent évidemment à purifier l'âme et la préparent ainsi au règne de Jésus.
§1583. 2° Voici le temps de Noël: le Verbe apparaît dans l'infirmité de la chair, avec les charmes mais aussi avec les infirmités de l'enfance, et nous invite à lui ouvrir nos coeurs pour qu'il y puisse régner en maître, et nous faire communier à ses dispositions et à ses vertus. C'est la voie illuminative qui commence: purifiés de nos fautes, détachés du péché et des causes qui pourraient nous y faire retomber, nous nous incorporons de plus en plus à Jésus pour avoir part à ses anéantissements, aux vertus d'humilité, d'obéissance et de pauvreté qu'il a si bien pratiquées au moment de sa naissançe et dans les circonstances qui l'ont suivie. Pour l'accueillir sur cette terre qu'il vient racheter, c'est à peine si quelques bergers et quelques sages de l'Orient viennent lui présenter leurs hommages; ces Juifs qu'il a choisis pour son peuple ne daignent pas le recevoir: «in propria venit et sui eum non receperunt» [Jn 1:11]. Il est obligé de fuir en Egypte, et, quand il revient, il s'ensevelit dans un petit village de Galilée, et y demeure près de trente ans, grandissant en sagesse et en science, aussi bien qu'en âge, travaillant de ses mains comme un simple ouvrier, et obéissant en tout à Marie et à Joseph: tel est le spectacle que nous présente la liturgie, pendant le temps de Noël et de l'Epiphanie, pour mettre sous nos yeux les exemples que nous devons imiter. En même temps, elle nous invite à adorer d'autant plus profondément l'Enfant Dieu qu'il s'anéantit davantage, à le remercier et à l'aimer: «Sic nos amantem quis non redamaret?»
§1584. 3° Mais, avant de pouvoir goûter les joies de l'union divine, une nouvelle purification s'impose, plus rude, plus profonde que la première; le temps de la Septuagésime et du Carême nous donnent l'occasion de la faire.
La Septuagésime est comme le prélude du Carême. L'Église, en mettant sous nos yeux, dans l'Écriture occurrente, le récit de la chute de l'homme, des péchés qui l'ont suivie, du déluge qui en fut le châtiment, de la vie sainte des Patriarches, qui en fut l'expiation, nous invite à repasser dans l'amertume de notre âme tous nos péchés, à les détester sincèrement, à les expier par une généreuse pénitence. Les moyens qu'elle nous propose sont: 1) le travail, ou l'accomplissement fidèle des devoirs d'état pour l'amour de Dieu: «ite et vos in vineam meam» ; 2) la lutte contre les passions : dans l'Epître, elle nous compare à des athlètes qui courent ou qui combattent pour obtenir une couronne, et nous invite à châtier notre corps et à le réduire en servitude; 3) l'acceptation volontaire de la souffrance et des épreuves, auxquelles nous sommes justement condamnés, avec une humble prière pour en bien profiter: «Circumdederunt me gemitus mortis... et in tribulatione mea invocavi Dominum» [°963].
§1585. À ces moyens le Carême ajoutera le jeûne, l'abstinence et l'aumône, pour lutter victorieusement contre les tentations; nous les pratiquerons en union avec Jésus, qui, pendant quarante jours se retira au désert, pour y faire pénitence en notre nom, et consent à y être tenté pour nous apprendre comment résister au démon. La préface nous dira que le jeûne mate nos vices, éleve notre coeur vers Dieu, et nous vaut un accroissement de vertu et de mérites.
La scène du Thabor, racontée au deuxième dimanche, nous montrera que la pénitence a ses joies, quand on sait y joindre la prière, et lever les yeux vers Dieu pour y chercher un appui: «Oculi mei semper ad Dominum, quia ipse evellet de laqueo pedes meos». L'Introït du 4e dimanche soutiendra notre courage, en nous faisant entrevoir les joies du ciel: «Laetare Jerusalem», dont la sainte communion, figurée par la multiplication des pains, nous donne déjà un avant-goût.
§1586. Avec le dimanche de la Passion se dresse l'étendard de la croix: «Vexilla Regis prodeunt»; c'est la croix toute nue, car l'image du divin crucifié est voilée en signe de deuil et de tristesse, pour nous apprendre qu'il y a des moments où nous ne voyons qu'épreuves; sans sentir aucune consolation. Mais l'Épître du jour nous consolera en nous montrant notre Pontife qui, par l'effusion de son sang, entre dans le Saint des Saints, et en nous redisant que la croix, symbole de mort, est devenue une source de vie «ut unde mors oriebatur inde vita resurgeret».
