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Thèse 9. - L'instrument au sens propre exerce sa causalité par une double vertu active: 1) l'une, qu'il tient de sa nature propre et qui lui permet de coopérer à l'action de la cause principale (vertu propre); 2) l'autre, qui dérive en lui de la motion actuelle de la cause principale et par laquelle il est proportionné à l'effet à produire (vertu instrumentale).
A) Explication.
§237). La cause principale et l'instrument sont deux causes efficientes subordonnées qu'il ne faut pas confondre avec les causes partielles coordonnées produisant de concert un effet total en agissant sur le même plan, comme deux chevaux tirant un char. Tout autre est le cas envisagé ici, par exemple, la coopération du ciseau et du marteau avec le sculpteur pour faire une statue en marbre. Analysons cet exemple: nous constatons sans peine que la production de la forme de la statue a une double relation de dépendance réelle, l'une vis-à-vis du sculpteur qui l'a conçue (cause exemplaire) et qui par son action tire cette forme de la puissance du bloc de marbre (cause efficiente); - l'autre, vis-à-vis des instruments qui concourrent à tirer cette même forme de la puissance du bloc de marbre (cause efficiente). D'autre part, la forme de la statue est quelque chose d'indivisible; le sculpteur et ses instruments n'en sont donc pas causes partielles, en ce sens qu'ils en produiraient chacun une partie, l'un la tête, l'autre le tronc par exemple; mais c'est toute la forme de la statue qui dépend toute entière du sculpteur et toute entière aussi de ses instruments. Ce sont deux causes totales.
Cela est possible d'ailleurs, parce que le même effet ne dépend pas au même titre de l'un et des autres. Il y a en lui comme deux aspects subordonnés qui correspondent aux deux influences causales subordonnées. D'une part, la production d'une forme artistique suppose l'intelligence et à ce point de vue, qui est le plus parfait et qui achève la création de la statue, (aspect perfectif), l'effet ne peut se rapporter qu'à l'artiste qui seul lui est proportionné. D'autre part, le marbre par sa dureté offre une résistance qui doit être vaincue par un tranchant approprié. Ici le ciseau et le marteau ont leur rôle à jouer en dégrossissant ou taillant le marbre pour le disposer à recevoir la beauté de l'idéal (aspect dispositif). Entre ces deux aspects, dispositif et perfectif, il n'y a d'ailleurs qu'une distinction de raison, car c'est en taillant le marbre que le sculpteur l'embellit. Il n'y a donc qu'un seul effet total, la statue, dépendant à la fois, sous deux aspects différents, de deux causes efficientes distinctes mais subordonnées.
Dans cet exemple, le sculpteur a réellement besoin de ses instruments pour suppléer à son impuissance: placé seul en face du marbre, nulle statue n'apparaîtrait. Cette circonstance n'est cependant pas indispensable et l'on peut concevoir un agent capable à lui seul de réaliser l'oeuvre, mais qui veut bien s'associer une cause inférieure à laquelle il communique la puissance de collaborer à la production de son effet. C'est ainsi que Dieu sera cause principale, utilisant ses créatures sans en avoir besoin, pour réaliser ses desseins.
D'un autre côté, la cause efficiente subordonnée peut très bien être une cause intelligente, un homme ou un ange; et dans ce cas, la cause principale peut se contenter de la mouvoir dans l'ordre de la cause finale en lui commandant ou lui promettant une récompense; par exemple, lorsque David commande à ses soldats de tuer l'assassin de Saül; l'oeuvre ainsi accomplie revient toute entière et au Roi et à ses serviteurs, et en ce sens on parlera encore de cause instrumentale: c'est le cas du ministre ou instrument moral.
Au sens strict cependant, cette notion demande que l'effet produit ait une perfection supérieure, inaccessible à l'action de l'instrument et relevant donc sous son aspect perfectif, de la seule cause principale. Cette condition peut se réaliser, non seulement dans l'ordre physique de la cause efficiente, comme pour la statue et le ciseau; mais aussi pour l'instrument moral, si par exemple, un émissaire du gouvernement communique ou prend des décisions dont l'efficacité dépasse sa propre autorité. Néanmoins, au sens propre, l'instrument désigne une cause efficiente subordonnée et produisant un effet dont la perfection la dépasse. D'où les définitions suivantes:
1. La cause principale est une cause efficiente produisant par sa vertu propre un effet qui lui est proportionné; par exemple, un homme prononçant un discours, un pommier produisant des pommes.
