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Thèse 32. 1) L'obligation positive de constituer une société organique internationale s'impose de plus en plus aux peuples de la terre; 2) l'Organisation des Nations Unies (ONU) après la Société des Nations (SDN) sont des étapes encore imparfaites, mais en partie hautement recommandables vers ce but. [°1857.1]
A) Explication.
§1384). Nous établissons d'abord, dans la première partie, le but idéal à poursuivre, celui d'une société internationale proprement dite; nous examinons ensuite (deuxième partie) les essais encore trop timides de réalisation.
1. - La société internationale proprement dite. Elle constitue, comme nous l'avons dit, l'état organique de la communauté des peuples [§1367, (2)]. Elle est pleinement comparable à la société civile qu'on appelait «parfaite», et il faut lui appliquer les deux grands principes qui règlent celle-ci:
a) respect de toutes les fonctions et de tous les droits inférieurs, des personnes et associations légitimes, qu'il faut défendre et harmoniser, mais non absorber ou remplacer;
b) droit et devoir d'encouragement et de collaboration, de suppléance et même d'initiative pour le bien commun; mais il s'agit désormais d'un bien commun mondial, et les sujets de la société sont les États eux-mêmes.
Le bien commun mondial sera ce degré nouveau de perfection dans la civilisation, obtenu par la collaboration de tous les peuples de la terre, et inaccessible à chacun en particulier. Dans sa plénitude, il englobe l'ordre religieux avec ses prolongements inséparables d'ordre moral et intellectuel. Mais cette part de choix du bien commun mondial est déjà et très efficacement procurée par l'Église catholique dont la parfaite organisation sociale est merveilleusement adaptée à sa mission d'éminente civilisation. L'Église catholique réalise déjà parfaitement dans l'ordre religieux la société internationale proprement dite, mais avec un but éternel et surnaturel.
Il reste comme but suprême de la société internationale politique, le bien commun mondial temporel et humain, d'ordre à la fois économique et culturel. D'abord, une manière plus parfaite de satisfaire aux besoins corporels de chacun par la coopération de toutes les nations, soit pour l'alimentation, soit pour l'industrie, etc. Puis, un enrichissement mutuel d'ordre intellectuel et artistique en s'entraidant pour les découvertes scientifiques ou les applications techniques, et aussi en élevant le niveau moral de l'humanité par l'acceptation de règles universelles plus humaines, plus conformes à l'idéal naturel du bien, du vrai, du beau, etc. Enfin, une organisation politique meilleure, appropriée aux progrès des relations internationales sur le plan mondial.
Les membres de la société internationale ne peuvent être en dernier ressort que les hommes eux-mêmes, pris comme personnes libres ayant chacun leur destinée à réaliser. Et de même que le bien commun de l'État est finalement subordonné à cette fin dernière personnelle qui est la gloire de Dieu, le bien commun mondial lui-même, but suprême de la société internationale, est par nature subordonné à cette même gloire de Dieu que chaque homme doit réaliser personnellement. Mais il ne s'ensuit pas que l'État soit composé, comme le voulait Rousseau, d'une poussière d'individus: il est un tout organique, formé par l'union des familles et des sociétés intermédiaires, corporations et autres, qui sont ses vrais membres plus que les individus. De même et à fortiori, les individus ou associations inférieures n'appartiennent à la société internationale que par l'intermédiaire des États qui en sont les vrais membres. Il peut cependant y avoir de par le monde des groupements humains dépourvus d'organisation politique, comme les apatrides, les bohémiens, etc., dont l'autorité internationale s'occupera évidemment directement, de même que l'autorité nationale prend soin directement des individus qui ne sont affiliés à aucune autre société, restant même sans famille. Mais, normalement les sujets directs de la société internationale sont les États, et nous disons «à fortiori», parce que jusqu'à maintenant ils ont joui d'un pouvoir légitime de souveraineté, et en entrant dans la société internationale, ils gardent le droit de continuer à l'exercer, dans toute la mesure compatible avec la poursuite efficace du bien commun mondial [°1858].
Pour que cette poursuite soit efficace, il faut évidemment que la société internationale possède les organes nécessaires. Avant tout, une autorité au sens propre, dont la direction s'impose aux chefs d'États comme une obligation de conscience, et qui soit revêtue du triple pouvoir indispensable: pouvoir législatif pour indiquer aux États ce qu'exige le bien commun mondial; pouvoir exécutif pour le communiquer efficacement; pouvoir judiciaire pour régler les différents entre peuples, sans oublier la force capable d'imposer efficacement par les sanctions opportunes les décisions du gouvernement ou des tribunaux internationaux.
Lorsqu'une telle société internationale sera réalisée, chaque État aura sans doute perdu une part de sa souveraineté actuelle, de même qu'en se constituant en État, chacun des chefs de famille sacrifie une part de la liberté absolue qu'il aurait théoriquement s'il ne s'unissait pas à ses concitoyens. Mais ce sacrifice, loin de diminuer la liberté ou la souveraineté réelle, les garantit au contraire, en en protégeant et favorisant l'exercice conformément au bien commun. Par exemple, en maintenant l'existence et la libre expansion de petits États, malgré la convoitise des grands, et en préservant ceux-ci des excès désastreux de l'ambition.
Quant à la forme sous laquelle cette société internationale doit se constituer, elle est laissée, comme déjà la forme de l'État, à la libre décision des membres, qui doivent sagement se conformer aux circonstances providentielles. On peut donc théoriquement la concevoir comme monarchie, aristocratie ou démocratie. «Rien en principe, dit le Code de morale internationale, n'empêcherait les hommes d'investir de cette autorité internationale une personne unique ou un collège fort restreint. C'est même vers cette formule qu'inclinait au Moyen âge la grande famille des nations chrétiennes, lorsqu'elle se plaçait volontairement sous la double juridiction, spirituelle et temporelle, du Pape et de l'Empereur» [°1859]. Mais on peut aussi concevoir une forme démocratique, mieux adaptée, semble-t-il, à la civilisation actuelle de l'humanité, où la plupart des États, solidement organisés, tiennent à leur souveraineté.
