Adorons Jésus-Eucharistie! | Accueil >> Varia >> Livres >> Table des matières
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§700. D) Caractéristiques de cette méthode [°400]. a) Elle s'appuie sur la doctrine de notre incorporation au Christ [§142-149] et sur l'obligation qui en résulte, de reproduire en nous ses dispositions intérieures et ses vertus. Pour y réussir, nous devons, selon l'expression de M. Olier, avoir Jésus devant les yeux pour l'admirer comme modèle et lui rendre nos devoirs (adoration), l'avoir dans le coeur, en attirant en nous ses dispositions et ses vertus par la prière (communion), l'avoir dans les mains, en collaborant avec lui à l'imitation de ses vertus (coopération). L'union intime avec Jésus est donc l'âme de cette méthode.
b) Elle fait passer le devoir de la religion (révérence et amour envers Dieu) avant celui de la demande; Dieu premier servi! Et le Dieu qu'elle nous propose, ce n'est pas le Dieu abstrait des philosophes, c'est le Dieu concret et vivant de l'Évangile; c'est la Sainte Trinité vivant en nous.
c) En proclamant la nécessité de la grâce et de la volonté humaine dans notre sanctification, elle met l'accent sur la grâce, et par conséquent sur la prière, mais demande aussi l'effort énergique et constant de la volonté, des résolutions particulières, présentes, fréquemment renouvelées, sur lesquelles on s'examine le soir.
§701. d) C'est une méthode affective appuyée sur des considérations: elle débute par des affections de religion au premier point; si, au second, on y fait des considérations, c'est en vue de faire jaillir du coeur des actes de foi aux Vérités surnaturelles qu'on médite, des actes d'espérance en la miséricorde divine, des actes d'amour à l'égard de son infinie bonté; si, on fait un retour sur soi-même, il doit être accompagné de regret pour le passé, de confusion pour le présent, de ferme propos pour l'avenir; et ces actes ont pour but de préparer une demande humble, confiante et persévérante. Pour prolonger cette demande, la méthode fournit divers motifs, longuement exposés, et suggère de prier en outre pour l'Église tout entière et certaines âmes en particulier. Les résolutions elles-mêmes doivent être accompagnées de défiance de soi-même, de confiance en Jésus-Christ, de prières pour les accomplir. Enfin la conclusion n'est qu'une série d'actes de reconnaissance, d'humilité, et de nouvelles prières.
C'est ainsi qu'on évite de donner une tournure trop philosophique aux raisonnements ou aux considérations, et qu'on prépare la voie à l'oraison affective ordinaire, et plus tard à l'oraison simplifiée: car on nous fait remarquer qu'il n'est pas nécessaire d'exprimer toujours et en cet ordre tous nos devoirs, mais qu'il est bon «de s'abandonner aux affections que Dieu donne et de répéter souvent celles où l'on trouve attrait du Saint Esprit». Sans doute les commençants consacrent généralement plus de temps aux raisonnements qu'aux autres actes; mais sans cesse la méthode leur rappelle que les affections sont préférables, et peu à peu ils arrivent à en faire un plus grand nombre.
e) Elle est tout particulièrement adaptée aux séminaristes et aux prêtres : elle leur rappelle sans cesse que le prêtre étant un autre Jésus-Christ par le caractère et les pouvoirs, doit l'être aussi par les dispositions et les vertus, et que toute leur perfection consiste à faire vivre et grandir Jésus en eux: «ita ut interiora ejus intima cordis nostri penetrent».
§702. Ces deux méthodes sont donc excellentes, chacune en son genre, et étant donné le but spécial qu'elles ont en vue; et on peut dire la même chose de toutes les autres qui se rapprochent plus ou moins de ce double type [°401]. Il est opportun qu'il y en ait plusieurs, afin que chaque âme puisse choisir, selon l'avis de son directeur et ses attraits surnaturels, celle qui lui convient le mieux.
Ajoutons, avec le P. Poulain [°402], qu'il en est de ces méthodes comme des règles si nombreuses de la rhétorique et de la logique; il est bon d'y rompre les commençants, mais, quand une fois on s'y est assujetti de manière à bien en posséder l'esprit et les éléments principaux, on ne suit plus la méthode que dans les grandes lignes, et l'âme, sans cesser d'être active, devient plus attentive aux mouvements du Saint Esprit.
§703. De ce que nous venons de dire il est facile de conclure combien la prière est utile, nécessaire à la purification de l'âme. a) Dans la prière-adoration, on rend à Dieu les devoirs qui lui sont dus, on admire, on loue, on bénit ses infinies perfections, sa sainteté, sa justice, sa bonté, sa miséricorde; alors Dieu s'incline vers nous avec amour pour nous pardonner, nous faire concevoir une profonde horreur pour le péché qui l'offense, et nous prémunir ainsi contre de nouvelles fautes. b) Dans la prière-méditation, nous acquérons, sous l'influence de la lumière divine et de nos propres réflexions, des convictions profondes sur la malice du péché, ses redoutables effets en cette vie et en l'autre, sur les moyens de le réparer et de l'éviter: alors notre âme se remplit de sentiments de confusion, d'humiliation, de haine du péché, de bon propos pour l'éviter, d'amour de Dieu: par là même nos fautes passées sont expiées de plus en plus dans les larmes de la pénitence et dans le sang de Jésus; notre volonté s'affermit contre les moindres capitulations, et embrasse avec générosité la pratique de la pénitence et du renoncement. c) La prière-demande, appuyée sur les mérites de Notre Seigneur, nous obtient des grâces abondantes d'humilité, de pénitence, de confiance et d'amour, qui achèvent la purification de notre âme, la fortifient contre les tentations de l'avenir, et l'affermissent, dans la vertu, surtout dans les vertus de pénitence et de mortification, qui complètent les heureux effets de la prière.
§704. Avis aux directeurs. On ne saurait donc trop recommander la méditation à tous ceux qui veulent progresser, et le directeur doit leur en enseigner la pratique le plus tôt possible, se faire rendre compte des difficultés qu'ils y trouvent, les aider à les surmonter, leur montrer comment ils peuvent perfectionner leur méthode, et surtout comment ils peuvent s'en servir pour se corriger de leurs défauts, pratiquer les vertus contraires, et acquérir peu à peu l'esprit de prière, qui, avec la pénitence, transformera leur âme.
Après avoir indiqué brièvement la nécessité et la notion de la pénitence, nous exposerons: 1° les motifs qui doivent nous faire haïr et éviter le péché; 2° les motifs et les moyens de le réparer.
Nécessité et notion. Art. I. Haine du péché mortel. véniel. Art. II. Réparation du péché motifs. moyens.
§705. La pénitence est, après la prière, le moyen le plus efficace de purifier l'âme de ses fautes passées et même de la prémunir contre les fautes de l'avenir.
1° Aussi, quand Notre Seigneur veut commencer son ministère public, il fait prêcher par son précurseur la nécessité de la pénitence: «Faites pénitence, car le royaume des cieux est proche: paenitentiam agite, appropinquavit enim regnum caelorum» [Mt 3:2]. Il déclare que lui-même est venu pour appeler les pécheurs à la pénitence: «Non veni vocare justos, sed peccatores ad paenitentiam» [Lc 5:32]. Si nécessaire est cette vertu que si nous ne faisons pas pénitence nous périrons: «si paenitentiam non egeritis, omnes similiter peribitis» [Lc 13:5]. Les Apôtres ont si bien compris cette doctrine que dès leur première prédication ils insistent sur la nécessité de la pénitence comme une condition préparatoire au baptême: «Paenitentiam agite, et baptizetur unusquisque vestrum» [Ac 2:38].
La pénitence est en effet, pour le pécheur, un acte de justice; ayant offensé Dieu et violé ses droits, il est obligé de réparer cet outrage. Or c'est par la pénitence qu'il le fait.
§706. 2° La pénitence se définit: une vertu surnaturelle, se rattachant à la justice, qui incline le pêcheur à détester son péché parce qu'il est une offense commise contre Dieu, et à prendre la ferme résolution de l'éviter à l'avenir et de le réparer.
Elle comprend donc quatre actes principaux, dont il est facile de voir la genèse et l'enchaînement. 1) À la lumière de la raison et de la foi, nous voyons que le péché est un mal, le plus grand de tous les maux, à vrai dire le seul mal, et cela parce qu'il offense Dieu et nous prive des biens les plus précieux; et ce mal nous le haïssons de toute notre âme «iniquitatem odio habui». 2) Constatant par ailleurs que ce mal est en nous, puisque nous avons péché, et que, même lorsqu'il a été pardonné, il en reste en notre âme quelques traces, nous en concevons une vive douleur, douleur qui torture et broie notre âme, une sincère contrition, une profonde humiliation. 3) Pour éviter à l'avenir ce mal odieux, nous prenons la ferme résolution ou le bon propos de l'éviter, en fuyant avec soin les occasions qui pourraient nous y conduire, et en fortifiant notre volonté contre les attraits des plaisirs dangereux. 4) Enfin, comprenant que le péché est une injustice, nous nous déterminons à le réparer, à l'expier par des sentiments et des oeuvres de pénitence.
Avant d'exposer ces motifs [°405], disons ce qu'est le péché mortel et véniel.
§707. Notion et espèces. Le péché est une transgression volontaire de la loi de Dieu. C'est donc une désobéissance à Dieu, et par là même une offense de Dieu, puisque nous préférons notre volonté à la sienne et violons ainsi les droits imprescriptibles qu'il a à notre soumission.
§708. a) Péché mortel. Lorsque nous transgressons une loi importante, nécessaire à l'obtention de notre fin en matière grave, et cela avec pleine advertance et plein consentement, le péché est mortel, parce qu'il prive notre âme de la grâce habituelle qui constitue sa vie surnaturelle [§105]. Voilà pourquoi ce péché est défini par S. Thomas: un acte par lequel nous nous détournons de Dieu, notre fin dernière, en nous attachant d'une façon libre et désordonnée à quelque bien créé. En perdant en effet la grâce habituelle, qui nous unissait à Dieu, nous nous détournons de lui.
§709. b) Péché véniel. Lorsque la loi que nous violons n'est pas nécessaire à l'obtention de notre fin, ou lorsque nous la violons en matière légère, ou si la loi étant grave en elle-même, nous ne la transgressons pas avec pleine advertance ou plein consentement, le péché n'est que véniel, et ne nous prive pas de l'état de grâce. Nous demeurons unis à Dieu par le fond de notre âme, puisque nous voulons faire sa volonté en tout ce qui est nécessaire pour conserver son amitié et atteindre notre fin. C'est toutefois une transgression de la loi de Dieu, une offense infligée à sa majesté, comme nous le montrerons plus tard.
§710. Pour juger sainement du péché grave, il faut considérer: 1° ce que Dieu en pense ; 2° ce qu'il est en lui-même; 3° ses funestes effets. Si, par la méditation, on approfondit ces considérations, on aura pour le péché une haine invincible.
Pour en avoir quelque idée, voyons comment il le châtie et comment il le condamne dans nos Saints Livres.
§711. 1° Comment il le châtie. A) Dans les anges rebelles: ils ne commettent qu'un seul péché, un péché intérieur, un péché d'orgueil; et Dieu, leur créateur et leur père, Dieu qui les aimait non seulement comme l'oeuvre de ses mains, mais comme ses fils d'adoption, se voit obligé, pour châtier leur rébellion, de les précipiter en enfer, où, pendant toute l'éternité, ils seront séparés de Lui, et par là même privés de tout bonheur. Et cependant Dieu est juste, ne punissant jamais les coupables plus qu'ils ne le méritent; il est miséricordieux jusque dans ses châtiments, tempérant leur rigueur par sa bonté. Il faut donc que le péché soit quelque chose d'abominable pour être puni si rigoureusement.
§712. B) Dans nos premiers parents: ils avaient été comblés de toutes sortes de biens, naturels, préternaturels et surnaturels [§52-66]. Mais eux aussi commettent un péché de désobéissance et d'orgueil; et voilà qu'aussitôt ils perdent, avec la vie de la grâce, les dons gratuits qui leur avaient été si libéralement octroyés, sont chassés du paradis terrestre, et transmettent à leur postérité ce péché d'origine, dont nous subissons encore les tristes suites [§69-75]. Or Dieu aimait nos premiers parents comme ses enfants, leur permettait de vivre dans son intimité, et si le Dieu de justice et de miséricorde a dû les châtier si sévèrement, jusque dans leur postérité, c'est donc que le péché est un mal effroyable que nous ne pourrons jamais trop détester.
§713. C) Dans la personne de son Fils. Pour ne pas laisser l'homme périr éternellement, et concilier à la fois les droits de la justice et de la miséricorde, le Père envoie son Fils sur terre, le constitue chef de la race humaine, et le charge d'expier et de réparer le péché à notre place. Or que lui demande-t-il pour cette rédemption? Trente-trois années de souffrances et d'humiliations, couronnées par l'agonie physique et morale du jardin des Oliviers, du Sanhédrin, du prétoire, du Calvaire. Si l'on veut savoir ce qu'est le péché, qu'on suive pas à pas le divin Sauveur, de la crèche à la croix, dans sa vie cachée, pratiquant l'humilité, l'obéissance, la pauvreté, le travail; dans sa vie apostolique, au milieu de ses labeurs, de ses insuccès, des tracasseries, des persécutions dont il est la victime; dans sa vie souffrante, où il a enduré de telles tortures physiques et morales, de la part de ses amis et de ses ennemis, qu'il a été appelé avec raison l'homme de douleur; et qu'on se dise en toute sincérité: voilà ce qu'ont mérité mes péchés, «vulneratus est propter iniquitates nostras, attritus est propter scelera nostra» [Is 53:5]. Alors on aura moins de peine à comprendre que le péché est le plus grand des maux.
