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§605). La vie proprement humaine se nourrit de métaphysique: on le voit spécialement dans les sciences de l'esprit (encore appelées «sciences morales»): dans la morale où l'on cherche le bien; dans l'histoire où s'affirme la liberté; dans la psychologie où l'on poursuit le vrai comme d'ailleurs le bien voulu librement. On retrouve ainsi avec l'être spirituel, les deux transcendantaux vérité et bonté qui relèvent de l'objet propre de la métaphysique. Ces notions, que le positivisme prédominant du XIXe siècle avait fait oublier, la réaction du XXe siècle devait les redécouvrir; mais, d'une part, considérées sous un éclairage plus psychologique, elles se présentent comme des valeurs; et, d'autre part, intégrées aux sciences humaines, elle conduisent à une théorie philosophique de l'histoire où domine l'oeuvre de Dilthey: on peut voir là deux aspects complémentaires d'un même effort pour dépasser le positivisme dans l'explication de la vie des hommes.
1. - La Philosophie des valeurs.
2. - L'Historisme de Wilhelm Dilthey.
La catégorie philosophique de «valeur», succédané de la notion scolastique de bien, se retrouve en de nombreux philosophes contemporains: positivistes et psychologues, existentialistes comme Jaspers, phénoménologues comme Max Scheler, philosophe de l'esprit comme R. Le Senne, etc. Mais elle domine spécialement au XIXe siècle l'oeuvre de Nietzsche qui fait figure de précurseur; et au XXe siècle, l'école de Bade, puis le mouvement raciste.
A) Un précurseur: F. Nietzsche [b160]: Philosophie du Surhomme.
§606). Friedrich Nietzsche (1844-1900) est l'auteur de la «philosophie du Surhomme» qu'il a fondée toute entière sur une valeur dont il cherche le principe dans son propre «moi».
Fils d'un Pasteur protestant, il passa sa jeunesse dans la pratique fidèle de sa religion; mais, au moment de choisir sa carrière, il se détacha de toute croyance pour suivre l'attrait de sa puissante personnalité. Il étudia la philosophie qu'il professa brillamment à Bâle (1869-1879); heureux cependant, lorsque la maladie lui permit de se libérer de son enseignement pour se donner tout entier à sa «mission» philosophique. Luttant contre son mal avec une inépuisable énergie, il obtint quelques années de répit et écrivit une oeuvre considérable qu'une crise de folie interrompit en 1889; il ne retrouva plus la raison jusqu'à sa mort (1900).
La philosophie de Nietzsche est essentiellement individualiste; elle est le reflet de sa personne et comme l'histoire des expériences de sa vie intérieure. Son auteur, en nous l'exposant, n'a point pour but de nous convaincre, mais de nous apprendre à nous découvrir nous-mêmes; et si elle pouvait avoir un principe fondamental, ce serait: «Sois toi-même, sans faiblesse, logiquement et jusqu'au bout!» Ce fut pour suivre ce mot d'ordre que Nietzsche changea son premier enthousiasme pour Schopenhauer en une critique acerbe, et brisa sans hésiter son amitié avec le musicien Wagner, dès qu'il s'aperçut que son idéal ne cadrait plus avec le leur. Or, l'expérience qu'il nous raconte a la grandeur pitoyable de l'orgueil insensé d'un homme de génie qui se met soi-même, consciemment, à la place de Dieu; il nous dit en effet comment il a rendu, grâce à son instinct vital, un sens à son existence, après avoir, selon son expression, «tué Dieu» dans son coeur. Son exposé d'ailleurs n'a rien de systématique; il garde l'attrait d'une oeuvre d'art littéraire, lyrique, vivante, imagée, harmonieuse, dramatique comme un poème. De plus, le philosophe a varié parfois de sentiment et ses premières oeuvres louent sans réserve Schopenhauer et Wagner qu'il attaque ensuite à outrance. Cependant, quelques idées maîtresses, en germe dès le début, s'épanouissent dans les oeuvres de sa maturité et font l'unité de sa doctrine. On y distingue deux parties, l'une négative, l'autre positive.
1) La partie négative est une critique radicale de la culture ou civilisation du XIXe siècle qu'il résume en un mot: le «nihilisme européen». Toute culture suppose une table des valeurs, c'est-à-dire un certain nombre de biens considérés comme meilleurs, vers lesquels tend l'organisation sociale comme vers un idéal. Or, selon Nietzsche, la détermination de cette table n'est que le reflet du caractère, ou même du tempéramment physique, des hommes qui l'adoptent; d'où, les deux grandes catégories: d'un côté, la culture des dégénérés et des esclaves; de l'autre, celle des maîtres pleins de santé et de vitalité; et, à son avis, toutes les valeurs adoptées par notre civilisation sont caractéristiques de la culture des dégénérés. Elles ont leur origine dans le peuple juif, peuple d'esclaves. Elles se résument dans le triomphe du christianisme, avec son affirmation de l'au-delà qui fait oublier le monde présent, seul réel; - avec ses dogmes de Dieu Créateur et Juge de l'âme immortelle, dogmes antiscientifiques, mais nécessaires pour fonder l'espoir en l'autre monde; - et surtout avec sa doctrine du péché, oeuvre d'une volonté libre illusoire [°1860], mais déclarée responsable, en sorte qu'on exige pour le réparer, en union avec le sacrifice du Dieu-Messie, la patience, la résignation, l'humilité, l'obéissance; tout cela, selon Nietzsche, n'est que manifestation de faiblesse et de dégénérescence, que le prêtre transforme en vertu pour maintenir sa domination sur le peuple des petits et des esclaves en leur faisant accepter volontiers la misère présente dans l'espoir d'un au-delà réparateur.