En attendant que le représentant légitime de l'autorité suprême mondiale soit désigné, cette autorité réside dans l'assemblée générale des nations, comme elle réside dans le peuple gouvernant lui-même en démocratie directe, le «peuple» international étant constitué par la réunion de tous les chefs d'États du monde. Mais ici encore, l'exercice exclusif de la démocratie directe pour gérer toutes les affaires du bien commun mondial s'avère impossible. Il est nécessaire de passer à une organisation gouvernementale précise, en se contentant de réserver certains droits, sous forme de référendum ou d'appel à l'assemblée générale des nations, ou de leurs délégués; et en confiant à certains organismes ou à certains chefs le soin de gérer la vie internationale courante.
Cependant, ce passage de l'État inorganique à l'état organique de la société internationale ne s'est pas réalisé d'un seul coup: on constate une étape intermédiaire qu'on peut appeler celle de l'organisation contractuelle, constituée par la SDN et perfectionnée par l'ONU qu'il convient de décrire ici brièvement.
§1385) 2. - La Société des Nations. 1) Caractère général: Le premier essai d'organisation internationale fut réalisé par le pacte de la Société des Nations qui entra en vigueur le 10 janvier 1920. Son caractère essentiel est de rester sur le plan contractuel et d'éviter délibérément, malgré son titre, de s'élever au plan organique proprement dit de «société» d'États. L'opinion dominante parmi les chefs de peuples était alors que chaque État devait jalousement sauvegarder sa souveraineté en n'admettant jamais au-dessus de lui aucune activité humaine qui aurait le droit de lui imposer des directives obligatoires dans son action politique propre [°1860]. Sans doute on reconnaissait bien des droits et des devoirs entre États, mais à la manière de conventions et contrats passés entre personnes libres, et fondés uniquement sur la justice commutative. On répugnait à l'idée d'admettre ce qu'on appelait un «super-État» à l'égard duquel chaque peuple aurait des devoirs de justice sociale, comme les citoyens à l'égard de leur État.
Ce caractère purement contractuel de la SDN se traduit par trois signes:
a) d'abord, le pacte se présente comme la première partie des Traités de Versailles, Saint-Germain, Neuilly et Trianon, négociés après la guerre de 1914-1918, et imposés à l'Allemagne qui les ratifia le 10 janvier 1920: il est un acte de contrat international, comme les autres traités;
b) ensuite, la SDN veut être une association libre. «Tout membre de la Société, dit l'article 1, paragraphe 3, peut, après un préavis de deux ans, se retirer de la Société à la condition d'avoir rempli à ce moment toutes ses obligations internationales, y compris celle du présent Pacte»;
c) enfin et surtout, toutes les décisions, sauf quelques exceptions relatives à des questions de procédure, y sont soumises à la règle de l'unanimité. C'était théoriquement conférer le droit de veto à tout État, fut-il simplement la République de Cuba, ou le Grand-Duché de Luxembourg, qui faisaient partie de la Société.
2) Organisation: Néanmoins, l'organisation était sérieuse et constituait un traité-loi dépassant tous les autres en importance et en influence. Son but indiqué par le préambule, est vraiment le bien commun mondial: «Les hautes parties contractantes considérant que, pour développer la coopération entre les nations et pour leur garantir la paix et la sûreté, il importe:
- d'accepter certaines obligations de ne pas recourir à la guerre;
- d'entretenir au grand jour des relations internationales fondées sur la justice et l'honneur;
- d'observer rigoureusement les prescriptions du droit international reconnues désormais comme règles de conduite effective des gouvernements;
- de faire régner la justice et de respecter scrupuleusement toutes les obligations des Traités dans les rapports mutuels des peuples organisés;
- adoptent le présent Pacte qui institue la Société des Nations».
La forme adoptée est celle d'une démocratie qui eût voulu rester directe, en remettant tous les problèmes à l'assemblée générale des délégués des gouvernements, mais qui, par la force des choses, est devenue indirecte, par la création de deux organismes permanents: le Conseil et le Secrétariat. Le Conseil est une délégation d'un petit nombre de membres de la Société, les uns désignés définitivement, les autres élus temporairement par l'assemblée générale et chargés de résoudre les problèmes quotidiens de la vie internationale en en référant à l'assemblée générale, lors de la session annuelle. Il comprenait en 1939, 14 membres dont 5 permanents. Le Secrétariat représente l'administration avec son personnel plus stable, au service des divers organismes dont les membres élus et désignés par les gouvernements sont assez variables. Le premier secrétaire général, James Éric Drumont avait été désigné nommément par les fondateurs du Pacte; il nommait ses aides avec approbation du Conseil; ses nombreux services répartis en une douzaine de sections occupaient plus de 500 personnes.
3) Action: En conformité avec la conception purement contractuelle du Pacte, l'action de ces organismes sur l'ensemble des États restait pour ainsi dire d'ordre consultatif et persuasif. «La SDN n'impose pas ses solutions; ses armes principales sont, la publicité donnée aux événements et cette force de persuasion qui émane de toute activité médiatrice. Son but est l'accord; dans cette tâche, elle peut réussir ou échouer, mais le refus d'accepter ses décisions ou ses recommandations n'entraîne aucune sanction. Les sanctions dont dispose la Société ne peuvent être appliquées qu'aux États qui, par un manquement à la foi jurée, ont recours à la guerre, soit avant de s'être conformés à la procédure instituée en vue d'aboutir à un règlement pacifique, soit contrairement à une décision unanime de la Société» [°1861]. Dans ce cas, les sanctions auxquelles s'engagèrent d'avance les membres étaient de rompre toute relation avec l'État en question et de recourir contre lui au blocus économique; de plus, le Conseil pouvait inviter les gouvernements à intervenir militairement.