2) La cause instrumentale a) au sens large désigne toute cause subordonnée à un autre; par exemple, le serviteur, instrument de son maître pour faire une aumône; l'oeuvre ne le dépasse pas et il ne reçoit qu'une motion morale, mais il y a deux êtres subsistants bien distincts dont l'un meut l'autre pour accomplir une seule oeuvre attribuable aux deux.
b) Au sens strict, l'instrument est une cause subordonnée de façon à devenir capable de produire un effet qui le dépasse; par exemple, l'émissaire parlant au nom du gouvernement, le pinceau produisant le chef-d'oeuvre de Raphael, etc. Cette dernière se réalise de trois façons:
1. L'instrument physique est celui qui agit dans l'ordre de la cause efficiente.
2. L'instrument moral est celui qui est mû dans l'ordre de la cause finale.
3. L'instrument logique est celui qui agit comme signe de la connaissance, à savoir le mot porteur de l'idée.
c) L'instrument au sens propre est l'instrument physique, cause efficiente subordonnée rendue capable de produire un effet qui la dépasse grâce à la motion d'une cause principale.
§238). La thèse distingue en cet instrument une double vertu, appelée «propre» et «instrumentale», la vertu n'étant ici rien d'autre qu'une certaine perfection ou puissance active en vertu de laquelle une cause efficiente est capable d'agir (acte premier) et agit en fait (acte second).
On appelle vertu propre, toute perfection affectant un être d'une façon permanente et constituant ainsi un principe d'action proportionné à cet être; par exemple, la chaleur que possède l'eau et qui lui permet de chauffer un autre objet au bain-marie. Cet exemple montre que la permanence exigée est relative; le point essentiel est que la qualité considérée soit proportionnée au sujet et forme avec lui un composé physique capable de subsister au moins un certain temps; ou, au sens moderne, un «phénomène» capable d'être un antécédent causal dans un changement. Ainsi toutes les facultés naturelles et aussi toutes les qualités ou habitudes acquises, comme les sciences et les arts, sont des vertus propres et dans le monde inanimé, toutes les propriétés physiques, chimiques, etc. chaleur, lumière, courant électrique, force radioactive, etc.
La vertu propre appartient d'abord à la cause principale et caractérise son action en la proportionnant à son effet. Mais on la trouve aussi dans l'instrument par rapport à l'aspect dispositif qui lui est proportionné; ainsi, c'est par sa vertu propre de dureté et d'acuité que le ciseau taille le marbre. Mais l'instrument possède en plus, lorsqu'il agit, une autre vertu qui ne se trouve qu'en lui et est dite, pour cela, instrumentale.
La vertu instrumentale est une perfection reçue par mode de motion, comme un principe d'action haussant l'agent jusqu'à un effet plus parfait que lui, disproportionné à ses forces naturelles. Son caractère essentiel est d'être donné uniquement en vue de l'action supérieure et, normalement, au moment de cette action; et en ce sens on l'appelle aussi «vertu passagère» pour l'opposer à la vertu propre qui est permanente; mais ce caractère d'être transitoire dans le temps n'est pas aussi essentiel que d'être une motion vers un effet supérieur [°361].
La preuve de la thèse montrera mieux l'existence et la nature de cette vertu instrumentale.
B) Preuve de la thèse.
§239) 1. - Vertu propre. Toute véritable cause efficiente possède une vertu propre, c'est-à-dire une perfection qu'elle peut communiquer ou qui la rend apte à produire efficacement un effet: c'est sa définition même.
Or l'instrument physique est une véritable cause efficiente; le signe en est que l'effet ne commencerait pas à exister sans son intervention: sans outils, la statue ne sortira pas du marbre. Un autre signe est qu'on ne peut se servir de n'importe quel instrument pour une oeuvre déterminée; le pinceau qui fait merveille aux mains du peintre est inutile au sculpteur.
Donc toute cause instrumentale possède d'abord une vertu propre. Cette vertu qui résulte de sa forme propre est précisément ce qui la rend apte à être surélevée par la cause principale, en produisant un aspect dispositif à travers lequel l'agent supérieur réalise la perfection dernière de l'effet.
§240) 2. - Vertu instrumentale. Toute cause efficiente doit posséder en soi, d'une façon ou d'une autre, lorsqu'elle produit un effet, la perfection de l'être nouveau qui dépend d'elle dans son apparition; autrement, cette relation de dépendance serait inintelligible.
