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§1146). Après avoir exposé les principes fondamentaux de la vie morale, il faudrait ici analyser les détails des actions humaines qui nous conduisent au terme selon l'ordre des multiples vertus et des vices qui s'y opposent. Mais pour rester dans la perspective de notre Précis de Philosophie, envisageant surtout les problèmes d'ensemble et les plus actuels, nous considérerons la morale spéciale au point de vue de ses relations avec les sciences positives morales qui de nos jours s'imposent à l'attention, et parfois même prétendent remplacer la vieille morale traditionnelle. Ce sont les sciences morales, dont le domaine très vaste se divise d'abord en deux sections: la vie économique; avec les activités des multiples professions; et la vie politique, où les sociétés civiles poursuivent leur idéal, individuellement et collectivement; et dans chaque section, nous distinguerons nettement les recherches de science positive, et les problèmes d'ordre moral; les premières constituent normalement une introduction aux seconds dont elles orientent et facilitent la solution. D'où notre division:
Section 1. - Vie économique.
Chapitre 1. - L'économie, science particulière (ou «positive»).
Chapitre 2. - Problèmes de morale économique.
Section 2. - Vie politique.
Chapitre 3. - La sociologie, science particulière (ou «positive»).
Chapitre 4. - Problèmes de morale politique.
b103) Bibliographie spéciale (Vie économique en générale)
Introduction.
§1147) 1. - La morale et l'économie positive. Parmi les recherches de science positive moderne, dans le domaine de l'activité proprement humaine, celles qui concernent l'économie ont commencé dès le XVIIIe siècle avec le célèbre ouvrage d'Adam Smith (1720-1790) «Enquête sur la nature et sur les causes de la richesse des nations» et elles ont dès lors pris une grande extension. Le climat positiviste où elles sont nées a fait poser avec acuité le problème des rapports entre cette nouvelle science et la morale traditionnelle dont nous avons montré plus haut le caractère scientifique (au sens thomiste). Nous trouvons ici deux opinions extrêmes entre lesquelles se tient, semble-t-il, la vérité.
1) Selon les économistes libéraux de l'école d'Adam Smith, non seulement l'économie se développe en pleine indépendance de la morale, mais elle est destinée à la remplacer dans son domaine; et les sociologues positivistes comme A. Comte, H. Spencer, Durkheim adoptent cette position d'une façon plus radicale encore [°1523]. Les économistes libéraux avaient pour mot d'ordre: «Laissez faire, laissez passer». Selon eux, toute intervention au nom de la morale ne pourrait que fausser les lois économiques dont le bon fonctionnement, spontané et régulier, conduit nécessairement à la prospérité et au bonheur. C'est la théorie de l'optimisme économique.
Quelques-uns, après Malthus, («Essai sur le principe de la population») constatent bien que la «lutte pour la vie» engendrée par ces lois économiques est désastreuse pour les faibles; mais ils estiment toute intervention inutile et inefficace C'est la théorie du pessimisme économique. Ils aboutissent donc eux aussi à une science totalement indépendante de la morale, et destinée à la remplacer.
2) Aussi par réaction, certains moralistes catholiques insistent-ils sur le caractère proprement humain des phénomènes économiques, et ils ne reconnaissent qu'une seule économie légitime [°1524]: la science morale normative. Car la richesse étudiée ici n'est pas la richesse en soi, dans son être physique; mais l'usage que l'homme en fait, l'activité par laquelle il la produit, la distribue ou la consomme. Or cette activité est l'objet même de la morale. Ainsi raisonne par ex., Folliet dans son traité de morale sociale [°1525].
Cette position est certes plus défendable que la thèse libérale, où l'idéal de la vie humaine est ramené à la prospérité d'ordre matériel. Elle rétablit la hiérarchie des valeurs en subordonnant comme il convient le progrès économique au perfectionnement plus spirituel de la personne humaine, et à la poursuite de la gloire de Dieu. Mais elle ne semble pas rendre justice aux multiples recherches économiques qui débordent largement les cadres de la morale, et sont plus qu'une simple technique sans caractère scientifique. Et cette remarque vaut à fortiori pour les études sociologiques plus larges et plus riches encore [°1526].
3) La vraie solution semble être de concéder l'existence d'une science positive (sociologie et économie) autonome en ses développements théoriques, mais soumise de plein droit à la direction de la morale (sociale et économique) dans toutes ses applications pratiques.
a) Dans la mesure où l'économie et la sociologie sont des sciences positives, comme nous l'avons établi en méthodologie [°1527], elle jouissent de droit, d'une pleine autonomie dans leurs méthodes et leur domaine propre. C'est le privilège de toute science: comme elle ne cherche que la vérité, explorant un ensemble de faits pour découvrir ce qu'ils sont et comment ils évoluent, sa seule règle est de se conformer au réel, et toute subordination à une norme morale serait inintelligible. Il n'y a pas à examiner si les lois établies sont bonnes ou mauvaises, mais seulement si elles sont vraies. Si, par exemple, dans une industrie livrée à la libre concurrence, règne la loi de l'offre et la demande, il n'y a pas à examiner si les ouvriers en sont lésés dans leur droit ou leur dignité humaine. La science économique s'incorpore légitimement cette loi; et elle s'édifie ainsi, développant le réseau de ses lois, en pleine indépendance des règles morales. Il en est de même pour la sociologie dans son domaine plus large encore.
b) Mais une condition s'impose, d'autre part: subordination à la morale dans toutes les applications pratiques. La morale doit y intervenir, en effet, plus directement et plus profondément qu'en toute autre science appliquée. Les sciences appliquées n'intéressent qu'indirectement la vie proprement humaine et restent dans un domaine de soi moralement indifférent; ainsi la production des engrais chimiques ne concerne directement que la vie des plantes. Mais toute application d'ordre économique ou sociologique s'adresse de soi à une manifestation de la vie humaine et tombe de plein droit sous la direction de la morale; car aucun acte humain ne peut s'exercer indépendamment de cette régulation sans être mauvais ou coupable.
Nulle difficulté d'ailleurs pour réaliser cette subordination. Ici, comme dans les autres sciences appliquées, c'est en obéissant aux lois constatées par la sociologie et l'économie qu'on les pliera aux exigences de la morale, selon l'adage baconien: «Natura non vincitur nisi parendo» [°1528]. Si, par exemple, la loi de l'offre et de la demande est jugée, dans ses conséquences pratiques, contraire à la justice et à la charité dues à l'ouvrier, c'est en respectant et en appliquant son mécanisme qu'on le fera jouer en faveur du travailleur: une réforme qui la méconnaîtrait serait vouée à l'échec. Si l'ingéniosité de l'homme a réussi dans les autres domaines de la science à plier à ses désirs les lois les plus rigides de la nature, avec combien plus d'aisance réussira-t-elle dans le domaine de l'économie et de la sociologie, où l'action et la liberté de l'homme entrent plus profondément.
En résumé, d'un côté, l'économie (et la sociologie), science positive; de l'autre, la morale, science normative, déductive et secondairement inductive, ont leur caractère propre et leur autonomie. Mais en pratique, toute application des lois de la science économique (et sociologique) est appréciée et réglée par la morale; et celle-ci, sans attendre les résultats non encore certains ni définitifs des recherches expérimentales, a déjà, (dans sa partie sociale et économique, comme dans ses autres parties), un ensemble de règles et de conclusions fermes à présenter à l'activité humaine.
§1148) 2. - Question de terminologie. Puisque l'économie comporte deux aspects bien distincts, il conviendrait de les désigner par des termes précis. Malheureusement la terminologie reste encore confuse.
Étymologiquement, «économie» signifie: étude des règles de la maison (grec: οἰκος), ou de la société familiale; ainsi parle-t-on encore de «l'économe» dans une maison religieuse. C'est dans ce sens que saint Thomas, après Aristote, distinguait la morale en individuelle, économique (famille), et politique (cité, état). Comme la vie matérielle joue un grand rôle dans l'existence de la famille, on a d'abord réservé le terme économie aux lois concernant l'usage des biens matériels. Dans ce sens restreint, on a pu parler d'économie individuelle, familiale et politique, suivant qu'il s'agissait de l'usage des biens matériels par l'individu; la famille; l'État; ou encore d'économie sociale (dans la société en général) et à ce point de vue, il n'y a pas de différence assignable entre l'économie sociale et l'économie politique.
Cependant l'usage tend à distinguer ces deux expressions. On désigne plutôt par économie politique, la science des faits et des lois, descriptive et théorique, concernant l'ordre existant; bref, la science positive, et par économie sociale, une science des buts et des règles indiquant les réformes désirables et jugeant de ce qui doit être fait [°1529]: bref, la science morale normative. C'est dans la même perspective que l'on nomme parfois «morale sociale» la partie de la morale qui concerne la vie économique ou le bon usage des biens matériels temporels [°1530].
Cependant, les auteurs catholiques comme Folliet et Antoine, qui ne reconnaissent qu'une économie, science normative, ne sont pas d'accord sur cette distinction (d'ailleurs assez arbitraire quant au mot), et ils définissent l'économie politique dans un sens tout semblable à l'économie sociale.
C'est pourquoi, pour éviter toute confusion, nous n'emploierons que les deux termes très clairs d'économie, science positive, et de morale économique, science normative [°1531], celle-ci n'étant qu'une application au domaine de la vie matérielle des règles du droit naturel, individuel et social, exposées en morale générale.
3. - Division. Les deux aspects que nous venons de distinguer dans la vie économique seront étudiés en deux chapitres distincts (comme nous l'avons dit ci-haut):
Chapitre 1. - L'économie, science positive.
