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b120) Bibliographie spéciale (Morale internationale)
§1366) Les progrès croissants des relations entre les hommes à travers toutes les nations de la terre rend de plus en plus désirable et bientôt inévitable une organisation sociale dépassant les frontières nationales; après chacune des deux guerres mondiales 1914-1918 et 1939-1945, les hommes se sont efforcés de la mettre sur pied en créant la Société des Nations, à laquelle a succédé l'Organisation des Nations Unies. La société moderne a ainsi dépassé le state de l'état inorganique pour entrer dans celui de l'organisation internationale. Cependant, toutes les nations de la terre sont loin d'être au même niveau de civilisation, et malgré le puissant mouvement d'émancipation qui travaille les peuples, le problème de la colonisation reste toujours actuel. Enfin, si la guerre a été mise hors la loi, elle n'est pas encore malheureusement hors des faits, et la guerre moderne pose même de nouveaux problèmes moraux.
Tels sont les trois problèmes internationaux les plus actuels, semble-t-il [°1836], qui feront l'objet de cet article:
1. - La guerre moderne.
2. - La colonisation
[°1837].
3. - L'organisation internationale.
Thèse 30. 1) Aucune guerre n'est légitime que provisoirement, dans l'état inorganique de la société internationale, et sous de strictes conditions de droit naturel et positif; 2) les caractères de la guerre moderne tendent à réserver cette légitimité aux seules guerres défensives.
A) Explication.
§1367). 1. - La guerre peut se définir: l'emploi de la violence ou de la force physique organisée, par l'autorité souveraine d'une société civile, en vue d'imposer sa volonté à l'égard d'autres sociétés souveraines [§1140]. Elle suppose donc plusieurs groupements politiques pleinement constitués, égaux entre eux quant à leurs droits fondamentaux, et entrant en conflit au sujet de ces droits ou de leurs intérêts. On appelle «guerre civile» le soulèvement à main armée d'un groupe de citoyens à l'intérieur d'un État: c'est le cas de la révolte ou de la révolution, qui regarde la politique nationale; nous parlons ici de la guerre au sens propre, qui concerne la politique internationale.
On distingue l'état de guerre, ou situation politique générale durant le conflit; et les opérations de guerre, combats, batailles, et autres actes hostiles (bombardements, sabotages, etc.) accomplis en vue de la victoire. Au point de vue du droit positif des conventions internationales, l'état de guerre comprend toute la période comprise entre la déclaration de guerre et la conclusion du traité de paix, pendant laquelle sont en vigueur un certain nombre de lois et coutumes appelées «lois de la guerre»; les relations normales entre belligérants ne reprennent qu'après la signature du traité de paix.
2. - Nous avons établi plus haut [§1141] l'existence en général d'un droit international, naturel et positif. Plusieurs précisions s'imposent ici à la lumière des constatations de la sociologie.
Le fractionnement de l'humanité en multiples sociétés parfaites souveraines, constituant autant de personnes morales avec leurs droits et leurs devoirs, établit entre elles des relations semblables aux rapports de justice qui règnent entre les individus et les familles; en y ajoutant selon la morale chrétienne, les rapports de charité. Mais en dehors de ces relations publiques entre groupements constitués, les individus appartenant à diverses nations peuvent entrer en rapport à l'occasion de voyages, de commerce, d'études, etc. et chaque homme possède des droits qui sont valables en tout pays (avec les devoirs correspondants).
Le domaine de la vie internationale comporte donc deux aspects que nous appellerons:
1) domaine des droits de l'homme, comprenant les rapports des individus de diverses nations;
2) domaine des droits des peuples, comprenant les rapports des États comme tels. L'ensemble des règles morales qui régissent ce dernier domaines est ce qu'on appelle actuellement, au sens propre, le droit international ou droit des gens [§1376].