Or, au moment où l'instrument est manié par la cause principale, il produit réellement l'effet total, comme il ressort de l'analyse des faits.
Donc, en ce moment, il doit posséder en lui la perfection d'un effet qui dépasse ses propriétés naturelles; le ciseau du sculpteur, par exemple, agit en un certain sens avec intelligence pour produire la beauté artistique. Il ne possède évidemment pas cette perfection comme vertu propre, puisqu'elle lui est disproportionnée: jamais un ciseau ne peut être sujet au sens propre d'un phénomène d'intelligence. Donc il la possède seulement par mode de motion, comme une participation à la perfection de la cause principale, mais uniquement en vue de l'oeuvre commune à réaliser.
On voit le caractère à la fois réaliste et modéré de la doctrine. Les outils ne sont nullement changés en eux-mêmes; ils conservent leur nature avec leurs propriétés, celle du fer pour le ciseau, par exemple, et rien de mystérieux ne se passe en eux. Mais quand ils coopèrent à la production de l'effet qui les dépasse, ils sont comme investis par la direction de la cause principale. Cette influence évidemment efficace, leur confère alors un mode d'être, une perfection spéciale qui les rend aptes à coopérer utilement à l'oeuvre entreprise. La vertu instrumentale est nécessaire pour que la cause subordonnée soit pleinement en acte premier vis-à-vis de l'effet qui la dépasse. Elle n'a d'autre rôle que de l'appliquer à son action; elle n'existe en elle que sous la motion de la cause principale, tant que cela est nécessaire pour réaliser son oeuvre; celle-ci, a proprement parler, n'a pas deux relations de dépendance, mais plutôt une dépendance double, à savoir, elle dépend de la cause principale par les instruments. C'est ainsi que les instruments du sculpteur participent en quelque manière à l'intelligence de l'artiste; et que la matière et la forme des sacrements employés par Dieu pour produire la grâce participent à la vertu divine.
C) Corollaires.
§241) 1. - Diverses applications. On classe les instruments d'après les causes principales qui s'en servent; or celles-ci sont au nombre de trois: l'art [°362], la nature et Dieu; d'où la division en instruments artificiels, naturels et surnaturels.
a) Les instruments artificiels sont ceux qui ont été inventés par l'homme pour réaliser ses conceptions artistiques et toutes les créations de sa raison pratique ou de ce qu'on appelle l'imagination créatrice [§499]; ils sont mis en oeuvre par un simple mouvement local. Tels sont les instruments de tous genres des artistes et des ouvriers et toutes les machines combinées par la technique.
b) Les instruments naturels sont ceux que les êtres du monde matériel doués d'un degré de perfection supérieur utilisent en s'appuyant sur les degrés inférieurs pour atteindre leur propre but; ainsi les réactions chimiques des sucs intestinaux servent d'instrument aux puissances vitales pour réaliser la digestion. On range parmi eux les divers membres du corps, s'ils sont adaptés à un travail déterminé, comme une sorte d'outil fourni par la nature; ainsi la main de l'homme, et chez les animaux, les organes adaptés à l'instinct, dans l'oiseau, pour faire son nid, dans l'abeille, pour fabriquer le miel, etc.
c) Les instruments surnaturels désignent des créatures que Dieu choisit librement pour les faire collaborer à la production d'effets dépassant les forces normales de la nature, comme les sacrements pour conférer la grâce, ou encore, l'Humanité sainte du Christ dont le Verbe de Dieu se servait pour opérer les miracles évangéliques. Cette troisième catégorie n'est plus du domaine de la philosophie; car lorsque Dieu se sert des créatures pour réaliser ses desseins en leur faisant produire des effets qui ne dépassent pas leur puissance d'action naturelle, il manque un élément essentiel pour que se réalise la causalité instrumentale. On parle alors de cause première et cause seconde, dont l'étude, philosophique cette fois, relève de la Théodicée [§1045].