Le dimanche des Rameaux, bientôt suivi des mystères douloureux, nous apprendra combien sont éphémères les triomphes terrestres les mieux mérités, et comment ils sont suivis des humiliations les plus profondes. Alors de l'âme angoissée s'élève un cri de douleur: «Deus Deus meus, respice in me: quare me dereliquisti» [°965]; c'est le cri de Jésus au jardin des Oliviers, comme sur le Calvaire; c'est le cri de l'âme chrétienne, quand elle est visitée par les peines intérieures ou en butte à la calomnie. Mais l'Épitre vîent nous réconforter, en nous pressant de nous unir aux sentiments intérieurs de Jésus, obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix, et bientôt récompensé par une exaltation telle que tout genou fléchit devant lui: si donc nous avons part à ses souffrances, nous aurons part aussi à ses triomphes, comme le dit S. Paul: «si tamen compatimur ut et conglorificemur» [Rm 8:17].
§1587. 4° La Résurrection et le cycle pascal nous rappellent la vie glorieuse de Jésus, image de la vie unitive. C'est une vie plus céleste que terrestre: Jésus, pendant son ministère, avait constamment vécu sur terre, avait travaillé, conversé avec les hommes, exercé l'apostolat; après sa résurrection, il vit plus séparé que jamais de toutes les choses extérieures, n'apparaissant plus que rarement à ses apôtres, pour leur donner ses derniers enseignements, et retourne à son Père: «apparens eis et loquens de regno Dei» [Ac 1:3].
C'est l'image des âmes qui, étant dans la voie unitive, cherchent désormais la solitude pour converser intimement avec Dieu; si les devoirs d'état les obligent à traiter avec les hommes, ce n'est qu'en vue de les sanctifier; elles s'efforcent de se rapprocher de l'idéal tracé par S. Paul: «Si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d'en haut, où le Christ demeure assis à la droite de Dieu; affectionnez-vous aux choses d'en haut, et non à celles de la terre: car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu» [Col 3:1-3].
Avec l'Ascension, c'est encore un degré de plus: Jésus désormais vit au ciel, à la droite du Père, priant sans cesse pour nous: son apostolat n'en devient que plus fécond, parce qu'il nous envoie le Saint Esprit, l'Esprit sanctificateur qui transforme les Apôtres; et par eux des millions d'âmes. Ainsi les contemplatifs, qui par l'esprit et le coeur habitent déjà au ciel, ne cessent de prier et de se sacrifier pour le salut de leurs frères, et leur apostolat n'en est aussi que plus fécond.
§1588. La Pentecôte, c'est la descente du Saint Esprit en chacune de nos âmes pour y opérer d'une manière plus lente et plus cachée la transformation merveilleuse opérée dans les Apôtres. Le mystère de la Sainte Trinité vient remettre devant nos yeux le grand objet de notre foi et de notre religion, la cause efficiente et exemplaire de notre sanctification; et les fêtes du Saint Sacrement et du Sacré-Coeur nous redisent que Jésus, dans l'Eucharistie où il manifeste les trésors de son Coeur Sacré, mérite nos adorations et notre amour, et est en même temps le grand Religieux de Dieu, par qui et en qui nous pouvons rendre à l'adorable Trinité les hommages qui lui sont dus.
Les nombreux dimanches qui suivent la Pentecôte représentent l'épanouissement complet de l'oeuvre du Saint Esprit non seulement dans l'Église mais encore en chaque âme chrétienne, et nous invitent par conséquent à produire, sous l'action du Saint Esprit, des fruits abondants de salut jusqu'au jour où nous irons rejoindre au ciel Celui qui nous y a précédés pour nous y préparer une place.
§1589. Dans ce cycle liturgique prennent place les fêtes des Saints; les exemples de ces hommes, qui, membres du Christ comme nous, ont reproduit ses vertus, malgré toutes les tentations et tous les obstacles, nous servent d'un puissant stimulant. Nous les entendons nous dire avec S. Paul: «Soyez mes imitateurs comme je l'ai été du Christ: imitatores mei estote sicut et ego Christi» [1Co 4:16]; et, en lisant au bréviaire le récit de leurs vertus héroïques, nous redisons la parole d'Augustin: «Tu non poteris quod isti, quod istae».
Nous n'oublierons pas surtout que la Reine des Anges et des Saints, la Mère du Sauveur, est associée constamment à son Fils dans la liturgie, et que nous ne pouvons honorer le Fils sans honorer, aimer et imiter sa mère.