Ce manque d'appui que le droit normalement doit trouver dans la force fut une des principales causes des échecs de la SDN. Lorsque l'Italie fasciste, sous la conduite de Mussolini, conquit l'Éthiopie, elle-même membre de la SDN, les sanctions prévues se révélèrent inefficaces. À cette cause, il faut ajouter la règle de l'unanimité qui paralysé l'autorité internationale et en est la négation théorique, en affirmant la souveraineté absolue de tout État; et le manque d'universalité des participants, par l'absence dès le début de la Russie et des États-Unis, et par le retrait de grands peuples, comme l'Italie et l'Allemagne hitlérienne.
Malgré ces faiblesses, son oeuvre fut loin d'être négligeable.
1) D'abord, les circonstances lui imposaient, en vertu des traités de paix, des fonctions qui dépassaient sa structure purement contractuelle, et la constituaient bon gré mal gré en autorité internationale souveraine. Ces fonctions furent principalement:
a) Le gouvernement de la ville libre de Dantzig: «Le Conseil nomme le Haut Commissaire de cette ville libre placée sous la protection de la SDN qui en garantit la constitution», et il intervient en dernier ressort pour régler tous les différends [°1862].
b) Le gouvernement du territoire de la Sarre, jusqu'au moment prévu pour le référendum: Le Conseil en nomme la commission de gouvernement (de 5 membres) qui est responsable vis-à-vis de lui de l'administration du territoire.
c) Le gouvernement des Colonies et autres peuples protégés qui, par suite de la victoire des alliés, se trouvaient soustraits a la suzeraineté de l'Allemagne et de la Turquie. Au lieu de se distribuer, comme d'habitude, ces dépouilles, les vainqueurs les ont remises sous la direction de la SDN en posant à l'art. 22 du Pacte les principes de gouvernement pleinement conformes au droit naturel établi plus haut: «Le bien-être et le développement de ces peuples forment une mission sacrée de civilisation. La meilleure méthode de réaliser pratiquement ce principe est de confier la tutelle de ces peuples aux nations développées qui, en raison de leurs ressources, de leur expérience ou de leur position géographique, sont le mieux à même d'exercer cette responsabilité et qui consentent à l'accepter: elles exerceraient cette tutelle en qualité de mandataires et au nom de la Société», et pour cela, elles devront envoyer au Conseil un rapport annuel sur leur gestion, une commission permanente devant être créée pour examiner ces rapports.
d) Enfin, la SDN fut chargée de surveiller l'exécution de certaines clauses des traités de paix relatives à la protection des minorités de race, de religion et de langue.
Incontestablement, toutes ces fonctions supposent l'exercice d'une autorité supérieure à chaque État particulier, et prenant ses décisions en vue du bien commun mondial: la collaboration engendre ainsi l'association.
2) Son action fut plus féconde encore dans la poursuite de son but positif d'entraide internationale en vue des progrès de la civilisation, bien commun mondial. Selon les directives du Pacte, elle aboutit à la création de plusieurs organismes auxiliaires correspondant aux divers aspects économiques et culturels de ce bien commun.
a) Une cour permanente de justice internationale fut créée en 1921-1922. Jusque là, puisqu'il n'existait aucune autorité supérieure à la souveraineté nationale, les litiges entre États ne pouvaient se trancher que par négociations directes, et en cas d'insuccès par la guerre. Mais celle-ci devenant de plus en plus désastreuse, un mouvement continu se produisit vers les solutions pacifiques. Le moyen choisi fut l'arbitrage, où un ou plusieurs juges librement acceptés, tranchent le litige avec obligation pour les parties d'accepter et d'exécuter la sentence. Les conventions de La Haye de 1890 et 1907 ont même constitué une «cour permanente d'arbitrage», qui est moins pourtant un tribunal régulier qu'une liste de noms de personnages compétents proposés par les États signataires, parmi lesquels seraient choisis les futurs arbitres; la conférence de 1907 y ajoutait un voeu pour «une cour de justice arbitrale fonctionnant en droit international à la manière d'un tribunal ordinaire» [°1863]. Ce fut seulement la SDN qui réalisa ce voeu, lorsque les 11 juges titulaires et 4 suppléants furent élus pour 9 ans par le Conseil et l'assemblée générale en 1921. Sa compétence est universelle pour ce qui regarde le droit international: soit l'interprétation des traités, soit la solution des litiges entre États, soit les réparations à fournir en cas d'injustice internationale. Pour fonder leurs sentences, les juges s'en réfèrent non seulement aux conventions civiles, mais aussi aux coutumes internationales et aux principes généraux de droits reconnus par les nations civilisées, ainsi qu aux doctrines des auteurs les plus qualifiés en matière de droit international - en attendant la codification du droit international que devait réaliser la SDN.
Notons que, pour éviter la guerre, les membres de la SDN s'engageaient d'avance à recourir au procédé soit de l'arbitrage, soit du jugement de la Cour permanente de justice internationale de La Haye; et enfin de se soumettre à l'examen du Conseil de la SDN qui pouvait s'en référer à l'assemblée générale. Mais si en ce dernier cas l'unanimité n'était pas obtenue, la guerre restait possible en droit; et c'est pour compléter ce point que les nations signèrent plus tard le pacte Briand-Kellog, qui mettait définitivement la guerre hors la loi.
b) L'organisation internationale du travail: cet organisme est contemporain du pacte de la SDN: préparé en même temps, il prit place comme lut dans le traité de paix de Versailles: ses statuts en forment la XIIIe partie. Il prend comme but l'amélioration des travailleurs par coopération internationale, car la «non-adoption par une nation quelconque d'un régime de travail réellement humain fait obstacle aux efforts des autres nations désireuses d'améliorer le sort des travailleurs dans leur propre pays». Il s'appuie sur quelques règles moralement excellentes, en particulier: «le principe dirigeant que le travail ne doit pas être considéré simplement comme une marchandise ou un article de commerce; le droit d'association en vue de tous objets non contraires aux lois, aussi bien pour les salariés que pour les employeurs»; le salaire assurant un minimum vital, la diminution des heures de travail et le repos hebdomadaire, la suppression du travail des enfants, «le principe du salaire égal, sans distinction de sexe, pour un travail de valeur égale; et le traitement équitable des ouvriers étrangers» [°1864].