§242) 2. - Instruments conjoints ou séparés. On voit par les exemples cités que, si l'on considère le rapport des instruments à la cause principale, les uns ne forment avec elle qu'un seul composé subsistant ou une même personne; ainsi la main de l'homme, le bec de l'oiseau; et dans l'ordre surnaturel, l'Humanité du Christ: on les appelle instruments conjoints. Les autres constituent des êtres subsistants bien distincts: ce sont les instruments séparés. Ces derniers seuls réalisent vraiment toutes les conditions de l'instrument au sens propre; car la cause efficiente, selon sa définition, désigne proprement le composé subsistant complet, l'agent, ou, en formule moderne; le «phénomene» qui, à titre d'antécédent, est séparé du conséquent. Dans un être complexe, comme l'animal ou l'homme, les parties ou les fonctions douées de degrés de perfection divers auront entre elles des relations de subordination; et en ce sens, on parlera encore d'instruments, mais ce sera au sens large et impropre.
§243) 3. - Instruments perfectifs et dispositifs. Si l'on considère l'instrument par rapport à l'effet produit, on distingue parfois l'instrument dit «perfectif», dont la causalité s'étend jusqu'à la production de la nouvelle forme; comme dans les oeuvres d'art; - et l'instrument dit «dispositif» dont la causalité s'arrête à la production d'une disposition qui exige naturellement l'apparition d'une nouvelle forme, produite par une cause supérieure indépendamment de l'instrument; telle serait pour certains théologiens la causalité des sacrements par rapport à la grâce. Ce dernier ainsi défini n'est plus qu'un instrument au sens large, qui ressemble beaucoup à la cause occasionnelle de Malebranche [PHDP §343]. C'est dans un tout autre sens que le véritable instrument a un rôle dispositif, par lequel précisément il est cause totale à sa façon, de l'effet produit; en même temps que la cause principale.
Thèse 10. - 1) Le principe de finalité s'étend à tout être en tant qu'il est comme tel cause efficiente. 2) Son évidence qui est immédiate, est celle même du principe d'identité.
A) Explication.
§244). C'est surtout dans notre psychologie humaine que nous constatons par introspection l'existence et l'activité des causes finales; aussi en reprendrons-nous en détail l'analyse plus loin [§761, sq]. Il s'agit seulement ici d'en fixer la notion la plus générale, comme une des premières déterminations de l'idée d'être, complétant celle de causalité efficiente. Pour cela il convient d'abord de mieux préciser la notion de fin.
1) La fin au sens le plus général désigne simplement le point d'arrivée d'un mouvement ou le terme d'une action, toute action se présentant sous l'aspect d'un mouvement où l'agent comme le patient passe de la puissance à l'acte; en ce sens, tel degré de chaleur sera la fin de la caléfaction.
Toute fin est un certain bien, parce que le terme de tout mouvement est une certaine perfection donnée et acquise, et que la perfection, comme nous l'avons dit [§176], est le fondement de la bonté. C'est pourquoi toute fin est un objet d'appétit, selon la définition du bien: «l'être capable par sa perfection de satisfaire un appétit».
2) Mais ce terme de l'action peut être pris de deux façons; ou dans l'intention de l'agent, ou dans l'oeuvre déjà exécutée.
a) La fin dans l'intention désigne une perfection précontenue dans un agent à la façon d'un bien spécifiant son appétit; par exemple, la perfection idéale de la statue que le sculpteur possède en soi et qu'il décide d'imprimer dans le marbre.
b) La fin dans l'exécution est la perfection ou le bien déjà réalisé par l'agent et devenue la perfection du patient; par exemple, la forme de la statue achevée qui embellit désormais le marbre.
Cette appellation «fin dans l'intention» se réfère au sens propre à la psychologie de notre volonté [§768], bien que nous l'ayons définie d'une façon assez large pour l'appliquer à tout agent même purement naturel et inconscient; ainsi dans la caléfaction, on dira que la chaleur précontenue dans le foyer est la «fin dans l'intention». Pour éviter tout anthropomorphisme, on pourrait parler simplement de la fin comme cause opposée dans l'exécution à la fin comme effet; car il est clair que la fin dans l'exécution est simplement le résultat de l'action et nullement sa cause: celle-ci ne peut donc être que la fin dans l'intention.
Notons encore que si nous constatons par introspection la réalité psychologique de cette influence d'un bien attirant notre appétit et déterminant ainsi nos décisions, il n'y a aucune raison de transporter cette réalité «morale» dans l'activité des êtres inconscients. Nous considérons ici cette «influence» abstraction faite de cet aspect psychologique, et prenant la finalité en son sens le plus général, nous la définirons: «Le rapport d'une action à un bien qui la spécifie».
3) Notre psychologie nous suggère encore quelques remarques et précisions. Parfois, en effet, notre but est d'entrer en possession d'un bien existant réellement («finis consequendus»); ou bien de produire par une action un être, c'est-à-dire un bien nouveau («finis efficiendus»).