Il y a là, dans l'oeuvre nietzschéenne, des pages dirigées contre le christianisme, et surtout contre l'Église catholique et ses prêtres, d'une virulence inouïe et d'une profonde injustice; car ce que Nietzsche attaque, ce n'est pas le prêtre tel qu'il existe, mais tel que lui le crée dans son imagination, supposant sans preuve que les grandes vérités établies par la philosophie du bon sens concernant Dieu et l'âme, ne sont que des illusions, sinon des dogmes inventés avec plus ou moins d'astuce ou d'inconscience par les prêtres assoiffés de domination. Il déclare, il est vrai, que ses opinions ne sont peut-être pas plus vraies que celles qu'il combat, car ce qui l'intéresse, ce n'est pas la vérité objective, mais l'épanouissement et la victoire de son «moi»; mais il parle en même temps comme si sa doctrine seule était l'infaillible vérité.
D'ailleurs, il n'est ni plus juste ni plus tendre pour les efforts civilisateurs des savants modernes. Ceux-ci, pourtant, imbus de positivisme, semblent les ennemis de l'idéal chrétien; mais en fait, selon Nietzsche, ou bien ils s'inspirent du même idéal, se contentant de mettre la «Science» à la place de Dieu, ou bien ils ne sont que des médiocres, incapables de renouveler la table des valeurs; car, s'ils rejettent le christianisme, ils s'installent commodément dans une société fondée sur la démocratie, le libéralisme, la recherche des aises et des richesses; autant de symptômes de dégénérescence, à l'égal de la foi religieuse.
2) Il faut donc, conclut Nietzsche, briser cette table des valeurs et revenir à la culture des maîtres: c'est la partie positive de sa doctrine que son sosie, le prophète Zarathoustra résume en sa proclamation: «Je vous enseigne le SURHOMME (Übermensch)». Mais d'abord, il faut noter que cette nouvelle table ne s'adresse pas à tous, mais à quelques êtres d'exception en qui l'humanité trouve sa fin et sa meilleure expression et dont l'apparition exige le travail d'innombrables hommes de condition inférieure, faibles, serviteurs, esclaves en un sens, et par conséquent, malheureux; pour ces derniers, il convient de garder les consolations de la morale religieuse. Au-dessus de cette foule, les hommes supérieurs se rendent compte de leur situation dans une culture de dégénérés; et le meilleur moyen pour eux de surmonter leur dégoût est de vivre à plein leur vie pour préparer l'avènement du Surhomme.
Celui-ci ne sera pas, semble-t-il, un être d'une essence nouvelle. «On peut définir le Surhomme, dit Lichtenberger [°1861], l'état auquel atteindra l'homme lorsqu'il aura renoncé à la hiérarchie actuelle des valeurs, à l'idéal chrétien, démocratique ou ascétique qui a cours aujourd'hui dans l'Europe moderne, pour revenir à la table des valeurs admises parmi les races nobles, parmi les Maîtres qui créent eux-mêmes les valeurs qu'ils reconnaissent au lieu de les recevoir du dehors». Il a déjà existé avant la décadence de l'Europe actuelle, parmi les races conquérantes et dominatrices de l'antiquité, les grecs, les romains, les germains; mais le Surhomme futur profitera de toutes les conquêtes de la science pour dominer la nature elle-même; et Nietzsche le voit déjà, muni du privilège de la lévitation, parcourant en un clin d'oeil ses domaines.
Il y a distinction radicale entre lui et les hommes inférieurs; ses règles de moralité sont totalement diverses: il a réalisé la «transvaluation de toutes les valeurs (Umwertung aller Werthe)». Il a pour unique loi l'épanouissement de sa «Volonté de Puissance», c'est-à-dire de cet instinct vital qui tend irrésistiblement en tout être, s'il est sain et vigoureux, à imposer le plus possible sa domination autour de lui. Tout ce qui favorise sa force vitale est par définition vrai et bon. Mais pour suivre cette voie, il doit s'attendre à de grandes douleurs, à une lutte sans trêve contre la foule dont il fait son instrument; car les petits, par leur nombre ou leur ruse, peuvent très bien parfois vaincre le héros qui tente l'aventure du Surhomme; sa devise sera donc: «Vivre dangereusement». Son unique but étant la victoire, il s'interdit comme une faiblesse toute pitié pour les malheureux; parce qu'il résume en lui l'humanité, il la domine sans remords, et trouve sa joie suprême à triompher. Enfin, il fixe pour jamais sa destinée en acceptant de revivre sans fin sa vie héroïque, suivant la doctrine du «Retour éternel». Cette hypothèse, Nietzsche l'accueillit d'abord avec effroi; mais il y vit la conséquence nécessaire de l'immense complexité des événements de notre monde, et il conçut même le dessein - qu'il ne put réaliser - de l'appuyer sur des études scientifiques; alors, fasciné par ses grandioses perspectives, il l'adopta comme seule digne de répondre au vouloir-vivre du Surhomme.