§714. 2° Comment Dieu condamne le péché. La Sainte Écriture nous représente le péché comme ce qu'il y a de plus odieux et de plus criminel.
a) C'est une désobéissance à Dieu, une transgression de ses ordres, qui est sévèrement et justement punie, comme on le voit dans nos premiers parents [Gn 2:17]. Dans le peuple d'Israël, qui appartient spécialement à Dieu, cette désobéissance est considérée comme une révolte, une rébellion [Jr 2:4-8]. b) C'est une ingratitude à l'égard du plus insigne des bienfaiteurs, une impiété envers le plus aimable des pères: «Filios enutrivi et exaltavi; ipsi autem spreverunt me» [Is 1:2]. c) C'est un manque de fidélité, une sorte d'adultère, puisque Dieu est l'époux de nos âmes et exige avec raison une inviolable fidélité: «Tu autem fornicata es cum amatoribus multis» [Jr 3:1]. d) C'est une injustice, puisque nous violons ouvertement les droits de Dieu sur nous: «Omnis qui facit peccatum et iniquitatem facit, et peccatum est iniquitas» [1Jn 3:4].
Le péché mortel, c'est le mal et à vrai dire le seul mal qui existe, puisque tous les autres maux n'en sont que la suite ou le châtiment.
§715. 1° Du côté de Dieu, c'est un crime de lèse-majesté divine: il offense Dieu en effet dans tous ses attributs, mais surtout comme notre premier principe, notre dernière fin, notre Père et notre bienfaiteur.
A) Dieu, étant notre premier principe, notre Créateur, de qui nous tenons tout ce que nous sommes et tout ce que nous possédons, est par là même notre Souverain Maître, et nous lui devons une obéissance absolue. Or, par le péché mortel, nous lui désobéissons, lui faisant l'injure de préférer notre volonté à la sienne, une créature au Créateur! Bien plus, nous nous révoltons contre lui, puisque, par la création nous sommes ses sujets, beaucoup plus que ne le sont les hommes soumis à un prince. a) Et cette révolte est d'autant plus grave que ce Maître est infiniment sage et infiniment bon, ne nous commandant rien qui ne soit utile à notre bonheur aussi bien qu'à sa gloire, tandis que notre volonté, nous le savons, est faible, fragile, sujette à l'erreur; et, malgré tout, nous la préférons à celle de Dieu! b) Cette révolte est d'autant moins excusable qu'instruits dès notre enfance par des parents chrétiens, nous avons une connaissance plus nette, plus précise des droits de Dieu sur nous, de la malice du péché, et que nous agissons en sachant bien ce que nous faisons. c) Et pourquoi trahissons-nous ainsi notre Maître? Pour un vil plaisir, qui nous dégrade et nous abaisse au niveau de la brute, pour un sot orgueil par lequel nous nous approprions une gloire qui n'appartient qu'à Dieu, pour un intérêt, un gain passager auquel nous sacrifions un bien éternel!
§716. B) Dieu est aussi notre dernière fin: il nous a créés et n'a pu nous créer que pour lui-même, puisqu'il n'est pas de bien plus grand que lui, et que par suite nous ne pouvions trouver en dehors de lui notre perfection et notre bonheur; et d'ailleurs il est juste et nécessaire que, sortis de Dieu, nous revenions à Lui; étant sa chose et sa propriété, nous devons le révérer, le louer, le servir et le glorifier [°407]; étant l'objet de son amour, nous devons l'aimer de toute notre âme, et c'est en l'adorant et en l'aimant que nous trouvons notre bonheur et notre perfection. Il a donc un droit strict à ce que notre vie tout entière, avec toutes nos pensées, tous nos désirs, toutes nos actions, soit orientée vers lui et le glorifie.
Or, par le péché mortel, nous nous détournons volontairement de lui pour nous complaire dans un bien créé; nous lui faisons l'injure de lui préférer une de ses créatures ou plutôt notre satisfaction égoïste, car, au fond, c'est moins à cette créature que nous nous attachons qu'au plaisir que nous trouvons en elle. C'est là une injustice flagrante, puisqu'elle tend à priver Dieu de ses droits imprescriptibles sur nous, de cette gloire extérieure que nous devons procurer; c'est une sorte d'idolâtrie, qui érige, dans le temple de notre coeur, une idole à côté du vrai Dieu; c'est mépriser la source d'eau vive, qui seule peut désaltérer nos âmes, et lui préférer cette eau bourbeuse qu'on trouve au fond des citernes crevassées, selon l'énergique langage de Jérémie: «Duo enim mala fecit populus meus: me dereliquerunt fontem aquae vivae, et foderunt sibi cisternas, cisternas dissipatas, quae continere non valent aquas» [Jr 2:13].
§717. C) Dieu est aussi pour nous un Père qui nous a adoptés pour enfants et nous traite avec une sollicitude toute paternelle [§94], nous comblant de ses bienfaits les plus précieux, nous dotant d'un organisme surnaturel, pour nous faire vivre d'une vie semblable à la sienne et nous comblant des grâces actuelles les plus abondantes, pour mettre en oeuvre ses dons et augmenter en nous la vie surnaturelle. Or, par le péché mortel, nous faisons fi de ces dons, nous en abusons même pour les tourner contre notre bienfaiteur et notre Père, nous profanons ses grâces, et l'offensons ainsi au moment même où il nous comble de ses biens. N'est-ce pas là une ingratitude d'autant plus coupable que nous avons plus reçu, et qui crie vengeance contre nous?
§718. 2° Du côté de Jésus-Christ, notre rédempteur, le péché est une sorte de deïcide. a) C'est en effet ce péché qui a causé les souffrances et la mort de ce divin Sauveur: «Christus passus est pro nobis» [1P 2:21]... «Lavit nos a peccatis nostris in sanguine suo» [Ap 1:5]. Pour que cette pensée fasse impression sur nos âmes, il faut nous rappeler la part personnelle que nous avons eue dans la douloureuse Passion du Sauveur. C'est moi qui ai trahi mon maître par un baiser, et parfois pour un peu moins de trente deniers; moi qui ai causé son arrestation, sa condamnation à mort; j'étais là avec la foule pour crier: «Non hunc, sed Barabbam... Crucifige eum» [°408]; j'étais là avec les soldats pour le flageller par mes immortifications, pour le couronner d'épines par mes péchés intérieurs de sensualité et d'orgueil, pour imposer une lourde croix sur ses épaules et le crucifier. Comme l'explique fort bien M. Olier [°409], «notre avarice cloue sa charité, notre colère sa douceur, notre impatience sa patience, notre orgueil son humilité; et ainsi par nos vices nous tenaillons, nous garrottons et nous mettons en pièces Jésus-Christ habitant en nous.» Comme nous devons haïr un péché qui a si cruellement cloué à la croix notre Sauveur!
b) Actuellement sans doute nous ne pouvons plus lui infliger de nouvelles tortures, puisqu'il ne peut plus souffrir; mais nos fautes présentes continuent de l'offenser; car, en les commettant volontairement, nous méprisons son amour et ses bienfaits, nous rendons inutile, en ce qui nous concerne, son sang si généreusement versé, nous le privons de cet amour, de cette reconnaissance, de cette obéissance auxquels il a droit. N'est-ce pas là répondre à son amour par la plus noire des ingratitudes, et par là même appeler sur notre tête les plus graves châtiments?
Dieu a voulu que la loi eût une sanction, que le bonheur fût, en fin de compte, la récompense de la vertu, et la souffrance le châtiment du péché. En voyant donc les effets du péché, nous pourrons juger, dans une certaine mesure, de sa culpabilité. Or nous pouvons les étudier en cette vie ou dans l'autre.
§719. 1° Pour nous rendre compte des redoutables effets du péché mortel en cette vie, rappelons-nous ce qu'est une âme en état de grâce: en elle habite la Très Sainte Trinité, qui y prend ses complaisances, et l'orne de ses grâces, de ses vertus et de ses dons, sous l'influence de la grâce actuelle, ses actes bons deviennent des actes méritoires de la vie éternelle; elle possède la sainte liberté des enfants de Dieu, participe à la force, à la vertu de Dieu, et jouit, à certains moments surtout, d'un bonheur qui est comme un avant-goût du bonheur céleste. Or que fait le péché mortel?
a) Il chasse Dieu de notre âme, et puisque la possession de Dieu est déjà une anticipation du bonheur céleste, sa perte est comme le prélude de l'éternelle réprobation: perdre Dieu, n'est-ce pas perdre en effet tous les biens dont il est la source?
b) Avec lui, nous perdons la grâce sanctifiante, qui faisait vivre notre âme d'une vie semblable à celle de Dieu; c'est donc une sorte de suicide spirituel; et, avec elle, nous perdons ce glorieux cortège de vertus et de dons qui l'accompagnait. Si, dans son infinie miséricorde, Dieu nous laisse la foi et l'espérance, ces vertus ne sont plus informées par la charité, et ne sont là que pour nous inspirer une crainte salutaire et un désir ardent de réparation et de pénitence; en attendant, elles nous montrent le triste état de notre âme, et excitent en nous des remords cuisants.
§720. c) Nous perdons aussi nos mérites passés, accumulés par des efforts nombreux; nous ne pourrons les retrouver que par une laborieuse pénitence, et, tant que nous demeurons en état de péché mortel, nous ne pouvons rien mériter pour le ciel. Quel gaspillage de biens surnaturels!
d) Il faut y ajouter l'esclavage tyrannique que désormais le pécheur doit subir: au lieu de cette liberté dont il jouissait, le voilà devenu l'esclave du péché, des passions mauvaises qui se trouvent déchaînées par la perte de la grâce, des habitudes qui ne tardent pas à se former avec les rechutes si difficiles à éviter; car «quiconque fait le péché est l'esclave du péché, omnis qui facit peccatum servus est peccati» [°410]. Alors s'affaiblissent graduellement les forces morales, les grâces actuelles diminuent, le découragement et parfois le désespoir surviennent; c'en est fait de cette pauvre âme si Dieu, par un excès de miséricorde, ne vient par sa grâce la retirer du fond de l'abîme.
§721. 2° Si malheureusement le pécheur s'obstine jusqu'au bout dans la résistance à la grâce, c'est l'enfer avec toutes ses horreurs. A) La peine du dam d'abord, peine justement méritée. La grâce n'avait cessé de poursuivre le coupable; mais lui est mort volontairement dans son péché, c'est à dire volontairement séparé de Dieu; et, comme ses dispositions ne peuvent plus changer, il demeurera pendant toute l'éternité séparé de Dieu. Tant qu'il vivait sur terre, absorbé par ses affaires et ses plaisirs, il n'avait pas le temps de s'arrêter à l'horreur de sa situation. Mais, maintenant qu'il n'y a plus pour lui ni affaires, ni plaisirs, il se trouve constamment en face de l'épouvantable réalité. Par le fond même de sa nature, par les aspirations de son esprit et de son coeur, de son être tout entier il se sent irrésistiblement attiré vers Celui qui est son premier principe et sa dernière fin, la source unique de sa perfection et de son bonheur, vers ce Père si aimable et si aimant qui l'avait adopté pour enfant, vers ce Rédempteur qui l'avait aimé jusqu'à mourir pour lui sur la croix; et d'un autre côté, il se sent impitoyablement repoussé par une force insurmontable, et cette force n'est autre que son péché. La mort l'a figé, l'a immobilisé dans ses dispositions, et, parce qu'au moment même de la mort il a rejeté Dieu, éternellement il sera séparé de lui. Plus de bonheur, plus de perfection; il demeure attaché à son péché, et par lui à tout ce qu'il y a d'ignoble et de dégradant: «Discedite a me, maledicti».
§722. B) À cette peine du dam, de beaucoup la plus terrible, vient s'ajouter la peine du sens. Le corps ayant été le complice de l'âme participera à son supplice; déjà le désespoir éternel qui torture l'âme du réprouvé produit en son corps une fièvre intense, une soif inextinguible que rien ne peut désaltérer. Mais de plus il y aura un feu réel, bien que différent du feu matériel que nous voyons sur terre, qui sera l'instrument de la justice divine pour châtier notre corps et nos sens, il est juste en effet qu'on soit puni par où on a péché «per quae peccat quis per haec et torquetur» [Sg 11:16]; et, puisque le réprouvé a voulu jouir d'une façon désordonnée des créatures, il trouvera en elles un instrument de supplice. Ce feu, allumé et dirigé par une main intelligente, torturera d'autant plus ses victimes qu'elles auront voulu jouir d'une façon plus intense des plaisirs mauvais.
§723. C) L'une et l'autre peine ne finira jamais, et c'est là ce qui porte à son comble le châtiment des réprouvés. Car, si les moindres souffrances, par le fait même de leur continuité, deviennent presque intolérables, que dire de ces peines, déjà si intenses en elles-mêmes, qui, après des millions de siècles, ne feront que recommencer?
Et cependant Dieu est juste, Dieu est bon jusque dans les châtiments qu'il est obligé d'infliger aux damnés! Il faut donc que le péché mortel soit un mal abominable pour être puni de la sorte, le seul véritable et unique mal. Donc plutôt mourir que de se souiller d'un seul péché mortel: «potius mori quam foedari»; et, pour mieux réussir à l'éviter, ayons horreur aussi du péché véniel.
Au point de vue de la perfection, il y a une très grande différence entre les fautes vénielles de surprise et celles qui se commettent de propos délibéré, avec délibération et un plein consentement.
§724. Des fautes de surprise. Les Saints eux-mêmes commettent quelquefois des fautes de surprise, en se laissant entraîner un moment, par irréflexion ou faiblesse de volonté, à des négligences dans les exercices spirituels, à des imprudences, à des jugements ou à des paroles contraires à la charité, à un léger mensonge pour s'excuser. Assurément ces fautes sont regrettables, et les âmes ferventes les déplorent avec amertume; mais elles ne sont pas un obstacle à la perfection: le Bon Dieu, qui connaît notre faiblesse, les excuse facilement: «ipse cognovit figmentum nostrum»; d'ailleurs nous les réparons presque aussitôt par des actes de contrition, d'humilité, d'amour, qui sont plus durables et plus volontaires que ne l'ont été les péchés de fragilité.
Tout ce que nous avons à faire par rapport à ces fautes, c'est d'en diminuer le nombre et d'éviter le découragement. a) C'est par la vigilance qu'on peut les diminuer: on essaie de remonter à la cause et de la supprimer, mais sans empressement ni préoccupation, en s'appuyant sur la grâce divine plus encore que sur nos efforts; on s'efforce surtout de supprimer toute affection au péché véniel; car, comme le remarque S. François de Sales [°411], «si le coeur s'y attache, on perd bientôt la suavité de la dévotion et toute la dévotion elle-même».