Chapitre 2. - Problèmes de morale économique.
b104) Bibliographie spéciale (L'économie science positive)
§1149) 1. - Définition. L'économie, en général, comme nous l'avons indiqué en méthodologie [§138], se présente comme une partie, la mieux étudiée actuellement, de la sociologie. Il convient ici d'en préciser l'objet pour en donner une définition nette, puis de signaler les méthodes expérimentales qui lui sont propres.
On donne ordinairement comme objet à l'économie les activités humaines relatives à l'usage des biens matériels ou des richesses; et c'est sans nul doute le domaine par excellence où se déploie la vie économique. Celle-ci, directement ou indirectement, suppose toujours des conditions d'existence dépendantes de la matière: la vie des purs esprits ne pose aucun problème économique. C'est pourquoi, en tenant compte des conclusions établies en méthodologie au sujet des lois positives des activités humaines, on peut adopter cette première définition:
L'économie, science positive (partie intégrante de la sociologie), est la science expérimentale des activités sociales de l'homme concernant les biens matériels ou les richesses.
À l'examen, pourtant, une double précision s'impose:
1) D'une part, il y a des activités économiques où n'intervient pas directement un bien, une richesse. L'économie, en effet, n'étudie pas les biens matériels en eux-mêmes, dans leurs propriétés physiques, mais en tant qu'ils répondent à une activité économique qui est un acte de l'homme en tant qu'homme, fruit de sa volonté libre, - en faisant abstraction d'ailleurs du point de vue moral, comme on le fait en logique ou en psychologie expérimentale, dont l'objet est aussi notre activité humaine libre. Or le point de vue économique le plus général semble être celui de la satisfaction de nos besoins; et quoique ceux-ci en tant qu'humains, aient toujours un certain aspect matériel, pour plusieurs d'entre eux cependant, nous recourons plutôt à des services qui ne sont pas des marchandises corporelles: ainsi les services du médecin en cas de maladies, ceux du facteur des postes, des employés du tram, et d'autres fournisseurs de services. Et tous ces services sont soumis, comme l'usage direct des richesses, aux lois économiques; par exemple; à celle de l'offre et de la demande.
2) D'autre part, parmi les biens matériels, il en est qui n'ont aucune valeur économique, bien qu'on en use abondamment: par exemple l'eau d'une fontaine, si elle est très suffisante pour le village; car en cas de disette, elle deviendrait un bien économique. D'autres fois, même des biens en quantité mesurée ou relativement rares restent sans valeur économique, parce que le travail exigé pour les exploiter ou les utiliser ne serait pas compensé par le profit qu'on en retirerait; ainsi en est-il de certains sous-produits industriels, ou de fruits sauvages, ou de gisements trop pauvres, etc.
Bref , ce qui détermine un bien à passer dans l'ordre économique, c'est la nécessité où nous sommes de l'adapter à la satisfaction de nos besoins, et la possibilité d'y réussir raisonnablement; d'où la définition plus précise:
L'économie, science positive, est l'étude expérimentale (classifications et lois) des biens et des services destinés à satisfaire les besoins de la vie humaine, en tant que l'homme, sous la direction de la raison, en fait un usage prudent et organisé.
Étude expérimentale, car il s'agit d'une science positive.
Biens et services avant tout matériels, mais sans exclure ceux qui répondraient à des besoins plus spirituels: par exemple, le service des professeurs, répondant au besoin de s'instruire; ou même, le service du culte. Ces services auront un aspect économique, parce que, inévitablement, ils mettront en jeu des intérêts directement ou indirectement matériels, comme les salaires ou honoraires demandés, les édifices ou autres conditions d'action indispensables.
L'usage prudent indique à la fois le cas où l'on prévoit un profit raisonnable au travail d'adaptation, et celui où la rareté des biens exige des précautions; en ce dernier cas, on dit encore en langage courant: «Il faut user de ces objets avec économie». Cependant la prudence qui intervient ici n'est pas la vertu morale de prudence, car le point de vue de la science positive fait abstraction de la morale. Que le besoin à satisfaire soit sérieux ou futile, que cette satisfaction soit favorable ou nuisible à la perfection personnelle ou au bien commun; qu'il s'agisse par exemple du trafic de l'opium ou de la vente de la récolte des blés; du moment que la raison humaine intervient pour combiner les moyens de production, de distribution, de consommation, on peut dire que l'homme en fait un usage prudent; ces activités rentrent donc dans l'ordre économique et elles seront soumises aux lois que la science établira.
Usage organisé, enfin, parce que l'établissement de ces lois demande que l'on considère les activités économiques sous leur aspect social. Tant que la satisfaction d'un besoin reste personnelle, elle échappe à la science économique; il n'y a pas de lois assignables, par exemple aux caprices d'un individu excentrique ou aux décisions libres d'un saint relatives à la consommation du pain. C'est dans l'usage général et organisé que règne un vrai déterminisme [§135].
§1150) 2. - Les méthodes propres à la science économique. L'économie doit évidemment se soumettre aux règles de la méthode expérimentale, et l'on ne peut admettre la prétention des premiers économistes libéraux qui, partant de la définition de l'«homo oeconomicus» supposé mû uniquement par le principe utilitariste de l'appât du gain, croyaient pouvoir en déduire à priori les notions fondamentales (travail, capital, valeur, échange, etc.) et les lois de leur science [°1532].
Cette méthode est d'abord celle de l'histoire, puis de la sociologie, c'est-à-dire de la physique expérimentale adaptée à son objet, comme on l'a dit en méthodologie [§137]. Signalons ici quelques procédés plus spéciaux: les statistiques, les enquêtes, l'emploi des mathématiques.
1) La statistique consiste essentiellement à dénombrer les faits identiques et à mettre en relief leur fréquence, leur variation, leur coïncidence avec d'autres séries de faits. On appelle aussi statistique, l'exposé de ces dénombrements sous forme de tableau, de chiffres, de courbes, de diagrammes, etc.: par exemple, la statistique des naissances et des décès dans un pays en un an.
Seuls évidemment les faits ayant un aspect quantitatif peuvent être soumis à la statistique; mais ils sont assez fréquents en économie, grâce à certains concepts fondamentaux, comme celui de prix. Mais l'usage des statistiques demande beaucoup de prudence:
a) Pour les préparer; il convient de définir avec grand soin le fait à relever; par exemple, ce qu'on entend par habitant d'une ville universitaire comme Louvain. Il faut préférer les faits simples, aisés à constater, normalement enregistrés, comme les naissances, les mariages, etc. Si on fait appel à un grand nombre d'observateurs, on peut formuler la règle: «En général, le degré d'exactitude d'une statistique est en raison inverse de la dépense d'intelligence, d'initiative et de zèle qu'elle exige des personnes qui interviennent dans le relevé».
b) Pour les recueillir: les statistiques sont des documents auxquels il faut appliquer les règles de la critique historique.
c) Pour les comprendre et les interpréter: il est rare que le dénombrement atteigne l'exactitude mathématique; il faut apprécier l'erreur probable et en tenir compte dans les conclusions. Il faut se défier en particulier des moyennes qui peuvent fausser les faits. Enfin, «pour dégager les causes et les lois des phénomènes observés, il faut une connaissance de la méthode suivie dans l'établissement de la statistique, une compétence spéciale dans la science à laquelle appartient le fait observé, et un sens critique exercé, l'habitude de raisonner correctement et logiquement» [°1533].
2) L'enquête, est une étude faite à un certain point de vue, d'un groupe de faits formant un tout complexe, tel qu'un milieu, une classe sociale, une profession; par exemple, l'enquête sur la situation religieuse d'un village faite par une section de J.A.C. Elle a donc un objet plus large, mais elle se sert des statistiques, les complète ou les prépare.
Toute vraie enquête se fait sur place et oralement. Elle peut être préparée par un questionnaire écrit, mais celui-ci ne remplace pas la visite. Ainsi, «dans l'enquête sur la petite bourgeoisie, en 1902-1904; sur 17000 questionnaires envoyés, 172 seulement reçurent une réponse écrite» [°1534]. L'enquête écrite pourrait cependant réussir en un milieu intellectuel assez restreint dont on connaît la bonne volonté.
Les monographies sont des enquêtes portant sur un sujet plus précis et étudié plus en détail. Elle présente d'ordinaire un «type», c'est-à-dire une individualité ou un petit ensemble représentatif d'une catégorie; et il importe de bien choisir ces représentants. Citons, comme exemples, les monographies de familles ouvrières (agricoles ou industrielles) dressées par Le Play et ses disciples [°1535]; et les monographies de villages entreprises par les sociologues roumains [°1536].
3) L'emploi des mathématiques en économie découle du caractère quantitatif que possèdent bon nombre de faits, spécialement des faits soumis aux enquêtes. Certains économistes s'efforcent d'utiliser les mathématiques soit pour énoncer plus rigoureusement les problèmes posés, en traduisant algébriquement les conditions des faits sous forme d'équation, soit pour découvrir les relations fonctionnelles des faits entre eux. C'est ce qu'on a appelé l'économétrie [°1537].
Mais, outre que bien des faits échappent à une telle rigueur de présentation, il reste toujours nécessaire de dégager, en plus de ces relations quantitatives, les relations causales qui relient les phénomènes entre eux; et comme ceux-ci appartiennent à la vie humaine accessible à notre introspection, il est possible, plus que dans les sciences physiques, de découvrir les causes explicatives des phénomènes économiques. L'économie rejoint ici la psychologie expérimentale, et les lois qu'elle découvre ont le même caractère et la même rigueur tempérée par l'intervention toujours possible de la liberté [§135].