Il est difficile d'apprécier philosophiquement une doctrine qui se donne comme un «message», une sorte de Révélation. En tant qu'elle met toute la valeur de nos jugements et de nos théories dans leur aptitude à favoriser notre vitalité, elle se rattache au pragmatisme et ne peut en dépasser l'étiage intellectuel assez médiocre. Mais en tant qu'elle proclame la morale inconditionnée du Surhomme, elle illustre par son excès même la tendance foncière de la philosophie moderne [§313] à mettre la personne humaine à la place de Dieu en lui transférant tous les droits de l'Être suprême. Une telle hypothèse d'ailleurs ne résiste pas aux premières réflexions du bon sens qui se refuse obstinément à identifier notre pauvre conscience humaine avec l'incomparable Sagesse de Dieu. La valeur littéraire des oeuvres de Nietzsche masque peut-être, mais ne détruit pas cette irrémédiable contradiction.
§606.1). On peut rapprocher de Nietzsche, JEAN-MARIE GUYAU (1854-1888) qui, dans ses deux oeuvres principales: Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction (1885) et L'irréligion de l'avenir (1887), pense lui aussi que c'est «notre pouvoir, notre puissance vitale qui mesure notre devoir» [°1862] et constitue la règle de moralité.
Mais c'est surtout l'école néo-kantienne de Bade qui reprend l'étude plus systématique de la valeur pour en faire une philosophie.
B) L'École badoise: La Philosophie des valeurs [°1863].
§607). De même qu'en morale, le bien est ce qu'il faut vouloir (il est, dit Kant, le «devoir pour le devoir»); de même en spéculation, la vérité est ce qu'il faut penser, c'est-à-dire, ce qui a pour nous quelque valeur. Tel est le principe fondamental de cette philosophie. Elle est ainsi très proche du pragmatisme; mais au lieu de mettre le critère du vrai dans ce qui est utile à l'homme, elle le cherche dans ce qui l'ennoblit, l'élève, le «civilise». Elle est la «kultur-philosophie», philosophie de la culture, en opposant, comme veut l'école allemande, «civilisation» et «culture»: la première étant le progrès matériel, industriel, utilitaire au sens dépréciatif du mot; tandis que la culture représente le progrès de l'esprit, des arts, de la morale, bref, tout ce qui donne valeur à la vie humaine. Cette valeur culturelle, selon ces penseurs, n'est pas livrée au relativisme comme le phénomène scientifique; elle est un absolu que la philosophie doit découvrir et préciser pour en faire l'application aux différents domaines des sciences et de la morale.
Citons, parmi les néokantiens de l'école badoise qui défendent cette philosophie: WILHELM WINDELBANDT [b161] (1848-1915) qui trouve le système des valeurs dans la «conscience normale» où l'humanité exprime sa culture. - HEINRICH RICKERT [b162] (1863-1936) qui applique le principe à l'histoire où il faut, selon lui, choisir les faits qui ont une valeur pour la culture; - BRUNO BAUCH [b163] (1877-1942) qui l'applique à la morale et en conclut que la politique légitime est celle de la force au service des valeurs; - HUGO MÜNSTERBERG (1863-1916) qui, dans sa Philosophie der Werte (Phil. des valeurs, 1908), trouve le principe du système des valeurs dans «une action originaire qui donne un sens à notre existence, dans la volonté qu'il y ait un monde et que nos impressions n'aient pas à valoir seulement pour nous comme impressions, mais s'affirment indépendantes» [°1864]; - enfin OSWALD SPENGLER (1880-1936) qui, dans son ouvrage retentissant, Der Untergang des Abendlandes (La décadence de l'Occident) critique âprement notre culture actuelle.
C) Le Racisme.