§725. b) Mais il faut éviter avec soin le découragement, le dépit de ceux qui «se fâchent de ce qu'ils se sont fâchés, se chagrinent de ce qu'ils sont chagrinés» [°412]; ces mouvements viennent au fond de notre amour-propre qui se trouble et s'inquiète de nous voir si imparfaits. Pour éviter ce défaut, il faut regarder nos fautes avec bénignité comme nous regardons celles des autres, haïr sans doute nos défauts et nos défaillances, mais d'une haine tranquille, avec une conscience très vive de notre faiblesse et de notre misère, et une volonté ferme et calme de faire servir ces fautes à la gloire de Dieu, en accomplissant avec plus de fidélité et d'amour le devoir présent.
Mais les péchés véniels de propos délibéré sont un très grand obstacle à notre progrès spirituel, et doivent être combattus avec vigueur. Pour nous en convaincre, voyons leur malice et leurs effets.
§726. Ce péché est un mal moral, au fond le plus grand mal après le péché mortel; sans doute il ne nous détourne pas de notre fin, mais il retarde notre marche en avant, nous fait perdre un temps précieux, et surtout est une offense de Dieu; c'est en cela surtout que consiste sa malice.
§727. 1° C'est en effet une désobéissance à Dieu, en matière légère sans doute, mais voulue après réflexion, et qui, aux yeux de la foi, est vraiment quelque chose d'odieux, puisqu'elle s'attaque à la majesté infinie de Dieu.
A) C'est une injure, une insulte à Dieu: nous mettons en balance d'un côté la volonté de Dieu, sa gloire, et, de l'autre, notre caprice, notre plaisir, notre gloriole, et nous osons nous préférer à Dieu! Quel outrage! Une volonté, infiniment sage et droite sacrifiée à la nôtre, si sujette à l'erreur et au caprice! C'est, dit Ste Thérèse [°413], comme si l'on disait: «Seigneur, bien que cette action vous déplaise, je ne laisserai pas de la faire. Je n'ignore pas que vous la voyez, je sais parfaitement que vous ne la voulez pas; mais j'aime mieux suivre ma fantaisie et mon attrait que votre volonté. Et ce serait peu de chose que d'agir de la sorte? Pour moi, si légère que soit la faute en elle-même, je trouve au contraire que c'est grave, et très grave».
§728. B) De là, par notre faute, une diminution de la gloire extérieure de Dieu : nous avons été créés pour procurer sa gloire en obéissant parfaitement et amoureusement à ses ordres; or, en refusant de lui obéir, même en matière légère, nous lui dérobons une portion de cette gloire; au lieu de proclamer, comme Marie, que nous voulons le glorifier en toutes nos actions «Magnificat anima mea Dominum», nous refusons positivement de le glorifier en telle ou telle chose.
C) C'est, par là même, une ingratitude; comblés de bienfaits plus nombreux parce que nous sommes ses amis, et sachant qu'il demande en retour notre reconnaissance et notre amour, nous refusons de lui faire tel petit sacrifice; au lieu de chercher à lui plaire, nous ne craignons pas de lui déplaire. De là évidemment un refroidissement de l'amitié de Dieu à notre égard: il nous aime sans réserve, et nous demande, en retour, de l'aimer de toute notre âme: «Diliges Dominum Deum tuum ex toto corde tuo et in tota anima tua et in tota mente tua» [Mt 22:37]. Et nous ne lui donnons qu'une partie de nous-mêmes, nous faisons nos réserves, et, tout en voulant garder son amitié, nous lui marchandons la nôtre, et ne lui donnons qu'un coeur partagé. Il est évident que c'est là une indélicatesse, un manque d'élan et de générosité qui ne peut que diminuer notre intimité avec Dieu.
§729. 1° En cette vie, le péché véniel, commis fréquemment et de propos délibéré, prive notre âme de beaucoup de grâces, diminue progressivement la ferveur et nous prédispose au péché mortel.
A) Le péché véniel prive l'âme non pas de la grâce sanctifiante, ni de l'amour divin; mais il la prive d'une grâce nouvelle qu'elle aurait reçue si elle avait résisté à la tentation, et par là même d'un degré de gloire qu'elle pouvait acquérir par sa fidélité; il la prive d'un degré d'amour que Dieu voulait lui donner. N'est-ce pas là une perte immense, la perte d'un trésor plus précieux que le monde entier?
§730. B) C'est une diminution de ferveur, c'est-à-dire de cette générosité qui se donne complètement à Dieu. Cette disposition suppose en effet un idéal élevé et un effort constant pour s'en rapprocher. Or l'habitude du péché véniel est incompatible avec ces deux dispositions.
a) Rien ne diminue notre idéal comme l'attache au péché: au lieu d'être prêts à tout faire pour Dieu et de viser aux sommets, nous nous arrêtons délibérément le long du chemin, à mi-côte, pour jouir de quelque petit plaisir défendu; nous perdons ainsi un temps précieux; nous cessons de regarder en haut, pour nous amuser à cueillir quelques fleurs qui bientôt vont se faner; nous sentons alors la fatigue, et les sommets de la perfection, ceux-là même auxquels nous étions personnellement appelés, nous semblent trop lointains et trop escarpés; nous nous disons qu'il n'est pas nécessaire de viser si haut, qu'on peut faire son salut à meilleur compte; et l'idéal que nous avions entrevu n'a plus d'attraits pour nous. Après tout, se dit-on, ces mouvements de complaisance en soi-même, ces petites sensualités, ces amitiés sensibles, ces médisances, sont inévitables; il faut en prendre son parti. b) Alors l'élan vers les hauteurs est brisé; nous marchions auparavant d'un pas allègre, soutenus par l'espoir d'arriver au but; nous commençons à sentir le poids du jour, et de la fatigue, et, quand nous voulons reprendre nos ascensions, l'attache au péché véniel nous empêche d'avancer. L'oiseau attaché au sol essaie en vain de prendre son essor, il retombe meurtri sur le sol; ainsi nos âmes, retenues par des attaches auxquelles nous ne voulons pas renoncer, retombent bien vite plus ou moins meurtries par le vain effort qu'elles ont tenté. Parfois sans doute il nous semble bien que nous allons reprendre notre élan; mais hélas! d'autres liens nous retiennent, et nous n'avons plus la constance nécessaire pour les couper tous les uns après les autres. Il y a donc un refroidissement de la charité qui devient inquiétant.
§731. C) Le grand danger qui nous menace alors, c'est de glisser peu à peu jusque dans le péché mortel. Car nos tendances au plaisir défendu augmentent, et par ailleurs les grâces de Dieu diminuent, si bien que le moment vient où nous pouvons craindre toutes les capitulations.
a) Nos tendances au plaisir mauvais augmentent: plus on accorde à cet ennemi perfide, et plus il réclame, tant il est insatiable.
Aujourd'hui la paresse nous fait abréger notre méditation de cinq minutes; demain elle en demande dix; aujourd'hui, la sensualité n'exige que quelques petites imprudences, demain elle s'enhardit et demande un peu plus. Où s'arrêter sur cette pente dangereuse ? On se rassure en disant que ces fautes ne sont que vénielles; mais hélas! elles se rapprochent peu à peu des fautes graves, les imprudences se renouvellent et troublent plus profondément l'imagination et les sens. C'est le feu qui couve sous la cendre et qui peut devenir un foyer d'incendie; c'est le serpent qu'on réchauffe sur son sein et qui s'apprête à mordre, à empoisonner sa victime. -- Le danger est d'autant plus prochain qu'à force de s'y exposer, on le redoute moins: on se familiarise avec lui, on laisse tomber, l'une après l'autre, les barrières qui défendaient la citadelle du coeur, et le moment vient où, par un assaut plus furieux, l'ennemi pénètre dans la place.
§732. b) C'est d'autant plus à redouter que les grâces de Dieu diminuent généralement en proportion de nos infidélités. 1) C'est en effet une loi providentielle que les grâces nous sont données en rapport avec notre coopération «secundum cujusque dispositionem et cooperationem». Tel est au fond le sens de la parole évangélique: «À celui qui a on donne beaucoup, et il sera dans l'abondance; mais à celui qui n'a pas on ôtera ce qu'il a: qui enim habet, dabitur ei, et abundabit; qui autem non habet, et quod habet, auferetur ab eo» [Mt 13:12]. Or, par l'attache au péché véniel, nous résistons à la grâce, nous mettons des obstacles à son action dans notre âme et par là même nous en recevons beaucoup moins. Or, si avec des grâces plus abondantes, nous n'avons pas su résister aux mauvais penchants de la nature, est-ce que nous le ferons avec des grâces et des forces amoindries? 2) D'ailleurs, quand une âme manque de recueillement et de générosité, elle ne perçoit guère ces mouvements intérieurs de la grâce qui la sollicitent au bien: ils sont vite étouffés par le bruit des passions qui se réveillent. 3) Du reste la grâce ne peut nous sanctifier qu'en nous demandant des sacrifices, et les habitudes de jouissances acquises par l'attache aux fautes vénielles rendent ces sacrifices beaucoup plus difficiles.
§733. On peut donc conclure avec le P. L. Lallemant [°414]: «La ruine des âmes vient de la multiplication des péchés véniels, qui causent la diminution des lumières et des inspirations divines, des grâces et des consolations intérieures, de la ferveur et du courage pour résister aux attaques de l'ennemi. De là s'ensuit l'aveuglement, la faiblesse, les chutes fréquentes, l'habitude, l'insensibilité, parce que l'affection étant gagnée, on pèche sans sentiment de son péché».
§734. 2° Les effets du péché véniel dans l'autre vie [°415], nous montrent combien nous devons le redouter: c'est pour l'expier en effet que beaucoup d'âmes passent de nombreuses années dans le Purgatoire. Or que souffrent-elles en ce lieu d'expiation?
A) Elles y souffrent le plus insupportable des maux, la privation de Dieu . Sans doute cette peine n'est pas éternelle, et c'est là ce qui la distingue des peines de l'enfer. Mais, pendant un temps, plus ou moins long, proportionné au nombre et à l'intensité de leurs fautes, ces âmes qui aiment Dieu, qui, séparées de toutes les jouissances et distractions de la terre, pensent constamment à lui et désirent ardemment voir sa face, sont privées de sa vue et de sa possession, et souffrent d'indicibles déchirements. Elles comprennent maintenant qu'en dehors de Lui elles ne peuvent être heureuses; et voilà que se dressent devant elles, comme un obstacle insurmontable, cette multitude de fautes vénielles, qu'elles n'ont pas suffisamment expiées. Elles sont du reste si pénétrées de la nécessité de la pureté exigée pour contempler la face de Dieu qu'elles auraient honte de paraître devant lui sans cette pureté, et ne consentiraient jamais à entrer au ciel tant que reste en elles quelque trace du péché véniel [°416]. Elles sont donc en un état violent qu'elles reconnaissent avoir bien mérité, mais qui ne laisse pas de les torturer.
§735. B) De plus, selon la doctrine de S. Thomas, un feu subtil les pénètre, gêne leur activité, et leur fait éprouver des souffrances physiques, pour expier les jouissances coupables auxquelles elles avaient consenti. Sans doute elles acceptent de grand coeur cette épreuve, tant elles comprennent qu'elle leur est nécessaire pour s'unir à Dieu.
«Voyant, dit Ste Catherine de Gênes [°417], que le purgatoire est destiné à leur enlever leurs souillures, elles s'y élancent, et estiment que c'est par l'effet d'une grande miséricorde qu'elles découvrent un lieu où elles peuvent se délivrer des empêchements qu'elles aperçoivent en elles». Mais cette acceptation n'empêche pas ces âmes de beaucoup souffrir: «Ce contentement des âmes qui sont en purgatoire ne leur enlève pas une parcelle de leurs souffrances; loin de là, l'amour qui se trouve retardé cause leur peine, et la peine croît en proportion de la perfection de l'amour dont Dieu les a rendues capables» [°418].
Et cependant Dieu est non seulement juste mais miséricordieux! Il aime ces âmes d'un amour sincère, tendre et paternel; il désire ardemment se donner à elles pendant toute l'éternité; et s'il ne le fait pas, c'est qu'il y a incompatibilité absolue entre sa sainteté infinie et la moindre tache, le moindre péché véniel. Nous ne saurons donc jamais le trop haïr, jamais le trop éviter, jamais le trop réparer par la pénitence.
Trois motifs principaux nous obligent à faire pénitence de nos péchés: un devoir de justice par rapport à Dieu; un devoir résultant de notre incorporation à Jésus-Christ; un devoir d'intérêt personnel et de charité.
§736. Le péché est en effet une véritable injustice, puisqu'il dérobe à Dieu une portion de cette gloire extérieure à laquelle il a droit; il exige donc en justice une réparation, qui consistera à rendre à Dieu, dans la mesure où nous le pouvons, l'honneur et la gloire dont nous l'avons privé par notre faute. Or l'offense, étant infinie objectivement du moins, ne sera jamais complètement réparée. C'est donc toute notre vie que nous devons expier; et cette obligation est d'autant plus étendue que nous avions été comblés de plus de bienfaits et que nos fautes sont plus graves et plus nombreuses.
C'est la remarque de Bossuet [°419]: «N'avons-nous pas juste sujet de craindre que la bonté de Dieu, si indignement méprisée ne se tourne en fureur implacable? Que si sa juste vengeance est si grande contre les gentils.... sa colère ne sera-t-elle pas d'autant plus redoutable pour nous qu'il est plus sensible à un père d'avoir des enfants perfides, que d'avoir de mauvais serviteurs?» Nous devons donc prendre le parti de Dieu contre nous-mêmes: «C'est ainsi que prenant contre nous le parti de la justice divine, nous obligeons sa miséricorde à prendre notre parti contre sa justice. Plus nous déplorerons la misère où nous sommes tombés, plus nous nous rapprocherons du bien que nous avons perdu; Dieu recevra en pitié le sacrifice du coeur contrit, que nous lui offrirons pour la satisfaction de nos crimes; et sans considérer que les peines que nous nous imposons ne sont pas une vengeance proportionnée, ce bon père regardera seulement qu'elle est volontaire.» Nous rendrons d'ailleurs notre pénitence plus efficace en l'unissant à celle de Jésus-Christ.
