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Si hoc signum legere potes, operis boni in rebus Latinus alacribus et fructuosis potiri potes!
(Paul Signac. Portrait de Félix Fénéon, etc.
Source)
Comment devient-on un «sophiste», c'est-à-dire un pseudo-philosophe? Je vais essayer de vous présenter une méthode simple et efficace, en me fondant sur les pseudo-philosophes que j'ai lus ou rencontrés jusqu'ici (comme Nietzsche, Jean-Paul Sartre, Patch Adams, Albert Jacquard, Marshall McLuhan, Rosemarie Rizzo Parse, Ludwig Wittgenstein, etc.).
Le but du sophiste est de s'enrichir et de devenir célèbre, ou en tout cas, son but n'est pas d'abord d'acquérir la sagesse. Il désire les avantages de la sagesse, sans les désavantages. Il doit donc utiliser des «trucs» pour donner l'impression qu'il est sage. Nous allons essayer d'en exposer quatre:
- l'exotisme
- le laxisme moral
- la langue «méta-française»
- la «nouvelle nouveauté»
Nul n'est prophète en son pays. Imaginez un sophiste qui aurait de la misère à rejoindre les deux bouts, qui irait aux toilettes comme tout le monde, qui parlerait comme les autres, etc. On sait que les gens qui vivent ce genre de vie sont comme nous, c'est-à-dire bien ordinaires! Le sophiste doit donc absolument éviter cette identification, grâce à l'exotisme. Voici quelques «trucs» pour paraître différent des autres:
3.1) Fabriquez-vous une vie exotique. Faites des voyages dans des pays lointains, ayez des expériences apparemment peu communes, une vie hors de l'ordinaire. Si vous pouvez côtoyer des gens apparemment exotiques, vous pouvez toujours prétendre que vous avez été influencé, que ces gens vous ont transmis quelque chose de rare, d'incompréhensible pour les non-initiés.
3.2) Faites des études exotiques. Par exemple, devenez un prix Nobel de la Physique ou de la Chimie. La science est de nos jours une «contrée lointaine», inaccessible à de nombreuses personnes. Au minimum, essayez d'avoir touché la sandwich au jambon dans laquelle Elvis Presley a pris une mordée. En d'autres mots, dites que vous avez étudié dans la même université où le célèbre Martin Heidegger ou le célèbre Edmund Husserl ont enseigné, etc.
3.3) Parlez, ou au moins lisez des langues exotiques. Il faut faire sentir à vos auditeurs qu'il y a une grande «distance intellectuelle» entre eux et vous. Le choix de la langue exotique gravite souvent autour de l'allemand, mais le chinois va probablement se populariser. Si vous êtes nul en langues, essayez au moins d'être capable de baragouiner quelques citations («Das wesen des daseins leigt in seiner existenz», ou encore «Quidquid latine dictum sit, altum sonatur», etc.).
Normalement, il est préférable de professer le laxisme moral (pas explicitement, évidemment), car la majorité des gens sont loin d'être parfaits, et sont encore gênés par des restes de conscience morale. On peut devenir très populaire en calmant cette anxiété.
Si on commence à condamner les défauts des gens qui nous paient, on ne deviendra pas riche! On peut toujours condamner certains maux, mais à condition que ces mauvaises choses soient hors du contrôle de notre auditoire. Par exemple, on peut condamner les «grosses méchantes compagnies pharmaceutiques», ou les «méchants terroristes d'Al-Qaida», mais surtout pas condamner les mauvaises actions qui sont répandues dans votre auditoire, comme tricher dans sa déclaration d'impôt, ou vivre en concubinage, ou avoir des copies volées de logiciels et de musique, etc.
Un sophiste doit parler la langue de son auditoire, pour se faire comprendre au moins un peu, mais il doit aussi éviter de parler la langue de son auditoire, sinon les gens vont voir clairement qu'il n'est pas sage!