Si la situation des multiples États rassemblés dans l'humanité est comparable à celle des multiples familles et personnes rassemblées dans l'État, une différence essentielle les distingue. Ni les familles, ni les individus, ni même les associations intermédiaires, commerciales ou autres, ne peuvent se suffire à eux-mêmes pour réaliser le but de la vie tel que la raison le demande. L'État au contraire est une société parfaite: jusqu'à maintenant du moins, la sociologie a constaté cette multiplicité de sociétés au sens de «groupements d'hommes organisés en vue de se suffire à eux-mêmes dans toutes les circonstances de la vie» [§1322]. Cette dispersion des peuples et leur indépendance relative découle de la nature des choses, de l'utilité pour les hommes d'exploiter toutes les parties de la terre, ce qui entraîne des séparations inévitables, des spécialisations en races et sociotypes profondément distincts, etc.. Il faut voir en ces circonstances une manifestation de la Providence qui rend légitime cette constitution de multiples sociétés parfaites. D'ailleurs, cette légitimité découle de la loi naturelle, remettant aux groupements de familles le droit de se constituer librement en société parfaite [§1133, sq.].
C'est pourquoi, bien que la loi naturelle d'entraide entre les nations reste toujours en vigueur, l'étendue de son obligation varie selon les circonstances. On peut en distinguer deux formes: l'une négative, l'autre positive.
a) L'obligation négative impose à chaque État le devoir de respecter l'exercice des droits fondamentaux des autres États, et de ne rien entreprendre de nuisible à leur égard; les droits de chacun se limitent ainsi mutuellement.
b) L'obligation positive impose le devoir de coopérer avec les autres États, de s'associer avec eux par un pacte d'entraide en vue d'obtenir un degré supérieur de civilisation inaccessible à chacun en particulier.
Tant que l'obligation demeure négative, la société internationale n'a pas dépassé le stade de l'état inorganique que l'on peut définir: «le morcellement de l'humanité en sociétés parfaites, n'ayant entre elles que les rapports de personnes morales souveraines, pleinement libres et indépendantes».
Mais les circonstances peuvent donner à la loi naturelle d'entraide une obligation positive. La société internationale en y obéissant passera à l'état organique que l'on peut définir: «l'union des divers États en une société proprement dite, avec son autorité et son gouvernement propre, en vue d'atteindre le bien commun suprême d'ordre temporel pour l'humanité entière». Nous traiterons de cet état organique au paragraphe 3 [°1837]; le problème de la guerre se pose dans l'état inorganique.
§1368). Les droits fondamentaux que, en toute hypothèse, chaque société peut revendiquer et doit respecter chez les autres sont les suivants:
1) Le droit à l'existence; du moment qu'un groupement politique est viable, réalisant le but d'une société parfaite pour ses sujets, il a le droit de persévérer dans son existence.
2) Le droit de conservation et de défense: simple corollaire du précédent; chaque État peut prendre les mesures nécessaires à sa vie: police intérieure, armement, alliances avec d'autres États, etc., mais sans empiéter sur le droit égal des autres.
3) Le droit de souveraineté sur son territoire et sur ses sujets, comme nous l'avons exposé en morale nationale.
4) Le droit d'indépendance qui découle du précédent; souveraine chez soi, l'autorité civile n'a pas à rendre compte de ses décisions à ses voisines, ni à en subir la domination ou le protectorat.
5) Le droit à l'égalité, dans le même sens que les citoyens en démocratie; on ne peut nier la différence de puissance, de richesse et d'importance des États existants; mais au point de vue de leur mission vis-à-vis de leurs sujets, le droit de l'accomplir est égal pour tous, petits et grands.
6) Le droit de promouvoir les intérêts nationaux, soit dans l'ordre spirituel et moral où les richesses de chacun peuvent être partagées par tous sans appauvrir personne; soit aussi dans l'ordre matériel, surtout économique, où les intérêts divergents, également légitimes, doivent s'harmoniser par respect mutuel.
Même si elle est encore à l'état inorganique, la société des peuples est soumise à une loi naturelle internationale qui oblige au respect de ces droits fondamentaux; ainsi, tout chef d'État, monarque absolu ou mandataire du peuple, est tenu en conscience à ce respect dans ses relations internationales; aussi ces obligations essentielles, spontanément observées, s'expriment par les coutumes internationales, première source du droit des gens.