§737. Par le baptême nous avons été incorporés au Christ [§143], et nous devons, en participant à sa vie participer à ses dispositions. Or Jésus, bien qu'impeccable, a pris sur lui, comme chef d'un corps mystique, le poids et, pour ainsi dire, la responsabilité de nos pêchés, «posuit Dominus in eo iniquitatem omnium nostrum» [Is 53:6]. Voilà pourquoi il a mené une vie pénitente depuis le premier instant de sa conception jusqu'au Calvaire. Sachant bien que son Père ne pouvait être apaisé par les holocaustes de l'Ancienne Loi, il s'offre lui-même comme hostie pour remplacer toutes les victimes; toutes ses actions seront immolées par le glaive de l'obéissance, et, après une longue vie, qui n'est qu'un continuel martyre, il meurt sur la croix, victime de son obéissance et de son amour: «factus obediens usque ad mortem, mortem autem crucis» [Ph 2:8]. Mais il veut que ses membres, pour être purifiés de leurs péchés, s'unissent à son sacrifice, et soient victimes expiatrices avec lui: «Pour être le Sauveur du genre humain, il en a voulu être la victime. Mais l'unité de son corps mystique fait que le chef s'étant immolé, tous les membres doivent être aussi des hosties vivantes» [°420]. Il est évident en effet que si Jésus, tout innocent qu'il était, a expié nos péchés par une pénitence si rigoureuse, nous qui sommes coupables devons nous associer à son sacrifice avec d'autant plus de générosité que nous avons plus péché.
§738. C'est pour nous faciliter ce devoir que Jésus pénitent vient vivre en nous par son divin Esprit, avec ses dispositions d'hostie.
«Ainsi, nous dit M. Olier [°421], il faut, en lisant les psaumes, honorer en David l'esprit de pénitence, et respecter avec grande religion et quiétude les dispositions de l'Esprit intérieur de Jésus-Christ, source de pénitence, répandu en ce Saint. Il faut y demander part avec humiliation de coeur, avec instance, ferveur et persévérance, mais surtout avec une humble confiance que cet Esprit nous sera communiqué». Sans doute nous ne sentirons pas toujours l'opération de ce divin Esprit, car il opère souvent d'une manière insensible; mais si nous le demandons humblement, nous le recevons, et il agit en nous pour nous rendre conformes à Jésus pénitent, nous faire détester et expier nos péchés avec lui. Alors notre pénitence est beaucoup plus efficace, parce qu'elle participe à la vertu même du Sauveur: ce n'est pas nous seulement qui réparons, c'est Lui qui expie en nous et avec nous. «Toute pénitence extérieure qui ne sort point de l'Esprit de Jésus-Christ, dit M. Olier [°422], n'est pas une pénitence réelle et véritable. On peut exercer sur soi des rigueurs, et, même très violentes; mais si elles ne sont point émanées de Notre Seigneur pénitent en nous, elles ne peuvent être des pénitences chrétiennes. C'est par lui seul que l'on fait pénitence; il l'a commencée ici-bas sur la terre, en sa propre personne, et il la continue en nous, ... animant notre âme des dispositions intérieures d'anéantissement, de confusion, de douleur, de contrition, de zèle contre nous-mêmes, et de force pour accomplir sur nous la peine et la mesure de la satisfaction que Dieu le Père veut recevoir de Jésus-Chris en notre chair». Cette union à Jésus pénitent ne nous dispense donc pas des sentiments et des oeuvres de pénitence, mais leur donne une plus grande valeur.
La pénitence est un devoir de charité à l'égard de nous-mêmes comme à l'égard du prochain.
§739. A) À l'égard de nous-mêmes: le péché laisse en effet dans notre âme des suites funestes, contre lesquelles il importe de réagir. a) Même alors que la coulpe ou la faute est pardonnée, il nous reste généralement à subir une peine plus ou moins longue selon la gravité et le nombre de nos péchés, comme aussi selon la ferveur de notre contrition au moment de notre retour à Dieu. Cette peine doit être subie en ce monde ou en l'autre. Or il est beaucoup plus utile de l'expier en cette vie: plus promptement et plus parfaitement nous payons cette dette, et plus notre âme est apte à l'union divine; d'ailleurs sur terre cette expiation est plus facile, parce que la vie présente est le temps de la miséricorde; elle est aussi plus féconde, puisque les actes satisfactoires sont en même temps méritoires [§228], C'est donc aimer notre âme que de faire une prompte et généreuse pénitence.
b) Mais de plus le péché laisse en nous une déplorable facilité à commettre de nouvelles fautes, précisément parce qu'il augmente en nous l'amour désordonné du plaisir. Or rien ne corrige mieux ce désordre que la vertu de pénitence: en nous faisant supporter avec vaillance les peines que la Providence nous envoie, en stimulant notre ardeur pour les privations et austérités compatibles avec notre santé, elle affaiblit graduellement l'amour du plaisir, et nous fait redouter le péché qui exige de telles réparations; en nous faisant pratiquer des actes de vertu contraires à nos mauvaises habitudes, elle nous aide à nous en corriger, et nous donne ainsi plus de sécurité pour l'avenir [°423]. C'est donc un acte de charité envers soi-même que de faire pénitence.
§740. B) C'est aussi un acte de charité à l'égard du prochain. a) En vertu de notre incorporation au Christ, nous sommes tous frères, tous solidaires les uns des autres [§148]. Et puisque nos oeuvres satisfactoires peuvent être utiles aux autres, est-ce que la charité ne nous portera pas à faire pénitence non seulement pour nous-mêmes, mais pour nos frères? N'est-ce pas le meilleur moyen d'obtenir leur conversion, ou, s'ils sont convertis, leur persévérance? N'est-ce pas le meilleur service que nous puissions leur rendre, un service mille fois plus utile que tous les biens temporels que nous pourrions leur donner? N'est-ce pas ainsi répondre à la volonté divine qui, nous ayant tous adoptés pour enfants, nous demande d'aimer notre prochain comme nous-mêmes, et d'expier ses fautes comme nous expions les nôtres?
§741. b) Ce devoir de la réparation incombe plus particulièrement aux prêtres: c'est pour eux un devoir d'état d'offrir des victimes non seulement pour eux-mêmes, mais encore pour les âmes dont ils sont chargés, «prius pro suis delictis hostias offerre, deinde pro populi» [He 7:27]. Mais il est, en dehors du sacerdoce, des âmes généreuses qui, soit dans le cloître, soit dans le monde, se sentent attirées à s'offrir comme victimes pour expier les péchés des autres. C'est là une très noble vocation qui les associe à l'oeuvre rédemptrice du Christ, et à laquelle, il est bon de répondre courageusement, en ayant soin de consulter un sage directeur pour déterminer avec lui les oeuvres de réparation auxquelles on s'adonnera [°424].
§742. Disons en terminant que l'esprit de pénitence n'est pas un devoir imposé seulement aux commençants, et pour un temps assez court. Quand on a compris ce qu'est le péché, quelle offense infinie il inflige à la majesté divine, on se croit obligé à faire pénitence toute sa vie, puisque la vie elle-même est trop courte pour réparer une offense infinie. Il faut donc ne jamais se lasser de faire pénitence.
Ce point est si important que le P. Faber, après avoir longtemps réfléchi sur la cause pour laquelle tant d'âmes font si peu de progrès, en vint à la conclusion que cette cause était «l'absence d'une douleur constante excitée par le souvenir du péché» [°425]. C'est du reste ce que confirme l'exemple des Saints qui n'ont jamais cessé d'expier les fautes, quelquefois bien légères, qui leur avaient échappé autrefois. La conduite de Dieu à l'égard des âmes qu'il veut élever à la contemplation le montre bien aussi. Quand elles ont travaillé pendant longtemps à se purifier par les exercices actifs de la pénitence, il leur envoie, pour compléter leur purification, ces épreuves passives que nous décrivons dans la voie unitive. Seuls en effet les coeurs parfaitement purs ou purifiés peuvent arriver aux douceurs de l'union divine: «Beati mundo corde quoniam ipsi Deum videbunt»! [Mt 5:8]
Pour pratiquer la pénitence d'une façon plus parfaite, il faut évidemment s'unir à Jésus pénitent, et lui demander de vivre en nous avec son esprit d'hostie [§738]; puis s'associer à ses sentiments et à ses oeuvres de pénitence.
§743. Ces sentiments sont fort bien exprimés dans les psaumes et en particulier dans le Miserere.
a) C'est tout d'abord le souvenir habituel et douloureux de ses péchés: «peccatum meum contra me est semper» [Ps 50:5]. Il ne convient pas sans doute de les repasser en détail dans son esprit: ce qui pourrait troubler l'imagination et créer de nouvelles tentations. Mais il faut s'en souvenir en gros, et surtout entretenir à leur égard des sentiments de contrition et d'humiliation.
Nous avons offensé Dieu en sa présence «et malum coram te feci» [Ps 50:6], ce Dieu qui est la sainteté même et qui hait l'iniquité, ce Dieu qui est tout amour et que nous avons outragé en profanant ses dons. Il ne nous reste plus qu'à faire appel à sa miséricorde pour implorer son pardon, et c'est souvent qu'il faut le faire: «Miserere mei, Deus, secundum magnam misericordiam tuam» [Ps 50:3]. Sans doute, nous avons l'espoir d'avoir été pardonnés; mais, désireux d'une pureté plus parfaite, nous demandons humblement à Dieu de nous purifier encore plus dans le sang de son Fils: «amplius lava me ab iniquitate mea et a peccato meo munda me» [Ps 50:4]. Pour nous unir à lui plus intimement, nous voulons que nos péchés soient détruits, qu'il n'en reste plus de traces, nous désirons que notre esprit et notre coeur soient renouvelés, et que nous soit rendue la joie de la bonne conscience [Ps 50:10-14].
§744. b) Ce souvenir douloureux est accompagné d'un sentiment de confusion perpétuelle: «operuit confusio faciem meam» [Ps 68:8]. Cette confusion nous la portons devant Dieu, comme Jésus-Christ qui a porté devant son Père la honte de nos offenses, surtout au jardin de l'agonie et au Calvaire. Nous la portons devant les hommes, honteux de nous voir chargés de crimes dans l'assemblée des saints. Nous la portons devant nous-mêmes, ne pouvant nous souffrir ni nous supporter dans notre honte, disant sincèrement avec le prodigue: «Père, j'ai péché contre le ciel et contre vous» [Lc 15:18]; et avec le publicain: «O Dieu, ayez pitié de moi qui suis un pécheur» [Lc 18:13].
§745. c) De là naît une crainte salutaire du péché, une horreur profonde pour toutes les occasions qui peuvent nous y conduire. Car, malgré notre bonne volonté, nous demeurons exposés à la tentation et aux rechutes.
Nous demeurons donc extrêmement défiants de nous-mêmes, et du fond du coeur nous renouvelons la prière de S. Philippe de Néri: Mon Dieu, méfiez-vous de Philippe; autrement, il vous trahirait; et nous ajoutons: «ne nous laissez pas succomber à la tentation, et ne nos inducas in tentationem». Cette défiance nous fait prévoir les occasions dangereuses où nous pourrions succomber, les moyens positifs d'assurer notre persévérance, et nous rend vigilants pour écarter les moindres imprudences. Mais elle évite avec soin le découragement: plus nous avons conscience de notre impuissance, et plus nous mettons notre confiance en Dieu, convaincus que par l'efficacité de sa grâce nous serons victorieux, surtout si à ces sentiments nous joignons les oeuvres de la pénitence.
§746. Ces oeuvres, si pénibles soient-elles, nous paraîtront faciles, si nous avons sans cesse devant les yeux cette pensée: je suis un échappé d'enfer, un échappé de purgatoire, et, sans la miséricorde divine, je serais déjà à y subir le châtiment que j'ai trop bien mérité; donc il n'y a rien de trop humiliant, rien de trop crucifiant pour moi.
Les principales oeuvres de pénitence que nous devons accomplir, sont:
§747. 1° L'acceptation d'abord résignée, puis cordiale et joyeuse de toutes les croix que la Providence veut bien nous envoyer. Le concile de Trente nous enseigne que c'est une grande preuve de l'amour de Dieu pour nous que de vouloir bien agréer comme satisfaction pour nos péchés la patience avec laquelle nous acceptons tous les maux temporels qu'il nous inflige [°426]. Ainsi donc, si nous avons à souffrir des épreuves physiques ou morales, par exemple, les intempéries des saisons, les étreintes de la maladie, des revers de fortune, des insuccès, des humiliations, au lieu de nous plaindre amèrement, comme nous y porte la nature, acceptons toutes ces souffrances avec une douce résignation, persuadés que nous les méritons à cause de nos péchés, et que la patience au milieu des épreuves est un des meilleurs moyens d'expiation. Ce ne sera tout d'abord qu'une simple résignation; mais en constatant que par là nos douleurs sont adoucies et fécondes, nous en viendrons peu à peu à les supporter vaillamment et même joyeusement, heureux d'abréger ainsi notre purgatoire, de ressembler davantage au divin crucifié, de glorifier Dieu que nous avions outragé. Alors la patience produira tous ses fruits, et purifiera complètement notre âme précisément parce qu'elle sera une oeuvre d'amour: «remittuntur ei peccata multa, quoniam dilexit multum» [Lc 7:47].
§748. 2° À cette patience nous joindrons l'accomplissement fidèle des devoirs d'état en esprit de pénitence et de réparation. Le sacrifice le plus agréable à Dieu c'est celui de l'obéissance: «melior est obedientia quam victimae» [1S 15:22]. Or le devoir d'état c'est pour nous l'expression manifeste de la volonté de Dieu. L'accomplir aussi parfaitement que possible, c'est donc offrir à Dieu le sacrifice le plus parfait, l'holocauste perpétuel, puisque ce devoir nous saisit depuis le matin jusqu'au soir. Ceci est vrai assurément pour les personnes vivant en communauté: en obéissant fidèlement à leur règle, générale ou particulière, en accomplissant courageusement ce qui leur est prescrit ou conseillé par leurs supérieurs, ils multiplient les actes d'obéissance, de sacrifice et d'amour, et peuvent redire, avec S. J. Berchmans, que la vie commune est pour elles la meilleure de toutes les pénitences: «mea maxima paenitentia vita communis». Mais c'est vrai aussi pour les personnes du monde qui vivent chrétiennement; que d'occasions se présentent aux pères et mères de famille, qui observent tous leurs devoirs d'époux et d'éducateurs, d'offrir à Dieu des sacrifices nombreux et austères qui servent grandement à purifier leurs âmes? Le tout, c'est d'accomplir ces devoirs chrétiennement, vaillamment, pour Dieu, en esprit de réparation et de pénitence.