Voilà une des grandes difficultés d'être un sophiste: il faut se faire comprendre, mais pas trop! Voici quelques «trucs» pour y arriver:
5.1) Apprenez le grec et le latin. Se décrotter le nez impressionne nulconque, mais avoir une «interaction naso-digitale subreptice» paraît très bien en public!
5.2) Néologisez avec des préfixes et des suffixes. Si vous parlez le bon vieux français, les gens pourront vous démasquer. Mais si vous parlez le «méta-français», qui est une langue «trans-culturelle» et «para-philosophique», alors les foules vous acclameront!
5.3) Périphrasez autour du pot. Vous devez éviter comme la peste les mots comme «vérité», «bien», «Dieu», etc. Ces mots sont comme autant de gifles qui peuvent réveiller l'auditoire de son hypnose. Par exemple, dites «une structure théorétique ouverte à la transcendance», plutôt que «une philosophie non-athée». Ou encore «clarifier les ambiguïtés noétiques», plutôt que «chercher la vérité», etc.
5.4) Soyez radins avec les points. Faites des phrases longues. Essoufflez l'attention du lecteur. Éloignez le sujet du prédicat, sinon les gens pourraient voir que votre affirmation est fausse.
5.5) Soignez votre style. On n'attire pas les mouches avec du vinaigre. Il faut parler bien, poétiquement. Si le style de votre écriture est fascinant, on portera d'autant moins attention sur le fond de vos propos.
5.6) Usez de l'inflation verbale. Voir entre autres L'inflation verbale et la pensée appauvrie.
5.7) Soulevez les émotions, et mentez audacieusement. La plupart des gens se fichent bien des faits, à condition qu'ils se sentent bien en écoutant vos paroles.
Pour devenir un pseudo-philosophe riche et célèbre, il ne faut pas être le gardien d'une tradition. Il faut être un éclatement de créativité, un «Point Oméga» de l'histoire intellectuelle de l'humanité, une nouvelle nouveauté, originale, unique et jamais vue auparavant.
N'oubliez pas qu'un bon sophiste est un expert en marketing. Que font les experts en marketing pour augmenter les ventes d'un produit? Ils changent l'étiquette, en rajoutant «Nouveau et Amélioré»! Ça marche à tout coup!
Comment peut-on inventer une nouvelle théorie pseudo-philosophique? Voici une recette de cuisine qui a déjà fonctionné pour plusieurs sophistes célèbres:
6.1) Cachez la tradition derrière votre égo ou quelque chose d'autre. Il y a une tradition philosophique qui dure depuis des milliers d'années, la «Philosophia Perennis», mais ne mentionnez surtout pas son existence! (Voir entre autres Tous les philosophes se contredisent!). Ne mettez pas de bibliographie dans votre livre. Si vous mentionnez l'existence des autres philosophes, au moins essayez de cacher Aristote et saint Thomas d'Aquin. Si un étudiant subversif a déjà mentionné leur existence, déclarez sans preuves qu'ils sont désuèts, et changez rapidement le sujet de la conversation.
6.2) Choisissez un sujet à la mode. N'oubliez pas que votre but est de créer une mode philosophique, puis ensuite de «traire» cette mode comme une vache à lait. Il faut donc avoir un certain flair pour trouver un sujet populaire. Par exemple, la résolution de conflits passe très bien, car partout autour de nous on voit des «chicanes», des guerres, des luttes de pouvoir, etc.
6.3) Parlez en mal des théories existantes. Supposons par exemple que vous avez décidé d'inventer une nouvelle théorie concernant les négociations. Une négociation peut être bien faite, ou mal faite, mais ne le dites pas à vos auditeurs. Décrivez plutôt une mauvaise négociation, tout en la présentant comme étant «la théorie traditionnelle des relations humaines».
6.4) Inventez votre nouvelle théorie. Pour reprendre notre exemple des négociations, inventez le «partenariat conflictuel». Décrivez une bonne négociation, mais n'appelez surtout pas ça «bonne négociation»! Prétendez que tous les autres avant vous n'ont rien compris, et que vous avez découvert le «partenariat conflictuel», LA NOUVELLE NOUVEAUTÉ en matière de résolution de conflits.