Bientôt cependant, surtout entre États voisins, la nécessité est apparue de compléter et préciser ce droit naturel par des déterminations du droit international positif, qui peut aussi, dans les débuts, revêtir la forme de coutumes, mais qui est contenu surtout dans les traités et conventions entre États; et avec le progrès des communications, en ces derniers siècles, ce droit positif s'est grandement développé.
3. Dans l'hypothèse du groupement inorganique des peuples, ces conventions doivent être comparées aux contrats individuels qui lient les citoyens au nom de la justice commutative ou de la fidélité à la parole donnée. Mais, tandis qu'au-dessus des citoyens il y a l'autorité publique avec ses sanctions efficaces pour dirimer les litiges possibles et imposer l'accomplissement des engagements, il n'y a rien de semblable au-dessus des «hautes parties contractantes» en droit positif international; la seule garantie est la force de la conscience et l'autorité de Dieu. Cependant, il y a aussi, dans l'ordre humain, l'influence de l'opinion publique qui se retourne contre le souverain infidèle à ses engagements, et est capable de soulever contre lui la coalition des autres États: garantie imparfaite, mais non négligeable, dans laquelle pourra intervenir la guerre juste.
Cependant, le progrès des rapports entre peuples dépasse peu à peu le stade inorganique, et l'on distingue deux sortes de traités, en droit positif international:
a) les traités-contrats, dont l'objet est de régler des problèmes individuels d'ordre militaire, territorial, économique, etc.: par exemple, un traité de paix, de commerce.
b) les traités-lois, où sont déterminées sur un objet donné des règles générales de droit international, que les contractants s'engagent à respecter; ces traités restent ouverts aux autres puissances qui peuvent s'y associer. Par exemple, la convention de Genève de 1865, universellement reconnue, complétée en 1906 par l'accord de 36 États, réglant en temps de guerre le sort des malades et des blessés selon le principe de l'égalité de traitement, organisant le régime de protection des ambulances et hôpitaux et les droits du personnel sanitaire, qui ne peuvent être ni l'objet d'actes hostiles, ni faits prisonniers.
Ces traités-lois s'acheminent peu à peu vers une forme plus organique de la société des États. Ils s'efforcent en particulier de prévenir la guerre, ou du moins de l'humaniser on en déterminant les lois. Outre la Convention de Genève, les actes les plus importants à ce point de vue furent les Conventions de La Haye à la suite des deux conférences de la paix, en 1899 (27 États) et en 1907 (32 États): elle interdisait en particulier l'emploi d'armes trop cruelles, les gaz asphyxiants ou les balles explosives; elle réclamait une déclaration de guerre formelle par avertissement ou ultimatum, avant l'ouverture des hostilités; elle déterminait les conditions requises pour être reconnu comme belligérant, la guerre devant rester une lutte entre forces organisées au service de l'autorité publique: ces forces comprennent les armées organisées et aussi les corps volontaires ou corps francs, à condition d'être reconnus par l'État qu'ils servent, d'être commandés par des chefs responsables, d'avoir un signe distinctif, de porter les armes ouvertement et de se conformer aux lois de la guerre; et elle adaptait ces règles à la guerre maritime, etc.
Ces quelques points signalés ici ne sont que des exemples; car il y eut à La Haye 13 conventions signées par un nombre d'États variant de 22 à 32, insistant en particulier sur les procédures pacifiques de négociations ou d'arbitrage avant et pendant les conflits. Les exemples indiqués font ressortir la difficulté croissante de soumettre la guerre moderne à ce droit positif.
§1369) 4. La guerre moderne, en effet, se caractérise surtout par deux traits:
a) l'emploi de moyens de plus en plus puissants de destruction, atteignant à la fois les choses et les hommes, grâce aux progrès des techniques scientifiques: tels les divers modèles de bombes volantes, et enfin la bombe atomique.
b) la généralisation croissante des coopérateurs, comme des lieux de bataille, ce second trait découlant du premier; toutes les industries de paix se transforment en usines de guerre; toutes les forces économiques, centrales électriques, mines de charbon, etc. travaillent pour la guerre; l'agriculture elle-même est mobilisée, non seulement pour nourrir le pays, y compris l'armée, mais aussi pour fournir la matière première transformable en munitions; dans cet effort commun, les femmes ont leur tâche comme les virs. La possibilité d'atteindre tout le pays ennemi par les bombardements aériens invite à prendre comme cibles tous ces centres vitaux de résistance: usines, gares, barrages, voies de communications, etc.