§1151) 3. - Division. En donnant pour objet en général à l'économie la satisfaction de nos besoins, il ne s'agit pas des besoins au sens défini par la psychologie: «tendances répondant aux fonctions les plus essentielles de la nature», comme le besoin de manger, de respirer etc.; mais des besoins au sens le plus large de désir quelconque, même créé artificiellement, comme le besoin de fumer ou de se parer. Tout ce qui répond à ces désirs: services et biens divers, forment l'objet de l'économie, à condition d'ailleurs que l'intelligence intervienne pour en faire un usage prudent et organisé. Nous appellerons cet objet: bien utile [°1538].
Or l'usage de ces biens utiles comporte deux démarches fondamentales: il faut les rassembler en quantités suffisantes, et pour cela, les produire, puis en user pour satisfaire ses besoins, les consommer. Mais ce cycle élémentaire prend diverses formes sous l'action de l'organisation rationnelle. Au premier stade, celui de l'économie fermée, les mêmes hommes sont producteurs et consommateurs; c'est la méthode des premières sociétés, conservée encore actuellement en de nombreuses familles paysannes. - Mais le progrès de la civilisation, en amenant la division du travail, a multiplié les échanges entre biens utiles. Nous avons alors l'étape de l'économie évoluée, où l'on distingue encore deux grands degrés: celui de l'évolution simple et encore restreinte, où les échanges ne dépassent pas les frontières d'une nation ou d'une contrée; puis celui de l'évolution complexe et bientôt mondiale où l'entraide économique se pratique entre tous les hommes et toutes les nations. Dans ces phases évoluées, les biens utiles, après avoir été produits, sont échangés aussitôt, circulant de mains en mains, de façon à être convenablement répartis [°1539] entre tous ceux qui ont contribué à les produire, et qui doivent en user et les consommer.
On voit que le cycle économique complet se développe en quatre étapes qui seront l'objet des quatre articles de ce chapitre:
Article 1. - La production.
Article 2. - L'échange ou circulation.
Article 3. - La distribution ou répartition.
Article 4. - La consommation.
b105) Bibliographie spéciale (La production)
§1152). D'une façon générale, on appelle production, en économie, toute activité dont le résultat est un bien ou un service apte à satisfaire un besoin; ainsi, le médecin ou le forgeron sont des producteurs, comme le laboureur.
Les physiocrates du XVIIIe siècle observaient que seule l'agriculture produit au sens strict, parce que seule elle transforme une matière inférieure en un résultat plus riche; chez elle seule, la récolte dépasse les semences; ce qui est incontestable. Mais les autres efforts d'adaptation, s'ils n'augmentent pas les objets en eux-mêmes, les rendent plus utiles pour nous: en cela, ils sont réellement producteurs dans l'ordre économique.
En ce sens le concept de production a une extension très large et pourrait englober tout l'effort économique distinct de la consommation. Cependant, si l'échange des biens, leur transport, leur distribution constituent des services appréciables, ils posent des problèmes spéciaux résolus à l'article 2. Nous prendrons donc la production en un sens plus restreint, comme toute activité destinée à adapter la nature à nos besoins, soit qu'il s'agisse de réelles transformations, comme dans l'agriculture, les industries chimiques ou mécaniques; soit qu'il s'agisse de simple extraction, comme dans les mines.
La production, en ce sens plus précis, se distingue de la circulation et pose ses problèmes propres: Quels sont les facteurs qui y contribuent, et comment nos sciences la perfectionnent-elles par la technique? Quelles sont les lois qui la régissent en général, ou bien quelle est son organisation et son évolution? De là nos quatre paragraphes:
1. - Les trois facteurs de la production.
2. - L'influence de la technique: le machinisme.
3. - Les lois générales de la production.
4. - L'organisation de la production et la loi de concentration.
Proposition 1. 1) La production exige deux facteurs primordiaux corrélatifs: la nature et le travail, 2) et un facteur secondaire et dérivé, mais nécessaire au progrès: le capital.
Explication et preuve.
§1153) 1. - Nature et travail, facteurs primordiaux. La nature est un véritable agent de production, non seulement par les immenses ressources qu'elle contient et qu'elle nous livre parfois comme produits finis (fruits), ou le plus souvent à l'état brut (métaux, houille, etc.), mais aussi par ses énergies puissantes et variées qui peuvent agir en notre faveur: telles, la lumière et la chaleur solaire, l'électricité, la vapeur, etc.
Mais ces ressources sont inégalement réparties à la surface du globe, et ces énergies sont aveugles. Les unes et les autres demandent un effort d'extraction, de transport, d'organisation, pour être utilisables. D'où la nécessité d'unir le travail à la nature pour en faire un véritable facteur de production économique.
Le travail humain, en général, est toute activité consciente et ordonnée vers un résultat à produire [°1540]. Il se distingue ainsi, soit du repos, soit des activités prises comme fin en soi, d'abord la contemplation, but de la vie; puis l'exercice qui a pour but le perfectionnement de la faculté mise en oeuvre, et du jeu qui a pour but le plaisir.
Le travail économique est l'activité dont le résultat est un bien ou un service utile. En prenant utilité dans le sens défini plus haut, ce travail comprend presque la totalité de notre vie laborieuse. On peut distinguer, comme formes de travail économique:
1) Au point de vue de l'ouvrier:
a) Le travail intellectuel: qui est l'effort d'étude, non pas en tant que contemplation désintéressée de la vérité, mais en tant que appliqué à l'utilisation de la nature et à la satisfaction de nos besoins. Il n'y intervient qu'un minimum d'activité corporelle pour fixer la pensée et noter les résultats. Ce travail est l'origine de la technique [§1156] dans l'invention, la direction, etc.
b) Le travail corporel où domine l'application des forces physiques, par exemple, celui du manoeuvre.
c) Le travail mixte; car l'intelligence n'est jamais absente d'un travail humain; et elle intervient de plus en plus à mesure que la technique se perfectionne. Ce travail mixte est celui des ouvriers qualifiés.
2) Au point de vue des choses produites, le travail corporel ou mixte se subdivise d'après les objets auxquels il s'applique; on a ainsi, l'industrie extractive, le travail agricole, les usines métallurgiques, textiles, électriques; etc.
Il faut signaler, en particulier, outre le travail de production proprement dite qui est fondamental et dont traite ce paragraphe, un travail de circulation, comme celui du commerçant, du banquier, des transports, etc. et même un travail de répartition, par exemple, le service de distribution des salaires. Mais ces deux dernières formes n'apparaissent que dans une économie évoluée, et secondairement, par l'intermédiaire du capital [°1541].
3) Au point de vue de l'entreprise, enfin, le travail économique se divise en travail de direction, dont le revenu sera le profit; et en travail d'exécution dont le revenu est le salaire.
La source du travail est évidemment une population nombreuse et douée des qualités morales et physiques nécessaires. Mais comme le problème de la population intéresse aussi et principalement le phénomène de la consommation, nous en traiterons à l'article 4 [§1225, sq. et spécialement §1229].
Le travail ainsi défini s'oppose à l'usage des biens, comme le moyen s'oppose au but, comme la production s'oppose à la consommation; et comme cette dernière a un caractère de plaisir ou de jouissance, on considère souvent la peine comme liée essentiellement au travail. En réalité, cependant, la peine n'est qu'un aspect accidentel, provenant soit de l'effort physique exigé et de la fatigue qui en résulte, soit de la nécessité du travail, soit de sa durée ou de sa continuité. Ces circonstances ont un côté déplaisant qui, apprécié comme mal, suscite une peine; c'est pourquoi celle-ci, de fait, accompagne souvent le travail. Mais de soi, l'activité, loin d'être pénible, est source de plaisir et de jouissance, pourvu qu'elle reste mesurée et proportionnée aux facultés agissantes [°1542].
La nature et le travail, la première adaptée par le second à la satisfaction de nos besoins, telles sont donc les deux sources primitives de la production économique. Mais cette adaptation ne se réalise pas toujours immédiatement, comme dans la cueillette des fruits comestibles. Il faut souvent une étape intermédiaire où les biens produits (par exemple, les instruments de chasse ou de labour) serviront eux-mêmes à produire d'autres biens. De là un troisième facteur de la production: le capital.
§1154) 2. - Le capital. Le capital en général, est un bien dont l'utilité économique n'est pas immédiate, mais indirecte ou remise à plus tard. Ainsi une terre, une somme d'argent, une provision de semences sont des capitaux. Dans la vie économique, un tel bien joue un rôle très important et il intervient de multiples façons, en sorte qu'il désigne des objets assez divergents. Pour en classer les formes, on s'est mis à deux points de vue: celui de la durée, celui du rôle en économie évoluée, où l'on distingue la production et la répartition.
A. - Au point de vue de la durée, on distingue le capital permanent (ou fixe); et le capital circulant.
1) Le capital permanent désigne toutes espèces de richesses dont l'utilisation, en raison de leur durée, peut être reportée à plus tard, soit pour en tirer un revenu, soit pour les appliquer à la production, soit aussi pour en prolonger l'usage ou la jouissance qui en seraient déjà commencés. En ce sens, une machine, une terre, un immeuble, même déjà occupé, des stocks de réserve, des meubles, de l'argent, etc. sont des capitaux.
