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b26) Bibliographie spéciale (Les phénomènes qualitatifs)
§313). Le fait d'expérience fondamental du changement physique [§252] base de toute la philosophie naturelle, considéré sous son aspect le plus apparent de changement successif et accidentel, nous a permis jusqu'ici d'établir clairement les propriétés quantitatives communes à tous les êtres matériels. Nous avons ainsi rencontré trois groupes principaux de changements: a) dans l'ordre du continu, l'augmentation et la diminution; b) dans l'ordre du nombre, l'addition et la soustraction; c) dans l'ordre du lieu, la translation, rotation, etc. ou «mouvement» au sens strict, auquel on peut rattacher le changement de temps qui engendre la vitesse.
Mais, malgré les innombrables combinaisons obtenues en sciences modernes par l'application de la mesure et des nombres à ces diverses formes de changement; il reste un groupe très important de phénomènes physiques parfaitement observables, qui ne trouvent nullement leur raison d'être dans l'ordre quantitatif étudié jusqu'ici. Ce sont les phénomènes qualitatifs qui nous amènent à la connaissance d'un dernier mode d'être spécial ou prédicament: la qualité. Comme bon nombre de penseurs modernes, exagérant la portée des sciences positives, ont nié la réalité de ce mode d'être, nous devons d'abord démontrer par induction l'existence des qualités; il faudra ensuite en donner la division, en distinguant les qualités spirituelles de celles qui restent soumises aux conditions matérielles. Ces dernières, en effet, peuvent être mesurées, et cette propriété montre la grande part de vérité que possède l'étude quantitative du monde physique. D'où les trois paragraphes de cet article:
1. - Existence de la qualité
2. - Division de la qualité
3. - Mesure des qualités
Thèse 19. - Les phénomènes physiques ne sont intelligibles que par l'existence d'un mode d'être accidentel spécial, distinct réellement de tout mode d'être quantitatif: la QUALITÉ. On la définit: «L'accident qui détermine la substance sous forme d'acte ou de perfection».
A) Explication.
§314). Les phénomènes quantitatifs, quels qu'ils soient, se retrouvent également dans tous les êtres de l'univers; les hommes et les animaux aussi bien que les plantes et les minéraux possèdent un volume ou une extension, sont soumis à la division, sont localisés et mesurés par le temps. Il n'en est pas de même pour les qualités qui, dès l'abord, apparaissent diversement distribuées, plus nombreuses, par exemple, et plus riches chez les hommes qui sont, par elles, rois de la nature; et c'est une première preuve immédiate et intuitive de la distinction entre ces deux modes d'être. Mais nous voulons ici en donner une définition précise selon les règles de l'induction. Sans préjuger de l'extension possible de la notion à l'ordre spirituel, nous nous en tiendrons d'abord au monde corporel et aux «changements physiques» définis comme phénomènes accessibles à notre expérience sensible.
D'ailleurs, il s'agit ici du phénomène qualitatif dans toute sa généralité. Nous définissons la qualité comme genre suprême, en réservant à plus tard ou à d'autres sciences le soin de préciser les diverses espèces. Aussi pouvons-nous sans inconvénient, pour cette première approximation, faire appel surtout aux faits d'expérience ordinaire, dont le témoignage, à ce premier degré très général, est pleinement évident. Cependant les spéculations des sciences modernes, loin de contredire ces faits, les confirment avec éclat et s'appuient constamment sur eux, comme nous le montrerons par une deuxième série de faits.
B) Preuve d'induction.
§315) 1. - Première série de faits. 1. Tout le monde donne le nom de qualité à certains phénomènes, comme la couleur blanche de la chaux, la chaleur d'un foyer, etc. Considérons ces faits plus objectifs, en négligeant ceux où se mêlent des réactions subjectives, comme la saveur des aliments. Ces propriétés se présentent directement à nos constatations, sans se référer à d'autres, comme ce serait le cas d'une ressemblance; elles ont de quoi s'expliquer en elles-mêmes: ce ne sont pas des êtres relatifs, mais des propriétés absolues [§192].
2. Ces propriétés sont variables; et de façon indépendante par rapport à la substance et aux autres accidents quantitatifs analysés jusqu'ici. Ainsi, le fer rougi au feu peut se refroidir, perdre sa couleur et sa chaleur en restant toujours du fer. Inversement, les qualités peuvent rester les mêmes quand varient les autres accidents. Cela est très clair pour le temps et le lieu; un homme, par exemple, en changeant de salle, y porte toutes ses qualités et ses défauts. Ce n'est pas moins sûr pour la quantité extensive: une couleur blanche est la même pour une petite ou une grande surface, une petite ou grande masse de chaux, etc.
3. Ces qualités n'existent jamais à l'état séparé dans la nature, comme la couleur et la chaleur du monde platonicien qui ne serait que de la couleur ou de la chaleur; ce sont toujours des propriétés d'un corps, d'un «composé physique subsistant» bien déterminé: le «blanc» sera de la céruse ou du carbonate de chaux; la chaleur sera celle du fer ou du carbone, etc. Les conceptions modernes représentant certaines qualités sous formes de corpuscules élémentaires, comme la lumière constituée de photons, l'électricité (négative) d'électrons, ne s'opposent nullement à cette troisième constatation; car un tel corpuscule, s'il existe, ne sera rien d'autre qu'une «particule matérielle», c'est-à-dire précisément un corps subsistant doué de lumière ou d'électricité. Ce ne sont là d'ailleurs que des «théories» ou hypothèses [°404] qui laissent intacts les nombreux faits d'expérience très évidents qui fondent notre induction.