Dans ces conditions, il devient difficile de distinguer, des forces organisées, les non-belligérants qu'il faudrait respecter; ou de délimiter les lieux où devraient s'arrêter les ravages permis. Il faut ajouter que l'interdépendance des peuples devient telle que tout conflit menace de dégénérer en guerre mondiale.
B) Preuve de la thèse.
§1370) 1. - Légitimité des guerres. Le progrès de la civilisation demande que le droit de légitime défense possédé par chaque personne libre - ou droit de coercition, permettant d'employer la force pour maintenir ses droits moraux - soit réservé à l'autorité sociale, lorsque celle-ci, selon sa mission, se manifeste capable de protéger efficacement les droits de chacun.
Or la guerre n'est légitime, comme nous l'avons dit en morale générale [§1143], que si elle est l'exercice du droit de coercition. Elle suppose donc que les États ne se sont pas encore groupés en société avec une autorité supérieure effective. C'est en l'absence de cette garantie, c'est-à-dire uniquement dans l'état inorganique de la vie internationale, qu'il peut leur être moralement permis de recourir à la force on à la guerre pour appuyer leurs droits.
Dans ce cas d'ailleurs, puisqu'elle est au service du droit, il lui incombera évidemment de respecter toutes les règles du droit international naturel et positif.
§1371) 2. - Guerre moderne. On appelle guerre offensive celle dont l'État a pris l'initiative; et guerre défensive, celle de l'État attaqué, et par extension, celle de ses alliés qui le suivent en vertu de traités préalables, ou des autres États qui se joindraient à lui dans la suite.
En principe, lorsque les règles de la guerre juste se réalisent, elles permettent également la guerre offensive ou défensive, mais sous réserve de quelques conditions:
a) elle doit être déclarée par l'autorité légitime;
b) tous les moyens pacifiques doivent être d'abord épuisés;
c) les maux probables déchaînés par la guerre doivent être estimés moindres que la non-réparation de l'injustice subie;
d) la victoire du droit doit être légitimement prévue;
e) elle doit enfin être menée avec une intention droite.
Or, avec les multiples moyens de conciliation actuellement prévus, si une nation voit son bon droit évident méconnu, ce ne peut être que si son adversaire se sent notablement plus puissant: la prudence lui fait alors un devoir de ne pas prendre l'initiative de la guerre et de se contenter d'une réparation incomplète. Et même si cette nation injustement lésée s'estime assez forte pour vaincre, le danger d'un conflit mondial, et en tout cas les plus effroyables destructions de la guerre moderne apparaîtront rarement et difficilement comme un moindre mal, en face de l'injustice subie. Elle devra donc en conscience se contenter d'une réparation incomplète, n'ayant pas le droit de déclencher elle-même le conflit.
En fait, les grandes guerres modernes ont été le fruit de théories internationales insoutenables, comme celle de l'espace vital de Hitler. Évidemment, dans ce cas où l'agresseur, décidé d'avance, fait échouer toute conciliation et prend finalement l'offensive, tout pays injustement attaqué répond par une guerre défensive légitime, si moderne soit-elle; et même, s'il prévoit la défaite, il n'est pas obligé de capituler d'avance ou d'accepter des conditions exorbitantes, contraires à ses droits fondamentaux: il peut héroïquement soutenir une lutte inégale, et s'il subit la violence du vainqueur, il peut toujours garder son âme nationale.
Ces conclusions de la morale internationale ne sont qu'apparemment rigoureuses ou défavorables à la nation injustement lésée: elles indiquent plutôt la nécessité de hâter l'organisation internationale qui fournira à tous les droits une garantie bien plus efficace que la légitimité des guerres.