L'institution comprend deux organes principaux:
1) La conférence internationale du travail qui rassemble annuellement les délégués des 56 États membres; ces délégués en chaque pays sont au nombre de quatre, dont deux représentent les gouvernements, un troisième les patrons, et le quatrième les ouvriers; et chacun vote personnellement. De plus, on abandonne ici la règle de l'unanimité: il suffit de la majorité relative pour les résolutions ordinaires et les recommandations; et les deux tiers des voix pour les conventions; 26 projets avaient été adoptés de 1919 à 1928. Cependant ces conventions n'entraient en vigueur qu'après ratification librement consentie par chaque gouvernement.
2) Le Bureau international du travail (BIT) organe permanent géré par un Conseil d'administration de 24 membres: 12 représentaient les États, parmi lesquels 8 membres permanents pour les États les plus industriels, dont la Belgique, et les 4 autres, élus pour 3 ans; les 12 autres élus pour trois ans, moitié par les délégués des patrons, moitié par les délégués ouvriers à l'assemblée générale. Son but étant de préparer les sessions annuelles de la Conférence, il exerçait une triple fonction: fonction diplomatique auprès des divers États; fonction de relations avec les diverses organisations, ouvrières, patronales, sociales; fonction de recherches sur les conditions de travail en divers pays. Enfin, l'institution se complète par plusieurs comités ou commissions chargées d'examiner ou de résoudre des points particuliers: travail indigène, statistiques, chômages, hygiène, etc. Notons que le travail dont il s'agit ici est toujours «le travail économique d'exécution» [§1153], spécialement industriel; et dans les grandes entreprises capitalistes, où sévissent les abus les plus nombreux. Mais l'organisme s'intéresse aux autres formes de travail par deux commissions consultatives: l'une «des travailleurs intellectuels» - l'autre «commission mixte agricole», qui s'est mise en rapport avec l'Institut international d'agriculture, fondé à Rome des 1907, et qui, sans être rattaché à la SDN, collaborait avec elle.
c) Outre ces deux grandes organisations autonomes, on trouve plusieurs autres organisations auxiliaires créées par l'assemblée générale et le conseil de la SDN, les unes techniques: comme l'organisation économique et financière, celle des communications et transit, celle de l'hygiène [°1865]; les autres sont des commissions consultatives: sur le désarmement, les mandats, pour combattre le trafic de l'opium et autres stupéfiants, et abolir la traite des femmes, etc.
Signalons spécialement la Commission de coopération intellectuelle réunissant les plus grands savants du monde entier [°1866], dans le but de s'entraider, par exemple par des secours aux Universités pauvres, la communication mutuelle des travaux, l'unification des bibliographies, la garantie des droits d'auteur ou de découverte, etc. Elle aboutit à l'Institut international de coopération intellectuelle, créé par le gouvernement français en 1925; dans le cadre de la SDN. Cet Institut qui a son siège à Paris, sert d'instrument de préparation et d'exécution à la Commission de coopération intellectuelle qui en constitue le conseil d'administration. Divisé en sections, (relations littéraires, relations artistiques, section juridique, relations universitaires, relations scientifiques, informations), il étudie les questions que lui renvoie la Commission, en s'aidant au besoin des conseils d'experts. Son personnel est international comme celui du Secrétariat.
Tous ces organismes ont survécu et se sont perfectionnés dans l'ONU.
§1386) L'Organisation des Nations Unies (ONU). L'ONU continue, en effet, la SDN, et sans réaliser encore la société internationale proprement dite, elle marque un sérieux progrès vers ce but.
1) Caractère général: l'ONU ne se présente plus comme un pacte ou contrat; elle a été constituée indépendamment de tout traité de paix d'après un projet préparé par des experts, dès 1942, à Dumbarton Oaks, et examiné par les délégués de 49 nations réunies à San Francisco en 1945. Ils adoptèrent le 26 juin ce qu'on appelle la «Charte des Nations Unies» ratifiée ensuite par les gouvernements respectifs. Ces 49 nations sont les membres originaires, parmi lesquels les deux grands empires qui furent toujours absents de la SDN: la Russie et les États-Unis. Les États manquants, où l'on voit, en raison de la guerre, l'Allemagne, le Japon, l'Espagne et l'Italie, pourront être admis par l'assemblée générale sur présentation du conseil de sécurité, s'ils deviennent «États pacifiques qui acceptent les obligations de la Charte; et au jugement de l'organisation, sont capables de les remplir et disposés à le faire» (art. 4). La liberté de se retirer n'est plus mentionnée: «Un membre peut être suspendu (art. 5) ou exclu (art. 6), il peut, s'il ne paie pas régulièrement ses cotisations, être privé de droit de vote à l'assemblée générale (art. 19) tout en restant soumis aux obligations découlant de la Charte; on ne conçoit pas qu'il puisse démissionner» [°1867].
L'ONU se propose un double but:
1) Maintenir la paix dans le monde et bannir «tout usage de la force des armes, sauf dans l'intérêt commun» [°1868].
2) Travailler au progrès de la civilisation sous ses divers aspects par l'entraide des peuples.
Comme le dit explicitement et fortement l'art. 1 de la Charte: «Les buts des Nations Unies sont les suivants:
a) maintenir la paix et la sécurité internationale, et à cette fin: prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d'agression ou autre rupture de la paix, et réaliser par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l'ajustement ou le règlement des différends ou de situations de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix;
b) développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité des droits des peuples et de leur droit de disposer d'eux-mêmes, et prendre toute autre mesure propre à consolider la paix dans le monde;
c) réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue et de religion [°1869];
d) être un centre où s'harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes».
Pour réaliser ce double but, l'ONU a repris les organismes essentiels de la SDN: mais en les développant d'une façon très significative: on y retrouve en effet:
1) L'assemblée générale, l'organe délibératif et souverain, siégeant annuellement en assemblées ordinaires [°1870].
2) Le secrétariat général, chargé du règlement de tous les problèmes administratifs et techniques.