De plus, en tant qu'agent par l'intelligence, la fin de l'oeuvre elle-même ne se confond pas toujours avec la fin de l'agent; ainsi, nous pouvons faire l'aumône, non pas en vue de soulager les pauvres («finis operis») mais par vaine gloire ou pour réparer nos torts («finis operantis»). Cette dernière fin est d'ordre moral et s'ajoute sans la détruire à la fin de l'action elle-même. Bref:
a) La fin de l'agent est un bien que l'on se propose librement d'obtenir.
b) La fin de l'action est un bien auquel l'action est ordonnée par sa nature même et qui, par conséquent, la spécifie.
En laissant de côté les aspects propres à la psychologie humaine, on trouve que toute action a ainsi sa fin propre, et que cette fin est toujours un certain bien produit qu'un agent communique et qu'un patient reçoit. Et c'est en ce sens très général que nous prenons ici la fin comme cause: fin à produire («finis efficiendus») et fin de l'action même («finis operis»).
§245). 4) Pour se dégager de la finalité humaine ou de toute finalité intentionnelle, qui exigerait la connaissance du but, certains auteurs définissent la finalité en général comme «l'adaptation de moyens à des fins» [°363]. Cette expression doit être analysée pour être claire.
a) On peut la prendre au sens statique et objectif, et elle suppose plusieurs réalités ordonnées l'une à l'autre pour former un tout; par exemple, la finalité des rouages d'une montre ou des organes du corps vivant. C'est alors le problème de l'ordre ou de la multiplicité unifiée [§862, sq]. Mais comme les parties conçues comme moyen ne se sont pas ordonnées elles-mêmes, on retrouve, sous-jacente à la finalité objective, une finalité active (ou subjective) qui en est la cause efficiente. Sous la finalité des rouages, par exemple, il y a la finalité des actes de l'horloger qui les fabrique et les agence. En ce premier sens, l'expression reste imprégnée d'anthropomorphisme.
b) Il en est de même évidemment si on la prend au sens dynamique complexe pour désigner précisément ces divers actes d'un agent adaptant des moyens à une fin; car une telle adaptation suppose la connaissance.
c) Mais on peut la prendre en un sens dynamique très simple pour désigner l'adaptation d'une action à son terme, par exemple, l'adaptation de la respiration cellulaire à la conservation de la vie; ou l'adaptation de la caléfaction du foyer à la chaleur produite; en concevant en général toute action comme un moyen par lequel l'agent atteint un résultat. Tel est le sens tout à fait primitif, le plus simple que nous adoptons ici et qui nous fait définir la finalité: «Le rapport d'une action au bien qui la spécifie».
5) Il suit de là que le principe de finalité ne concerne pas l'être pris en lui-même d'une façon statique, mais l'être en tant qu'agent ou comme cause efficiente. Il ne se formule donc pas «Tout être a une fin» [°364]; mais bien: «Tout agent agit pour une fin», «Tout être, en tant que cause efficiente, a une fin».
B) Preuve de la thèse.
§246) 1. - Universalité du principe. Tout être comme tel, avons-nous dit [§236], est cause efficiente en acte premier; possédant un certain acte, il est capable de le communiquer, il est en puissance à agir. Mais on parle évidemment d'un être subsistant, formant un tout indépendant des autres; il n'en serait pas de même d'un être partiel qui pourrait être, par exemple, une puissance pure comme la matière, réelle, mais incapable d'agir.
Or le principe de finalité énonce la nécessité pour tout agent d'avoir une fin lorsqu'il passe à l'acte second.
Donc il concerne tout être subsistant sans exception.
§247) 2. - Son évidence. Il suffit de comprendre le sens des mots pour saisir immédiatement l'évidence du principe «Tout agent agit pour une fin». Le nier serait nier le principe même d'identité.
En effet, qui dit «action» (ce par quoi l'agent agit), dit par définition un certain mouvement ou passage de la puissance à l'acte, dont la nature même est déterminée et spécifiée par son point d'arrivée ou par son terme; par exemple, qui dit «caléfaction» dit chaleur produite; qui dit «vision» dit un objet vu: Toute action est un être relatif qui se comprend par son terme. Affirmer qu'une action existe et qu'elle n'a pas de terme, c'est affirmer à la fois qu'elle a sa nature déterminée (puisqu'elle existe) et qu'elle ne l'a pas (puisqu'elle n'a pas de terme): c'est une contradiction flagrante.