Et c'est ainsi que, soutenus, aidés par la Ste Vierge et les Saints, incorporés au Verbe Incarné, nous nous approchons de Dieu en parcourant chaque année le cycle liturgique.
§1590. Mais, pour bien profiter des moyens abondants de sanctification que nous offre la Sainte Église, il faut attirer en nous les dispositions intérieures de Jésus. Il est une prière très belle et très efficace pour nous aider à reproduire en nous ces sentiments: c'est la prière O Jesu vivens in Maria; et nous ne pouvons mieux terminer ce Précis qu'en l'expliquant brièvement.
O Jesu vivens in Mariâ, |
O Jésus vivant en Marie, |
veni et vive in famulis tuis, |
venez et vivez en vos serviteurs, |
in spiritu sanctitatis tuae, |
dans l'esprit de votre sainteté, |
in plenitudine virtutis tuae, |
dans la plénitude de votre force, |
in perfectione viarum tuarum, |
dans la perfection de vos voies, |
in veritate virtutum tuarum, |
dans la vérité de vos vertus, |
in communione mysteriorum tuorum, |
dans la communion de vos mystères, |
dominare omni adversae potestati, |
dominez sur toute puissance ennemie, |
in Spiritu tuo ad gloriam Patris. |
en votre Esprit à la gloire du Père. |
On peut distinguer dans cette prière trois parties d'inégale longueur: dans la première, on indique à qui s'adresse cette demande; dans la seconde, se trouve l'objet de cette demande; dans la troisième, son but final.
§1591. 1° À qui s'adresse cette prière? À Jésus vivant en Marie, c'est-à-dire au Verbe Incarné: à l'Homme-Dieu, qui, dans l'unité d'une même personne, possède à la fois la nature divine et la nature humaine, et qui est pour nous la cause méritoire, exemplaire et vitale de notre sanctification [§132]. Nous nous adressons à lui, en tant qu'il vit en Marie. Il a vécu autrefois physiquement dans son sein virginal pendant neuf mois: il ne s'agit pas de cette vie qui a cessé dès la naissance de l'Enfant-Dieu; il a vécu en elle sacramentellement par la sainte communion: mais cette présence a pris fin avec la dernière communion de Marie sur terre. Il y a vécu et il y vit encore mystiquement, comme tête du corps mystique, dont tous les chrétiens sont membres, mais à un degré bien supérieur, puisque Marie occupe dans ce corps la place la plus honorable [§155-162]. Il y vit par son divin Esprit, c'est-à-dire par l'Esprit Saint qu'il communique à sa sainte Mère, pour que cet Esprit opère en elle des dispositions semblables à celles qu'il opère dans l'âme humaine du Christ. En vertu des mérites et des prières du Sauveur, le Saint Esprit vient donc sanctifier et glorifier Marie, la rendre aussi semblable que possible à Jésus, si bien qu'elle en devient la copie vivante la plus parfaite: «haec est imago Christi perfectissima quam ad vivum depinxit Spiritus Sanctus».
C'est ce qu'explique bien M. Olier [°967]: «Ce qu'est Notre Seigneur à son Église, il l'est par excellence à sa très sainte Mère. Ainsi il est sa plénitude intérieure et divine; et, comme il s'est sacrifié plus particulièrement pour elle que pour toute l'Église, il lui donne la vie de Dieu plus qu'à toute l'Église; et il la lui donne même par gratitude, et en reconnaissance de la vie qu'il a reçue d'elle, car, comme il a promis à tous ses membres de leur rendre au centuple de ce qu'il aura reçu de leur charité en la terre, il veut rendre aussi à sa Mère le centuple de la vie humaine qu'il a reçue de son amour et de sa piété; et ce centuple est la vie divine infiniment précieuse et estimable... Il faut donc considérer Jésus-Christ notre Tout, vivant en la Très Sainte Vierge en la plénitude de la vie de Dieu, tant de celle qu'il a reçue de son Père que de celle qu'il a acquise et méritée aux hommes par le ministère de la vie de sa Mère. C'est en elle qu'il fait voir tous les trésors de ses richesses, l'éclat de sa beauté et les délices de la vie divine... Il y habite en plénitude; il y opère en l'étendue de son divin Esprit; il n'est qu'un coeur, qu'une âme, qu'une vie avec elle». -- Cette vie il la répand continuellement en elle «aimant en elle, louant en elle, et adorant en elle-même Dieu son Père, comme un digne supplément de son coeur, dans lequel il se dilate et se multiplie avec plaisir» [°968].