2) Le capital circulant est une richesse dont l'utilité économique indirecte est épuisée d'un seul coup par l'usage qu'on en fait; par exemple un sac de semences. Ce genre de capital ne se rencontre que dans la production où il ne sert qu'une fois à son possesseur, étant absorbé par une seule opération. - Le capital permanent, au contraire, peut non seulement coopérer à la production, lorsqu'il y sert à plusieurs opérations, comme les machines, mais aussi fournir un revenu; comme une terre ou une maison louée. D'où une deuxième façon de diviser le capital:
B. - Au point de vue de la vie économique évoluée, on distingue le capital productif et le capital lucratif.
1) Le capital productif est un bien produit réservé pour une nouvelle production. En tant que «produit», il se distingue de la nature comme facteur de production [°1543]; tandis que le travail (troisième facteur) est l'utilisation de l'un et de l'autre. Ce capital correspond à l'ensemble des biens produits, durables ou non (par exemple, des bâtiments ou des récoltes) mais d'utilité indirecte et destinés à fournir des services ou d'autres biens.
Ces produits capitalisés, nombreux et variés, peuvent se ramener à trois catégories: a) les installations, comme les usines, les fermes, etc.; b) les instruments, comportant toutes sortes de moyens utiles, comme les machines, les outils; etc.; même la monnaie sous ses diverses formes peut être rangée en cette catégorie; c) les matières premières, distinctes de la nature par une première manipulation; et l'on désigne ainsi, non seulement les richesses brutes après leur extraction du sol, minerais, pierres de carrière, houille, etc.; mais aussi les produits déjà travaillés, d'une façon incomplète cependant, et qui servent de point de départ à une nouvelle transformation ou industrie: Ainsi le blé récolté est la matière première du meunier, et la farine, celle du boulanger.
2) Le capital lucratif (point de vue de la répartition) est tout bien stable susceptible de donner un revenu. Il correspond à l'ensemble des biens formant un élément permanent du patrimoine et susceptible de procurer à son propriétaire un accroissement de richesse, c'est-à-dire un nouveau bien appréciable en monnaie et appelé revenu, comme la récolte d'un verger, la location d'une maison, l'intérêt d'une somme prêtée, etc.
Considéré ainsi, le capital s'identifie parfois avec la nature (dont il devrait au contraire se distinguer comme agent de production); ainsi un champ, un troupeau de moutons est un capital lucratif. Mais il peut aussi coïncider avec le capital productif, non point circulant, mais fixe. La permanence du bien envisagé, par exemple, d'une machine ou d'un bâtiment, est alors la propriété commune aux deux formes de capitaux, servant de lien ou de passage entre les deux.
Cet aspect commun de durée donne lieu au phénomène économique de l'amortissement qui se rapporte aux deux formes à la fois. En effet, quand il s'agit de fixer le prix de revient, afin de prévoir le profit possible (aspect du capital lucratif), le capital circulant (capital productif) sera compensé par l'unique produit où il sert; par exemple, tout le prix de la semence est incorporé à celui du blé récolté. Mais le capital fixe (productif) sera compensé par la série des produits où il sert; par exemple, la machine à chaussures sera payée par la vente de toutes les paires de chaussures qu'elle produit pendant un certain temps. On appelle amortissement le prélèvement sur le produit d'un capital fixe en vue de compenser peu à peu celui-ci, en fournissant les frais d'entretien et en permettant de remplacer, même avant l'usure complète [°1544] un type d'instrument (comme machines, installations) par un type plus perfectionné.
C. - En économie évoluée, surtout en régime capitaliste [§1265], une place à part revient au capital-monnaie, qu'on peut appeler capital au sens restreint. Il désigne, dans la langue des hommes d'affaires, les valeurs mobilières représentées par la monnaie sous toutes ses formes [§1180, sq.], numéraires, billets de banque, actions, obligations, traites, etc. En ce sens, il s'oppose aux propriétés foncières.
Comme nous le montrerons plus loin [§1281], ce capital-monnaie est apte à s'identifier à toutes les autres formes: on le considère, tantôt comme capital productif, soit capital circulant, comme le fond de roulement qui sert aux dépenses courantes, soit capital fixe, s'il est investi, par exemple, dans les machines; - tantôt comme capital lucratif, lorsqu'il est prêté ou déposé en banque avec intérêt. On appelle «capitalisme» le régime économique où le capital (sous ses deux formes, productif et lucratif) par l'intermédiaire du capital-monnaie, joue un rôle prépondérant. Nous en remettons l'étude au chapitre suivant [§1279, sq.], parce qu'elle suppose connu le mécanisme de l'échange et qu'elle soulève des problèmes de justice appartenant à la morale sociale.
§1155). Le capital comme agent de production ne se distingue pas adéquatement de la nature et du travail: il en vient comme un produit réservé. Souvent, il n'est qu'un bien naturel auquel s'est incorporée, pour ainsi dire, une certaine somme de travail sous forme d'amélioration, de perfectionnement, d'adaptation, comme les terres arables, les instruments. Parfois, il est simplement le prix du travail, comme le capital-monnaie provenant du salaire. De toute façon, il ne peut avoir d'autre origine que l'épargne, c'est-à-dire une limitation de la consommation immédiate en vue d'augmenter la consommation future [§1218]. Lorsqu'on use de cette partie réservée pour produire avec plus de facilité ou d'abondance de nouveaux biens dont on se servira ensuite pour satisfaire ses besoins, on a constitué un capital productif. Ce troisième facteur de production dépend donc des deux premiers et leur est, de soi, inférieur.
Néanmoins, il tient une place considérable dans la vie économique; car c'est grâce à lui que le progrès devient possible et que l'on passe à l'étape de l'échange. Il rend, en effet, la production beaucoup plus fructueuse en s'y appliquant indirectement; il en demande aussi l'organisation; et comme, les travailleurs occupés à produire doivent consommer pour vivre [°1545], cela suppose un moyen d'échange, tel que la monnaie, par lequel ils pourront pourvoir à leur subsistance. C'est pourquoi ce qui favorise la formation des capitaux, favorise également la prospérité.
Le capital productif est donc un facteur secondaire, subordonné, mais nécessaire au progrès économique.
Proposition 2. Le progrès dans la production économique dépend avant tout de la technique qui se réalise principalement par l'invention des machines.
Explication.
§1156). La technique est l'ensemble des procédés, et à partir d'un certain degré de civilisation, un ensemble de sciences appliquées par lesquels les ressources de la nature sont adaptées à satisfaire les besoins des hommes. Elle est proprement le rôle de la raison et du travail intellectuel dans la vie économique. Ce rôle découle de la définition même de l'économie, dont l'objet est constitué par les biens répondant à nos besoins, en tant que l'homme, sous la direction de la raison, en fait un usage prudent et organisé.
D'abord, les ressources naturelles ne sont pour nous des biens utiles que dans la mesure où nous les connaissons: les mines d'or et de cuivre n'ont pas de valeur pour les indigènes. La science, en progressant, multiplie ainsi les richesses. Surtout, la technique permet d'utiliser plus complètement les ressources connues, car elle développe chez le travailleur une disposition habituelle qui se rattache à l'art, défini plus haut: «Recta ratio factibilium», la bonne direction de la raison dans l'oeuvre extérieure à accomplir [§822]. On peut, en effet, tirer un parti plus ou moins bon d'un objet; par exemple, pour tel terrain, telle espèce d'engrais et telle forme de culture donnera un meilleur résultat. Ce qui d'abord était le fruit du tâtonnement et de l'expérience, devient avec le progrès des sciences un art raisonné, une technique, et par l'instruction préparatoire, on obtient des ouvriers qualifiés. D'où la nécessité de l'apprentissage et des écoles professionnelles.
Le moyen principal pour la technique d'améliorer la production, est l'invention des instruments et des machines qui suppléeront à la faiblesse physique de l'homme, en multipliant et en augmentant ses moyens d'action.
On a donné à ces moyens par lesquels l'homme cherchait à améliorer son travail, divers noms assez mal définis. «Instrument» semble être le terme générique; on appelle outil, un instrument mû et appliqué par la main de l'homme; appareil, un assemblage d'instruments, souvent compliqué, et délicat; machine, une mécanique compliquée (machine à écrire), ou mécanique simple, mais qui a une part prépondérante dans l'effet (machine à couper le pain), ou surtout instruments qui dégagent, captent ou transforment les énergies naturelles (dynamo, machine a vapeur). Or, c'est principalement par ce dernier moyen que la technique a contribué au progrès de la production. Les machines ont, en effet, mis à la disposition des hommes des forces naturelles considérables. Ainsi, les machines à vapeur captaient, en Belgique, en 1926, une énergie de 5.3 giga-Watt (GW), ce qui correspond à 7.2 millions de chevaux-vapeurs (HP) [°1546]. Elles remplacent ainsi d'innombrables ouvriers. En évaluant grosso modo un HP à 3 chevaux, chacun de ceux-ci valant 7 hommes, on peut conclure que la Belgique dispose, par les machines, de la force de 152 millions d'hommes. Un calcul plus modeste, appliqué à la France, concluait qu'elle disposait par les machines de 40 millions d'hommes [°1547]. De plus, la machine permet d'exécuter des ouvrages qui resteraient inabordables aux hommes, si nombreux fussent-ils, et elle peut travailler nuit et jour sans repos [°1548].