3) La Cour internationale de justice, reprise de la Cour permanente de justice internationale, fondée en 1922 par la SDN et qui reste «l'organe judiciaire principal des Nations Unies». (art. 92).
4) Mais pour réaliser efficacement le double but cherché, il n'y a plus un seul, mais trois conseils:
a) un conseil de sécurité pour le maintien de la paix dans le monde;
b) un conseil de tutelle pour la gérance des colonies autrefois sous
mandat de la SDN.
c) un conseil économique et social pour travailler au progrès de la
civilisation dans les autres domaines: Tels sont les six organes principaux,
auxquels pourront s'ajouter les organes subsidiaires qui se révéleraient
nécessaires. (art. 7).
2) Forme démocratico-autoritaire: L'expérience de l'échec de la SDN incapable d'éviter la seconde guerre mondiale a fait vivement sentir la nécessité d'une autorité internationale efficace, capable d'imposer les requêtes du droit à chaque peuple de l'humanité, comme l'autorité nationale s'impose aux citoyens pour éviter les guérillas privées. La nouvelle Charte, il est vrai, garde des traces de l'ancien idéal de souveraineté nationale absolue, ne tolérant entre peuples que des relations contractuelles, en sorte que toute limitation de droit ou toute acceptation de devoirs spéciaux ne peut être que le fruit d'une acceptation libre de chaque État, sans jamais s'imposer par décision d'une autorité supérieure. Ainsi l'art. 2 déclare: «L'organisation est fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses membres». Et l'art: 78 ajoute: «Le régime de tutelle ne s'appliquera pas aux pays devenus membrés des Nations Unies, les relations entre celles-ci devant être fondées sur le respect du principe de l'égalité souveraine». Mais en entrant dans l'ONU, les États acceptent de telles restrictions à leur souveraineté que celle-ci ne peut plus être considérée comme absolue, et que s'établit progressivement dans les faits l'exercice d'une véritable autorité internationale, - en droit très légitime d'ailleurs: car en veillant au bien commun mondial, elle se fonde sur la loi naturelle, et elle aussi, par conséquent, elle vient de Dieu.
Ces restrictions portent sur deux points principaux:
a) L'abandon de la règle d'unanimité avec prépondérance des membres permanents seulement. Désormais, les décisions de l'assemblée générale seront prises, pour les questions importantes énumérées à l'art. 18, en particulier pour les mesures relatives au maintien de la paix, aux sanctions à prendre contre un membre, à l'élection d'un nouveau membre, au régime de tutelle et aux questions budgétaires, à la majorité des deux tiers; et pour les autres matières, à la majorité simple des membres présents et votants [°1871]. Ainsi les États acceptent de n'être plus seuls juges de leurs affaires, puisqu'ils s'engagent à respecter des décisions d'une majorité dont ils pourraient ne pas faire partie.
§1387). b) L'institution du conseil de sécurité est une restriction beaucoup plus grave encore. D'abord, elle consacre la prépondérance reconnue aux 5 grandes puissances désignées nommément comme membres permanents de ce Conseil: la Chine, la France, l'URSS, l'Angleterre et les États-Unis; six autres membres non permanents sont élus pour deux ans, remplacés par moitié tous les ans et non immédiatement rééligibles. Les décisions du conseil sont prises «sur des questions de procédure, par un vote affirmatif: de 7 membres; sur toute autre question, par un vote affirmatif de 7 de ses membres, dans lesquels sont comprises les voix de tous les membres permanents» (art. 27). Si l'un de ceux-ci est partie dans un différend, il doit s'abstenir tant qu'il s'agit de mesures à prendre pour un règlement pacifique; mais s'il s'agit d'une action militaire, son accord est toujours nécessaire. C'est ce qu'on appelle le «droit de veto des grands», contre lequel toutes les petites puissances protestent, mais qui n'est peut-être qu'une constatation réaliste de la situation internationale actuelle; l'accord des 5 grands paraît indispensable à toute action efficace pour maintenir la paix.
Ainsi constitué, le Conseil de sécurité est muni de puissants moyens d'action et même d'une certaine indépendance vis-à-vis de l'assemblée générale: «Afin d'assurer l'action rapide et efficace de l'Organisation, dit l'art. 24, ses membres confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale et reconnaissent qu'en s'acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité, le Conseil de sécurité agit en leur nom»; et ils «conviennent d'accepter et d'appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente Charte» (art. 25). Ce conseil est organisé de manière à pouvoir exercer ses fonctions en permanence. Actuellement, il se réunit au moins une fois tous les 15 jours. «Il peut créer des organes subsidiaires et il a en effet institué un Comité de l'énergie atomique; un Comité d'État-major l'assiste pour les questions d'ordre militaire. Il doit soumettre pour examen, des rapports annuels et le cas échéant, des rapports spéciaux à l'Assemblée générale», (art. 25) et il peut en recevoir des directives et recommandations. Mais «tant qu'il remplit à l'égard d'un différend ou d'une situation quelconque, les fonctions qui lui sont attribuées par la Charte, l'assemblée générale ne doit faire aucune recommandation sur ce différend ou cette situation, à moins que le conseil de sécurité ne le lui demande» (art. 12). Il garde donc les mains libres et l'initiative.
La première tâché du Conseil de sécurité est de résoudre «tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationale»; il peut enquêter pour les découvrir; il peut recevoir les plaintes de tout membre de l'ONU et même d'un autre État, partie d'un différend, un tel État étant toujours invité à participer à la discussion du Conseil, sans droit de vote. Les parties sont d'abord invitées à trouver une solution pacifique «par voie de négociation, d'enquête, de médiation, de conciliation, d'arbitrage, de règlement judiciaire (spécialement en faisant appel à la Cour internationale de justice), de recours aux organismes ou accords régionaux, etc.». (art. 33); et le Conseil peut décider de leur faire à ce sujet des «recommandations».