6.5) Trouvez un nom unique pour votre théorie. Un peu comme les sites web qui doivent avoir un nom unique pour qu'on puisse les trouver sur l'Internet, un sophiste doit avoir un nom de théorie unique. Choisissez-le soigneusement, car cela fait partie de votre image de marque. Par exemple, la «Neurophilosophie» (la mauvaise vieille erreur philosophique du matérialisme, avec un nom nouveau et amélioré!). Ou encore «la pensée critique» (c'est-à-dire la logique). Ou encore «l'intelligence émotionnelle» (excellente contradiction dans les termes, avec en plus une mauvaise définition de l'intelligence au départ), etc.
6.6) Établissez votre théorie sur des bases absurdes. Un peu comme une haute montagne dont la cime est toujours cachée par des nuages, votre théorie sophiste doit cacher ses fondements, afin d'éviter d'être démasquée. La «grenade fumigène intellectuelle», c'est tout simplement nier le principe de non-contradiction. Supposons que votre nouvelle science s'appelle «la Scoubidou-logie». On sait qu'un «rond carré» est absurde. Donc vous pourriez dire que «les angles droits du Scoubidou se trouvent dans sa rondeur». En fait, ici même dans ce texte, j'ai déjà cité un célèbre «philosophe» qui dit ce genre de niaiseries. L'avez-vous remarqué? Voici un autre exemple, tiré du roman Le nom de la rose d'Umberto Eco: «La seule vérité, c'est d'apprendre à se libérer de cette passion folle pour la vérité». [cité dans: Ratzinger, Josef. Truth and Tolerance, San Francisco, Ignatius, 2004, p. 186].
6.7) Flattez l'orgueil de l'auditoire pour qu'il accepte cette base de votre théorie. Vous pouvez dire des choses comme: «Pour comprendre clairement les bases de cette théorie, il faut à la fois une grande intelligence et une grande ouverture d'esprit», etc. En d'autres mots, affirmez que les habits neufs de l'Empereur sont faits d'un tissu intellectuel si digne et si élevé, que seul les génies peuvent le voir. Comme l'orgueil est un vice quasi-universel, votre argument rhétorique va probablement fonctionner.
6.8) Rattachez toutes vos affirmations à cette base. Une fois votre théorie établie de cette façon, vous n'avez qu'à dire que c'est là le fondement de toute votre doctrine. Comme ce fondement «existe», le principe de non-contradiction n'existe pas, donc vous pouvez tout déduire de n'importe quoi. L'auditeur ne peut jamais revenir aux principes pour valider vos affirmations, car cette base est derrière la fumée, et cette base est "vraie" comme en témoigne son orgueil.
Bien sûr, dans la vraie vie, même les pires pseudo-philosophes peuvent dire de grandes vérités, et même les plus grands sages peuvent commettre des erreurs. Ce n'est pas parce qu'il y a des sophistes, que donc tous les penseurs sont totalement bons, ou totalement mauvais!
Cela étant dit, l'étude de l'histoire de la philosophie (et l'étude des «penseurs» à la mode de nos jours) nous montre malheureusement que les sophistes existent, et qu'ils causent un grand tort à l'humanité.
Socrate est considéré comme le «Père de la philosophie», non pas tellement parce qu'il a fait de grandes découvertes philosophiques, mais parce qu'il a lutté contre les sophistes, c'est-à-dire les assassins de la vrai philosophie. Les sophistes se prétendaient sages, Socrate se prétendait ignorant. Les sophistes demandaient un salaire en échange de leur savoir, Socrate enseignait gratuitement. Les sophistes utilisaient un langage recherché et savant, Socrate parlait simplement. Les sophistes changeaient leur doctrines pour faire plaisir à leurs maîtres, Socrate a préféré mourir pour la vérité.
N'ayons pas peur d'imiter Socrate. C'est moins payant, mais plus édifiant!
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