Or il faut considérer comme un mode d'être accidentel spécial, distinct réellement, et de la substance, et de la relation, et des autres accidents quantitatifs, une propriété absolue qui varie de façon indépendante et n'existe que dans un autre comme en son sujet d'inhésion.
Ce principe est évident d'après les notions établies plus haut, en particulier, celles de substance et d'accident [§207-209].
La qualité existe donc comme mode d'être accidentel spécial.
§316) 2. - Deuxième série de faits. 1. Les sciences modernes de la nature, spécialement physico-mathématiques, (mécanique, astronomie, physique, chimie), mettent avant tout en relief les aspects quantitatifs des phénomènes. Cependant, leur point de départ est toujours fondé sur une constatation prise comme donnée pleinement évidente et totalement irréductible aux phénomènes d'ordre purement quantitatif. La mécanique étudie la force, puissance d'impulsion par le choc, ou gravitation dans les astres; la physique rencontre successivement, après la pesanteur, cas particulier de la gravitation, les phénomènes de son, de chaleur, de lumière, d'électricité, de magnétisme, qui fournissent chacun un point de départ bien spécial aux calculs; et la chimie se fonde sur le fait de l'affinité qui se prolonge dans la radioactivité des atomes. Tandis que les aspects uniquement quantitatifs sont épuisés par les sciences exactes, (géométrie pour le continu, mathématique pour le nombre), on trouve ici des objets tout nouveaux qui donnent lieu chaque fois à une nouvelle science appliquée, usant des mêmes lois quantitatives (équations et formules) à propos d'objets différents: preuve évidente que ces objets sont d'un autre ordre que l'ordre quantitatif. Et comme ces objets sont incontestablement réels, comme le montre la nécessité de suivre les exigences de l'expérience dans le développement de la physique mathématique, nous avons bien un mode d'être distinct des phénomènes quantitatifs.
2. Tout l'effort des savants va, il est vrai, à ramener la diversité de ces phénomènes à une diversité de mouvements locaux, en particulier de vibrations. Mais cet effort, comme nous le montrerons [§329, sq.], ne détruit nullement l'originalité de chacun des points de départ qualitatifs qui s'imposent à eux. Et supposé même que l'on puisse interpréter dans le sens de l'identité cet aspect commun des faits, il resterait un dernier élément absolument irréductible à l'ordre quantitatif: l'énergie. Elle n'est pas mesurable en elle-même, mais seulement par ses effets, quand ils sont ramenés ingénieusement au mouvement local [§329]. En mécanique, où elle a la forme d'une force, on la pose au début comme un fait dont on a une idée par comparaison avec un fait de conscience: l'effort déployé pour jeter un objet. Mais cette énergie cinétique est réellement distincte du chemin parcouru qui sert à la mesurer, autant que la cause est distincte de son effet. Cette énergie, dit-on, peut se «transformer» en chaleur, lumière, électricité, etc.; mais elle est partout présente comme une cause distincte des effets mesurables qu'elle produit. Il y a donc en toute observation scientifique de la nature un phénomène résidu qui n'est pas d'ordre quantitatif.
3. Le caractère essentiel de ce phénomène est d'être actif et de manifester la perfection du composé physique subsistant; et c'est par là qu'il s'oppose le mieux à la quantité: Celle-ci, avons-nous dit [§260], se reconnaît avant tout par l'homogénéité de ses parties; elle ne confère par elle-même aucune perfection à la substance; elle en manifeste plutôt l'imperfection ou la passivité, l'aptitude à subir la division. L'énergie a précisément les caractères opposés; c'est par elle que chaque élément corporel a sa perfection propre, sa manière de se manifester activement en s'imposant aux autres et en les transformant à son image.
4. Cet aspect d'acte et de perfection est de plus en plus clair à mesure que l'on s'élève dans l'échelle des êtres. Nous retrouvons ici l'expérience commune en plein accord avec l'expérience scientifique pour nous fournir la définition générique de la qualité. Les phénomènes de la vie des plantes, comme la floraison, la reproduction, et leurs homologues de la physiologie animale; et plus haut les merveilles de l'instinct, puis de la conscience humaine, expriment manifestement des perfections de plus en plus grandes, totalement indépendantes de l'aspect quantitatif des composés physiques qui les possèdent. La fourmi et l'abeille, par exemple, cachent sous une masse modeste, des trésors de perfection incomparablement plus riches que ceux des plus grands arbres et même de maints gros quadrupèdes [°405].
L'aspect d'activité dominatrice se manifeste ainsi comme le propre de ce mode d'être spécial distinct de la quantité; qu'on appelle la qualité.
La qualité en général est donc bien l'accident qui détermine la substance sous forme d'acte ou de perfection.
C) Corollaires.
§317) 1. - Problèmes connexes. La constatation expérimentale des phénomènes fondamentaux d'ordre qualitatif suppose évidemment la valeur de notre intuition sensible; et celle des interprétations rationnelles, d'ailleurs évidentes, que nous avons proposées. Ce sont là des problèmes connexes qui sont résolus plus loin, en psychologie et en critériologie [§423 et §915]. Bien que cette solution soit requise pour donner à notre preuve toute sa force, il est normal de la remettre à plus tard, selon la bonne méthode scientifique de sérier les problèmes. Notons d'ailleurs qu'on les suppose résolus pour admettre l'existence des phénomènes quantitatifs, aussi bien que des qualités; d'autant plus que notre intuition sensible n'atteint jamais dans un objet concret l'aspect quantitatif que par l'intermédiaire d'un aspect qualitatif, lumière; son, résistance, etc. À moins d'admettre la solution idéaliste pure, il faut donc avec une égale certitude affirmer l'existence de ces deux modes d'êtres accidentels complémentaires: la quantité et la qualité.