§608). On peut rattacher à la «philosophie des valeurs» la théorie du Racisme inventée par J. A. GOBINEAU [b164] (1816-1882), reçue avec enthousiasme en Allemagne où elle fut propagée par Houston STEWART CHAMBERLAIN [b165] (1855-1927) qui, bien qu'anglais de naissance, se fit l'apôtre du pangermanisme. Selon cette théorie, il existe une race humaine privilégiée, la race aryenne, qui seule possède de plein droit l'idéal des valeurs humaines et est par conséquent destinée à dominer les autres races, dites inférieures. Aussi, toutes les règles de l'esthétique, de la morale et de la politique se résument en une seule: «Préserver et promouvoir la pureté du sang aryen». Sans doute, l'unanimité des ethnologues sérieux enseignent que tous les hommes sont égaux en nature [°1865] et qu'il n'y a plus actuellement de groupe humain de race pure. Mais comme la doctrine raciste exposée par Alfred ROSENBERG (1893-1946) dans le Mythe du XXe siècle était devenue le Credo religieux et politique du IIIe Reich, la dictature hitlérienne lui conférait du dehors une autorité et une influence qui lui faisaient totalement défaut au point de vue scientifique et philosophique.
b166) Bibliographie spéciale (Wilhelm Dilthey)
§609). La théorie philosophique de l'histoire s'est développée à partir du XVIIIe siècle, tandis que les sciences modernes suscitaient le positivisme et mettaient en vogue l'évolutionnisme.
Il faut citer comme précurseur en Italie, JEAN-BAPTISTE VICO [b167] (1668-1745). Dans son oeuvre maîtresse: Scientia nova (Principi di una Scienzia nuova d'intorno alla natura delle Nazioni), 1725, 2e éd., 1730, il part du principe que notre vérité est mesurée par notre action: «verum et factum convertuntur», dit-il, ou: «verum ipsum factum»; et il en conclut que désormais la science humaine (scientia nova) doit être l'histoire; car celle-ci, étant faite par l'homme, peut et doit être connue par l'homme. Le développement de l'histoire est d'ailleurs calqué sur celui de l'homme. Son enfance, c'est l'âge poétique,- vient ensuite l'âge des héros, dominé par l'imagination; c'est maintenant l'âge de l'homme, celui de la raison. - Vico est optimiste; sans doute, l'évolution vers le mieux est sujette à des retours en arrière; mais l'histoire est dirigée par la divine Providence qui garantit le progrès des nations malgré l'opposition des intérêts particuliers: elle fait même concourir ceux-ci à ses fins.
En Allemagne, dès le XVIIe siècle, J. G. HERDER [°1866] (1744-1803), ami du poète W. Goethe (1749-1832) fait porter ses méditations sur l'histoire et il les consigne dans son grand ouvrage: Ideen zur Philosophie der Geschichte der Menschkeit (1784-1791). Mais il voit dans la marche de l'humanité, non une série causale d'événements, mais comme divers essais pour réaliser un idéal ou «type parfait» de civilisation. Sa «philosophie de l'histoire» est plus intuitive et romantique que positive et scientifique.
L'idéalisme hégélien [°1867] est aussi à sa manière une philosophie de l'histoire, mais en laquelle la liberté humaine se dissout dans une évolution nécessaire, conforme aux lois de l'Esprit. C'est en réaction contre un tel déterminisme, absolu et universel, que naquit l'historisme.
A) Le Fondateur.
§610). On peut définir l'historisme: «la théorie qui ramène la philosophie à l'histoire, comme étant l'oeuvre propre d'un homme, capable de la faire par ses activités spirituelles et de la comprendre par ses réflexions». On désigne par «réflexion», la conscience que l'esprit prend de son évolution; et par «ses activités», toutes les manifestations de la vie proprement humaine: vie d'un être raisonnable et libre, mais aussi corporel avec ses imaginations, ses passions, ses besoins économiques, ses créations artistiques, poétiques, etc.
Le fondateur en fut Wilhelm DILTHEY (1833-1911). Né en 1833 à Biebrich, il était fils d'un pasteur protestant. Après ses études à Heidelberg et Berlin, il professa la philosophie d'abord à Bâle de 1867 à 1869, puis à Kiel et à Breslau; enfin à Berlin de 1882 à sa mort. Dilthey trouva comme point de départ de ses réflexions la doctrine alors régnante de Kant et d'Auguste Comte, qui se rejoignaient pour restreindre le domaine des vérités scientifiques aux faits d'expérience externe. Il refuse donc lui aussi de donner une place en philosophie à la métaphysique proprement dite qui, depuis Descartes, traitait des trois substances: le monde, l'âme et Dieu.
Mais, en dehors des sciences expérimentales, il y avait celles de l'homme, appelées «sciences morales et politiques», dont Kant ne donnait qu'une justification insuffisante. Dilthey résolut d'en établir solidement les fondements: d'où ses principaux ouvrages de méthodologie: Einleitung in den Geisteswissenschaften (1863); - Ideen über eine beschreibende und zergliedernde Psychologie (1894); - Der Aufbau der geschichtlichen Welt in den Geisteswissenschaften (1911). L'objet des «sciences morales» est en effet, selon lui, le monde de l'Esprit: celui de la vie proprement humaine en toutes ses manifestations, psychologiques, morales, juridiques, culturelles, religieuses, et aussi artistiques et poétiques. Dilthey a même consacré à ces dernières d'importantes études, comme Die Einbildungskraft des Dichters. Baustein für eine Poetik (1887), et d'autres. Sa manière de concevoir la philosophie, en effet, le conduit à se constituer l'historien de la culture humaine, de la poésie et des arts, de la pédagogie, des sciences positives et aussi de la philosophie, même de l'histoire et de la critique historique: et cette façon d'unir les exposés historiques, où il excelle, à ses réflexions philosophiques, a beaucoup favorisé et développé son influence. Citons en ce sens une étude pédagogique: Über die Möglichkeit einer allgemeingültigen pädagogischen Wissenschaft (1889), et les articles Das Wesen der Philosophie (1907) et Die Typen dey Weltanschauung (1911). Nous nous en tiendrons, comme il convient, aux aspects proprement philosophiques.