C) Corollaires.
§1372) 1. - Droit d'intervention. Dans l'état inorganique de la vie internationale, les relations entre peuples ont tendance à suivre la «loi du plus fort», c'est-à-dire l'oppression injuste des faibles, traduite souvent par l'intervention dans leurs affaires de puissants voisins. «L'intervention n'est pas nécessairement la guerre. Elle comporte toute une gamme de modalités: remontrances diplomatiques, représailles économiques, embargo, blocus pacifique, démonstrations militaires ou navales, etc.» [°1838].
Elle n'est d'ailleurs pas toujours injuste: dans la société moderne internationale inorganisée, elle se justifie principalement en quatre cas:
a) pour défendre des intérêts injustement lésés ou menacés par la politique intérieure ou extérieure d'une autre puissance: c'est l'exercice du droit de conservation;
b) pour assister une tierce puissance, victime d'une injuste agression;
c) pour assurer le respect de certaines règles du droit des gens à l'observation desquelles tous les membres de la société internationale ont un intérêt capital, par exemple l'observation des traités;
d) pour défendre contre la barbarie les droits et les intérêts de l'humanité [°1839].
Il est même des cas où cette intervention devient un devoir de justice ou de charité internationale: le principe absolu de non-intervention est indéfendable moralement [°1840]. D'autres fois, cependant, la prudence politique permettra ou conseillera de se tenir à l'écart, en se proclamant neutre; et parfois la neutralité perpétuelle est imposée à certains États par un traité, comme c'était le cas pour la Belgique de 1830 à 1914. Les conventions de La Haye définissent les droits et les devoirs des États neutres, comme ceux de l'autorité occupante après la conquête d'un territoire: il y a obligation morale de s'y conformer.
Jamais le droit d'intervention ne permet d'entreprendre «une guerre préventive», c'est-à-dire déclenchée dans le but d'empêcher un État de commettre une injustice que l'on juge inévitable pour un avenir plus ou moins lointain: la morale ne permet l'emploi de la force que pour réparer une injustice actuellement existante.
§1373) 2. - Justice et espace vital. «C'est l'injustice de l'adversaire qui force le sage à faire de justes guerres», dit Saint Augustin [°1841]. La guerre ne sera donc jamais objectivement juste des deux côtés, encore que subjectivement chacune des deux parties puisse se croire en possession d'une juste cause de guerre. Il peut au contraire arriver que, objectivement, la guerre soit injuste des deux côtés, aucun des belligérants n'ayant juste cause de guerre [°1842].
Souvent la cause des guerres injustes est dans l'ambition des peuples et de leurs dirigeants qui se croient appelés à dominer les autres, ou qui interprètent leurs droits d'une façon abusive. Tel est le cas en particulier pour la théorie de l'espace vital, qui est une exagération manifeste du droit de promouvoir les intérêts nationaux. Le surpeuplement ou l'insuffisance du sol à nourrir ses habitants ne confère pas à un État le droit de conquérir sur ses voisins l'espace qu'il jugerait pour lui indispensable; car il y a beaucoup d'autres moyens raisonnables de parer aux inconvénients indiqués.
§1374) 3. - Droit de conquête. Le plus souvent, les empires fondés sur la conquête sont injustes dans leur origine: ce sont dès «brigandages en grand» («magna latrocinia», selon Saint Augustin). Il est pourtant des cas où l'annexion ou la conquête peut devenir légitime après une guerre juste.
À supposer, en effet, que le vainqueur ait pour lui le bon droit, il peut exiger du vaincu restitution, réparation, sanction et garantie: «Une satisfaction complète, dit Suarez, comprend:
a) la restitution de tous les biens injustement détenus par l'adversaire;
b) le remboursement des frais encourus par suite de son injustice;
c) il est permis d'employer quelque sanction pour la faute commise, car dans la guerre il y a place pour la justice vindicative à côté de la justice commutative;
d) il est permis aussi de réclamer tout ce qui est nécessaire à la conservation et à la défense de la paix, car l'objet principal de la guerre est précisément de jeter les fondements d'une paix durable» [°1843]. Or, l'occupation et le désarmement de certains territoires ennemis peut être soit une garantie nécessaire à la paix, soit un moyen d'obtenir réparation des dommages. La charité cependant incline le vainqueur à la clémence, et la vertu lui défend de céder à la vengeance.