§318) 2. - Extension de la qualité. La qualité, définie comme un accident, a nécessairement une perfection finie et limitée, et n'est donc qu'une perfection mixte, car l'accident, avons-nous dit [§210], dépend essentiellement de la substance pour en recevoir l'existence, et est donc à ce point de vue, imparfait et limité. Mais comme son rôle propre ou son effet formel primaire est de conférer une perfection, on appelle aussi qualité tout degré d'être ou tout mode d'être positif, selon le sens général de perfection [§177].
Ainsi en logique, la différence spécifique, même d'une essence substantielle, comme la rationalité dans l'humanité; s'appelle une «qualité quidditative», («quale quid»); et ce que l'on nomme les attributs divins peuvent aussi s'appeler des qualités ou perfections infinies de la nature divine.
Cette extension est légitime, selon les règles de l'analogie. Mais au sens propre, la qualité est une manifestation accidentelle d'une perfection limitée possédée par un sujet subsistant. Nous nous en tiendrons en ce chapitre à ce sens précis.
Thèse 20. 1) La qualité en général se divise, a) au point de vue de son sujet en qualité corporelle, dont le sujet immédiat est la quantité; et en qualité spirituelle qui échappe aux conditions quantitatives; b) au point de vue de sa durée, en qualité passagère et en qualité stable ou propriété. 2) Essentiellement, le genre qualité comporte trois espèces principales: les figures, les puissances d'action, les habitudes.
A) Explication.
§319) La qualité, en tant qu'accident, a pour sujet dernier la substance, comme nous l'avons montré plus haut [§210]; car ce, qui tombe sous nos constatations, c'est le tout subsistant, un composé physique étendu et divisible par sa quantité, agissant et s'imposant par ses qualités. Mais quand ce composé physique est un corps, comme c'est le cas normalement envisagé en ce chapitre, se pose précisément le problème des rapports entre ces deux accidents fondamentaux, la quantité et la qualité. Il y a un ordre dans la manière dont ils affectent l'un et l'autre la même substance; nous devons ici préciser cet ordre en prouvant que la quantité est le sujet immédiat par l'intermédiaire duquel la qualité s'enracine dans la substance corporelle.
Dans les chapitres suivants, nous montrerons que certaines qualités, comme la pensée dont l'existence s'affirme à l'introspection, échappent totalement aux conditions quantitatives. Nous nous contentons ici de les classer à part comme qualités spirituelles.
D'autre part, la stabilité relative de certains aspects quantitatifs, intimement liés parfois à de vraies qualités [°406], pose un problème assez délicat: Comment distinguer nettement de son support substantiel, naturellement stable, la réalité accidentelle apparentée plutôt au changement? Nous avons élucidé ce point pour la quantité en en précisant l'effet formel primaire [§262-265 et §271]. Nous le ferons ici pour la qualité en distinguant les qualités passagères des qualités stables.
Mais ces divisions restent générales. Une troisième partie indiquera les genres et espèces qui sont les premières branches de l'Arbre de Porphyre du prédicament «qualité».
B) Preuve.
§320) 1. - La quantité, sujet prochain des qualités. Dans les composés physiques au sens strict, c'est-à-dire qui se manifestent par des phénomènes accessibles à notre expérience sensible [§252], l'extension en chaque individu est le sujet immédiat de ses qualités.
Cette thèse se démontre par induction.
a) FAITS. 1. C'est un premier fait évident que les qualités corporelles reçoivent des limites plus ou moins larges ou étroites en dépendance de l'extension. Il suffit de comparer la même couleur blanche sur une petite feuille de papier ou sur un vaste mur; la même chaleur dans une braise ou dans une fournaise, etc. Au sens propre il est vrai, cette expérience est surtout probante à l'échelle humaine, en ayant soin de prendre des individus subsistants, doués par conséquent de quantité continue, par exemple des vivants; mais les faits y sont nombreux. À l'échelle atomique, d'ailleurs, grâce aux expériences des savants modernes, les faits, malgré les apparences, ne sont pas moins probants; mais ils demandent une explication plus approfondie [§325].
2. Non seulement la qualité, simple par elle-même, se trouve divisible en puissance par l'extension, mais elle est multipliée en acte par le nombre. En gardant leur même nature et leur espèce propre, chaleur, couleur, énergie électrique, etc., et au même degré d'intensité où chacune, considérée comme qualité, resterait unique, on les trouve multipliées numériquement par leur position à distance. Ce fait s'explique sans doute par la distinction des substances individuelles; mais cette distinction est elle-même due à la quantité discrète qui étend son influence sur les qualités. Et, même dans un sujet substantiellement un, comme un seul homme, les qualités corporelles sont multipliées numériquement par l'extension; par exemple, la couleur dans les deux mains; la puissance visuelle ou auditive avec les qualités organiques et physiologiques si riches et si semblables dans les deux yeux, les deux oreilles, etc.
b) PRINCIPE. Or le sujet est l'être déterminable ou potentiel qui a pour rôle, comme la puissance, d'expliquer la limitation, la multiplicité et la divisibilité de l'acte ou de la perfection [§189 et §197, 4e et 5e principe].