Parti de la mentalité positiviste qui ne lui permet pas d'atteindre la métaphysique proprement dite, c'est pourtant vers ce but que Dilthey philosophe se dirige en étudiant la vie de l'esprit humain. D'ailleurs, les solutions qu'il proposait ne lui paraissaient pas définitives et, jusqu'à la fin, il s'est efforcé de les améliorer. Mais avant de signaler en conclusion ces vues nouvelles, nous fixerons les positions dominantes de son historisme.
B) Positions dominantes.
§611). On peut les résumer sous la forme de ce principe fondamental:
Tout s'explique en philosophie par la vie de l'esprit dont l'évolution progressive chez l'homme constitue l'histoire.
L'histoire ne se prend donc pas ici au sens très général d'une description des faits du passé, même ceux de la nature. Elle se restreint à l'humanité et désigne «l'évolution (ou le devenir) de la vie des hommes sur la terre, en toutes ses manifestations proprement humaines». Elle suppose la distinction entre sciences positives de la nature et sciences morales ou sciences de l'esprit; mais pour Dilthey, les unes et les autres ont une structure expérimentale et une égale valeur; et de même que la philosophie positiviste, chez A. Comte, H. Spencer, W. Wundt par exemple, dépend totalement des sciences de la nature, ainsi l'historisme de Dilthey sera «la philosophie des sciences de l'esprit». En conséquence, il s'établira sur une thèse positiviste, mais se distinguera par sa méthode, conforme à sa théorie de la connaissance; et pour acquérir, si possible, une valeur scientifique, il cherchera à résoudre le problème critériologique de son fondement.
1) Thèse positiviste. L'attitude d'A. Comte à l'égard des sciences physiques est, en effet, celle qu'adopte Dilthey à l'égard des sciences de l'esprit: il y voit le contenu de sa philosophie, qui a pour mission de présenter ce contenu, à première vue fort complexe, comme un «ensemble organisé» [°1868] et intelligible. D'abord, ces multiples activités humaines apparaissent comme une incessante évolution, très proche de l'élan vital de Bergson où tout coule et rien n'est stable. Mais elles peuvent être l'objet de nos sciences, car nous les atteignons par expérience directe, en notre conscience; et cette expérience s'étend légitimement à l'humanité, puisqu'elle fournit la matière des «sciences morales» dont la pratique sanctionne la valeur.
Il n'y a, d'autre part, aucune raison de donner à ces faits spirituels moins de valeur qu'aux faits des sciences physiques: les uns et les autres constituent la réalité, seule accessible à notre raison sans doute, mais qui fonde solidement notre connaissance. On ne peut ni les taxer d'illusion ou pure apparence, ni aller au delà: «S'il y avait derrière la vie où se succèdent le passé, le présent et l'avenir (le flux des faits historiques) quelque chose d'intemporel, ce serait un antécédent de la vie... et cet antécédent, n'ayant pas été vécu, ne serait pour nous qu'un royaume des ombres» [°1869], le type des illusions métaphysiques inaccessibles à notre connaissance.
Telle est la thèse positiviste que Dilthey exprime en disant: «La pensée ne peut remonter plus loin que la vie» [°1870]. En d'autres termes, pour faire des sciences de la vie ou de l'histoire une philosophie, Dilthey renonce à chercher un principe d'explication en dehors de l'histoire: il le trouve à l'intérieur, dans les lois qui la dirigent et dans les relations qui font de toutes ses parties un ensemble cohérent.
2) Méthode psychologique. L'histoire étant la manifestation de la vie humaine, de ces activités de l'esprit auquel nous avons conscience de participer, c'est par la psychologie et l'introspection que nous pouvons l'atteindre.
Mais il faut distinguer deux méthodes psychologiques. La première est la méthode expérimentale, régnante au XIXe siècle avec Stuart Mill, Taine, Fechner, etc., qui veut construire une «science» psychologique sur le modèle des sciences positives, en expliquant tous les phénomènes de conscience par les éléments qui les composent et leurs lois d'organisation et d'évolution: Dilthey l'appelle «Psychologie explicative»; sans en nier la valeur, il en relève aussi les limites et les faiblesses. Il lui oppose la «Psychologie analytique et descriptive», qui a pour méthode l'observation directe des états de conscience tels qu'ils se présentent à l'introspection, c'est-à-dire comme des synthèses vitales qu'on détruirait en les décomposant, mais qu'il faut discerner, décrire et caractériser, puis comparer entre elles et avec d'autres faits, selon les procédés, par exemple, de la botanique descriptive. Dilthey se montre ainsi le précurseur de la «Gestaltpsychologie» et de la méthode phénoménologique.