Or la fin au sens où nous l'avons définie n'est rien d'autre que ce terme spécifiant l'action.
Donc affirmer qu'une action existe et qu'elle n'a pas de fin; qu'un agent agit et qu'il n'agit pas pour une fin, c'est une contradiction dans les termes. L'évidence du principe de finalité bien comprise est celle même du principe d'identité.
C) Corollaires.
§248) 1. - Diverses applications. Comme tout principe premier, le principe de finalité n'a d'utilité scientifique que par ses applications particulières; et celles-ci sont beaucoup plus complexes et prennent des formes très variées. On distingue en particulier la finalité inconsciente des minéraux et des plantes (appétit naturel), et la finalité consciente, mais nécessaire, des animaux (appétit spontané), et la finalité libre des êtres intellectuels (volonté); et nous montrerons qu'elle s'applique même à Dieu, Volonté infinie, réalisant ainsi une nouvelle fois la notion de perfection pure et par conséquent analogique.
Il est clair que chacune de ces applications demande une étude spéciale et apporte des précisions nécessaires. Mais le principe dans sa généralité tel que nous venons de l'établir doit en être le fondement comme une première évidence dont les autres thèses ne sont que des explicitations.
§249) 2. - Le hasard. Le hasard est proprement le caractère d'un effet qui se trouve en dehors de la finalité de l'agent par lequel il est matériellement produit; ou encore, en donnant à «intention» le sens très général de «fin dans l'intention» [§244]: c'est «ce qui est produit en dehors de l'intention de l'agent». Lorsqu'il s'agit des actions humaines, on l'appelle aussi le sort. Par exemple, la rencontre inattendue d'un ami à la gare où l'on va prendre le train: on dira «C'est un hasard», qualifiant ainsi l'effet lui-même, ici, la rencontre; ou bien «C'est un effet du hasard», ne voulant attribuer à aucun des deux hommes cette chose réelle qui est la rencontre, puisque aucun des deux ne l'a voulue, on l'attribue à une cause inconnue qui n'en est pas une au fond, et qu'on appelle le «hasard».
Si, en effet, «tout agent agit pour une fin», un effet produit en dehors de la finalité est un effet sans cause. Faire appel au hasard pour expliquer un phénomène, si celui-ci est réel, c'est donc une absurdité, et nulle attitude n'est plus anti-scientifique, si on la prend ainsi d'une façon absolue.
Mais souvent on parle de «hasard» d'une façon relative, c'est-à-dire, non plus comme un effet en dehors de toute finalité, (hasard absolu); mais comme un effet, d'une part parfaitement expliqué dans son ordre par des causes proportionnées qui l'embrassent dans leur finalité; mais, d'autre part, restant par rapport à une certaine autre cause, en dehors de son intention ou de sa finalité. Par exemple, la rencontre des deux amis, prise comme fait physique ou phénomène réel, est l'effet nécessaire des mouvements locaux convergents des deux hommes; dans cet ordre des deux «actions de translation», il n'y a nul hasard, et cette finalité de l'action (finis operis) suffit pour en expliquer toute la réalité. Mais au point de vue de la volonté des deux amis, cet aspect de l'effet n'a été ni prévu, ni voulu et reste donc un effet du hasard. Pris ainsi relativement à tel ou tel agent de la nature dont l'efficacité est limitée, le hasard joue un rôle très légitime. Il exprime les aspects de la réalité qu'il ne faut pas attribuer à la cause efficiente invoquée, parce qu'ils sont en dehors de sa finalité; mais qu'il faut expliquer par d'autres causes. Par exemple, le nombre des feuilles d'un arbre résulte simplement des conditions matérielles ambiantes: c'est un «effet de hasard» par rapport aux puissances végétatives de l'arbre. De même, l'effet d'une «cause efficiente par accident» [§231] peut s'appeler aussi «hasard»; le fossoyeur qui produit «par accident» la découverte du trésor, l'a trouvé, dit-on, par un «heureux hasard» ou une bonne fortune. La notion ainsi définie n'est plus un déni d'explication, mais souligne simplement les limites de la causalité envisagée.
Et s'il existe une cause efficiente assez parfaite pour que nul mode d'être dans la nature n'échappe à son efficacité, comme nous le dirons de Dieu, à son égard, évidemment, il ne pourra plus être question de hasard.
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