Nous trouvons ainsi entre quantité et qualité corporelle, une application des rapports généraux d'acte et puissance, bien exprimée par la formule: L'extension est le sujet immédiat des qualités corporelles.
§321). Ces rapports intimes d'acte et puissance se réalisent très spécialement pour certaines qualités immédiatement liées à l'extension: les figures. On les trouve partout dans la nature. Chez les vivants, l'anatomie en est l'étude scientifique, montrant dans leur diversité la condition ou la base de la diversité des fonctions vitales, d'où découle la distinction spécifique des vivants. La géométrie les étudie en elles-mêmes après les avoir régularisées par abstraction [§104]; mais on les retrouve dans le réel minéral grâce au phénomène de la cristallisation. Or en tous ces faits d'expérience, c'est l'extension elle-même qui se trouve revêtue d'une perfection spéciale, lorsque ses limites sont disposées d'une certaine façon. Souvent même, cette disposition est harmonieuse et belle, avec des parties proportionnées selon les lois des nombres. L'extension ou la quantité continue est par elle-même indifférente à cette détermination qui l'affecte par mode d'acte ou de perfection. Nous avons là une qualité: la forme ou figure [°407], mode d'être accidentel résultant des terminaisons de la quantité considérée en elle-même, selon la disposition diverse de ses parties. D'où la définition:
La figure est la qualité disposant la substance corporelle dans ses parties quantitatives.
Il semble bien qu'ici l'extension elle-même joue le rôle de sujet immédiat, de façon à être une puissance directement ordonnée à la figure comme à l'acte qui lui répond: Extension et figure se trouvent ainsi, comme nous l'avons dit [§196 et §197, 11e principe], dans un même degré d'être, celui de l'accident corporel, tout en gardant leur caractère distinctif, mais complémentaire de puissance et d'acte, d'imperfection et de perfection; ils constituent ainsi une sorte de mode d'être accidentel mixte, vraiment un par nature. On comprend par là que la figure ait toutes les propriétés de la quantité (divisibilité, mesure, etc.) bien qu'elle soit une qualité; et qu'elle soit l'objet de la science géométrique, rangée au degré d'abstraction mathématique.
§322) 2. - Qualités passagères et qualités stables. Ce qui nous révèle le mieux le caractère accidentel d'un mode d'être, c'est le changement [§208]. L'accident passe, son sujet substantiel demeure. Toutes les manifestations d'activités passagères, illuminations, caléfactions, décharges électriques, innombrables opérations vitales, etc., sont ainsi d'incontestables accidents; et accidents qualitatifs, puisqu'ils affectent l'être subsistant sous forme d'acte.
Cependant, ces multiples activités ou qualités passagères se répartissent manifestement en groupes homogènes, de façon à constituer chez les vivants des fonctions faciles à discerner par les organes spéciaux, comme fonction visuelle, auditive, digestive, etc.; et dans l'ordre minéral, les formes spéciales d'énergie, objet de traités spéciaux: énergie calorique, lumineuse, électrique, etc. Il est clair que le composé physique a en lui une capacité permanente à l'égard de ces qualités passagères; car c'est lui qui change selon elles; et donc, il est d'abord en puissance, puis, sous l'action du milieu ou par lui-même, s'il vit, il passe à l'acte. L'expérience nous amène ainsi à reconnaître, comme répondant à chaque groupe homogène de qualités passagères, un principe virtuel ou potentiel proportionné et permanent. Cette conclusion est si évidente que les savants modernes l'ont tirée spontanément en admettant l'«énergie potentielle» qu'ils décrivent en mécanique comme «la valeur de travail maximum qu'un corps est capable de céder au milieu extérieur».
Ici s'appliquent les règles qui régissent les rapports entre puissance et acte; car la source potentielle est par nature ordonnée à l'action, qualité passagère, comme à son complément où elle s'épanouit et s'exprime normalement. Or l'acte et la puissance qui se répondent sont dans un même degré d'être [§197, 11e principe]. Les qualités passagères ne peuvent donc être reçues directement dans la substance qui est leur sujet éloigné; mais la puissance qui est leur sujet immédiat est un mode d'être accidentel, comme l'acte accidentel qui l'achève.
Pour les dispositions structurelles ou figures qui sont elles aussi variables ou passagères, la puissance immédiatement proportionnée, comme nous l'avons montré, est l'extension elle-même. Mais pour les autres qualités ou activités passagères, comme les activités vitales et les énergies physiques, l'extension avec sa structure devient un sujet éloigné parce qu'elle est d'ordre passif et statique. Il faut, comme puissance proportionnée un principe dynamique, puisqu'il est source d'un groupe homogène d'activités. On doit le concevoir comme une puissance active incomplète ou en acte premier, dont l'opération passagère est l'acte second, c'est-à-dire comme une qualité, puisqu'il est une détermination accidentelle par mode d'acte ou de perfection; mais c'est une qualité durable, à titre de sujet permanent et immédiat [°408]. Il y a ainsi entre ces deux qualités, stables et passagères, le rapport de cause formelle à effet formel [§220]; la perfection de l'opération mesure celle de sa source et elle en est le principe de spécification, de sorte que l'une et l'autre ne constituent qu'une seule espèce de qualité.
Bref, dans un phénomène d'activité corporelle ou sensible, l'analyse distingue quatre étapes successives de déterminations, comme quatre couches de réalité liées entre elles par des rapports de puissance et d'acte pour former le composé physique subsistant [§206 et §212], à savoir: 1) un fond substantiel; 2) une extension, source des phénomènes quantitatifs; 3) une structure ou figure; 4) une qualité stable ou propriété active; vient enfin l'activité passagère qui est l'objet immédiat d'expérience.