§1157). Il serait pourtant excessif d'en conclure l'inutilité future de tout travail, car il faudrait déduire des forces recensées, pour avoir l'accroissement réel du travail utile, le nombre des HP utilisés à la production, à l'installation, à l'entretien et aux réparations des machines elles-mêmes et de leurs accessoires (bâtiments, huile, combustibles, etc.). Les machines changent le travail et le rendent souvent plus facile et plus efficace, mais ne le suppriment pas. D'ailleurs, il y a des domaines où le machinisme est moins applicable, par exemple pour multiplier le bétail, ou même les céréales [°1549]. Surtout l'accroissement des biens utiles s'accompagne souvent d'un accroissement parallèle des besoins, si bien qu'il faudra toujours travailler pour les satisfaire.
Cependant le machinisme soulève en économie de sérieux problèmes qu'on peut ranger en trois catégories:
1) Au point de vue de la production; l'application de la technique et des machines a pour effet d'augmenter les rendements, soit du sol, soit du travail; et par suite de diminuer le prix de revient des biens produits. C'est en cela que consiste le progrès technique, ce qui suppose pour un travail égal, une production accrue, ou pour une même production un moindre travail. Ainsi le résultat du machinisme est de priver un certain nombre d'ouvriers de leur travail: c'est le chômage.
En droit, ce chômage devrait être résorbé, car les machines en multipliant les produits, en diminuent le prix: le bon marché amène une demande plus considérable; celle-ci entraîne une augmentation de la production; et l'ouvrier retrouve son travail. De plus, la technique suscite de nouvelles industries qui exigent des travailleurs.
En fait, cependant, l'application continue des machines depuis le XVIe siècle, a entretenu, même en temps normal, un certain nombre de chômeurs, qui représentent 5 à 10 % de la population occupée, formant le chômage technologique; car, d'une part, l'adaptation de la main d'oeuvre ne se fait que lentement, et d'autre part ce n'est pas toujours l'ouvrier épargné qui est réemployé.
Le chômage résulte ainsi de crises dues a un manque d'adaptation entre la production et la consommation, que nous étudierons à l'article 4, et qui sont parfois favorisées par le machinisme [§1227]. Il y a aussi un aspect social et moral que nous étudierons au Chap. 2, en indiquant les remèdes [§1272, sq.]. Nous le considérons ici comme simple phénomène économique, affectant la production. Nogaro en décrit ainsi la genèse: «Quand on suit la répartition de la population laborieuse à travers les recensements successifs, on peut observer d'abord que le pourcentage de travailleurs affectés à l'agriculture diminue au profit des travailleurs employés dans l'industrie, puis que celle-ci diminue à son tour au profit des travailleurs employés dans le commerce et les services commerciaux des usines, dans les transports, les administrations, publiques et privées, les spectacles. Cela signifie, d'abord, que la production agricole se prépare aujourd'hui loin de la terre, dans les usines où se fabriquent les machines et les engrais. Cela signifie ensuite que, dans les industries de transformation, la machine remplace de plus en plus l'ouvrier» [°1550].
Pour organiser raisonnablement la production, en proportionnant la qualité du travail à la mesure des biens utiles désirés, compte tenu des progrès techniques, deux solutions sont possibles:
a) On ne cherchera pas une augmentation de produits; le gain sera alors pour l'ouvrier dont on diminuera les heures de travail en maintenant le salaire.
b) Ou bien le progrès se traduira par une production accrue; il faudra alors susciter une demande croissante pour absorber une production croissante, et, pour cela, créer un nouveau pouvoir d'achat chez le consommateur. C'est pourquoi le bénéfice réalisé sur la diminution du prix de revient ne devra pas revenir uniquement au patron, car celui-ci s'en servirait plutôt comme d'un nouveau captal productif pour développer encore son machinisme, avant même que les effets du premier aient été corrigés. Il faut donc que le profit se traduise, soit par la hausse du salaire, conférant aux ouvriers un plus grand pouvoir d'achat, soit par la baisse du prix de vente, permettant à la même clientèle d'absorber une plus grande quantité de biens. Peu à peu d'ailleurs les forces économiques s'équilibrent, et «le progrès du machinisme peut se traduire à la longue, à la fois par un accroissement de la production, par un abaissement du prix de revient, et par une réduction de la quantité, c'est-à-dire pratiquement, de la durée du travail. C'est à cette triple évolution que l'on a pu assister depuis le début du XIXe siècle» [°1551].
Notons cependant que, conformément aux lois générales de la production dont nous allons parler [§1160], la tendance dominante fut d'abord de tourner le machinisme à la fois vers une réduction du travail nécessaire, diminuant le prix de revient, et vers une augmentation de la production, afin de pousser au maximum le profit de l'entreprise. De là, en régime capitaliste, les crises périodiques dont nous parlerons à l'article 4 [§1227], et dont le remède relève plutôt de la morale sociale.
2) Au point de vue social: Le machinisme a suscité plusieurs griefs. «Il a, dit-on, rendu le travail plus pénible. Il a diminué le côté artistique des produits; il a dispersé les familles et nuit à l'hygiène et à la moralité, en suscitant les grandes agglomérations industrielles». L'examen et la correction de ces abus relèvent aussi de la morale sociale.
3) Au point de vue de l'organisation générale de la vie économique: l'influence de la technique et du machinisme s'est souvent exercée au hasard, comme la remarque Carrel [°1552]. On a poursuivi la réalisation d'un type d'humanité industrialisé à outrance, sans se demander si cette forme de vie était réellement un progrès. On a seulement cherché, à chaque nouvelle conquête de la science, le moyen le plus ingénieux d'en tirer parti pour la vie économique [°1553]. La solution de ce problème, qui mérite, certes, d'être posé, relève, soit de la sociologie, (qui n'est pas encore assez développée pour cela), soit surtout de la science normative de la morale sociale, d'inspiration philosophique et religieuse.
§1158). Après avoir donné la classification qui concerne la production économique, nous devons en chercher les lois; et, les deux facteurs primordiaux étant le travail et la nature, nous aurons deux lois principales: celle d'intérêt, celle des rendements non proportionnels.
Proposition 3. Le travail économique est normalement régi par la grande loi d'intérêt personnel; d'où découlent trois lois économiques d'ordre général: la loi du travail, la loi du profit, la loi du moindre effort.
Explication.
§1159). Il ne faut pas chercher ici des lois à forme mathématique: le travail économique étant une activité formellement humaine, doit se soumettre évidemment aux lois psychologiques où le déterminisme a un sens plus large. Il est de même soumis aux lois morales; mais en cet article de science positive, nous en faisons abstraction. Il reste donc a faire appel à la psychologie expérimentale, qui décrit le fonctionnement normal de nos facultés. Or notre vie psychologique tout entière est régie par la grande loi de l'intérêt que l'on peut formuler ainsi:
«Toute activité proprement humaine naît et se développe sous l'influence de l'intérêt, c'est-à-dire, de l'aspect de bien que la raison découvre dans l'objet de l'acte».
Cette loi s'applique avec une force et un déterminisme plus rigoureux dans l'ordre sensible (ou dans la vie animale), mais l'activité économique n'est pas de cette espèce, étant proprement humaine et supposant l'intervention de la raison et de la liberté. Celle-ci d'ailleurs n'est pas arbitraire et est réellement soumise à la loi de l'intérêt.
Or, en ce domaine humain, il faut distinguer l'application de cette loi; a) en prenant l'intérêt au sens large, lorsqu'il s'agit des activités supérieures d'ordre culturel, intellectuel, artistique, religieux; l'homme y cherche toujours le bien, mais en un sens plus impersonnel, en sorte qu'on parle souvent ici d'activités désintéressées; b) en prenant l'intérêt au sens strict d'intérêt personnel, lorsqu'il s'agit de se procurer des biens utiles pour satisfaire à ses divers besoins, c'est-à-dire dans l'ordre économique, comme nous l'avons défini plus haut [§1148]. On trouve ainsi la formule plus précise de la loi positive:
«Tout travail économique est mesuré par la loi de l'intérêt personnel, c'est-à-dire par la poursuite d'un profit capable de satisfaire nos besoins» [°1554].
Cet intérêt personnel répond à l'instinct primordial de tout vivant, appelé instinct de conservation. Il pousse l'homme, en particulier, à se procurer le nécessaire pour la vie, à chercher un certain bien-être, à assurer son avenir. «Il est une tendance universelle, puissante, toujours en éveil, inspiratrice d'initiative, d'ingéniosité, d'endurance» [°1555]. La morale en démontre la légitimité et les limites, mais la science économique constate comme un fait que son rôle est irremplaçable, et constitue une véritable loi de la production.
Il faut cependant comprendre cet intérêt personnel dans un sens humain, comme attrait d'une personne raisonnable; il ne s'arrête ni au seul bien matériel, ni au seul bien de l'individu; il cherche à satisfaire aussi les besoins plus élevés d'indépendance, de dignité, de vie spirituelle; il s'étend spontanément aux intérêts de la famille, surtout pour les pères et mères de famille, et même à la patrie.
De plus, il n'est pas l'unique ressort de l'activité économique. Puisque celle-ci est d'ordre purement humain, elle est susceptible d'obéir à des motifs plus hauts, de dévouement au bien commun, de charité (travail des moines), de patriotisme (travail des usines de guerre), de foi religieuse. Mais, normalement, c'est-à-dire pour l'ensemble des hommes, lorsqu'il s'agit de satisfaire leurs besoins, c'est principalement l'intérêt personnel qui règle leur travail.