Mais l'action décisive doit se produire dans le cas «de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression»: le Conseil de sécurité constate l'existence de ce cas, fait des recommandations indiquant les moyens de maintenir ou de rétablir la paix et la sécurité internationale; et pour donner effet à ses décisions, il peut prendre une double série de mesures:
1) Des mesures n'impliquant pas l'emploi de la force armée qui «peuvent comprendre l'interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radio-électriques et des autres moyens de communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques» (art. 41). Ces mesures rappellent les sanctions économiques de la SDN mais au lieu de s'imposer automatiquement à tous les membres de l'organisation, elles sont prises par tous ou par certains d'entre eux, selon l'appréciation du Conseil (art. 48). Il en est de même des mesures militaires.
2) Si, en effet, «le Conseil de sécurité estime que les mesures précédentes seraient inadéquates, ou qu'elles se sont révélées telles, il peut entreprendre, au moyen des forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu'il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationale. Cette action peut comprendre des démonstrations, des mesures de blocus et d'autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres de membres des Nations Unies», (art. 42). Ce texte ne semble pas exclure la constitution d'une armée internationale au service de l'ONU ce qui serait sans doute la meilleure formule pour établir une autorité mondiale efficace et réaliser une véritable société internationale. Mais en attendant que cette solution soit possible, le Conseil de sécurité peut se servir des armées nationales: car tous les membres de l'ONU s'engagent à mettre à sa disposition, sur son invitation et conformément à des accords préalables, leurs forces armées et leur assistance, en particulier le droit de passage, (art. 43). Le Conseil de sécurité négocie donc et conclut des accords militaires avec un ou plusieurs membres des Nations Unies. Une sorte d'armée aérienne permanente est aussi constituée [°1872] et le comité d'État-major, composé des chefs d'État-major des cinq grands, prend la direction stratégique de ces forces et aide le Conseil a établir les plans d'action. Si l'Allemagne hitlérienne avait trouvé sur son chemin une SDN armée de cette façon, elle n'aurait sûrement pas déclenché la seconde guerre mondiale [°1872.1].
Mais il faut le noter, l'efficacité de cette barrière militaire contre la guerre dépend tout entière de l'accord unanime des cinq grands, cet accord étant requis pour toutes les décisions du Conseil de sécurité dans l'ordre militaire: si deux de ces cinq décident de se battre entre eux, rien n'est prévu pour les arrêter. On suppose qu'en créant l'ONU ils ont tous sincèrement renoncé à la guerre offensive, comme moyen de faire triompher leurs visées internationales, et que seuls les anciens ennemis, nommément l'Allemagne et le Japon, seraient capables de reprendre une «politique d'agression» [°1873]. Ainsi le dispositif prévu ne sera efficace que contre eux - et aussi, ce qui n'est certes pas négligeable, pour maintenir la paix entre les petits États, tant que les cinq grands seront d'accord. À ce dernier point de vue, l'institution du Conseil de sécurité revient à la création d'un Directoire international, doué d'une autorité décisive pour maintenir la paix, avec l'appui d'une force armée adéquate. Bien que ce soit en un domaine encore restreint, il y a là un pas important vers la constitution d'une société internationale proprement dite.
§1388). 3) Action morale de l'ONU: Si, pour réaliser son premier but (le maintien de la paix), l'ONU n'a pas craint d'innover hardiment, pour le second but qui paraissait moins urgent (le progrès de la civilisation), elle se propose seulement de continuer l'action morale d'ordre consultatif et persuasif de la SDN, sans prévoir le recours aux sanctions ni à la force. Mais, bien qu'indirecte, cette action sera aussi et même plus efficace pour maintenir la paix, en développant entre les peuples l'esprit de justice et d'entraide, que les chrétiens doivent renforcer par l'esprit de charité surnaturelle.
1) l'ONU fait une place à part au problème de la colonisation, avec le double souci de maintenir les droits politiques acquis et de justifier cette subordination des peuples par les exigences de la civilisation.
a) Il y a d'abord une déclaration de principe: «Les membres des Nations Unies qui ont ou qui assument la responsabilité d'administrer des territoires dont les populations ne s'administrent pas encore complètement elles-mêmes, reconnaissent le principe de la primauté des intérêts des habitants de ces territoires. Ils acceptent comme une mission sacrée l'obligation de favoriser dans toute la mesure du possible leur prospérité, dans le cadre du système de paix et de sécurité établi par la Charte, et à cette fin, d'assurer en respectant la culture des populations en question, leur progrès politique, économique et social, ainsi que le développement de leur instruction, de les traiter avec équité et de les protéger contre les abus»; de les faire coopérer à ce travail; puis d'utiliser les organismes de l'ONU, et de fournir au Secrétariat général des informations techniques sur les progrès réalisés [°1874]. C'est un certain droit de regard reconnu à l'ONU, sur tout le domaine colonial, ce qui est conforme au droit naturel.
b) Ensuite, il est créé un Conseil de tutelle, où la prépondérance des cinq grands s'affirme de nouveau, car ils en font partie de droit, comme membre permanent avec «les États chargés d'administrer les territoires sous tutelle et autant d'autres membres de l'ONU élus pour 3 ans par l'assemblée générale, qu'il sera nécessaire pour que le nombre général des membres du Conseil de tutelle se partagent également entre ceux qui administrent un territoire et les autres». (art. 86) [°1875]. Le Conseil de tutelle reprend simplement la fonction de la SDN pour les territoires sous mandat, auxquels pourront s'ajouter des territoires détachés d'États ennemis par suite de la seconde guerre mondiale, comme la ville de Trieste; et aussi de territoires volontairement placés sous ce régime par les États responsables de leur administration.
2) Mais c'est surtout par le Conseil économique et social que l'ONU réalise son action morale. Ce conseil est conçu de la façon la plus libérale et démocratique et a un magnifique champ d'action. Il est formé de 18 membres élus par l'assemblée générale: 6 chaque année pour trois ans, les membres sortant étant immédiatement rééligibles; et il prend ses décisions simplement à la majorité.
Le but poursuivi est ainsi exprimé: «En vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, les Nations Unies favoriseront:
a) le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi, et les conditions de progrès et de développement dans l'ordre économique et social;
b) la solution des problèmes internationaux dans les domaines économique, social, de la santé publique et autres problèmes connexes, et la coopération internationale dans les domaines de la culture intellectuelle et de l'éducation;
c) le respect universel et effectif des droits de l'homme, et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race; de sexe, de langue ou de religion». (art. 55).