En prenant dans cette analyse les seuls éléments qualitatifs, il reste à en indiquer la classification logique par genre et espèce.
§323) 3. - Classification logique. La qualité définie comme «l'accident qui détermine la substance sous forme d'acte» [§316, N° 4] est un genre suprême ou prédicament. Parmi ses manifestations très nombreuses dans l'univers sensible, on peut reconnaître trois grandes classes réellement distinctes: trois espèces avec des différences spécifiques bien établies: 1) La figure ou qualité disposant la substance dans ses parties quantitatives. 2) La puissance d'action ou qualité par laquelle la substance est disposée à agir en un sens déterminé. 3) L'habitude qui appartient surtout à la psychologie où l'on démontre qu'elle constitue une espèce à part comme «qualité surajoutée aux puissances d'action pour les orienter vers le mieux» [°409].
Cette classification n'a de valeur que par l'expérience. Les anciens y ajoutaient un membre, distinguant parmi les puissances d'action d'ordre corporel un groupe appelé «patibilis qualitas» [°410], dont le propre était d'agir sur nos sens en se manifestant comme passage continu d'un terme à un autre; par exemple, la chaleur allant de 10 à 50 degrés; la couleur passant d'une teinte à une autre, etc. La connaissance précise ou spécifique de cette quatrième espèce de qualité dépend, on le voit, des progrès en sciences physiques; et actuellement, il semble bien que toutes les activités ou qualités physiques, mieux connues, s'expliquent par la seule distinction des structures (figures) et des principes d'action qu'on nomme habituellement des «énergies». Nous nous contenterons donc de trois espèces de qualités; et, subdivisant la deuxième espèce (puissance d'action), nous appellerons énergies, celles d'ordre purement physique ou minéral; et fonctions (ou facultés) celles de l'ordre vital et psychologique.
Ces premières catégories ne sont du reste qu'un modeste début dans l'effort de précision qui doit se poursuivre en psychologie et en sciences physiques particulières.
C) Corollaires.
§324) 1. - Action à distance. Les puissances d'action sont les qualités les plus importantes, dont l'étude se poursuivra dans toute la suite de ce traité. Elles se diversifient comme les actions; et celles-ci se distinguent d'abord en deux groupes:
a) Les activités immanentes: celles dont le terme est dans l'agent lui-même; ce sont les actions vitales étudiées plus loin.
b) Les activités transitives: celles dont le terme est dans un patient distinct réellement de l'agent, comme la caléfaction de l'eau par le feu. Elles sont communes aux vivants et aux minéraux, ceux-ci n'en ayant pas d'autres; et l'être qui les produit, en mettant en oeuvre ses puissances d'action, est cause efficiente au sens strict [§221]. C'est à leur sujet que se pose le problème des actions à distance.
On appelle «action à distance», la production d'un effet par un agent sur un patient avec lequel il n'a pas de contact. Mais la notion de contact ayant plusieurs sens [§283], il est nécessaire de les préciser pour juger de la possibilité ou des conditions de l'action à distance.
1. Si l'on supposait que l'action à distance exclut tout contact quel qu'il soit, y compris le contact virtuel qui relie la cause à son effet, une telle action serait métaphysiquement impossible, puisqu'elle exclurait ce qui fait l'action elle-même. Par ce contact causal, tout agent est nécessairement présent là où il agit, d'autant plus que son action, comme nous l'avons dit [§255], n'est rien d'autre que le changement même qu'il produit dans le patient.
2. Mais dans les phénomènes corporels, il s'agit avant tout d'absence de contact quantitatif ou local, et dans ce sens, les physiciens distinguent d'ordinaire les actions au contact comme le choc, et les actions à distance comme la gravitation. Cependant, pour ces dernières, il reste à préciser si l'influence causale s'exerce d'un corps à l'autre au moyen d'un intermédiaire corporel, c'est-à-dire par contact médiat, ou au contraire sans aucun intermédiaire à travers le vide. Seule cette dernière forme constitue l'action à distance au sens strict; et nous disons qu'une telle action, pour tout agent corporel, est physiquement impossible, bien qu'elle reste métaphysiquement possible ou par miracle.
a) Elle est physiquement impossible. Car si tout être agit dans la mesure où il est parfait ou en acte, son mode d'action doit naturellement se modeler sur les conditions d'existence de ses puissances d'action. Or toutes les puissances d'action dans un agent corporel sont dépendantes dans leur être de conditions quantitatives, comme nous l'avons montré. Le seul mode d'action proportionné à la nature de ces agents est donc dépendant des conditions quantitatives et suppose la présence locale directe ou médiate.