Cette loi reconnaît la part de vérité contenue dans le concept fondamental des économistes libéraux: celle de l'«homo oeconomicus», être abstrait supposé mû uniquement par l'appât du gain, c'est-à-dire par la loi d'intérêt personnel, d'où découlerait un ensemble de lois économiques aussi rigoureusement scientifiques que les autres lois naturelles. Il faut abandonner ce déterminisme rigoureux; mais l'existence de l'instinct profond d'intérêt suffit, semble-t-il, pour donner aux phénomènes généraux de la vie économique et à leur succession, un caractère de régularité et de nécessité dans la plupart des cas (en latin: «ut in pluribus»), qui permet d'établir de véritables lois.
§1160). De cette tendance foncière, découlent trois lois économiques d'ordre général:
1) La loi du travail: «Tout homme travaille spontanément pour vivre», car les ressources naturelles n'offrant guère d'utilités gratuites, l'intérêt personnel amène l'homme à se procurer, par son effort persévérant et méthodique, les biens qu'il désire.
2) La loi du profit: «Tout travailleur cherche spontanément le plus grand profit possible», car l'intérêt personnel incite chacun à ne pas travailler en vain, c'est-à-dire à combiner son travail de façon à produire plus de richesse qu'il n'en détruit dans la production.
3) La loi du moindre effort, ou loi d'économie des forces: «Tout travailleur cherche spontanément à dépenser le moins d'efforts possibles pour obtenir le maximum de profits». Tel est encore le fruit de l'intérêt personnel qui cherche la satisfaction des besoins, donc un certain plaisir, le trouvant d'autant mieux qu'il l'obtient par moins d'efforts pénibles.
Proposition 4. Les trois facteurs de la production obéissent à une loi de proportion définie, qui se traduit en particulier par la loi des rendements non proportionnels.
§1161). C'est dans l'agriculture que cette loi se manifeste le mieux, et c'est en ce domaine d'abord que les économistes l'ont observée. Il est facile, en effet de constater que, si la culture plus soigneuse et plus intensive d'une étendue déterminée de terrain donne d'abord plus de produits, il arrive un moment où un plus grand effort n'est plus efficace; et pour augmenter son rendement, le paysan cherche alors à étendre ses terres.
Il en est de même dans n'importe quelle branche de la production. Dans l'industrie houillère, par exemple, on ne peut indéfiniment augmenter le travail et le capital consacré à une même entreprise. D'où la loi de proportion définie.
«Dans un état donné de la technique, il existe entre ces trois facteurs de la production: travail, capital et forces naturelles, une proportion optima indiquée par la science et par l'expérience, au-dessous de laquelle le rendement croît encore, et au-dessus de laquelle, il décroît» [°1556].
Rien ne servirait, par exemple, à un industriel de disposer de terrains pour usines, de chutes d'eau, etc., s'il manque d'ouvriers et de capitaux. Il y a une façon de mesurer le travail à appliquer pour exploiter une richesse naturelle donnée, qui apporte de meilleurs résultats. Ceci est visible surtout dans l'exploitation du sol: D'où la loi des rendements non proportionnels ou des rendements décroissants:
«Pour un état donné de la technique et toutes choses restant égales par ailleurs, l'accroissement du rendement n'est généralement pas proportionnel à l'accroissement des frais en capital et en travail: il commence par être considérable, pour diminuer ensuite et tendre vers zéro». Par exemple, une terre à la culture de laquelle on emploie des capitaux et du travail dans la proportion représentée par 2, 4, 8, 16, 32, 64, etc. donnera un rendement représenté par 2, 6, 10, 13, 18, 14, 12.
Cette loi ne comporte pas la conclusion pessimiste qu'en déduisirent certains économistes pour lesquels l'humanité était, après un certain temps, fatalement condamnée à la famine. Car les progrès techniques permettent d'augmenter le rendement, même en diminuant le travail, comme nous l'avons montré plus haut. L'observation de l'évolution de l'économie depuis la fin du XVIIIe siècle, montre que la production s'est toujours accrue, grâce aux découvertes de la science mieux utilisées. Si bien que, dans les conditions actuelles, et sous réserve de l'épuisement possible des ressources de la nature; on peut formuler ainsi une loi des rendements croissants:
«Dans la période contemporaine, grâce aux progrès de la technique, il existe en économie une tendance à un accroissement de la production plus que proportionnel à celui de la population et du travail fourni» [°1557, °1558].
Notons enfin que les applications varient suivant que l'on envisage le rendement en quantité ou en valeur.
La preuve de ces lois est tirée de l'observation journalière, par exemple des exploitations agricoles et des progrès des industries sidérurgiques, imprimerie, transport, etc. Mais il semble que la loi des proportions définies soit plus fondamentale, tenant à une condition essentielle de l'économie, tandis que celle des rendements croissants dépend de la technique qui est de soi extrinsèque à l'économie.
§1162). Les éléments et les lois de la production exposés jusqu'ici se rencontrent à toutes les étapes de l'évolution économique; mais le progrès multiplie ces éléments, les complique, et demande leur organisation. Celle-ci dépend évidemment, puisque l'économie étudie une activité humaine, d'institutions sociales; telles que la propriété privée, ou l'intervention de l'État, ou le collectivisme, dont la légimité et le caractère relèvent de la science morale et seront examinés au chapitre 2. Nous ne considérerons donc ici que les conditions d'organisation nécessaires, quel que soit le régime économique en vigueur; et si nous parlons de celui-ci, nous le prendrons simplement comme un fait observable et soumis à des lois expérimentales.
Proposition 5. L'organisation économique repose sur l'exploitation qui est l'unité technique, et sur l'entreprise qui est l'unité économique.
§1163). On appelle exploitation, «l'effort économique [°1559] de tout producteur ou groupement permanent de travailleurs, quand il fournit à lui seul un produit ou service défini, ou un ensemble défini de produits et de services» [°1560]. Il y a des exploitations de toutes grandeurs; ainsi le savetier qui travaille seul dans son échoppe, ou le voiturier et le chauffeur qui transportent les passants, sont à la tête d'une exploitation minuscule, mais réelle, parce que leur apport à la vie économique forme un tout complet, une unité qui se suffit. De même, le laboureur qui cultive son petit bien avec sa famille, en se partageant le travail au jour le jour, sans spécialisation définie.
Mais d'autres exploitations rassemblent un grand nombre d'ouvriers qui ont chacun leur tâche à remplir pour réaliser l'oeuvre désirée: ainsi une fabrique d'automobiles Ford. L'exploitation constitue l'unité technique parce qu'elle se prend au point de vue du bien utile ou du service à produire, où intervient l'intelligence pour adapter la nature à nos besoins, en sorte que le produit forme un tout dans l'oeuvre commune de production.
La définition s'applique d'abord à une exploitation de production au sens strict; mais aussi à celles qui regardent d'autres phénomènes économiques, en particulier la circulation: par exemple celle des voituriers ou des chemins de fer pour les transports.
§1164). On appelle entreprise toute «unité de production autonome, individuelle ou collective, ayant une personnalité comptable, et produisant en vue de l'échange ou de la vente, et du gain pécuniaire» [°1561]. Ce qui la caractérise, ce n'est pas que son produit forme un tout, comme dans l'exploitation: une même entreprise peut comprendre plusieurs exploitations assez disparates, par exemple, une mine de charbon et une usine métallurgique, deux exploitations distinctes, gérées par une même société anonyme; parfois aussi, plusieurs entreprises peuvent coopérer à une seule exploitation (quoique ce soit plus rare). Ce n'est donc pas une unité technique, mais une unité économique. Elle se prend au point de vue du phénomène qui caractérise le mieux la vie économique évoluée: l'échange. Le producteur, à la tête de son exploitation, ne travaille plus pour lui seul (il n'y a pas d'entrepreneur au sens propre dans une économie fermée), mais en vue de la clientèle ou du marché, ou simplement en vue d'échanger ses produits avec d'autres. Elle apparaît donc comme une réalité sui juris, une personnalité morale capable d'entrer en relations avec d'autres personnes, selon les règles de la vie sociale, pour distribuer ses biens et services, en en recevant d'autres en échange [°1562]. Évidemment, dans les petites entreprises, cette personne est l'entrepreneur lui-même; mais s'il s'agit d'une société anonyme puissante, l'entreprise est conçue comme distincte, même des propriétaires, patrons fondateurs, qui ont chacun leur compte envers la société, comme celle-ci envers chacun d'eux: l'entreprise devient ainsi une sorte de réalisation de l'«homo oeconomicus» conçu par les économistes libéraux, n'ayant pour but que le gain et obéissant parfaitement aux lois de la production.
Ainsi comprise, l'entreprise peut s'adapter à n'importe quel régime économique. Mais en régime socialiste ou communiste parfait, le seul entrepreneur sera l'État, travaillant en vue du marché international, toutes les exploitations à l'intérieur de l'État étant solidaires, organisées entre elles en une grande unité économique. Cependant, c'est surtout dans le régime de la propriété privée et de la libre concurrence que la notion d'entreprise prend tout son sens, et que cette institution économique joue tout son rôle. Comme, en ce régime, le chef d'exploitation ne dépend pas d'un autre, il est libre d'agir selon son initiative; dès qu'il veut travailler pour l'échange, il devient un entrepreneur, et il règle son entreprise selon ses possibilités de vendre ses produits et ses espoirs de gain. Puis, en s'associant de diverses façons, les exploitants forment de grandes entreprises, qui ont plus de chance de réussir dans la concurrence, et où le travail doit s'organiser plus scientifiquement, comme nous allons le dire. Le type le plus évolué, en cette direction, est l'entreprise capitaliste, où l'entrepreneur, sans nécessairement posséder des capitaux ou des biens naturels, organise la coopération des trois facteurs dans le but d'obtenir le meilleur rendement possible, en livrant au marché un groupe de produits. Il n'y a pas de raison, d'ailleurs, pour réserver le titre d'entreprise à cette dernière forme, qui en représente seulement la dernière évolution en régime capitaliste.