On voit que ce but comprend, en dehors de la lutte contre la guerre et l'oeuvre coloniale, tout l'idéal du bien commun mondial sous ses divers aspects; économique et culturel, y droits l'aspect moral fortement marqué par la protection des droits de la personne humaine. Aussi retrouvons-nous l'action de la SDN amplifiée et mieux organisée. Le Conseil économique et social réalise cette action par deux séries de moyens: les commissions qu'il crée en son sein; les institutions internationales autonomes qui lui sont rattachées.
a) Huit commissions ont déjà été créées selon les divers buts indiqués plus haut: d'abord la commission des droits de l'homme, chargée d'abord de rédiger une déclaration internationale de ces droits [°1876]; puis celle de la condition de la femme; celle des questions sociales ; celle des stupéfiants, qui continue à régler le trafic de l'opium et autres produits semblables; puis la commission des questions économiques et de l'emploi, luttant contre le chômage; celle de la reconstruction économique des régions dévastées, celle des transports et communications, et celle des statistiques.
b) Onze institutions spécialisées, vu l'importance de leur objet, possèdent une organisation autonome, et sont rattachées au Conseil économique et social par un accord approuvé par l'assemblée générale, en sorte que leurs divers fonctionnements soient mieux unifiés et renforcés par l'entraide. Il y a d'abord l'Organisation internationale du travail, avec son BIT décrit plus haut; il a été rejoint par l'Organisation de l'alimentation et de l'agriculture, qui s'est désormais agrégée à l'ONU, L'organisation pour l'éducation, la science et la culture [°1877] est un développement de l'Institut international de coopération intellectuelle, et elle en continue la mission; l'Organisation de la santé continue les efforts de la Croix Rouge de Genève, et la lutte contre la maladie: Viennent ensuite l'Union postale universelle (UPU), l'Union internationale des Télécommunications (UIT); une Banque internationale; un Fonds monétaire international; une Société financière internationale; l'Organisation météorologique mondiale (OMM); auxquelles doivent s'adjoindre bientôt deux Organisations internationales: celle du Commerce, celle de la Navigation maritime.
B) Preuve de la thèse.
§1389) 1. - Le devoir. Lorsque le degré de civilisation obtenu par l'entraide internationale est sensiblement plus élevé que la perfection réalisée par les États isolés, et surtout quand les chefs des États particuliers deviennent incapables de réaliser pleinement leur mission propre de veiller au bien commun national, sans tenir compte de leurs relations avec les autres peuples du monde, le devoir d'entraide entre nations imposé par la loi naturelle, de négatif devient positif, et exige la constitution d'une société internationale proprement dite.
Or telle est la situation actuelle des peuples de la terre.
La première condition se réalise en tous les peuples sans exception: soit dans l'ordre économique, soit dans l'ordre intellectuel, l'entraide apporte à chacun des richesses inaccessibles à ses propres efforts; les peuples arriérés en ont une vive impression par l'arrivée des inventions modernes et des résultats qu'elles permettent pour la culture ou l'industrie; et les peuples civilisés sont tellement tributaires les uns des autres qu'ils ne pourraient retourner à leur isolement sans un préjudice grave pour eux-mêmes et pour le reste de la communauté humaine.
La deuxième condition plus pressante encore tend de plus en plus à s'universaliser et elle se réalise déjà incontestablement sur deux points fondamentaux:
a) Pour le maintien de la paix, car la guerre moderne peut difficilement rester localisée, et dès qu'elle intéresse les grandes puissances, elle retentit sur l'ensemble du monde. Beaucoup de peuples la subissent malgré eux, et tous en pâtissent dans leur prospérité. Ainsi, aucun chef d'État, à ce point de vue, ne peut vaquer pacifiquement à l'exécution de ses tâches sociales, à moins d'unir ses efforts à tous les autres pour maintenir l'ordre international.
b) Même constatation pour la prospérité économique: tous les petits peuples sont tributaires de leurs gros voisins, et souvent ils ne pourraient même pas vivre sans eux; et bien que les grands peuples avec leurs immenses réserves (comme la Russie et les États-Unis) et leur empire colonial (comme l'Angleterre et la France) soient à la rigueur capables de subsister seuls, vu le progrès actuel des échanges, un tel isolement ruinerait leur prospérité: les chefs d'États ne peuvent choisir la politique de l'autarcie sans manquer à leur devoir.
Le moment est donc venu pour les peuples de la terre de former entre eux une société internationale proprement dite.
§1390) 3. - Les essais. La SDN et surtout l'ONU sont manifestement des essais de cette société, et à ce titre, sont hautement recommandables. Il faut cependant en reconnaître les imperfections: les impuissances signalées de la SDN en ont entraîné la ruine. Dans l'ONU, malgré le progrès incontestable, il reste au moins deux causes sérieuses de faiblesse:
a) Des traces d'idéologie libérale, qui voudraient maintenir entre les États de pures relations contractuelles en respectant en chacun une souveraineté absolue. Cette conception s'affirme surtout dans le Conseil économique et social, où l'on proclame le principe «de l'égalité des droits des peuples, et de leur droit à disposer d'eux-mêmes». Il est aisé de donner un sens légitime au principe d'égalité, comme expression du cinquième droit fondamental de tout État [§1368]; et la Charte; loin de nier les inégalités inévitables, d'ailleurs raisonnables, les met plutôt en relief par le droit de veto et le régime de tutelle. Mais le «droit des peuples à disposer d'eux-mêmes» appelle d'expresses réserves [§1133 et §1367]; il convient de l'équilibrer par le devoir d'accepter la règle du bien commun. Ce devoir d'ailleurs est proclamé aussi à chaque page de la Charte de l'ONU.