L'expérience confirme cette conclusion. La supériorité des animaux pour agir vient de leur aptitude à multiplier les contacts par leur liberté d'action. De là, partout dans la nature, l'importance du mouvement local qui, par lui-même, n'a nulle perfection, mais est une condition nécessaire aux agents corporels pour déployer leur action. Saint Thomas notait déjà ce rôle essentiel du mouvement local en corrélation avec le contact quantitatif [°411] sans lequel, disait-il, aucun corps n'agit. La loi de l'action «à distance» des astres où l'influence mutuelle s'exerce en raison inverse du carré des distances, insinue le rôle et la nécessité du contact au moins médiat. Celui-ci peut d'ailleurs s'obtenir, soit par un milieu corporel permanent, comme l'éther ou l'air; soit par l'émission de particules corporelles, ce qui semble possible même à travers le vide comme nous l'avons montré [§292]. Mais pour qu'un agent physique puisse influencer un corps placé loin de lui, il faut toujours un intermédiaire corporel [°412].
b) L'action à distance reste pourtant métaphysiquement possible. Car il n'y a rien d'absurde à concevoir une influence purement causale sans présence dans le même lieu; par exemple, un incendie à Paris produit par une source de chaleur placée à Rome; car la double relation de domination et de dépendance qui constitue la causalité efficiente et définit l'action est de soi indépendante du contact quantitatif. Mais pour un agent physique, ce serait un miracle, parce qu'un tel mode d'action dépasse les ressources de sa nature, rivée pour agir, aux conditions quantitatives.
§325) 2. - Masse et inertie. L'étroite dépendance des qualités corporelles, spécialement des énergies, vis-à-vis de la quantité, se réalise surtout dans l'ordre minéral, domaine des sciences physico-chimiques. Elle se traduit en particulier par la notion fondamentale de masse, liée à la loi appelée aussi à cause de son rôle primordial, le principe de la conservation de la matière ou plus généralement de la conservation de l'énergie.
De prime abord, la masse apparaît sous un aspect passif, comme stable, sans mouvement, et en ce sens inerte. On la définit en effet comme un rapport constant entre les forces appliquées à un corps et les accélérations qu'elles lui impriment. Elle est caractéristique de chaque corps: un cm3 de plomb a plus de masse qu'un cm3 de fer ou d'eau; et pour chaque corps elle est rigoureusement stable et proportionnelle au volume: deux litres d'eau ont une masse double, comparée à celle d'un litre. En tenant compte de la distinction entre volume réel et volume apparent [§301], on pourrait considérer la masse comme la traduction, sous forme d'inertie à vaincre, de l'aspect passif de la quantité ou du volume réel de chaque corps.
C'est d'abord en mécanique, à propos de l'action motrice ou impulsive, que la masse s'est manifestée. En utilisant, pour expliquer cette influence efficiente motrice, l'image de communication de perfection qui soutient, comme nous l'avons dit, notre idée de cause efficiente [§221 et §230]; et en appréciant la quantité de mouvement ainsi communiquée par la longueur du chemin parcouru en un temps donné, on imaginera l'impulsion comme le passage d'une certaine quantité de mouvement d'un mobile dans un autre. Au moment du choc, le corps immobile avant d'être mis en branle, «absorbe» évidemment une quantité de mouvement proportionnelle à sa masse; en d'autres termes, l'impulsion doit être d'autant plus intense que le «volume réel» à ébranler est plus considérable. On dira que la masse oppose une résistance de quantité égale et de sens contraire à la quantité de mouvement ainsi dépensée par l'action motrice. Mais cette résistance n'exige rien d'actif (ou de qualitatif) dans la masse. On dirait de même qu'un vaste récipient oppose une résistance à l'ascension du liquide qu'y verse un robinet, simplement parce que sa capacité de réception plus grande demande un plus grand débit pour le remplir. Ainsi la masse «résiste» à la motion, en ce sens que la capacité passive, proportionnelle au volume permettant à un corps d'être mû, mesure la force exigée de son moteur. Tout s'explique donc dans l'expérience en interprétant la masse comme identique au volume réel ou à la quantité, aspect passif et propriété fondamentale des corps [§263]. Cette «constante» qui freine l'énergie, est une simple application de la dépendance essentielle de toute action corporelle vis-à-vis des conditions quantitatives.
Il y a un rapport intime entre la masse et le poids; car les corps subissent la gravitation en raison directe de leur masse. Aussi, lorsqu'on eut constaté en toute combinaison chimique la permanence du poids, en ce sens que le poids du composé est toujours égal à la somme des poids des composants, on en conclut la loi de la conservation de la matière; qui exprime sous une autre forme la permanence de la masse.
Cependant le point de vue du mouvement local n'est qu'une première approximation. Lorsqu'un projectile se heurte à une masse, son énergie cinétique peut aussi se transformer (en tout ou en partie) en une autre forme d'énergie; par exemple, en chaleur, en lumière, en électricité; et de telle sorte que la nouvelle énergie, convenablement mesurée, équivaut parfaitement à la quantité de mouvement dépensée ou transformée. Cette observation a suggéré l'élargissement de la loi de conservation de la masse ou de la matière, et a donné le principe de la conservation de l'énergie. Ce principe a reçu d'innombrables vérifications pour des systèmes limités et clos: la quantité d'énergie y reste toujours stable à travers les transformations internes. On peut aussi l'admettre pour l'ensemble de l'univers, mais il n'est plus alors démontrable expérimentalement et devient une sorte de postulat.
§326). Or, en utilisant de nouveau l'image de la «communication de perfection», ce postulat conduit à la notion, elle aussi fondamentale, d'inertie matérielle. La conservation de l'énergie, en effet, signifie que la quantité de mouvement contenue dans l'univers, en la prenant à la fois sous forme de mouvement local et sous toutes ses autres formes équivalentes, reste toujours la même. Par suite, aucun corps ne pourra changer, c'est-à-dire acquérir une certaine quantité de mouvement ou d'énergie, si ce n'est par l'intervention d'un autre agent ou cause efficiente qui lui communique cette énergie. D'où la définition de l'inertie: «propriété par laquelle tout corps est incapable par lui-même de changer son état de repos ou de mouvement».