Proposition 6. 1) Dans la grande entreprise, l'organisation suit la loi de la division du travail. 2) Elle se traduit surtout par la rationalisation dont le taylorisme est un exemple scientifique; cette méthode appliquée à la direction de l'entreprise, donne le fayolisme, et pour coordonner les diverses entreprises, elle engendre la standardisation.
A) Explication et preuve.
§1165) 1. - La division du travail. On peut considérer la division du travail dans l'ensemble de la production, ou à l'intérieur d'une exploitation déterminée.
1) Dans l'ensemble de la production: Le passage à une économie d'échange suppose que chacun se spécialise dans certains travaux [°1563]. À mesure que le marché se développe, cette spécialisation est poussée de plus en plus loin. Au début, le même ouvrier faisait tous les produits complets dans un même genre: par exemple le menuisier-charpentier suffisait pour tous les travaux de bois. Ensuite, il se contente d'une seule espèce de produits finis: il y aura le menuisier, le charron, le charpentier, l'ébéniste; et même il se contentera d'un produit incomplet destiné à être fini par un autre métier: pour le bois, il y aura le bûcheron, le scieur, le raboteur, le tourneur, le menuisier. Ainsi, en 1905, on comptait en Allemagne 10298 professions différentes [°1564].
La spécialisation se fait parfois d'après les pays ou les contrées; par exemple, en agriculture, suivant les climats et la fécondité du sol; ou en industrie, d'après les richesses du sous-sol; ou simplement par une initiative particulière qui a implanté une industrie dans un lieu, comme celle des diamants à Anvers.
Les observations recueillies ces derniers temps sous forme de statistiques, permettent de conclure que approximativement 40% de la production mondiale appartiennent à l'agriculture [°1565]; d'où la gravité des crises qui éclatent en ce domaine.
2) À l'intérieur d'une même exploitation: il s'agit de la division parcellaire du travail, qui décompose la suite des opérations intervenant dans la production d'un objet en une série d'actions fragmentaires aussi simples que possible, confiées à autant de catégories d'ouvriers différents. Ainsi, A. Smith comptait 18 opérations pour la fabrication d'une épingle. Maintenant aux États-Unis, la confection d'une chaussure en certains établissements exige 173 opérations distinctes.
Cette méthode ne peut s'appliquer également partout: ainsi, dans l'agriculture, la suite des saisons commande les divers travaux auxquels les mêmes ouvriers doivent s'adonner successivement. Elle convient spécialement aux objets manufacturés. Elle a pour résultat la production en masse de ces objets: elle suppose une demande intense et un marché très vaste. On pourrait donc formuler la loi de la division du travail en ces termes: «Il y a avantage à diviser le travail en proportion de l'étendue du marché».
On objecte que cette méthode tue l'esprit d'initiative, réduit l'ouvrier à un automate en lui demandant toujours le même geste, parfois très simple, et rend ainsi son travail ennuyeux. Mais une sage direction évite ces inconvénients, car «en décomposant le travail nécessaire à la confection des produits en ses éléments les plus simples, elle sépare les travaux pénibles des travaux faciles, ceux qui se font mécaniquement de ceux qui réclament l'intervention de l'intelligence, ceux qui sont qualifiés de ceux qui ne le sont pas. Elle en arrive à un système d'opérations successives et se trouve en état d'occuper en même temps et successivement les forces humaines les plus diverses; ouvriers faits et ouvriers non formés, des hommes, des femmes, des enfants, des travailleurs manuels et intellectuels et des techniciens, des artistes et des marchands» [°1566]. Chacun peut être employé selon ses capacités; et le progrès du machinisme remplace avantageusement certains travaux que leur simplicité rend monotones, en sorte que la tâche de l'ouvrier consiste de plus en plus à guider et surveiller les machines.
Évidemment, cette division parcellaire du travail est propre à la grande entreprise qui seule peut envisager la production en masse.
§1166) La rationalisation [°1567]. La rationalisation, en général, est la recherche des méthodes les plus rigoureuses tendant à obtenir des rendements plus considérables pour des frais relativement moindres. Chaque ouvrier, en se laissant conduire par la loi du moindre effort, réalise spontanément cette recherche; mais au lieu de la laisser au hasard et aux tâtonnements de chacun, on procède selon la méthode plus rigoureuse de la science expérimentale. La division du travail en est une première réalisation. On l'a ensuite appliquée au travail de chaque ouvrier, même de simples manoeuvres, selon la méthode de Taylor, puis à la direction d'usine (étude de Fayol), enfin à la coordination entre entreprises: cette dernière application conduit à l'union entre diverses entreprises et constitue le mouvement de concentration dont nous parlerons plus loin [§1170].
B) Corollaires.
§1167) 1. - Le Taylorisme. On appelle taylorisme, la méthode d'organisation scientifique du travail, proposée par l'ingénieur américain Taylor (1856-1915), dont le but est d'obtenir le maximum de rendement pour le minimum de dépenses, de forces et de temps chez l'ouvrier. Le moyen est celui qui est à la base de la division du travail: organiser une coopération des ouvriers les plus aptes pour réaliser un travail de la façon la plus économique. C'est l'application de la loi du moindre effort, mais en la poussant méthodiquement dans tous les sens possibles, en se basant sur une observation minutieuse.
Pour cela, il faut d'abord trouver dix à quinze hommes spécialement entraînés au travail qu'on désire analyser: et la recherche du meilleur procédé portera sur trois points principaux:
a) quant au nombre et à la durée des mouvements employés: il faudra étudier la série exacte des opérations et mouvements élémentaires que fait chacun de ces hommes en exécutant le travail considéré, et les outils qu'il emploie; étudier au chronomètre le procédé permettant de gagner le plus de temps; éliminer tous les mouvements lents et inutiles; grouper enfin la série des mouvements les plus rapides et les plus efficaces, et noter les meilleurs outils;
b) quant a l'intensité de l'effort: il faudra le calculer en distribuant les repos de façon à obtenir le plus grand rendement; et ensuite régler l'allure générale suivant un rythme d'ensemble qui entraîne tous les participants et favorise l'efficacité de leur effort;
c) quant au nombre et à la coopération des ouvriers: l'expérience permet de sélectionner les meilleurs ouvriers; on doit les former en leur indiquant en détail les mouvements à faire, la manière et la durée. Le contremaître, simple surveillant, est remplacé par le chef d'équipe qui travaille et dirige en même temps. Enfin, «entre tous les départements de l'usine, est établie une liaison parfaite, en sorte que les diverses opérations, depuis l'entrée des matières premières jusqu'à l'emmagasinement ou l'expédition du produit fini, se succèdent sans heurt comme sans interruption» [°1568].
On veille aussi à ce que l'ouvrier ait sous la main, au moment voulu, la matière et l'outil nécessaires; et pour cela, on peut avoir recours à une machinerie automatique: tapis roulant ou chaîne, d'où le nom de «travail à la chaîne» donné parfois à cette organisation.
Pour appliquer le principe d'intérêt personnel, Taylor complète sa méthode en combinant les salaires de la façon suivante: un minimum répondant à un minimum de travail au-dessous duquel l'ouvrier ne peut descendre, et un surplus variable suivant le surplus de travail éxécuté. Cependant; il aurait dû aussi considérer les autres dispositions psychologiques de l'ouvrier, et étudier les conditions d'hygiène, de confort etc. qui, en inspirant la joie, aident au rendement du travail.
Les résultats de cette méthode sont étonnants: un manoeuvre qui chargeait dans sa journée 250 à 300 gueuses de fonte de 45 Kg, parvient à en transporter plus de 1000; un maçon pose 350 briques au lieu de 120. L'ouvrière, qui vérifiait mille billes pour roulement de bicyclette, arrive à 3500, et avec 2/3 d'erreurs en moins [°1569].
§1168) 2. - Le Fayolisme. M. Fayol (décédé en 1925) a appliqué la rationalisation à l'administration des usines et aux chefs d'entreprises. On peut résumer sa méthode en trois points:
a) analyse du rôle du chef en général qui est de prévoir, organiser, commander, coordonner, contrôler;
b) délimitation de la fonction, chacun des chefs qui interviennent dans l'administration d'une entreprise: directeur général, directeurs des divers départements, chefs de services, de divisions; d'ateliers, etc.;
c) règle de liaison à établir entre les divers degrés hiérarchiques.
Par cette méthode rationnelle, Fayol réussit à sauver son entreprise de la ruine.
§1169) 3. - La Standardisation. Elle consiste à choisir certains types de produits ou moyens de production, outillages, méthodes, etc., et à les adopter uniformément partout où les hommes travaillent. Le mot anglais «standard» signifie «type, modèle, patron».
Il y a sans doute des diversités légitimes qu'il faut conserver selon la variété de lieu, de tempérament, des conditions de vie; mais beaucoup d'autres sont dues au hasard ou au caprice; et les rapports internationaux se multipliant, il en résulte des complications, pertes de temps et peines inutiles que le progrès rationnel doit éliminer. En effet la réduction des variétés superflues simplifie la production de l'outillage, réduit par le fait même les installations, les machines et le personnel: économie de forces. Elle facilite l'utilisation des outils, le remplacement des pièces, et permet la continuité du même travail en divers milieux. Ainsi l'écartement identique des rails de chemin de fer permet de traverser l'Europe sans transbordement, etc [°1570, °1571].