§1592. Jésus vit en Marie en plénitude non seulement pour la sanctifier, mais pour sanctifier par elle les autres membres de son corps mystique: elle est en effet, nous dit S. Bernard, l'acqueduc par lequel nous arrivent toutes les grâces méritées par son fils: «totum nos habere voluit per Mariam» [§161].
Il est donc à la fois très agréable à Jésus et très utile à notre âme de nous adresser à Jésus vivant en Marie : «Qu'y a-t-il de plus doux et de plus agréable à Jésus-Christ que de l'aller chercher dans le lieu de ses délices, sur ce trône de grâce, au milieu de cette adorable fournaise du saint amour pour le bien de tous les hommes? Quelle source plus abondante de grâce et de vie que ce lieu où habite Jésus comme en la source de la vie des hommes et en la mère nourrice de son Église?».
Nous avons donc le droit d'être pleins de confiance lorsque nous prions ainsi Jésus vivant en Marie.
§1593. 2° Quel est l'objet de cette prière? C'est la vie intérieure avec tous les éléments qui la constituent, vie intérieure qui n'est qu'une participation à cette vie que Jésus communique à sa Mère et que nous le supplions de vouloir bien nous communiquer à nous-mêmes.
A) Comme Jésus vivant en Marie est la source de cette vie, nous lui demandons humblement de venir en nous et d'y vivre, en promettant de nous soumettre docilement à son action: VENI ET VIVE IN FAMULIS TUIS.
a) Il vient en nous comme il vient en Marie par son divin Esprit, par la grâce habituelle: chaque fois qu'elle grandit en nous, l'Esprit de Jésus y grandit aussi; et, par suite, chaque fois que nous faisons un acte surnaturel et méritoire, ce divin Esprit vient en nous et rend notre âme plus semblable à celle de Jésus comme à celle de Marie. Quel puissant motif pour multiplier et intensifier nos actes méritoires, en les informant par la divine charité! [§236-248].
b) Il agit en nous par la grâce actuelle qu'il nous a méritée et nous distribue par son divin Esprit: il opère en nous le vouloir et le faire «operatur in nobis velle et perficere», il devient le principe de tous nos mouvements, de nos dispositions intérieures, si bien que nos actes ne proviennent que de Jésus nous communiquant sa propre vie, ses sentiments, ses affections, ses désirs. C'est alors que nous pouvons dire, comme S. Paul: «Je vis, non plus moi, mais c'est Jésus qui vit en moi».
c) Pour qu'il en soit ainsi, il faut que, comme de fidèles serviteurs, in famulis tuis, nous nous laissions conduire par lui et coopérions à son action en nous; comme l'humble Vierge nous devons dire en toute sincérité: «Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole: ecce ancilla Domini, fiat mihi secundum verbum tuum». Conscients de notre misère et de notre incapacité, nous n'avons qu'à obéir promptement aux moindres inspirations de la grâce. C'est là pour nous une servitude honorable, «cui servire regnare est», une servitude d'amour qui nous soumet à Celui qui est pour nous un Maître sans doute, mais aussi un Père, un ami, et qui ne nous commande rien que ce qui est utile au bien de notre âme. Ouvrons, ouvrons donc nos coeurs à Jésus-Christ et à son divin Esprit, pour qu'il y règne comme il a régné dans le coeur de notre Mère!
§1594. B) Jésus, étant la source de toute sainteté, nous lui demandons de vivre et d'agir en nous «in spiritu sanctitatis tuae», pour nous communiquer sa sainteté intérieure.
Il y a en lui une double sainteté; une sainteté substantielle qui découle de l'union hypostatique, et une sainteté participée qui n'est autre que la grâce créée [§105]; c'est celle-ci que nous le prions de nous communiquer. Cette sainteté, c'est tout d'abord l'horreur du péché et la séparation de tout ce qui peut y conduire, un éloignement extrême des créatures et de toute recherche égoïste; mais c'est aussi une participation à la vie divine, une union intime avec les trois divines personnes, un amour de Dieu qui domine toute autre affection, en un mot la sainteté positive.
§1595. Mais, comme nous sommes incapables de l'acquérir par nous-mêmes, nous le supplions de venir en nous avec la plénitude de sa force ou de sa grâce «in plenitudine virtutis tuae». Et même, comme nous nous défions de nos rébellions possibles, nous ajoutons avec l'Église qu'il veuille bien soumettre à son empire nos facultés rebelles; «etiam rebelles ad te propitius compelle voluntates».
C'est donc une grâce efficace que nous sollicitons, cette grâce qui, tout en respectant notre liberté, sait agir sur les ressorts secrets de la volonté pour entraîner son consentement; une grâce qui ne s'arrêtera pas devant nos répugnances instinctives ou nos folles oppositions, mais doucement et fortement opérera en nous le vouloir et le faire.