Il ajoute que pour saisir vraiment la vie de l'esprit en chacune de ses manifestations, à la fois indécomposables et très riches, l'intelligence spéculative ne suffit pas, surtout dans son exercice scientifique à base d'abstraction. Il faut recourir à une sorte d'«intuition synthétique»: ce mode de connaissance fonde déjà spontanément nos certitudes concernant le monde extérieur; il n'est ni une vue de l'esprit (idée claire de Descartes), ni une conclusion obtenue par raisonnement à partir d'un fait d'expérience précis. C'est, à l'occasion de la résistance que nous offre le monde ou l'objet externe, la prise de conscience que notre moi vivant peut alors obtenir au moyen de toutes ses activités répondant à cette résistance: activités d'ordre affectif affectif (plaisir, douleur, désir) et actif (saisie, rejet, etc.) autant que d'ordre cognitif. La description de ce mode synthétique de connaissance est, chez Dilthey, riche en notations très justes de psychologie expérimentale, concernant la perception du monde externe (qui commence, dit-il, chez tous les animaux dès la vie embryonnaire), et sur l'éducation des sens qui, peu à peu, l'enrichit et la perfectionne [°1871].
Mais Dilthey ne vise pas à faire progresser un traité spécial de psychologie. Il généralise ce cas particulier et en fait le mode propre du connaître, adapté à sa «philosophie des sciences de l'esprit», et répondant à la «psychologie descriptive» par opposition à la «psychologie explicative». De là chez lui, une distinction nette entre ce qu'il appelle auflkären et verstehen, «expliquer» et «comprendre»: le premier mot désigne la méthode des sciences expérimentales, le second, celle de la philosophie au sens de l'«historisme». Expliquer, c'est, à partir d'une théorie (au hypothèse générale) et des faits élémentaires qui la fondent, déduire tous les phénomènes qui en découlent en application des lois démontrées expérimentalement: par exemple tous les phénomènes lumineux de la théorie des vibrations de l'éther. Mais comprendre, c'est voir les faits étudiés dans un ensemble organisé, dont toutes les parties s'expliquent par leur ordre de dépendance mutuelle et leur tendance à une fin commune: ainsi, la famille comprise comme «cellule sociale». On pourrait dire que aufklären, c'est expliquer par la cause efficiente, celle des sciences positives fondées sur le déterminisme de la nature; verstehen, c'est expliquer par la cause finale, et aussi (en dépassant Dilthey), par les essences et leur participation à Dieu: cause formelle, intrinsèque et extrinsèque; et celles-ci relèvent en effet de la philosophie par delà les sciences positives.
L'historisme de Dilthey est une tentative pour expliquer selon cette méthode philosophique les faits de la vie humaine, déjà expliqués selon la méthode scientifique dans les «sciences de l'esprit». Ainsi, la «compréhension» est pour lui «un mouvement de la vie vers la vie»: la réaction de la vie individuelle dont chacun en soi-même prend conscience, en face de l'ensemble de la vie humaine dont le déroulement constitue l'histoire.
3) Problème du fondement. Mais la thèse positiviste où s'est enfermé notre penseur pose une grave difficulté et menace d'échec sa tentative. Car une vraie compréhension philosophique suppose une règle immuable qui garantisse la vérité des solutions: Dilthey le reconnaît après Kant, Hegel et tous les philosophes. Or, si on ne peut remonter au-delà de la vie, il faudra expliquer l'histoire par sa structure interne qui n'a rien de stable, et par sa finalité variable à chaque époque. On aboutit ainsi à un relativisme qui n'est qu'un scepticisme, à moins de découvrir un fondement universel qui dépasse le flux de l'histoire et légitime la vérité des explications proposées par l'historisme. C'est à la recherche de ce fondement que Dilthey a consacré toute sa vie de philosophe: «Je vois le but, disait-il à son 70e anniversaire. Si je reste en chemin, mes disciples iront, je l'espère, jusqu'au bout» [°1872]. Dans son effort vers la solution, on distingue deux étapes: d'abord, il cherche ce fondement dans la psychologie analytique et descriptive, croyant découvrir en sa vie, comme un reflet de la loi de l'histoire humaine. Puis, dans ses derniers ouvrages, il abandonne cette hypothèse non démontrée, et commence à l'inverse par saisir, dans l'histoire universelle, l'unité organique et la finalité qui doivent éclairer les cas particuliers, personnels et collectifs. Il s'élève à la «vision de la vie», pour fonder son «historisme».
