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Correspondance avec Mme Corine Pelluchon

Mme Corine Pelluchon
Mme Corine Pelluchon (son corps à gauche, et sa technique philosophique à droite)
(Sources: Mme Pelluchon et Mona fumant de la marijuana)

Table des matières

1) S. Jetchick (2012-jan-23)
2) Quelle éthique pour les médecins? (C. Pelluchon)
3) C. Pelluchon (2012-jan-24)
4) S. Jetchick (2012-jan-24)

1) S. Jetchick (2012-jan-23)

-----Original Message-----
From: Stefan Jetchick
Sent: 23 janvier 2012 14:12
To: corine.pelluchon (rajouter l'arobas) univ-poitiers.fr
Subject: Correspondance avec Mme Corine Pelluchon

Bonjour Mme Corine Pelluchon,

Une de mes connaissances m'a demandé d'examiner la conférence
que vous avez prononcé à Strasbourg, le 2011-juin-17, au
Congrès de gynécologie-obstétrique.

Comme les règlements de mon site web m'interdisent de
critiquer un auteur sans lui donner l'occasion de se
défendre, je vous fais parvenir le texte de votre conférence
avec mes commentaires.

Je ne suis qu'un philosophe amateur, et pour empirer les choses, je
n'ai pas de formation médicale. De plus, je me sens souvent perdu
dans votre article. (J'espère que ce n'est pas à cause de mon petit
cerveau!)

Au plaisir,

Stefan Jetchick

2) Quelle éthique pour les médecins? (C. Pelluchon)

Introduction

[Vert] L'éthique appliquée à la médecine en général et à la gynécologie en particulier

[Rouge] ne se fonde pas sur une idée a priori du bien et du mal,

Ah oui, vraiment?

Je comprends qu'un moraliste (ou «éthicien», c'est la même chose) devrait se désinfecter les mains avant d'entrer dans un hôpital. Mais je ne comprends pas pourquoi un moraliste devrait «se désinfecter» de tout ce qu'il a appris sur le bien et le mal avant d'entrer dans un hôpital!

Votre affirmation est d'autant plus surprenante que tout le reste de votre article en dépend, et en plus elle est posée comme ça, sans preuve. Mais le comble, c'est que vous sous-entendez vous-même dans votre article une foule de notions morales. En d'autres mots, vous demandez à vos lecteurs de laisser leurs connaissances morales à la porte, en entrant dans votre article, mais vous arrivez subrepticement avec un lourd bagage d'a priori.

Par exemple, tout votre article présuppose l'indéfendable théorie des valeurs, comme si elle allait de soi et que tous les moralistes l'acceptaient. Vous présupposez aussi la bonté de l'avortement, de la contraception, etc., et l'élasticité de vos normes morales (ainsi que les philosophes que vous citez) est un indice que vous présupposez probablement le post-modernisme et la «morale» sans Dieu.

[Vert] car il s'agit de soulager la douleur physique et physiologique d'une patiente

J'ai l'impression que vous vous contredisez. Après tout, il faut considérer que soulager la douleur et sauver les vies est «bien», pour que la médecine puisse commencer à exister. Sans cette idée «a priori», les hommes n'auraient jamais commencé à faire des efforts pour soulager la douleur et sauver des vies!

[Jaune] et d'accompagner

J'imagine que le verbe «accompagner» est ici un euphémisme en vogue pour dire «faire le travail d'un bon médecin». Strictement parlant, si le médecin ne faisait qu'«accompagner», le Ministère de la Santé pourrait rapidement faire des économies incroyables en congédiant les médecins pour les remplacer par des chômeurs sans aucune formation!

[Vert] les événements heureux, comme les naissances, ainsi que les incidents ou accidents de la vie, les diverses pathologies qui affectent la sexualité et la reproduction, ont une incidence sur la qualité de la vie ou mettent en jeu la vie (cancer). Ce terme d'accompagnement concerne également la prévention, les tests de dépistage, mais aussi

[Rouge] la contraception

[Jaune] et la maîtrise par les femmes de leur sexualité,

[Vert] la connaissance de leur corps qui les aide à percevoir les signes avant-coureurs d'un problème. Il éclaire enfin le rapport entre un gynécologue et un couple qui exprime son désir d'enfant et s'adresse à un spécialiste dans l'espoir que ce désir soit comblé.

[Vert] Analysé au niveau de sa compréhension (de sa signification) et pas seulement de son extension (des domaines où il a du sens), l'accompagnement renvoie à un rapport qui n'est pas équivalent à une prestation de service où le patient, devenu un client, verrait sa demande exécutée en échange d'un paiement.

[Rouge] Il exclut également la leçon de morale

En d'autres mots, vous affirmez que «Le médecin ne doit pas donner de leçon de morale». Donc, vous donnez une leçon de morale aux médecins! Votre article est parsemé de ces contradictions. Vous vous insurgez contre les normes morales soi-disant «a priori», tout en édifiant en norme morale suprême le relativisme éthique, de manière tout-à-fait a priori.

[Vert] ou le paternalisme qui suppose que les patients, considérés comme des mineurs, sont incapables de voir où est leur bien et que le praticien sait mieux qu'eux ce qui leur convient. Autrement dit, le devoir d'information des patientes et leur consentement libre et éclairé sont au coeur de cette relation qui passe nécessairement par un dialogue, une écoute, et ne peut exister sans une confiance de part et d'autre (sinon l'information n'est pas entendue et le consentement n'a pas de sens).