Notons qu'à l'injuste agresseur la victoire ne confère aucun droit; mais il pourra se faire, selon le principe du bien commun, si son gouvernement le réalise en effet (comme le fit celui de Rome autrefois) que les peuples, après un certain temps, aient l'obligation de l'accepter et lui confèrent la légitimité.
§1375) 4. - Révision des traités. La fidélité à la parole donnée, et donc aux contrats et aux traités signés, est une obligation de justice pour les États comme pour les individus. Il n'est pas défendu de poursuivre la révision des traités, mais celle-ci doit normalement se faire d'un commun accord. Bon nombre de traités, d'ailleurs, comme ceux de commerce, sont temporaires.
Cependant, s'il s'agit d'un traité de soi perpétuel, il faut toujours sous-entendre la clause: «rebus sic stantibus», s'il n'arrive pas de changements essentiels. Car la vie des peuples pouvant durer de longs siècles, un État n'est pas indéfiniment fondé à s'appuyer sur un traité ancien dans ses exigences vis-à-vis d'un autre: si le changement des circonstances exige une révision, il est obligé de l'accorder, et s'il la refuse obstinément, l'État lésé peut unilatéralement se libérer. Ce droit ainsi limité n'est pas à confondre avec la théorie qui n'accorde aux traités aucune valeur objective, et les soumet totalement au bon vouloir du chef d'État.
§1376) 5. - Droit international: divers sens. Le terme «jus gentium» avait un sens spécial dans l'ancien droit romain: il désignait l'ensemble des institutions du droit privé, communes à la plupart des peuples civilisés, qui étaient accessibles aux «perigrini». On l'opposait au «jus civile» qui était l'ensemble des institutions propres au peuple romain et dont les citoyens romains seuls pouvaient user. Cette distinction fort claire pour les juristes de l'Empire se mettait surtout au point de vue du droit positif; mais, en fait, il se trouvait dans le «droit des gens» bon nombre de règles et de coutumes dont l'universalité découlait de leur caractère naturel. C'est pourquoi saint Thomas, se mettant à un point de vue plus philosophique, distinguait:
a) le droit naturel au sens strict, exprimant des règles de vie concernant les tendances de la nature qui nous sont communes avec les animaux: par exemple, les règles du mariage;
b) le droit des gens, contenant les règles de la loi naturelle propre à l'homme, où intervient donc la raison, mais qu'on retrouve dans toutes les nations comme suite d'une civilisation naturelle; par exemple, le devoir de respecter la parole donnée;
c) enfin le droit positif, résultant des traités explicitement conclus.
Actuellement, à cause des progrès des relations internationales, le sens thomiste est abandonné: on parle en général de droit international qu'on définit: «celui qui s'applique aux relations des États ou des sujets des divers États entre eux»; d'où la distinction du droit international public et privé.
Le droit international public est celui qui concerne les États dans leurs relations mutuelles: c'est celui qu'on nomme droit des gens. Le droit international privé est celui qui regarde les sujets des divers États: il a pour but principal de résoudre les conflits de lois, c'est-à-dire de déterminer quelle loi est applicable aux actes juridiques passés par les sujets d'un État, soit avec les sujets d'un autre État, soit sur le territoire d'un autre État [°1844]. C'est ce que nous avons appelé le domaine des droits de l'homme et le domaine des droits des peuples. Et dans l'un et l'autre, il convient de distinguer le droit naturel, exprimant l'ordre providentiel découvert par notre raison dans l'inclination même de notre nature; - et le droit positif, exprimant les précisions décidées et promulguées par l'autorité légitime en vue du bien commun. Pourtant, cette notion de droit positif, très claire pour le droit interne qui régit les citoyens d'un État, pose un problème dans l'ordre international que nous résoudrons au paragraphe 3.
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