Du point de vue philosophique, pour apprécier le sens exact de ces formules, il faut distinguer leur usage en science mécanique et dans les autres sciences où le mouvement local est «transformé» en d'autres énergies.
1. En mécanique rationnelle, on considère tous les points matériels d'un système de référence donné comme doués d'inertie et toutes les lois ou calculs de forces se fondent sur ce principe. Les théories de cette science s'appliquent approximativement aux mouvements des corps à la surface de la terre, en supposant celle-ci immobile; et elles se vérifient «avec une approximation supérieure aux erreurs d'observation, si l'on rapporte les mouvements à un triède ayant pour sommet le centre du soleil, et dont les arrêtes sont dirigées vers des étoiles fixes déterminées» [°413]. Ainsi les corps tombant sous notre expérience se manifestent bien doués d'inertie. Mais cette propriété a deux aspects d'inégale valeur.
a) S'il s'agit du corps en repos (inertie passive), l'incapacité de se donner un mouvement quelconque, et même d'acquérir n'importe quelle énergie nouvelle par lui-même, s'explique sans difficulté. C'est la conséquence de son degré d'être purement matériel.
b) Mais s'il s'agit d'un corps en mouvement (inertie active), le principe n'est plus si évident. Il affirme qu'une pierre, par exemple, lancée à une vitesse de 20 mètres à la seconde, si elle ne rencontrait aucune force antagoniste, ni résistance du milieu, ni champ d'attraction, ni choc, etc., continuerait éternellement son mouvement local avec la même vitesse et la même direction. Cette conception n'est pas absurde, mais elle est totalement invérifiable; car en n'importe quel système réel étudié, un mobile est toujours soumis à d'autres influences. De plus, cette inertie «active» ou conservation du même mouvement, est plus difficile à expliquer que l'inertie «passive» du corps en repos. Si, en effet, le mouvement local suppose un changement réel et positif, il semble demander comme cause efficiente, un pouvoir d'action, c'est-à-dire une qualité que les anciens appelaient «impetus» et qu'on pourrait retrouver chez les modernes dans l'«énergie cinétique», définie quantitativement, sans doute, comme étant:
(mv2)/2
mais apparaissant comme une force motrice en action. En lançant une pierre, par exemple, on lui communique cette qualité impulsive qui explique la continuation de son mouvement; et le principe d'inertie affirme que cette qualité demeurera, inchangée en elle, tant qu'une autre influence n'interviendra pas. Cela ne semble pas impossible, étant donné que le changement local, tout en étant réel, ne comporte ni acquisition ni perte de nouvelle perfection dans le mobile. Mais il ne serait pas absurde non plus de supposer que cette qualité ou énergie s'épuiserait à la longue, surtout si la vitesse communiquée était très grande. Concluons que strictement, le principe d'inertie, appliqué au mouvement, n'est qu'une approximation. À l'échelle humaine, pour les mouvements d'observation courante, tout se passe comme si un mouvement, une fois communiqué, durait sans jamais changer de lui-même.
À l'échelle atomique au contraire, les plus récentes observations semblent suggérer que «la masse augmente en fonction de la vitesse, lorsque celle-ci s'approche de celle de la lumière». Étant donné les rapports étroits que nous avons montrés entre masse et inertie, cela revient à dire que la qualité motrice s'épuise pour les grandes vitesses, ce qui se traduit évidemment par une augmentation de l'inertie active, en ce sens que la quantité de mouvement reçue, au lieu de rester intacte, diminue, ce qu'exprime en d'autres mots, l'«augmentation de la masse»; et cette masse, dit-on, pourrait devenir «infinie», c'est-à-dire correspondre à l'épuisement total de l'impulsion active reçue. Remarquons pourtant que dans ces théories récentes, les savants font une application subtile de la notion de masse à l'énergie elle-même, d'où la nécessité de préciser le sens de ces théories. Nous l'examinerons plus bas [§341] en même temps que la notion mécanique de point matériel sans extension, doué de masse et d'énergie.
2. Dans les autres sciences. On peut universaliser le principe de la conservation de l'énergie et l'idée d'inertie qu'il suppose, car l'expérience nous apprend le passage d'une forme d'énergie en une autre. Ainsi le frottement, qui est du travail, c'est-à-dire une certaine quantité de mouvement fournie par une énergie mécanique, produit de la chaleur. La chaleur à son tour est capable, non seulement de rendre du travail; mais aussi, en certaines circonstances, de produire de l'électricité. Dans une pile de Volta, par exemple, les éléments donnent lieu à une réaction chimique exothermique, et une partie de la chaleur «dégagée» se transforme en électricité, etc. De plus, l'expérience constate un rapport constant entre ces énergies en cascade: Ainsi, il faut une force mécanique de 4.18 Joules pour donner une calorie; et pour chaque passage, il y a un rapport stable de ce genre. Ces faits permettent bien de considérer tous les échanges d'énergie du monde physique, comme n'ajoutant ni n'enlevant rien à la quantité de mouvement qui s'y trouve [°414].
Notons que cette stabilité universelle d'ordre quantitatif de tous les phénomènes physiques respecte la diversité évidente des énergies et des qualités actives qui s'exercent, comme impulsion, chaleur, électricité, etc. Leur distinction spécifique est soulignée par la nécessité de tenir compte des corps employés dans les échanges d'énergie. Mais ce fait remarquable est la traduction de la dépendance de toute qualité active corporelle (ou d'ordre purement physique) vis-à-vis de la quantité, celle-ci étant principe de passivité et donc, en ce sens, d'inertie et de stabilité.