§749. 3° Il est aussi d'autres oeuvres spécialement recommandées par la Ste Écriture, comme le jeûne et l'aumône.
A) Le jeûne était, sous l'ancienne Loi, l'un des grands moyens d'expiation; c'était ce qu'on appelait «affliger son âme» [°427]; mais, pour obtenir son effet, il devait être accompagné de sentiments de componction et de miséricorde [Is 58:3-7]. Sous la Loi nouvelle, le jeûne est une pratique de deuil et de pénitence; aussi les Apôtres ne jeûnent pas tant, que l'Epoux est avec eux, mais ils jeûneront quand il ne sera plus là [Mt 9:14-15]. Notre Seigneur, voulant expier nos péchés, jeûne pendant quarante jours et quarante nuits, et enseigne à ses apôtres que certains démons ne peuvent être chassés que par le jeûne et la prière [Mt 17:20]. Fidèle à ces enseignements, l'Église a institué le jeûne du Carême, des Vigiles et des Quatre-Temps pour donner aux fidèles l'occasion d'expier leurs fautes. Beaucoup de péchés viennent en effet directement ou indirectement de la sensualité, des excès dans le boire et le manger, et rien n'est plus efficace pour les réparer que la privation de nourriture qui va à la racine du mal en mortifiant l'amour du plaisir sensuel. Voilà, pourquoi les Saints l'ont pratiqué si fréquemment en dehors même des temps fixés par l'Église; les chrétiens généreux les imitent ou du moins se rapprochent du jeûne proprement dit en se privant de quelques aliments à chaque repas, pour mater ainsi la sensualité.
§750. B) Quant à l'aumône, elle est une oeuvre de charité et une privation à ce double titre, elle a une grande efficacité pour racheter nos péchés: «peccata eleemosynis redime» [Dn 4:24]. Quand on se prive d'un bien pour le donner à Jésus dans la personne du pauvre, Dieu ne se laisse pas vaincre en générosité, et volontiers il nous remet une partie de la peine due à nos péchés. Plus donc on est généreux, chacun selon ses ressources, plus aussi l'intention avec laquelle on fait l'aumône est parfaite, et plus complètement nos dettes spirituelles sont remises. -- Ce que nous disons de l'aumône corporelle s'applique à plus forte raison à l'aumône spirituelle, qui tend à faire du bien aux âmes et par là même à glorifier Dieu. Aussi est-ce là une des oeuvres de pénitence que promet le Psalmiste, quand il dit au Seigneur que, pour réparer son péché, il enseignera aux pécheurs les voies du repentir: «Docebo iniquos vias tuas et impii ad te convertentur» [Ps 50:15].
4° Enfin restent les privations et mortifications volontaires que nous nous imposons en expiation de nos fautes, en particulier celles qui vont à la source du mal, en châtiant et disciplinant les facultés qui ont contribué à nous les faire commettre. C'est ce que nous allons exposer en traitant de la mortification.
§751. La mortification contribue, comme la pénitence, à nous purifier des fautes passées; mais son but principal est de nous prémunir contre celles du présent et de l'avenir, en diminuant l'amour du plaisir, source de nos péchés. Nous allons donc expliquer sa nature, sa nécessité et sa pratique.
Art. I. Nature Ses divers noms. Sa définition. Art. II. Nécessité pour le salut. pour la perfection. Art. III. Pratique Principes généraux. Mortification des sens extérieurs. Mortification des sens intérieurs. Mortification des passions. Mortification des facultés supérieures.
Après avoir expliqué les mots bibliques et modernes qui désignent la mortification, nous en donnerons la définition.
§752. I. Expressions bibliques pour désigner la mortification. Nous trouvons sept expressions principales dans nos Livres Saints pour désigner la mortification sous ses différents aspects.
1° Le mot renoncement: «qui non renuntiat omnibus quae possidet non potest meus esse discipulus» [Lc 14:33] nous présente la mortification comme un acte de détachement des biens extérieurs pour suivre le Christ, c'est ce que firent les Apôtres: «relictis omnibus, secuti sunt eum» [Lc 5:11].
2° C'est aussi une abnégation ou renoncement à soi-même: «Si quis vult post me venire, abneget semetipsum» [Lc 9:23]; le plus terrible de nos ennemis, c'est en effet l'amour déréglé de soi-même; et voilà pourquoi il faut se détacher de soi.
3° Mais la mortification a un côté positif: c'est un acte qui blesse et atrophie les tendances mauvaises de la nature: «Mortificate ergo membra vestra» [Col 3:5]... «Si autem Spiritu facta carnis mortificaveritis, vivetis» [Rm 8:13].
4° Bien plus, c'est un crucifiement de la chair et de ses convoitises, par lequel nous clouons, pour ainsi dire, nos facultés à la loi évangélique, en les appliquant à la prière, au travail: «Qui... sunt Christi, carnem suam crucifixerunt cum vitiis et concupiscentiis» [Ga 5:24].
5° Ce crucifiement, quand il persévère, produit une sorte de mort et d'ensevelissement, par lequel nous semblons mourir complètement à nous-mêmes et nous ensevelir avec Jésus-Christ, pour vivre avec lui d'une vie nouvelle: «Mortui enim estis vos et vita vestra est abscondita cum Christo in Deo» [Col 3:3]... «Consepulti enim sumus cum illo per baptismum in mortem» [Rm 6:4].
6° Pour exprimer cette mort spirituelle, S. Paul se sert d'une autre expression; comme, après le baptême, il y a en nous deux hommes, le vieil homme qui demeure, ou la triple concupiscence, et l'homme nouveau ou l'homme régénéré, il déclare que nous devons nous dépouiller du vieil homme pour revêtir le nouveau: «exspoliantes vos veterem hominem... et induentes novum» [Col 3:9-10].
7° Et comme ceci ne se fait pas sans combattre, il déclare que la vie est un combat: «bonum certamen certavi» [2Tm 4:7], que les chrétiens sont des lutteurs ou des athlètes, qui châtient leur corps et le réduisent en servitude.
De toutes ces expressions et d'autres analogues, il résulte que la mortification comprend un double élément: l'un négatif, le détachement, le renoncement, le dépouillement, et l'autre positif, la lutte contre les mauvaises tendances, l'effort pour les mortifier ou les atrophier, le crucifiement, la mort, le crucifiement de la chair, du vieil homme et de ses convoitises, afin de vivre de la vie du Christ.
§753. II. Expressions modernes. Aujourd'hui on aime à employer des expressions adoucies, qui indiquent le but à atteindre plutôt que l'effort à s'imposer. On dit qu'il faut se réformer soi-même, se gouverner soi-même, faire l'éducation de la volonté, orienter son âme vers Dieu. Ces expressions sont justes pourvu qu'on sache montrer qu'on ne peut se réformer et se gouverner qu'en combattant et mortifiant les mauvaises tendances qui sont en nous; qu'on ne fait l'éducation de la volonté qu'en mâtant, en disciplinant les facultés inférieures, et qu'on ne peut s'orienter vers Dieu qu'en se détachant des créatures et se dépouillant de ses vices. En d'autres termes, il faut savoir, comme le fait la Ste Écriture, réunir les deux aspects de la mortification, montrer le but pour consoler, mais ne pas dissimuler l'effort nécessaire pour l'atteindre.
§754. III. Définition. On peut donc définir la mortification: la lutte contre les inclinations mauvaises pour les soumettre à la volonté et celle-ci à Dieu. C'est moins une vertu qu'un ensemble de vertus, le premier degré de toutes les vertus, qui consiste à surmonter les obstacles, en vue de rétablir l'équilibre des facultés, leur ordre hiérarchique. Ainsi on voit mieux que la mortification n'est pas un but, mais un moyen: on ne se mortifie que pour vivre d'une vie supérieure, on ne se dépouille des biens extérieurs que pour mieux posséder les biens spirituels, on ne renonce à soi que pour posséder Dieu, on ne lutte que pour jouir de la paix, on ne meurt à soi que pour vivre de la vie du Christ, de la vie de Dieu: c'est donc l'union à Dieu qui est le but de la mortification. Par là on comprend mieux sa nécessité.
Cette nécessité peut s'étudier à un double point de vue, au point de vue du salut et de la perfection.
Il est des mortifications nécessaires pour le salut, en ce sens que si on ne les fait pas, on s'expose à tomber dans le péché mortel.
§755. 1° Notre Seigneur en parle d'une façon très nette à propos des fautes contre la chasteté: «Quiconque regarde une femme avec convoitise, ad concupiscendam eam, a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur» [Mt 5:28]. Il y a donc des regards gravement coupables, ceux qui sont commandés par de mauvais désirs; et la mortification de ces regards s'impose sous peine de péché mortel. C'est du reste ce qu'ajoute Notre Seigneur par ces paroles énergiques: «Si ton oeil droit est pour toi une occasion de chute, arrache-le et jette-le loin de toi; car il vaut mieux pour toi qu'un seul de tes membres périsse, et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne» [Mt 5:29]. Il ne s'agit pas ici de se crever les yeux, mais d'arracher son regard à la vue de ces objets qui sont un sujet de scandale. S. Paul nous donne la raison de ces graves prescriptions: «Si vous vivez selon la chair, vous mourrez; mais si, par l'Esprit, vous faites mourir les oeuvres du corps, vous vivrez: si enim secundum carnem vixeritis, moriemini, si autem Spiritu facta carnis mortificaveritis, vivetis» [Rm 8:13].
Nous l'avons dit en effet [§193-227], la triple concupiscence qui demeure en nous, excitée par le monde et le démon, nous porte souvent au mal et met notre salut en péril, si nous n'avons soin de la mortifier. De là résulte la nécessité absolue de combattre sans cesse les tendances mauvaises qui sont en nous, de fuir les occasions prochaines de péché, c'est-à-dire ces objets ou ces personnes qui, étant donné notre expérience passée, constituent pour nous un péril sérieux et probable de péché, et de renoncer par là même à beaucoup de plaisirs vers lesquels nous entraîne notre nature [°429]. Il y a donc des mortifications nécessaires, sans lesquelles on tomberait dans le péché mortel.
§756. 2° Il en est d'autres que l'Église prescrit afin de préciser l'obligation générale de se mortifier si souvent rappelée dans l'Évangile: telle est l'abstinence d'aliments gras le vendredi, le jeûne du Carême, des Quatre-Temps et des vigiles. Ces lois obligent sous peine de faute grave ceux qui n'ont point de légitime excuse. Ici nous tenons à faire une remarque qui a son importance: il en est qui, pour de bonnes raisons, sont dispensés de ces lois; ils ne sont pas pour autant dispensés de la loi générale de la mortification, et doivent par conséquent la pratiquer sous une autre forme; sans quoi ils ne tarderont pas à sentir les révoltes de la chair.
§757. 3° Outre ces mortifications prescrites par la loi divine et la loi ecclésiastique, il en est d'autres que chacun doit s'imposer, sur l'avis de son directeur, en certaines circonstances particulières, quand les tentations se font plus pressantes; on les choisit parmi celles que nous allons indiquer [§767 ss].
§758. Cette nécessité découle de ce que nous avons dit de la nature de la perfection: elle consiste dans l'amour de Dieu poussé jusqu'au sacrifice et à l'immolation de soi [§321-327], si bien que, selon l'Imitation, la mesure de notre progrès spirituel dépend de la mesure avec laquelle nous nous faisons violence à nous-mêmes: tantum proficies quantum tibi ipsi vim intuleris [°430]. Il suffira donc de rappeler brièvement quelques motifs qui puissent agir sur notre volonté pour l'aider à pratiquer ce devoir; ils se tirent du côté de Dieu, de Jésus-Christ, de notre sanctification personnelle [°431].
§759. A) Le but de la mortification, nous l'avons dit, c'est de nous unir à Dieu. Or nous ne le pouvons faire sans nous détacher de l'amour désordonné des créatures.
Comme le dit avec raison S. Jean de la Croix, «l'âme attachée à la créature devient semblable à elle; plus l'affection grandit, plus l'identité s'affirme, car l'amour établit un rapport d'égalité entre ce qui aime et ce qui est aimé... Donc celui qui aime une créature, s'abaisse à son niveau, et même au-dessous, parce que l'amour ne se contente pas de niveler, mais établit un esclavage. C'est pour ce motif qu'une âme esclave d'un objet hors de Dieu, devient incapable de pure union et de transformation en Dieu, car la bassesse de la créature est plus distante de la souveraineté du Créateur que les ténèbres de la lumière. «Or l'âme qui ne se mortifie pas s'attache vite aux créatures d'une façon désordonnée: elle se sent en effet, depuis la chute originelle, attirée vers elles, captivée par leurs charmes, et, au lieu de s'en servir comme d'échelons pour aller jusqu'au Créateur, elle se complait en elles et les considère comme une fin. Pour briser ce charme, pour échapper à cette emprise, il est absolument nécessaire de se détacher de tout ce qui n'est pas Dieu, ou du moins de tout ce qui n'est pas envisagé comme un moyen d'aller à lui. Voilà pourquoi M. Olier [°432], comparant la condition des chrétiens à celle d'Adam innocent, dit qu'il y a une grande différence entre les deux: «Adam cherchait Dieu, le servait et l'adorait dans ses créatures; et, au contraire, les chrétiens sont obligés de chercher Dieu par la foi, de le servir et de l'adorer retiré en lui-même et en sa sainteté, séparé de toute créature.» C'est en cela que consiste la grâce du baptême.