Pour lui, en effet, chaque époque a sa signification propre; et aussi chaque forme d'activité spirituelle (religion, art, philosophie, etc); et même chaque personnalité marquante, car on rencontre, à chaque époque, des hommes de génie qui personnifient les traits de leur temps. De la sorte, à une époque donnée, comme la Renaissance, l'Aufklärung ou la Révolution, la vie humaine participée en chaque individu ou chaque groupe (chef d'état, poète, artiste, groupe religieux, politique, etc.) possède son unité interne qui donne à toutes ces activités de l'esprit, malgré leurs diversités, un véritable air de famille.
Le philosophe est capable de saisir par la méthode de la réaction vitale au choc de l'histoire (verstehen), ces ensembles organiques et les finalités intrinsèques qui les expliquent, parce qu'il en découvre le sens. C'est le travail philosophique qui donne ainsi à l'histoire sa signification, mais sans aucun arbitraire et en se laissant conduire par l'activité même de l'esprit ou de l'histoire qui réalise vraiment cette signification. Le rôle du philosophe est de dominer le réel par la mémoire; de reporter sur l'ensemble de l'époque passée le sens qui apparaît clairement lorsque l'évolution de cette époque est achevée, sens qui prend alors une valeur universelle, quand les événements significatifs se sont dégagés d'eux-mêmes, en laissant dans l'ombre les faits secondaires accidentels [°1873]. Mais cette rétrospection, malgré son importance, ne fait que découvrir l'unité réelle de l'histoire.
Or c'est précisément cette signification, considérée dans l'histoire universelle, celle de l'humanité entière depuis ses origines à nos jours, qui fournit un fondement immuable à la vérité philosophique en historisme; elle n'est rien d'autre, en effet, que la vie, réalité ultime, expliquant tout, quand rien au delà ne l'explique. Le dernier mot de l'historisme n'est donc pas le relativisme et le scepticisme, mais un acte de foi en la vie humaine comme source absolue de toute vérité et de toute philosophie; et celle-ci constitue bien un historisme puisqu'elle est absorbée par l'histoire.
C) Conclusion et influence.
§612). La haute valeur philosophique de Dilthey se manifeste d'abord dans la position claire d'un problème qui dépasse le niveau des sciences positives, dans le secteur des «sciences morales». Ce que va faire presqu'en même temps que lui l'existentialisme pour la vie personnelle, il l'entreprend pour la société humaine: il cherche à l'expliquer du point de vue de sa destinée. Un tel effort relève du philosophe.
Bien plus, pour Dilthey, la philosophie ne peut plus avoir d'autre tâche valable. Quand il en étudie l'histoire, comme une des principales manifestations de la «vie de l'esprit», il la caractérise, en partant des systèmes philosophiques, comme un effort d'explication universelle qui répond à un besoin de l'esprit humain. Mais il laisse tomber comme sans valeur (conformément au préjugé positiviste) toutes les réponses métaphysiques, depuis celles de Platon, des Pères de l'Église et des scolastiques, jusqu'à celles de Descartes, du panthéisme spinoziste ou hégélien. Il ne retient que trois systèmes, répondant aux trois grandes facultés de l'homme: Si l'intelligence prédomine, apparaît le matérialisme; si c'est la vie affective, on obtient un idéalisme objectif, comme dans la partie valable de Hegel; enfin la volonté, en dominant, produit un idéalisme de forme libérale comme chez Kant. Mais tous ces essais ayant échoué, la vraie solution est de rendre à la philosophie sa fonction historique en en faisant une réflexion sur sa vie propre et sur toute la vie humaine, c'est-à-dire, en la constituant en «Historisme».
Bien que cette absorption de la philosophie dans l'histoire reste arbitraire, comme le préjugé positiviste sur lequel elle se fonde, l'historisme est une vue philosophique profonde. On peut la comparer à celle de la Cité de Dieu où saint Augustin présente aussi la signification de la vie sociale en toute l'humanité. La différence essentielle est que l'évêque d'Hippone fonde la vérité de sa doctrine sur la Révélation qui lui dévoile les lois fondamentales de la Providence et de l'histoire humaine; il fait la Philosophie chrétienne [°1874] de l'histoire, dont J.-B. Vico est encore l'héritier. Dilthey au contraire, pour fonder son système, ne dépasse pas la vie humaine et sa finalité interne, et cette vie n'a d'autre raison d'être, d'autre explication qu'elle-même; il lui donne ainsi une prérogative divine, car Dieu seul a en soi sa pleine raison d'être. L'historisme, s'il n'est pas un relativisme sceptique [°1875], est un athéisme pratique, très proche du panthéisme de Hégel et de Spinoza. L'effort de Dilthey est bien dans la même direction que celui de Spencer, de Wundt et de Bergson, mais l'obstacle positiviste semble l'avoir freiné davantage.