§1596. C) Puisque la sainteté ne peut s'acquérir sans l'imitation de notre divin Modèle, nous le supplions de nous faire marcher dans la perfection de ses voies «in perfectione viarum tuarum», c'est-à-dire de nous faire imiter sa conduite, sa manière d'agir, ses actions extérieures et intérieures en tout ce qu'elles ont de plus parfait. En d'autres termes nous demandons de devenir des copies vivantes de Jésus, d'autres christs, pour que nous puissions dire à nos disciples, comme S. Paul: «Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ: imitatores mei estote sicut et ego Christi». Idéal si parfait que de nous-mêmes nous ne pouvons le réaliser! Mais Jésus se fait notre voie: «ego sum via», voie lumineuse et vivante, voie marchante pour ainsi dire qui nous entraîne à sa suite: «Et ego, cum exaltatus fuero a terra, omnia traham ad me ipsum» [Jn 12:32]. Nous nous laisserons donc entraîner par vous, ô divin Modèle, et nous essaierons de reproduire vos vertus.
§1597. D) C'est pour cela que nous ajoutons: «in veritate virtutum tuarum». Les vertus que nous demandons sont des vertus réelles, et non pas apparentes. Il en est qui cachent un esprit païen, sensuel et orgueilleux, sous un vernis de vertus purement extérieures. Ce n'est pas ce qui fait la sainteté. Ce que Jésus vient nous apporter, ce sont des vertus intérieures, des vertus crucifiantes, l'humilité, la pauvreté, la mortification, la chasteté parfaite de l'esprit et du coeur aussi bien que du corps; des vertus unifiantes, l'esprit de foi, de confiance et d'amour. Voilà ce qui fait le chrétien et le transforme en un autre Christ.
§1598. E) Ces vertus, Jésus les a pratiquées surtout en ses mystères, et c'est pourquoi nous le prions de nous faire communier à la grâce de ses mystères: «in communione mysteriorum tuorum». Ces mystères sont sans doute toutes les actions principales de Notre Seigneur, mais surtout les six grands mystères décrits par M. Olier dans son Catéchisme chrétien: l'Incarnation qui nous invite au dépouillement de tout amour propre pour nous consacrer totalement au Père, en union avec Jésus: «Ecce venio ut faciam, Deus, voluntatem tuam»; le crucifiement, la mort et la sépulture, qui expriment les degrés de cette immolation totale, par laquelle nous crucifions la nature mauvaise, et essayons de la faire mourir et de l'ensevelir à tout jamais; la résurrection et l'ascension, qui signifient le détachement parfait des créatures et la vie toute céleste que nous désirons mener pour aller au ciel.
§1599. F) Nous ne pouvons atteindre évidemment cette perfection que si Jésus vient dominer en nous sur toute puissance ennemie, la chair, le monde et le démon: «dominare omni adversae potestati». Ces trois ennemis ne cessent de nous livrer de rudes assauts, et ne seront jamais anéantis, tant que nous vivrons sur terre; mais Jésus, qui en a triomphé, peut les garrotter, les subjuguer, en nous donnant des grâces efficaces pour y résister: c'est ce que nous lui demandons humblement.
3° Et, pour obtenir plus facilement cette grâce, nous déclarons qu'avec lui nous ne poursuivons qu'un but, la gloire du Père que nous voulons procurer sous l'action du Saint Esprit: «In spiritu tuo ad gloriam Patris». Puisqu'il est venu sur terre pour glorifier son Père «Ego honorifico Patrem», qu'il veuille bien compléter son oeuvre en nous, et nous communiquer sa sainteté intérieure, pour que nous puissions avec lui et par lui glorifier ce même Père et le faire glorifier autour de nous! Alors nous serons vraiment les membres de son corps mystique, les religieux de Dieu: il vivra et régnera en nos coeurs pour la plus grande gloire de l'adorable Trinité.
Cette prière est donc une synthèse de la vie spirituelle, et un résumé de notre Précis.
En le terminant, nous ne pouvons que bénir et inviter nos lecteurs à bénir avec nous ce Dieu d'amour, ce Père très aimant, qui en nous faisant participer à sa vie, nous a comblés, en son Fils, de toutes les bénédictions.
BENEDICTUS DEUS ET PATER
DOMINI NOSTRI JESU CHRISTI,
QUI BENEDIXIT NOS IN OMNI BENEDICTIONE SPIRITUALI
IN CAELESTIBUS IN CHRISTO.
FIN.
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