§760. B) Au jour de notre baptême s'est formé entre Dieu et nous un véritable contrat. a) De son côté, Dieu nous a purifiés de la tache originelle et adoptés pour enfants, nous a communiqué une participation à sa vie, et s'est engagé à nous donner toutes les grâces nécessaires pour la conserver et l'accroître. Nous savons avec quelle libéralité il a tenu ses promesses. b) De notre côté, nous nous sommes engagés à vivre en vrais fils de Dieu, à nous rapprocher de la perfection de notre Père céleste, en cultivant cette vie surnaturelle. Or, nous ne le pouvons faire qu'autant que nous pratiquons la mortification. Car, d'un côté, le Saint Esprit qui nous a été donné au baptême, «nous porte au mépris, à la pauvreté, aux souffrances, et de l'autre, notre chair désire l'honneur, le plaisir, les richesses» [°433]. Il y a donc en nous un conflit, une lutte incessante; et nous ne pouvons être fidèles à Dieu qu'en renonçant à l'amour désordonné de l'honneur, du plaisir des richesses. C'est pour cela que le prêtre, en nous baptisant, trace deux croix, l'une sur le coeur, pour imprimer en nous l'amour de la croix, l'autre sur les épaules, pour nous donner la force de la porter. Nous manquerions donc aux promesses de notre baptême, si nous ne portions notre croix en combattant le désir de l'honneur par l'humilité, l'amour du plaisir par la mortification, la soif des richesses par la pauvreté.
§761. A) Nous lui sommes incorporés par le baptême, et, comme tels, devons recevoir de lui le mouvement et les inspirations, et par suite nous conformer à lui. Or, nous dit l'Imitation, sa vie tout entière n'a été qu'un long martyre: «Tota vita Christi crux fuit et martyrium» [°434]. La nôtre ne peut donc pas être une vie de plaisir et d'honneurs, mais une vie mortifiée. C'est du reste ce que nous dit clairement notre divin Chef: «Si quis vuit post me venire, abneget semetipsum, et tollat crucem suam quotidie et sequatur me» [°435]. S'il est quelqu'un qui doit suivre Jésus, c'est bien celui qui tend à la perfection. Or comment suivre Jésus, qui, dès son entrée dans le monde a embrassé la croix, qui a soupiré toute sa vie après la souffrance et l'humiliation, qui a épousé la pauvreté à la crèche et l'a eue pour compagne jusqu'au Calvaire, si on aime le plaisir, les honneurs, les richesses, si on ne porte sa croix de chaque jour, celle que Dieu lui-même nous choisit et nous envoie? C'est une honte, nous dit S. Bernard, que sous un chef couronné d'épines, nous soyons des membres délicats, effrayés des moindres souffrances: «pudeat sub spinato capite membrum fieri delicatum» [°436]. Pour être conformes à Jésus-Christ, et nous rapprocher de sa perfection, il faut donc que nous portions notre croix comme lui.
§762. B) Si nous aspirons à l'apostolat, nous trouvons là un nouveau motif de crucifier notre chair. C'est par la croix que Jésus a sauvé le monde; c'est donc par la croix que nous collaborerons avec lui au salut de nos frères, et notre zèle sera d'autant plus fécond que nous participerons davantage aux souffrances du Sauveur. C'est bien là le motif qui animait S. Paul, lorsqu'il complétait en sa chair la passion de son Maître, afin d'obtenir des grâces pour l'Église [Col 1:24]; c'est ce qui a soutenu dans le passé et soutient encore dans le présent tant d'âmes qui consentent à être victimes pour que Dieu soit glorifié et les âmes sauvées. Sans doute la souffrance est rude, mais quand on contemple Jésus marchant devant nous en portant sa croix, pour notre salut et celui de nos frères, quand on contemple son agonie, son injuste condamnation, sa flagellation, son couronnement d'épines, son crucifiement, quand on entend les railleries, les insultes, les calomnies qu'il accepte silencieusement, comment oser se plaindre? Nous n'avons pas encore subi l'effusion du sang: «nondum usque ad sanguinem restitistis» [He 12:4]. Et si nous estimons à leur juste valeur notre âme et l'âme de nos frères, est-ce qu'il ne vaut pas la peine d'endurer quelques souffrances passagères pour une gloire qui ne finira pas, et pour coopérer avec Notre Seigneur au salut de ces âmes pour lesquelles il a versé jusqu'à la dernière goutte de son sang?
Ces motifs, si élevés soient-ils, sont compris par quelques âmes généreuses, même dès le début de leur conversion; et les leur proposer, c'est avancer l'oeuvre de leur purification et de leur sanctification.
§763. A) Nous avons besoin d'assurer notre persévérance; or la mortification est assurément l'un des meilleurs moyens de se préserver du péché. Ce qui nous fait succomber à la tentation, c'est l'amour du plaisir ou l'horreur de la peine, de la lutte, horror difficultatis, labor certaminis. Or la mortification combat cette double tendance, qui au fond n'en fait qu'une; en nous sevrant de quelques plaisirs légitimes, elle arme notre volonté contre les plaisirs illicites, et nous rend plus facile la victoire sur la sensualité et l'amour-propre, «agendo contra sensualitatem et amorem proprium», comme dit avec raison S. Ignace. Si au contraire nous capitulons devant le plaisir, nous permettant toutes les joies permises, comment saurons-nous résister au moment où la sensualité, avide de nouvelles jouissances, dangereuses ou même illicites, se sent comme entraînée par l'habitude de céder à ses exigences? La pente est tellement glissante qu'en matière de sensualité surtout, il est facile de tomber dans l'abîme, attiré par une sorte de vertige. Et même, quand il s'agit de l'orgueil, la pente est plus rapide qu'on ne le croit: on ment en matière légère pour s'excuser, pour éviter une humiliation; et, quand on arrive au saint tribunal, on est exposé à manquer de sincérité par peur d'un aveu humiliant. Notre sécurité demande donc la lutte contre l'amour-propre aussi bien que contre la sensualité et la cupidité.
§764. B) Ce n'est pas assez que d'éviter le péché; il faut avancer dans la perfection. Or quel est ici encore le grand obstacle, sinon l'amour du plaisir et l'horreur de la croix? Combien désireraient être meilleurs, tendre à la sainteté, s'ils ne craignaient l'effort nécessaire pour avancer, les épreuves que Dieu envoie à ses meilleurs amis? Il faut donc leur rappeler ce que S. Paul redisait souvent aux premiers chrétiens, à savoir que la vie est un combat, que nous devons rougir d'être moins courageux que ceux qui luttent pour une récompense terrestre, et qui, pour se préparer à la victoire, se privent de beaucoup de plaisirs permis et s'imposent de rudes et pénibles exercices, et cela pour une couronne périssable, tandis que la couronne qui nous est promise est immortelle, «et illi quidem ut corruptibilem coronam accipiant, nos autem incorruptam» [1Co 9:25]. -- Nous avons peur de la souffrance, mais songeons-nous à ces souffrances terribles du Purgatoire [§734], qu'il nous faudra subir pendant de longues années, si nous voulons vivre dans l'immortification et nous accorder tous les plaisirs qui nous flattent? Combien plus prudents sont les hommes du siècle? Beaucoup s'imposent de rudes travaux, et parfois des démarches humiliantes pour gagner un peu d'argent et s'assurer une retraite honorable; et nous ne voudrions pas nous imposer des mortifications pour nous assurer une retraite éternelle dans la cité du ciel! Est-ce raisonnable?
Il faut donc se persuader qu'il n'est point de perfection, de vertu possible sans la mortification. Comment être chaste sans mortifier cette sensualité qui nous incline si fortement aux plaisirs dangereux et mauvais? Comment être tempérant, sinon en réprimant la gourmandise? Comment pratiquer la pauvreté et même la justice si on ne combat la cupidité? Comment être humble, doux et charitable sans maîtriser ces passions d'orgueil, de colère, d'envie et de jalousie qui sommeillent au fond de tout coeur humain? Il n'est pas une seule vertu qui, dans l'état de nature déchue, puisse se pratiquer longtemps sans effort, sans lutte et par là même sans mortification. On peut donc dire, avec M. Tronson [°437], que «comme l'immortification est l'origine des vices et la cause de tous nos maux, la mortification est le fondement des vertus et la source de tous nos biens».
§765. C) On peut même ajouter que la mortification, malgré les privations et les souffrances qu'elle impose, est, même sur terre, la source des plus grands biens, et qu'au fond les chrétiens mortifiés sont plus heureux dans l'ensemble que les mondains qui se livrent à tous les plaisirs. C'est ce qu'enseigne Notre Seigneur lui-même, lorsqu'il nous dit que ceux qui quittent tout pour le suivre, reçoivent en retour le centuple même en cette vie: «Qui reliquerit domum vel fratres... centuplum accipiet, et vitam aeternam possidebit» [°438]. S. Paul ne tient pas un autre langage, lorsqu'après avoir parlé de la modestie, c'est-à-dire, de la modération en toutes choses, il ajoute que celui qui la pratique jouit de cette paix véritable qui surpasse toute consolation: «pax Dei quae exsuperat omnem sensum custodiat corda vestra et intelligentias vestras». [Ph 4:7]. N'en est-il pas lui-même un vivant exemple? Il eut certes beaucoup à souffrir, et il décrit longuement les épreuves terribles qu'il eut à souffrir dans la prédication de l'Évangile, comme aussi dans la lutte contre lui-même; mais il ajoute qu'il abonde et surabonde de joie au milieu de ses tribulations: «superabundo, gaudio in omni tribulatione nostra» [2Co 7:4].
Tous les Saints en sont là: sans doute ils ont eu eux aussi à subir de longues et douloureuses tribulations; mais les martyrs, au milieu de leurs tortures, disaient qu'ils n'avaient jamais été à pareil festin, «nunquam tam jucunde epulati sumus»; et, en lisant la vie des Saints, deux choses nous frappent, les terribles épreuves qu'ils ont subies, les mortifications qu'ils se sont librement imposées; et d'un autre côté leur patience, leur joie, leur sérénité au milieu de ces souffrances. Ils en arrivent à aimer la croix, à cesser de la redouter, à soupirer même après elle, à compter comme perdues les journées où ils n'ont eu presque rien à souffrir. C'est là un phénomène psychologique qui étonne les mondains, mais qui console les âmes de bonne volonté. Sans doute on ne peut demander à des commençants cet amour de la croix; mais on peut, en citant les exemples des Saints, leur faire comprendre que l'amour de Dieu et des âmes allège considérablement la souffrance et la mortification, et que s'ils consentent à entrer généreusement dans la pratique des petits sacrifices, qui sont à leur portée, ils en viendront un jour eux-mêmes à aimer, à désirer la croix, et à y trouver de véritables consolations spirituelles.
§766. C'est bien ce que remarque l'auteur de l'Imitation, dans un texte qui résume fort bien les avantages de la mortification: «In cruce salus, in cruce vita, in cruce protectio ab hostibus, in cruce infusio superne suavitatis, in cruce robur mentis, in cruce gaudium spiritus, in cruce virtutis summa, in cruce perfectio sanctitatis» [°439]. L'amour de la croix, c'est en effet l'amour de Dieu poussé jusqu'à l'immolation; or, nous l'avons dit, cet amour est bien le résumé de toutes les vertus, l'essence même de la perfection, et par là même le bouclier le plus puissant contre nos ennemis spirituels, une source de force et de consolation, le meilleur moyen d'augmenter en nous la vie spirituelle et d'assurer notre salut.
§767. Principes. 1° La mortification doit embrasser l'homme tout entier, corps et âme, car c'est l'homme tout entier qui, s'il n'est pas bien discipliné, est une occasion de péché. Sans doute il n'y a, à vrai dire, que la volonté qui pèche; mais elle a pour complices et instruments notre corps avec ses sens extérieurs et notre âme avec toutes ses facultés: c'est donc tout l'homme qui doit être discipliné ou mortifié.
§768. 2° La mortification s'attaque au plaisir. Sans doute le plaisir en soi n'est pas un mal; c'est même un bien, quand il est subordonné à la fin pour laquelle Dieu l'a institué. Or Dieu a voulu attacher un certain plaisir à l'accomplissement du devoir, afin d'en faciliter la pratique: ainsi nous trouvons un certain plaisir dans le manger et le boire, dans le travail, et d'autres devoirs de ce genre. Ainsi donc, dans le plan divin, le plaisir n'est pas une fin mais un moyen. Goûter le plaisir en vue de mieux faire son devoir n'est donc pas défendu: c'est l'ordre établi par Dieu. Mais vouloir le plaisir pour lui-même, comme fin, sans aucun rapport avec le devoir, c'est au moins dangereux, puisqu'on s'expose à glisser des plaisirs permis dans les plaisirs coupables; goûter le plaisir en excluant le devoir, c'est un péché plus ou moins grave, parce que c'est la violation de l'ordre voulu par Dieu. La mortification consistera donc à se priver des plaisirs mauvais, contraires à l'ordre providentiel, ou à la loi de Dieu ou de l'Église; à renoncer même aux plaisirs dangereux, afin de ne pas s'exposer au péché; et même à s'abstenir de quelques plaisirs licites, afin d'assurer davantage l'empire de la volonté sur la sensibilité. C'est dans ce même but que non seulement on se privera de quelques plaisirs, mais qu'on s'infligera quelques mortifications positives: car c'est un fait d'expérience qu'il n'est rien de plus efficace pour mater l'attrait au plaisir que de s'imposer quelque travail ou quelque souffrance de surérogation.
§769. 3° Mais la mortification doit se pratiquer avec prudence ou discrétion: elle doit être proportionnée aux forces physiques et morales de chacun et à l'accomplissement des devoirs d'état: 1) il faut ménager ses forces physiques; car, selon S. François de Sales [°440], «nous sommes exposés à de grandes tentations en deux états, savoir, quand le corps est trop nourri, et quand il est trop abattu»; dans ce dernier cas en effet on tombe facilement dans la neurasthénie, qui oblige ensuite à des ménagements dangereux. 2) Il faut ménager ses forces morales, c'est-à-dire, ne pas s'imposer au début des privations excessives qu'on ne pourra continuer longtemps, et qui, au moment où on les abandonne, peuvent conduire au relâchement. 3) Il importe surtout qu'elles soient en harmonie avec les devoirs d'état, puisque ceux-ci, étant obligatoires, passent avant les pratiques de surérogation. Ainsi ce serait mauvais pour une mère de famille de pratiquer des austérités qui l'empêcheraient d'accomplir ses devoirs à l'égard de son mari et de ses enfants.