§327) 3. - Action et réaction. Le principe de l'égalité de l'action et de la réaction est proprement une loi mécanique dont le sens et les applications universelles doivent s'interpréter conformément à la notion d'inertie que nous venons d'analyser. «Chaque fois que le milieu, dit ce principe, exerce sur un corps une force déterminée, inversement le corps exerce sur le milieu une force égale et de direction opposée». Si les deux forces sont égales, le corps est en équilibre; si elles sont inégales, le corps se meut suivant les lois de la composition des forces. Et comme le travail produit par ces forces est capable, directement ou indirectement, de se traduire en toutes les autres formes d'énergie, il en résulte une application universelle de ce principe. Mais dans un corps en repos ou en équilibre, il faut évidemment compter parmi les forces qu'il possède, celle de l'inertie mesurée par sa masse, dans le sens expliqué plus haut. Ainsi cette égalité universelle d'action et de réaction dans tous les échanges d'énergie d'ordre physique, n'est de nouveau qu'une manifestation de la dépendance des pouvoirs d'action corporels vis-à-vis des conditions quantitatives qui règlent leur exercice.
§328) 4. - Classification des énergies. En dehors des figures avec leurs subdivisions géométriques dont les cristaux nous offrent une remarquable application, on peut, semble-t-il, interpréter toutes les qualités corporelles du règne minéral que nous avons appelées «énergies physiques», comme étant des puissances d'action: qualités par lesquelles les agents matériels ou les substances corporelles sont disposées à agir en un sens déterminé. Le mot même d'«énergie» exprime bien ce caractère.
On les distingue empiriquement par les effets qu'elles produisent sur nos sens ou sur nos instruments d'observation. On distingue ainsi principalement: 1) L'énergie mécanique dont l'effet est le mouvement local et qui se manifeste à notre toucher par le choc, la pression ou la résistance des masses inertes. Son rôle est primordial; le contact local étant la condition nécessaire pour l'exercice de toutes les autres énergies. L'énergie de gravitation, fort peu connue en elle-même, semble être une forme d'énergie mécanique. 2) Viennent ensuite l'énergie calorique, dont l'effet est reconnu par le sens thermique; 3) l'énergie sonore dont l'effet s'adresse à l'ouïe; 4) l'énergie lumineuse dont l'effet est saisi par la vue. On peut y ajouter deux formes peu étudiées: l'énergie produisant 5) les odeurs; 6) les saveurs. - Par des effets indirects sur instruments, contrôlés surtout par la vue, on a encore 7) l'énergie électrique; 8) l'énergie magnétique. La liste d'ailleurs n'est pas nécessairement close.
Au point de vue philosophique, on distingue deux espèces de puissances d'action: 1) La puissance opérative active: celle qui dispose directement à l'action, sans demander l'aide du dehors; - 2) La puissance opérative passive: celle qui ne dispose à l'action qu'après réception d'un complément de perfection reçu du dehors. Par exemple, dans l'homme la volonté libre se décide d'elle-même (puissance active); mais la faculté visuelle ne réagit qu'après avoir reçu l'excitation de la lumière (puissance passive). Cette distinction qui joue un grand rôle en psychologie pourrait déjà s'appliquer aux phénomènes purement physiques et permettrait une première classification des énergies. Ainsi les énergies caloriques, lumineuses, électriques qui semblent les plus fondamentales comme propriétés corporelles, peuvent se concevoir comme des puissances opératives actives, ayant tout ce qu'il faut pour agir dès que les conditions requises sont réalisées. Cela expliquerait, par exemple, les propriétés radioactives qui, en certains corps, se manifestent spontanément. Les affinités chimiques supposent aussi des puissances actives. Inversement, la couleur des objets, qui ne peut agir sur notre vue qu'après avoir reçu par l'action de la lumière un complément de perfection nécessaire, serait une puissance opérative passive. Mais en ce domaine plus spécial, les interprétations philosophiques doivent tenir compte des progrès des sciences positives; et ici, bien des précisions s'imposeraient. Par exemple, où se trouvent vraiment les diverses couleurs? Dans la lumière blanche analysée au prisme, ou dans les corps jouissant de la propriété d'absorber certaines radiations ou longueurs d'ondes? Et quels rapports existent entre ces deux phénomènes? Mais ces problèmes ne sont généralement pas abordés. Pour le monde physique, la philosophie se contente de vérités très générales, à savoir: l'existence de qualités corporelles, distinctes de la quantité; et leur classification en deux genres suprêmes: les figures et les puissances d'action ou énergies.
Quant aux sciences positives modernes qui se donnent pour tâche d'approfondir l'étude de ces phénomènes physiques, elles laissent de côté, par méthode, cet aspect des choses, comme constituant le problème des natures, alors qu'elles examinent seulement le problème des classifications et des lois, en se contentant, pour classer les phénomènes, de critères tout empiriques [°415].
Bien plus, en adoptant le point de vue mathématique pour formuler et unifier les lois, déduites progressivement de quelques équations fondamentales, elles mettent en relief l'aspect par lequel toutes les énergies se ressemblent, formulant l'hypothèse de leur identité foncière, et tendant à les distinguer par des critères purement mécaniques et quantitatifs; par exemple, par le nombre des vibrations de l'éther qui caractérise la lumière, la chaleur, l'électricité, etc. Outre le problème de la valeur des théories physiques examiné plus bas [§339, sq.], nous trouvons ici la question de la mesure des qualités qu'il nous faut résoudre.
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