b) Mais la cause la plus grave de faiblesse est l'opposition profonde d'idéal de vie entre les membres de l'ONU surtout entre les deux plus grands, qui ont tendance à prendre la tête de deux blocs antagonistes: l'URSS et les États-Unis. Tandis que les États-Unis défendent la dignité de la personne humaine dans un sens très proche de la morale chrétienne, en reconnaissant le domaine suprême de Dieu et l'action bienfaisante de la religion, le gouvernement soviétique actuel tient pour légitime la dictature absolue d'une classe: celle des ouvriers, dont les représentants seuls autorisés sont le parti communiste à base d'athéisme militant et de subordination totale des individus à l'État. Ainsi les mêmes mots employés de part et d'autre: démocratie, liberté, civilisation, progrès, etc. ont aussi des sens opposés. Le premier résultat de cette opposition a été de supprimer de la Charte toute allusion à l'ordre religieux et à Dieu: cette sécularisation est en un sens légitime, parce que le bien commun mondial que poursuit la société internationale est uniquement d'ordre temporel; mais l'ONU ne peut ignorer, ni surtout nier l'existence de l'idéal spirituel, éternel, à la fois personnel et social, que poursuit l'Église; et c'est pourtant en ce sens que s'exerce partout l'influence de l'URSS [°1878].
Cette opposition d'idéal engendre, sur le plan temporel et politique, une dangereuse rivalité; le seul moyen d'empêcher qu'elle ne dégénère en conflit armé, c'est d'obtenir l'accord pacifique des adversaires sur chaque point en litige, et le meilleur moyen humain reste pour l'instant leur collaboration au sein de l'ONU. Mais la solution définitive ne peut être que la diffusion parmi tous les peuples, y compris la Russie, des principes de la morale chrétienne, nationale et internationale, la seule conforme aux exigences de la raison et de la loi naturelle.
C) Corollaires.
§1391) 1. - L'État société parfaite. «L'extrême dispersion et l'isolement forcé des nations ont longtemps mis obstacle au déploiement d'une large et féconde collaboration internationale, et dès lors, les philosophes et les moralistes se sont habitués à voir dans l'État une société parfaite, pourvue de tous les moyens indispensables pour aider ses membres à réaliser «le bien complet de la vie humaine».
Une situation toute différente prévaut aujourd'hui. Devant l'intense développement qu'a pris la vie internationale, la qualification de «société parfaite» appliquée à l'État ne peut plus guère s'entendre que dans un sens très relatif.
Société parfaite, l'État l'est encore dans ce sens qu'il possède la plénitude de l'autorité pour maintenir à l'intérieur de ses frontières l'ordre, la paix et la justice, car on ne conçoit guère un État universel assujettissant à sa juridiction immédiate tous les membres de la famille humaine.
Société parfaite, l'État ne l'est plus en ce sens qu'il ne saurait désormais, par ses seuls moyens, procurer à ses sujets le «bien plus complet de la vie humaine» tel que l'ont, à l'heure présente, rendu possible les progrès de la civilisation et les fécondes ressources d'une coopération internationale harmonieusement organisée» [°1879].
Bien plus, le progrès des relations internationales tend à transformer peu à peu la coexistence inorganique des nations dans le monde en un véritable fédéralisme; sous la pression des faits et des nécessités surtout économiques, parfois militaires, des mouvements s'intensifient vers des ententes régionales, comme l'Union européenne déjà commencée en 1930 [°1880], et qui est de plus en plus à l'ordre du jour, tandis que l'ONU reste un centre de fédéralisme mondial. Il y a là un progrès très souhaitable, et il convient de le poursuivre explicitement et consciemment, plutôt que de le subir en maugréant. Les nations individuelles doivent chercher dans l'organisation supérieure dont elles font partie un triple secours:
a) Une direction législative universelle qui harmonise les efforts de chacun vers la civilisation; par exemple, en réglant la concurrence internationale du commerce pour permettre les améliorations sociales et couronner les efforts des corporations nationales; et de même, dans les autres domaines, intellectuels et moraux.
b) Un recours en justice pour les décisions des tribunaux locaux, chaque fois du moins qu'elles touchent le droit international.
c) Une garantie de police internationale, soit pour le maintien de la paix et la protection contre les agressions injustes, soit aussi pour assurer l'efficacité des décisions de l'autorité fédérale, une fois constituée.
Ces trois avantages, qui favorisent avant tout les petites nations, peuvent être obtenus à bref délai; et l'autorité qui les assurera prendra peu à peu, par son exercice même, le caractère d'un véritable gouvernement mondial, laissant à chaque nation sa légitime indépendance selon ses traditions, mais réunissant tous les États en un fédéralisme authentique.
§1392) 2. - Les droits de l'homme. En inscrivant parmi ses buts la garantie internationale des droits de l'homme, l'ONU a posé un principe très fécond de progrès dans le sens que nous venons d'indiquer. Ici, en effet, il ne s'agit plus seulement de rapports entre États comme tels, ni des droits de groupements nationaux, comme dans la protection des minorités ethniques ou religieuses, prévue en certains traités; mais des droits de la personne humaine elle-même qui sont reconnus, protégés et favorisés par la société internationale. Celle-ci, pour accomplir sa tâche sera inévitablement amenée à intervenir dans les affaires intérieures mêmes des divers États. Dès maintenant, le Conseil économique et social se propose de veiller à ce que chaque gouvernement conforme les législations du pays aux exigences des droits de l'homme; il peut faire des recommandations dans ce sens, demander des renseignements, recevoir des pétitions, etc.; et bien que son action ne soit encore sanctionnée que par la force de l'opinion publique, elle peut déjà être puissante. De plus, la violation de ces droits peut être déférée au Tribunal international, que ce soit une Cour européenne de justice, ou bien une section de la Cour internationale de justice de l'ONU; mais pour celle-ci, en élargissant ses attributions, car elle n'examinait que les seuls litiges entre États, tandis que les «droits de l'homme» concernent les personnes individuelles.
Toutes ces institutions internationales sont donc hautement recommandables, pour autant qu'on y entende l'écho de la loi naturelle où toute âme de bonne volonté reconnaît la voix même du Créateur [°1882].
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