Pourtant, l'influence de cette forte pensée fut grande, surtout en Allemagne, et elle tend à se répandre de plus en plus. Elle tient aux qualités de précision, de synthèse vivante et suggestive, qui se dégagent des nombreux essais d'histoire culturelle auxquels Dilthey incorpore sa doctrine, plus encore peut-être qu'à la valeur philosophique de celle-ci. Aussi cette influence est-elle souvent diffuse; elle s'exerce sur la «psychologie de la forme», sur la «philosophie des valeurs» de Rickert, Spengler, etc. [§607]; plus directement sur les historiens, les sociologues, les existentialistes.
Mais le retour à l'esprit, esquissé par Dilthey dans la société, s'est manifesté de façon bien plus puissante et efficace dans la personne humaine, avec Husserl et l'existentialisme.
§613). Citons comme disciples plus directs: Ernst TROELTSCH (1865-1923), théologien protestant, philosophe de la religion et de l'histoire. Eduard SPRANGER (né en 1882) «célèbre par ses travaux de philosophie de la civilisation, de psychologie et de pédagogie» [°1876]; et aussi Erich ROTHACKER (né en 1888), Georg MISCH (né en 1878), Hans FREYER (né en 1887) et Théodor LITT (né en 1880). - En Angleterre, R. G. COLLINGWOOD défend aussi l'historisme.
Parmi les philosophes de la vie, on trouve encore en Allemagne: Hermann VON KEYSERLING (1880-1946) qui, dans son «Journal d'un philosophe» s'inspire du pragmatisme; et Ludwig KLAGES (1872-1956) qui, dans Der Geist als Wiedersacher der Seele (3 vol., 1929-1932) oppose à l'harmonie de la vie terrestre l'action extérieure de l'esprit humain lequel, selon lui, y introduit l'arbitraire et la désordre.
D'autres philosophes abordent l'histoire à côté de Dilthey plutôt qu'à sa suite. Ainsi, en Espagne, J. ORTEGA Y GASSET (1883-1955) a écrit La Rébellion des masses (1929); et L'Histoire comme Système (1941) et un bon nombre d'autres ouvrages et articles de revues [°1877]. Avec une éloquence convaincue, il y développe de grandes vues historiques, un peu nuageuses, dans un esprit très démocratique.
En Allemagne surtout, deux noms méritent une mention:
1) Georg SIMMEL [b168] (1858-1918) a exposé sa théorie dans son ouvrage fondamental: Problème de la philosophie de l'histoire, dont les éditions successives témoignent d'une évolution doctrinale. Au début, Simmel souligne notre intervention subjective dans la construction de la science: parmi les innombrables faits du passé, tout historien doit choisir ceux qu'il estime les plus intéressants: il use ainsi d'un critère pragmatique pour établir ce qui est vraiment historique; et pour expliquer la série des événements, il a besoin d'une hypothèse ou d'une idée préconçue dont les faits seront la vérification. De là, le relativisme de la science historique: elle n'exprime pas les faits tels qu'ils furent en réalité, mais en dépendance du choix et des théories de l'historien. Mais ce relativisme n'est qu'une étape: Simmel reconnaît ensuite que la réflexion philosophique peut trouver, entre la multiplicité insaisissable des êtres ou faits individuels et l'idéal d'une histoire parfaitement objective, un milieu accessible: celui des types, des coutumes ou influences générales. Il étudie donc, en sociologie, des institutions comme les sociétés secrètes; des forces économiques, comme la concurrence; dans ses monographies de grands hommes, il détermine les caractères qui donnent une unité à leur vie. Enfin, dans ses derniers ouvrages, il découvre par intuition le fait de la vie, qui a son unité et ses lois propres capables de fonder la valeur de l'histoire. Il se rattache ainsi au courant philosophique où domine l'élan vital de Bergson [°1878].
2) Max WEBER [b169] (1863-1921), cherchant dans la vérité historique les règles de son action patriotique, voulut être à la fois homme politique et «savant en sciences humaines». Comme philosophe de l'histoire, il adopte le même point de départ que Dilthey: valeur des seules sciences positives à l'exclusion de toute métaphysique; valeur des faits de la vie humaine, autant que des faits de la nature, pour fonder une science positive; nécessité et possibilité de comprendre l'histoire en dépassant l'explication par les lois empiriques de la sociologie. - Mais à l'opposé de Dilthey, il tient, comme Simmel, que les faits dits «historiques» ne s'imposent pas du dehors en leur réalité objective: ils dépendent du choix et du travail subjectif de l'historien, qui constitue un monde d'objets intermédiaires entre la vérité absolue qui nous dépasse et l'insaisissable multiplicité des faits individuels: c'est le monde des «types idéaux (Idealtypes)», qui est l'objet des sciences économiques, politiques, historiques. Par exemple, pour expliquer et diriger le mouvement des richesses, l'économiste se forme le «type idéal» des échanges exprimé par la loi de l'offre et de la demande; pour expliquer la «Révolution française», l'historien se forme l'«Idealtype» de la liberté, base de la démocratie, etc. L'histoire peut ainsi devenir une science positive, mais sans jamais avoir une valeur absolue: elle est relative aux méthodes des historiens et au choix qu'ils font de leurs «types idéaux».
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