§770. 4° Il y a une hiérarchie dans les mortifications: celles qui sont intérieures valent mieux évidemment que celles qui sont extérieures, parce qu'elles s'attaquent plus directement à la racine du mal. Mais il ne faut pas oublier que celles-ci facilitent beaucoup la pratique de celles-là, qui voudrait discipliner son imagination sans mortifier ses yeux, n'y réussirait guère, précisément parce que ceux-ci fournissent à celle-là les images sensibles qui font sa pâture. Ce fut une erreur des modernisants que de railler les austérités des siècles chrétiens. En fait les Saints de toutes les époques, ceux qui ont été béatifiés en ces derniers temps aussi bien que les autres, ont châtié rudement leur corps et leurs sens extérieurs, bien persuadés que c'est l'homme tout entier qui doit être mortifié, dans l'état de nature déchue, pour appartenir tout entier à Dieu.
Nous allons donc parcourir successivement tous les genres de mortification, en commençant par les extérieures pour arriver aux plus intérieures: c'est là l'ordre logique; mais en pratique il faut savoir mélanger et doser les unes et les autres.
§771. 1° Sa raison d'être. a) Notre Seigneur avait recommandé à ses disciples la pratique modérée du jeûne et de l'abstinence, la mortification du regard et du toucher. S. Paul comprenait si bien la nécessité de mater le corps, qu'il le châtiait sévèrement pour échapper au péché et à la réprobation: «castigo corpus meum et in servitutem redigo, ne forte, cum aliis praedicaverim, ipse reprobus efficiar» [1Co 9:27]. L'Église est elle-même intervenue pour prescrire aux fidèles certains jours de jeûne et d'abstinence.
b) Quelle en est la raison? Sans doute le corps, bien discipliné, est un serviteur utile, nécessaire même, dont il faut ménager les forces pour les mettre au service de l'âme. Mais, dans l'état de nature déchue, le corps cherche des jouissances sensuelles sans tenir compte de ce qui est permis ou défendu; il a même un attrait spécial pour les plaisirs illicites, et parfois se révolte contre les facultés supérieures qui veulent les lui interdire. C'est un ennemi d'autant plus dangereux qu'il nous accompagne partout, à table, au lit, dans nos courses, et qu'il rencontre souvent des complices, prêts à exciter sa sensualité et sa volupté. Ses sens sont en effet autant de portes ouvertes par lesquelles se glisse, s'insinue le subtil poison du plaisir défendu. Il est donc absolument nécessaire de veiller sur lui, de le maîtriser, de le réduire en servitude: faute de quoi, il nous trahira.
§772. 2° Modestie du corps. Pour mater notre corps, commençons par bien observer les règles de la modestie et de la bonne tenue: il y a là une abondante matière à mortification. Le principe qui doit nous servir de règle, c'est celui de S. Paul: «Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres du Christ? Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous? Nescitis quoniam corpora vestra membra sunt Christi?... Membra vestra templum sunt Spiritus Sancti.» [1Co 6:15, 19].
A) Il faut donc respecter notre corps comme un temple saint, comme un membre du Christ; point de ces costumes plus ou moins indécents qui ne sont faits que pour provoquer la curiosité et la volupté. Que chacun porte le vêtement que requiert sa condition, simple et modeste, mais toujours propre et décent.
Rien de plus sage que les avis de S. François de Sales à ce sujet [°441]: «Soyez propre, Philothée, et qu'il n'y ait rien sur vous de traînant et de mal agencé...; mais gardez-vous bien des vanités et des affêteries, des curiosités et folâtreries; tenez-vous, tant qu'il sera possible, du côté de la simplicité et de la modestie, qui est sans doute le plus grand ornement de la beauté et la meilleure excuse pour la laideur... les femmes vaines font douter de leur chasteté; au moins si elles en ont, elle n'est pas visible parmi tant de fatras et de bagatelles.» Saint Louis dit en un mot, «que l'on se doit vestir selon son état, en sorte que les personnes sages et les gens de bien ne puissent dire: vous en faites trop, ni les jeunes gens: vous en faites trop peu.»
Quant aux religieux et religieuses, ainsi qu'aux ecclésiastiques, ils ont sur la forme et la matière de leurs vêtements des règles auxquelles ils doivent se conformer: inutile de dire que la mondanité et la coquetterie seraient complètement déplacées chez eux et ne pourraient que scandaliser les mondains eux-mêmes.
§773. B) La bonne tenue est aussi une excellente mortification à la portée de tous: éviter avec soin les tenues molles et efféminées, tenir le corps droit, sans contrainte et sans affectation, ni courbé ni penché d'un côté ou de l'autre; ne point changer trop souvent de posture; ne croiser ni les pieds ni les jambes; ne point s'appuyer mollement sur sa chaise ou son prie-Dieu; éviter les mouvements brusques et les gestes désordonnés: ce sont là, entre cent autres, des moyens de se mortifier sans péril pour notre santé, sans attirer l'attention, et qui nous donnent sur notre corps une grande maîtrise.
§774. C) Il y a d'autres mortifications positives que les pénitents généreux aiment à s'imposer pour mater leur corps, calmer ses ardeurs intempestives, et stimuler leur désir de piété: les plus communes sont ces petits bracelets de fer qu'on se passe au bras, ces chaînes qu'on met autour de ses reins, des ceintures ou scapulaires de crin, ou quelques bons coups de discipline, quand on peut se les donner sans attirer l'attention. En tout cela, il faut prendre soigneusement l'avis de son directeur, éviter tout ce qui sentirait la singularité ou flatterait la vanité, sans parler de ce qui serait contraire à l'hygiène et à la propreté; le directeur ne permettra ces choses qu'avec discrétion, à l'essai pour un temps seulement, et s'il remarque quelques inconvénients d'un genre ou d'un autre, il les supprimera.
§775. 3° Modestie des yeux. A) Il y a des regards gravement coupables, qui offensent non seulement la pudeur, mais la chasteté elle-même [Mt 5:28], et dont il faut évidemment s'abstenir. Il en est qui sont dangereux, lorsqu'on fixe sa vue sans raison sur des personnes ou des objets qui sont de nature à susciter des tentations: ainsi la Ste Écriture nous avertit de ne pas arrêter nos regards sur une jeune personne, pour que sa beauté ne soit pas pour nous un sujet de scandale: «Virginem ne conspicias, ne forte scandalizeris in decore illius» [Si 9:5]. Et, aujourd'hui, où la licence des étalages et l'immodestie des costumes, où les exhibitions malsaines des théâtres et de certains salons créent tant de dangers, de quelle réserve ne faut-il pas s'armer pour ne point s'exposer au péché? [°442]
§776. B) Aussi le chrétien sincère, qui veut sauver son âme à tout prix, va plus loin, et, pour être sûr de ne pas succomber à la sensualité, mortifie la curiosité des yeux, évitant, par exemple, de regarder à la fenêtre pour voir les passants, tenant les yeux modestement baissés, sans affectation, dans ses courses d'affaires ou ses promenades. Il aime au contraire à les reposer sur quelque objet, image pieuse, clocher, croix, statue, pour s'exciter à l'amour de Dieu et des Saints.
§777. 4° Mortification de l'ouïe et de la parole. A) Elle demande qu'on ne dise et qu'on n'entende rien qui soit contraire à la charité, à la pureté, à l'humilité et aux autres vertus chrétiennes; car, nous dit S. Paul, les conversations mauvaises corrompent les bonnes moeurs: «Corrumpunt mores bonos colloquia mala» [1Co 15:33]. Et que d'âmes en effet ont été perverties pour avoir écouté des conversations déshonnêtes ou contraires à la charité. Les paroles lubriques excitent une curiosité morbide, soulèvent les passions, allument des désirs et provoquent au péché. Les paroles peu charitables suscitent des divisions jusque dans les familles, des défiances, des inimitiés et des rancunes. Il faut donc veiller sur ses moindres paroles pour éviter de tels scandales, et, savoir fermer l'oreille à tout ce qui peut troubler la pureté, la charité et la paix.
§778. B) Mais, pour y mieux réussir, on mortifiera parfois sa curiosité, en évitant d'interroger sur ce qui peut la flatter, ou en réprimant cette démangeaison de causer qui, entraîne en des bavardages non seulement inutiles, mais dangereux: «in multiloquio non deerit peccatum» [Pr 10:19].
C) Et, comme les moyens négatifs ne suffisent pas, on aura soin de diriger la conversation vers des sujets non seulement inoffensifs, mais bons, honnêtes et parfois édifiants, sans toutefois se rendre à charge aux autres par des remarques trop sérieuses qui ne sont pas amenées naturellement.
§779. 5° Mortification des autres sens. Ce que nous avons dit de la vue, de l'ouïe et de la parole, s'applique aux autres sens; nous reviendrons sur le goût en parlant de la gourmandise, sur le toucher à propos de la chasteté. Quant à l'odorat, qu'il suffise de dire que l'usage immodéré des parfums n'est souvent qu'un prétexte pour satisfaire la sensualité et parfois pour exciter la volupté; qu'un chrétien sérieux n'en use qu'avec modération, pour des raisons de grande utilité; et que les religieux et les ecclésiastiques se font une règle de n'en jamais user.
Les deux sens intérieurs qu'il faut mortifier sont l'imagination et la mémoire, qui généralement agissent de concert, le travail de la mémoire étant accompagné d'images sensibles.
§780. 1° Principe. Ce sont là deux facultés précieuses, qui non seulement fournissent à l'intelligence les matériaux dont elle a besoin pour travailler, mais lui permettent d'exposer la vérité avec des images et des faits qui la rendent plus saisissable, plus vivante, et par là même plus intéressante: un résumé pâle et froid n'aurait que peu d'attraits pour le commun des mortels. Il ne s'agit donc pas d'atrophier ces facultés, mais de les discipliner, et de subordonner leur activité à l'empire de la raison et de la volonté; autrement, laissées à elles-mêmes, elles peuplent l'âme d'une foule de souvenirs et d'images qui la dissipent, gaspillent ses énergies, lui font perdre un temps précieux dans la prière et dans le travail, et créent mille tentations contre la pureté, la charité, l'humilité et les autres vertus. Il est donc nécessaire de les discipliner et de les mettre au service des facultés supérieures.
§781. 2° Règles à suivre. A) Pour réprimer les écarts de la mémoire et de l'imagination, on s'appliquera tout d'abord à chasser impitoyablement, dès le début, c'est-à-dire aussitôt qu'on s'en aperçoit, les images ou souvenirs dangereux, qui, en nous rappelant un passé scabreux, ou en nous transportant au milieu des séductions du présent ou de l'avenir, seraient pour nous une source de tentations. Mais, comme il y a souvent une sorte de déterminisme psychologique, qui nous fait passer des vaines rêveries à celles qui sont périlleuses, on se prémunira contre cet engrenage en mortifiant les pensées inutiles, qui nous font déjà perdre un temps précieux et qui préparent la voie à d'autres plus dangereuses encore: la mortification des pensées inutiles, disent les Saints, est la mort des pensées mauvaises.
§782. B) Pour y mieux réussir, le moyen positif le meilleur, c'est d'appliquer notre âme tout entière au devoir présent, à nos travaux, à nos études, à nos occupations habituelles. C'est du reste le meilleur moyen de réussir à bien faire ce qu'on fait, en concentrant toute son activité sur l'action présente: age quod agis. -- Que les jeunes hommes se rappellent que, pour progresser dans leurs études comme dans leurs autres devoirs d'état, il faut donner plus de place au travail de l'intelligence et de la réflexion, et moins aux facultés sensibles: ainsi tout, en assurant leur avenir, ils éviteront les rêveries dangereuses.
§783. C) Enfin il est très utile de se servir de l'imagination et de la mémoire pour nourrir sa piété, en cherchant dans nos Saints Livres, nos prières liturgiques et les auteurs spirituels les plus beaux textes, les plus belles comparaisons et images; en se servant de l'imagination pour se mettre en la présence de Dieu, et pour se représenter dans le détail les mystères de Notre Seigneur et de la Sainte Vierge. Ainsi, au lieu d'atrophier son imagination, on la peuplera de pieuses représentations qui banniront celles qui seraient dangereuses, et nous mettront à même de mieux comprendre et de mieux expliquer à nos auditeurs les scènes évangéliques.
§784. Les passions, au sens philosophique du mot, ne sont pas nécessairement et absolument mauvaises: ce sont des forces vives, souvent impétueuses, qu'on peut utiliser pour le bien comme pour le mal, pourvu qu'on sache les discipliner et les orienter vers une noble fin. Mais, dans le langage populaire, et chez certains auteurs spirituels, ce mot s'emploie au sens péjoratif, pour désigner les passions mauvaises. Nous allons donc: 1° rappeler les principales notions psychologiques sur les passions; 2° indiquer leurs bons et leurs mauvais effets; 3° tracer des règles pour le bon usage des passions.
Nous ne faisons ici que rappeler ce que l'on expose plus longuement en psychologie.
§785. 1° Notion. Les passions sont des mouvements impétueux de l'appétit sensitif vers le bien sensible avec un retentissement plus ou moins fort sur l'organisme.
a) À la base de la passion, il y a donc une certaine connaissance au moins sensible d'un bien espéré ou acquis ou d'un mal contraire à ce bien; c'est de cette connaissance que jaillissent les mouvements de l'appétit sensitif.
b) Ces mouvements sont impétueux et se distinguent ainsi des états affectifs agréables ou désagréables qui sont calmes, paisibles, sans cette ardeur, cette véhémence qui existe dans la passion.
c) Précisément parce qu'ils sont impétueux et agissent fortement sur l'appétit sensitif, ils ont leur retentissement jusque dans l'organisme physique, à cause de l'étroite union entre le corps et l'âme. Ainsi la colère fait affluer le sang au cerveau et tend les nerfs, la peur fait pâlir, l'amour dilate le coeur, et la crainte le resserre. Toutefois ces effets physiologiques ne se présentent pas au même degré chez tous: ils dépendent du tempérament de chacun et de l'intensité de la passion, comme aussi de la maîtrise qu'on acquiert sur soi-même.