Ces formes de rationalisation, spécialement le taylorisme et la standardisation, ont de réels avantages économiques. Mais elles doivent être pratiquées avec mesure pour éviter les abus et laisser leur place aux oeuvres plus artistiques: cette régularisation sera donnée par la science morale [§1230].
Proposition 7. Le mouvement général de l'économie aux XIXe et XXe siècles vers la concentration, semble être une manifestation de la loi d'intérêt. Mais loin de conduire fatalement au communisme, il est modéré par l'intervention de l'État et la tendance actuelle au corporatisme.
A) Explication et preuve.
§1170) 1. - Le fait de la concentration. On appelle concentration dans la vie économique, la prédominance croissante des grandes entreprises sur les petites, et la formation d'unions et d'ententes entre les grandes entreprises elles-mêmes.
Si ce mouvement, dans son ensemble, paraît clair, dès qu'on l'analyse, on y rencontre des phénomènes assez disparates et de signification très inégale.
D'abord, il n'est pas toujours facile de distinguer la grande entreprise de la moyenne, ou de la petite entreprise. Par exemple, si, d'ordinaire, il y a concordance entre la grandeur des installations et usines, et celle de l'entreprise, parfois une grande entreprise s'organise en de petits ateliers ou grâce au travail à domicile: ainsi les dentelleries de Flandres, la vente des journaux dans les kiosques.
On prend d'ordinaire comme critère le nombre d'ouvriers employés: de 1 à 10, petite entreprise; de 11 à 50, moyenne entreprise; au-delà de 50, grande entreprise. «On pourrait proposer un critère plus objectif ou plus rationnel et dire que la grande entreprise commence où le rôle de la direction absorbe son homme» [°1572].
De plus, l'union des entreprises peut s'effectuer de façon très diverse, depuis la fusion complète jusqu'à la simple entente sur des points précis, en passant par divers degrés d'union. Ces multiples formes d'association seront mieux expliquées au chapitre 2, où nous exposerons le problème moral du capitalisme [§1282]. On peut résumer le fait de la concentration, en notant les constatations suivantes:
a) Le nombre des grandes entreprises s'accroît notablement: Ainsi, en Belgique, les entreprises comptant au moins 50 ouvriers étaient en 1896 au nombre de 2165; et en 1910, de 2900; en 1937, de 3450. En France, celles de plus de 100 ouvriers étaient au nombre de 3823 en 1896; de 4949 en 1906: en augmentation de 29.4%. En Allemagne, les industries de 200 à 1000 ouvriers, en 1882: 1716; en 1895: 2967; et en 1907: 4998.
b) Cependant, le nombre total des entreprises se maintient, et dans plusieurs pays augmente; la grande entreprise ne supprime donc pas la petite.
c) La concentration varie beaucoup suivant les industries ou les métiers. Certains métiers comme boulangers, plafonneurs, tapissiers, imprimeurs voyaient par exemple en Allemagne, de 1895 à 1907, le nombre des entreprises augmenter de 25 à 30%; mais les selliers de 2.8%, les vitriers de 0.7; les horlogers de 0.4.
d) Dans l'agriculture, il y a presque partout augmentation du nombre des petites exploitations. Defourny résume ainsi le fait en Belgique, en 1910: «Pas de concentration dans le commerce; fragmentation en agriculture; concentration réelle dans l'industrie à domicile et dans l'industrie en atelier» [°1573].
e) La concentration par fusionnement est beaucoup fréquente que les ententes limitées à quelques objets entre entreprises gardant leur autonomie.
Une entreprise peut aussi préparer soi-même ses matières premières, utiliser les sous-produits ou les déchets. De là une forme de concentration appelée intégration (concentration verticale), qui consiste dans le groupement en une même entreprise des industries de diverses espèces qui interviennent successivement dans l'élaboration d'un genre de produits: ainsi, une entreprise métallurgique comprendra des mines de minerais et de charbon, des transports, des hauts fourneaux, des aciéries, laminoirs, forges, etc.
§1171) 2. - L'explication. Karl Marx voyait à tort dans cette tendance une application de la dialectique hégélienne, accentuant sans cesse l'opposition entre patrons et ouvriers jusqu'à la lutte finale. Le phénomène, mieux analysé sur une plus longue durée, apparaît beaucoup plus complexe. De plus, au XXe siècle, surtout, l'intervention des États et le mouvement vers le corporatisme en a grandement modéré l'évolution [°1574]. Cette dernière observation relève de la direction impérative de la morale sociale dont nous montrerons le sens au chapitre 2, et dont l'influence est capable de modifier l'application des lois économiques.
Cette loi existe cependant avec un déterminisme plus ou moins large; on peut la formuler ainsi:
«À moins d'influence supérieure modératrice, la tendance spontanée de l'organisation économique, mue par la loi de l'intérêt personnel, va vers la concentration».
Il y a, en effet, des avantages évidents à coopérer plus largement pour la production. Ainsi, on peut économiser le travail, en en poussant plus loin la division, et en utilisant mieux les ouvriers conservés, en recherchant les perfectionnements techniques grâce à des services spécialisés, et en les appliquant plus rapidement. On peut économiser aussi le capital; car les bâtiments, les installations et les machines (capital fixe) ne croissent pas proportionnellement aux dimensions de l'entreprise, et le capital circulant peut être relativement moindre, parce que la grande entreprise achète en masse, donc à meilleur compte; elle obtient des crédits plus larges, donc moins onéreux; et elle use de moyens de payement perfectionnés qui économisent la monnaie.
Cette loi d'intérêt, d'ailleurs, porte en elle la modération du mouvement de concentration: les difficultés techniques de direction, d'administration, de contrôle, etc., qui croissent avec l'entreprise, finissent par amener des pertes; l'expérience a montré, par exemple, que dans les charbonnages anglais et belges, le meilleur rendement est donné par les entreprises de moyenne grandeur [°1575].
B) Corollaires.
§1172) 1. - L'industrie à domicile. On désigne ainsi actuellement «l'industrie pratiquée à domicile par des ouvriers travaillant pour le compte d'un entrepreneur». Elle est aussi un cas de la grande industrie où les avantages sont augmentés en supprimant les frais d'installation, en diminuant les salaires, qui sont d'ordinaire des salaires d'appoint. Il y a aussi des avantages pour les ouvriers qui, de cette façon, restent chez eux, plus en famille, plus indépendants [°1575.1].
Cette forme d'industrie est assez répandue: elle comprenait au début du siècle, 18% des ouvriers suisses et 34% des autrichiens, 12 millions en Russie, 1.5 million en France. En Belgique, en 1910, il y avait 129780, dont 101606 femmes, dans cette industrie localisée dans les deux Flandres.
Mais elle a donné lieu aux abus du «sweating system» que réprouve la morale sociale.
§1173) 2. - Entreprise d'État. La détermination du rôle de l'État dans l'organisation des entreprises, et en général dans la vie économique, relève de la morale sociale. Cette intervention puissante peut évidemment modifier grandement l'évolution des lois économiques; mais elle ne les supprime pas; elle les suppose, au contraire, et si elle va à l'encontre, elle aboutit à des échecs. D'où l'utilité de déterminer ces lois, en faisant abstraction du rôle de l'État.
Il est clair, cependant, que la loi de concentration dont nous venons de parler suppose un régime autre que le collectivisme: dans celui-ci, la concentration est réalisée au maximum par l'État lui-même, et n'a plus à se produire; mais l'expérience russe qui l'a tentée, est trop récente pour permettre des conclusions de science positive [°1576]: nous pourrions seulement l'apprécier au point de vue de la morale sociale [§1235].
Mais en régime de propriété privée et de libre concurrence, l'État peut, lui aussi, comme personne morale, prendre l'initiative d'entreprises économiques. Cette intervention se présente sous différentes formes:
a) L'entreprise d'État proprement dite, exploitation des chemins de fer (en Belgique jusqu'en 1926), monopole des tabacs, des allumettes (France), mines de fer (Prusse), etc.; mais l'expérience a montré que l'État, surtout démocratique, était un mauvais entrepreneur, faisant des déficits au lieu de profits [°1577].
b) Les régies autonomes: l'État établit le statut de régie, se réserve un contrôle et certaines nominations; mais pour le reste, l'affaire est menée comme toute autre entreprise. Dans certains cas, comme dans la société nationale des chemins de fer vicinaux, la régie est gérée concurremment par des délégués de la puissance publique et des représentants de propriétaires privés.
c) La nationalisation: L'État est seul propriétaire de l'entreprise; celle-ci, érigée en régie autonome, est gérée par des représentants, et de l'État, et du personnel (ou des producteurs), et des usagers: ainsi l'exploitation des cours d'eau, des ports, des routes, etc.
Ce qu'il faut remarquer, c'est que l'État n'est pas un entrepreneur comme les autres. Normalement, il n'est pas conduit par la loi de l'intérêt personnel, mais par la règle du bien commun; et son but, dans une entreprise n'est pas le gain, le profit, mais l'utilité pour le plus grand nombre. De plus, le moyen qu'il emploie pour combler le déficit éventuel est-il inaccessible aux autres entrepreneurs: à savoir, l'impôt, réparti sur l'ensemble des usagers (par ex., de la route), non pas au prorata de leur utilisation, mais suivant leur ressources imposables; c'est ici un cas d'entraide sociale relevant de la morale, et non plus des lois positives de l'économie.
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