§786. Les passions diffèrent donc des sentiments qui sont des mouvements de la volonté, qui supposent par conséquent une connaissance de l'intelligence, et qui, tout en étant forts, n'ont pas la violence des passions. Ainsi il y a un amour-passion et un amour-sentiment, une crainte passionnelle et une crainte intellectuelle. -- Ajoutons que dans l'homme, animal raisonnable, les passions et les sentiments se mélangent souvent, presque toujours, à des doses très variées, et que c'est par la volonté, aidée de la grâce, que nous parvenons à transformer en nobles sentiments les passions les plus ardentes, en subordonnant celles-ci à ceux-là.
§787. 2° Leur nombre. On en compte généralement onze, qui toutes découlent de l'amour, comme le montre excellemment Bossuet [°444]: «Nos autres passions se rapportent au seul amour qui les enferme ou les excite toutes».
1) L'amour est une passion de s'unir à une personne ou à une chose qui plaît: on veut l'avoir en sa possession.
2) La haine est une passion d'éloigner de nous quelque chose qui nous déplaît; elle naît de l'amour, en ce sens que nous haïssons ce qui s'oppose à ce que nous aimons: je ne hais la maladie que parce que j'aime la santé, je ne hais une personne que parce qu'elle met un obstacle à posséder ce que j'aime.
3) Le désir est la recherche du bien absent, et naît de ce que nous aimons ce bien.
4) L'aversion (ou fuite) nous fait écarter le mal qui s'approche de nous.
5) La joie n'est que la jouissance du bien présent.
6) La tristesse au contraire s'afflige et s'éloigne du mal présent.
7) L'audace (hardiesse ou courage) s'efforce de s'unir à l'objet aimé dont l'acquisition est difficile.
8) La crainte nous pousse à nous éloigner d'un mal difficile à éviter.
9) L'espérance se porte avec ardeur vers l'objet aimé, dont l'acquisition est possible quoique difficile.
10) Le désespoir naît en l'âme quand l'acquisition de l'objet aimé paraît impossible.
11) La colère repousse violemment ce qui nous fait du mal et excite le désir de se venger.
Les six premières passions, qui prennent leur origine dans l'appétit concupiscible, sont appelées communément par les modernes passions de jouissance; les cinq autres, qui se rapportent à l'appétit irascible, se nomment passions combatives.
§788. Les Stoïciens prétendaient que les passions sont radicalement mauvaises et doivent être supprimées; les Épicuriens déifient les passions et proclament bien haut qu'il faut les suivre: c'est ce que nos épicuriens modernes appellent: vivre sa vie. Le christianisme tient le milieu entre ces deux excès: rien de ce que Dieu a mis dans la nature humaine n'est mauvais; Jésus lui-même a eu des passions bien réglées: il a aimé, non seulement par la volonté, mais par le coeur, et a pleuré sur Lazare et sur Jérusalem infidèle; il s'est laissé aller à une sainte colère, a subi la crainte, la tristesse, l'ennui; mais il a su tenir ces passions sous l'empire de la volonté et les subordonner à Dieu. Quand les passions sont au contraire déréglées, elles produisent les plus pernicieux effets; il faut donc les mortifier et les discipliner.
§789. Effets des passions déréglées. On appelle déréglées les passions qui se portent vers un bien sensible défendu, ou même vers un bien permis, mais avec trop d'empressement et sans le rapporter à Dieu. Or ces passions désordonnées: --
a) Aveuglent l'âme: elles se portent en effet vers leur objet avec impétuosité, sans consulter la raison, se laissant guider par l'attrait ou le plaisir. Or c'est là un élément perturbateur qui tend à fausser le jugement, et à obscurcir la droite raison: l'appétit sensitif est aveugle, par nature, et si l'âme se laisse guider par lui, elle est elle-même aveuglée: au lieu de se laisser conduire par le devoir, elle se laisse éblouir par le plaisir du moment; c'est comme un nuage qui empêche de voir la vérité; aveuglée par les poussières que soulèvent les passions, l'âme ne voit plus clairement la volonté divine, le devoir qui s'impose à elle: elle n'est plus apte à porter un jugement sain.
§790. b) Elles fatiguent l'âme et la font souffrir.
1) Les passions, nous dit S. Jean de la Croix [°445], «sont comme les petits enfants impatients, et qu'on ne saurait contenter; ils demandent à leur mère tantôt ceci et tantôt cela, et ne sont jamais satisfaits. Un avare se lasse de creuser en vain pour posséder un trésor; ainsi l'âme se fatigue à vouloir atteindre ce que demandent ses appétits. Si l'un est satisfait, d'autres renaissent et engendrent la fatigue, parce que rien ne peut les satisfaire... Les appétits fatiguent et affligent l'âme; elle est navrée, agitée et troublée par eux, comme les flots par le vent».
2) De là une souffrance d'autant plus intense que les passions sont plus vives: car elles tourmentent notre pauvre âme jusqu'à ce qu'elles soient satisfaites, et, comme l'appétit vient en mangeant, elles demandent toujours davantage; si la conscience regimbe, elles s'impatientent, elles s'agitent, elles sollicitent la volonté pour qu'elle cède à leurs désirs sans cesse renaissants: c'est une torture indicible.
§791. c) Elles affaiblissent la volonté: tiraillée en sens divers par ces passions rebelles, la volonté est obligée de disperser ses forces, et par là même de les affaiblir. Tout ce qu'elle cède aux passions augmente leurs prétentions et diminue ses énergies. Pareils aux rejetons inutiles et gourmands qui poussent autour du tronc d'un arbre, les appétits qu'on ne maîtrise pas, vont en se développant, et enlèvent de la force à l'âme, comme les rejetons parasites à l'arbre. Le moment vient où l'âme affaiblie tombe dans le relâchement et la tiédeur, prête à toutes les capitulations.
§792. d) Elles souillent l'âme. Quand l'âme, cédant aux passions, s'unit aux créatures, elle s'abaisse à leur niveau et contracte leur malice et leurs souillures; au lieu d'être l'image fidèle de Dieu, elle se fait à l'image des choses auxquelles elle s'attache: des grains de poussière, des taches de boue viennent ternir sa beauté, et s'opposent à l'union parfaite avec Dieu.
«J'ose affirmer, dit S. Jean de la Croix [°446], qu'un seul appétit désordonné, même sans qu'il soit entaché de péché mortel, suffit pour mettre l'âme dans un tel état d'obscurité, de laideur, de malpropreté, qu'elle devient incapable d'une union (intime) quelconque avec Dieu, aussi longtemps qu'elle ne s'en est purifiée. Que dire alors de celle qui a la laideur de toutes ses passions naturelles, qui est livrée à tous ses appétits? À quelle distance infinie ne sera-t-elle pas de la pureté divine? Ni paroles, ni raisonnements ne peuvent faire comprendre la variété des souillures que tant d'appétits divers produisent dans une âme... chaque appétit dépose à sa façon sa part spéciale d'immondices et de laideur dans l'âme».
§793. Conclusion. Il faut donc, si on veut arriver à l'union à Dieu, mortifier toutes les passions, mêmes plus petites, en tant qu'elles sont volontaires et désordonnées. L'union parfaite suppose qu'il n'y ait en nous rien de contraire à la volonté de Dieu, aucune attache voulue à la créature et à nous-mêmes: aussitôt que de propos délibéré nous nous laissons égarer par quelque passion, il n'y a plus d'union parfaite entre notre volonté et celle de Dieu. Cela est vrai surtout des passions ou attaches habituelles: elles paralysent la volonté, même lorsqu'elles sont légères. C'est la remarque de S. Jean de la Croix [°447]: «qu'un oiseau soit lié à la patte, par un fil mince, ou un fil épais, peu importe: il ne lui sera possible de voler qu'après l'avoir rompu».
§794. Avantages des passions bien réglées. Quand au contraire les passions sont bien réglées, c'est-à-dire, orientées vers le bien, modérées et soumises à la volonté, elles ont les plus précieux avantages. Ce sont en effet des forces vives, ardentes qui viennent stimuler l'activité de notre intelligence et de notre volonté, et leur prêtent ainsi une aide puissante.
a) Elles agissent sur l'intelligence, en excitant notre ardeur au travail, notre désir de connaître la vérité. Quand un objet nous passionne dans le bon sens du mot, nous sommes tout yeux, tout oreilles pour le bien connaître, notre esprit saisit plus facilement la vérité, notre mémoire est plus tenace pour la retenir. Voici, par exemple, un inventeur animé d'un patriotisme ardent: il travaille avec plus d'ardeur, de ténacité et de perspicacité, précisément parce qu'il veut rendre service à sa patrie; de même, un étudiant, soutenu par la noble ambition de mettre sa science au service de ses compatriotes, fait plus d'efforts et aboutit à des résultats plus appréciables; mais surtout celui qui aime passionnément Jésus Christ, étudie l'Évangile avec plus d'ardeur, le comprend et le goûte mieux: les paroles du Maître sont pour lui des oracles qui portent en son âme une lumière étincelante.
§795. b) Elles agissent aussi sur la volonté pour l'entraîner et décupler ses énergies: ce que l'on fait avec amour est mieux fait, avec plus d'application, de constance, de succès. Que ne tente pas une mère aimante pour sauver son enfant? Que d'actes héroïques inspirés par l'amour de la patrie? De même quand un saint est passionné d'amour pour Dieu et pour les âmes, il ne recule devant aucun effort, aucun sacrifice, aucune humiliation pour sauver ses frères. Sans doute, c'est la volonté qui commande ces actes de zèle, mais la volonté inspirée, stimulée, soutenue par une sainte passion. Or quand les deux appétits, sensitif et intellectuel, en d'autres termes quand le coeur et la volonté travaillent dans la même direction et unissent leurs forces, les résultats sont évidemment beaucoup plus importants et durables. Il importe donc de voir comment on peut utiliser les passions.
Après avoir rappelé les principes psychologiques qui peuvent faciliter notre tâche, -- nous indiquerons comment on résiste aux passions mauvaises, -- comment on oriente les passions vers le bien et comment on les modère.
§796. Pour maîtriser les passions, il faut, avant tout, compter sur la grâce de Dieu, par conséquent sur la prière et les sacrements, mais il faut aussi user d'une sage tactique basée sur la psychologie [°449].
a) Toute idée tend à provoquer l'acte correspondant, surtout si elle est accompagnée de vives émotions et de fortes convictions.
Ainsi penser au plaisir sensible, en se le représentant vivement par l'imagination, provoque un désir et souvent un acte sensuel; au contraire penser à de nobles actions, se représenter les heureux effets qu'elles produisent, excite le désir de faire des actes de ce genre. Cela est vrai surtout de l'idée qui ne demeure pas abstraite, froide, incolore, mais qui, étant accompagnée d'images sensibles, devient concrète, vivante, et par là même entraînante; c'est en ce sens qu'on peut dire que l'idée est une force, une mise en marche, un commencement d'action. Si donc on veut maîtriser les passions mauvaises, il faut écarter avec soin toute pensée, toute imagination qui représente le plaisir mauvais comme attrayant; si au contraire on veut cultiver les bonnes passions ou les bons sentiments, il faut entretenir en soi des pensées et des images qui montrent le beau côté du devoir, de la vertu, et rendre ces réflexions aussi concrètes et aussi vives que possible.
§797. b) L'influence d'une idée se prolonge tant qu'elle n'est pas effacée par une idée plus forte qui la supplante; ainsi un désir sensuel continue de se faire sentir tant qu'il n'est pas chassé par une pensée plus noble qui s'empare de l'âme. Si donc on veut s'en débarrasser, il faut, par une lecture ou une étude intéressante se livrer à une série de pensées totalement différentes ou contraires; si au contraire on veut intensifier un bon désir, on le prolonge en méditant sur ce qui peut l'alimenter.
c) L'influence d'une idée augmente, si on l'associe à d'autres idées connexes qui l'enrichissent et lui donnent plus d'ampleur; ainsi la pensée et le désir de sauver son âme devient plus intense et plus efficace si on l'associe à l'idée de travailler à sauver l'âme de ses frères, comme on en voit un exemple chez François Xavier.
§798. d) Enfin l'idée atteint son maximum de puissance, quand elle devient habituelle, absorbante, une sorte d'idée fixe qui inspire toutes les pensées et toutes les actions. C'est ce qu'on remarque, au point de vue naturel, chez ceux qui n'ont qu'une idée, par exemple, celle de faire telle ou telle découverte; et au point de vue surnaturel, chez ceux qui se pénètrent tellement d'une maxime évangélique qu'elle devient la règle de leur vie, par exemple: Vends tout et donne-le aux pauvres; ou: que sert à l'homme de gagner l'univers s'il vient à perdre son âme; ou encore: ma vie à moi, c'est le Christ.
Il faut donc viser à enraciner profondément dans son âme, quelques idées directrices prenantes, absorbantes, puis les réduire à l'unité par une devise, une maxime qui les concrétise et les tienne sans cesse présentes à l'esprit, par exemple: Deus meus et omnia! Ad majorem Dei gloriam! Dieu seul suffit! Qui a Jésus a tout! Esse cum Jesu dulcis paradisus! Avec une devise de ce genre, il sera plus facile de triompher des passions mauvaises, et d'utiliser les bonnes.
§799. Aussitôt qu'on a conscience que s'élève en notre âme un mouvement désordonné, il faut faire appel à tous les moyens naturels et surnaturels pour l'enrayer et le dominer, afin de créer un climat favorable.
a) Dès le début, on se sert du pouvoir d'inhibition de la volonté, aidée de la grâce, pour enrayer ce mouvement.
Ainsi on évite les actes ou gestes extérieurs qui ne peuvent que stimuler ou intensifier la passion: si on se sent envahi par la colère, on évite les gestes désordonnés, les éclats de voix, on se tait jusqu'à ce que le calme soit revenu; s'il s'agit d'une affection trop vive, on évite de rencontrer la personne aimée, de lui parler, et surtout de lui exprimer d'une façon même indirecte l'affection qu'on a pour elle. Ainsi la passion s'affaiblit peu à peu.
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