[Vert] De même, l'éthique médicale n'est pas le droit.

Bien sûr, je suis d'accord avec vous que la relation d'un médecin avec son patient n'est ni une relation commerciale, ni une relation parent-enfant, ni une relation policier-suspect, etc.

[Jaune] Elle [l'éthique médicale] désigne la réflexion sur les principes qui peuvent guider cette relation singulière entre un ou une gynécologue [et son patient] et sur les dispositions qui sont requises de la part des praticiens pour que l'accompagnement soit adéquat.

Je ne suis pas sûr que mes professeurs de philosophie auraient laissé passer une telle «définition» durant un examen! Essayons de définir la mécanique automobile ainsi:

«Mécanique automobile: La réflexion sur les principes qui peuvent guider (si cela lui chante) la relation singulière entre un garagiste et le propriétaire d'une voiture en panne, de façon à ce que le garagiste puisse accompagner adéquatement tous les événements importants entourant le propriétaire d'une voiture en panne.»

[Jaune] Ce qui est éthique, ce n'est pas donc la même chose que ce qui est licite ou illicite.

Je trouve votre «donc» surprenant: vous vous servez de votre définition de l'éthique médicale pour en tirer une conclusion à propos de la loi, alors que votre définition de l'éthique médicale est vague, et que le mot «loi» comporte de nombreux sens que vous n'avez même pas pris la peine de distinguer!

En plus de ça, vous avez débuté votre article en posant qu'il fallait laisser de côté nos connaissances morales en entrant dans le domaine médical, tout en faisant entrer subrepticement votre lourd bagage d'a priori!

J'ai l'impression que vous allez maintenant prendre une grande bouffée de votre joint de marijuana philosophique, exhaler des nuages d'incertitude euphorique, pour terminer votre article en soufflant un gros rond «d'éthique médicale» autour des préjugés de votre auditoire.


Normalement, j'arrêterais de lire ici, et j'attendrais vos éclaircissements. Je vais essayer de continuer, mais avec quelque peu de «diagonalité».

[Vert] Pourtant, l'exercice de la médecine ne se fait pas, en principe, en dehors du cadre fixé par la loi. Les interdictions, par exemple en ce qui concerne la GPA [Gestation Pour Autrui] et l'accès des célibataires ou des couples homosexuels aux PMA [Procréation Médicalement Assistée], bornent la pratique des médecins, fixant la limite de ce qu'ils sont autorisés ou pas à faire.

[Vert] Ainsi, l'éthique appliquée à la gynécologie n'est ni la morale ni le droit. Cependant, elle a un rapport aussi bien avec la morale qu'avec le droit. Avec le droit, je viens de le dire, mais ce n'est pas seulement parce qu'ils ne veulent pas être poursuivis que les praticiens sont concernés, dans l'exercice de leur profession, par le droit.

[Jaune] Ils le sont aussi pour une raison plus profonde qui vient du fait que la loi a une dimension symbolique

C'est tout? Toute la loi est fondée sur «une dimension symbolique»? Qu'est-ce que cela veut dire? Un symbole est, par exemple, une tache d'encre sur une feuille de papier, qui nous fait penser à quelque chose d'autre:

Un symbole

Voilà. Ce symbole me fait penser à une cuvette de toilette. Alors la relation entre cette tâche d'encre et une cuvette de toilette serait ce qui fonde la loi? Je ne comprends pas.

[Vert] (interdiction du meurtre et de l'euthanasie et du suicide assisté considérés comme des homicides en France, interdiction de l'infanticide; encadrement des tests de dépistage prénatal). Bien plus, la législation, qu'elle corresponde à l'attente du public -

[Rouge] parce qu'il y aurait une convergence entre les normes de la communauté légale et les valeurs partagées de la communauté morale -,

Voici un de vos a priori. Vous semblez présenter ceci comme étant la situation où la loi est bonne, où la loi est bien fondée. Or il est facile de montrer que la morale ne peut pas être fondée sur les valeurs.

[Vert] ou qu'elle manifeste un certain paternalisme étatique - parce que les représentants pensent qu'ils savent mieux que vous et moi ce qu'est le bien et qu'ils habillent du nom de dignité leurs valeurs esthétiques ou rationalisent leurs goûts et dégoûts -,

En un sens, je suis bien d'accord avec vous. Par définition, le bien et le mal ne sont pas une simple question de goût! Alors quand quelqu'un cherche à nous imposer un comportement, en prétendant que ses préférences de goût seraient en fait des vérités morales immuables, il y a de quoi se révolter!

Mais encore ici, vous déplacez le problème sans le résoudre. Oui, le bien et le mal sont autre chose que de simples préférences personnelles. Mais pourquoi? Et comment fait-on pour distinguer entre une préférence personnelle, et une vraie obligation morale bien fondée?

[Vert] la législation, les lois ou plutôt ce que les patientes qui sont des citoyennes en pensent déterminent aussi leur rapport à la médecine.

[Vert] Autrement dit, les patientes qui arrivent dans votre cabinet n'emportent pas seulement avec elles leur désir (d'enfant), leurs attentes, leurs frustrations. Non seulement ces derniers sont structurés par la société, par les représentations sociales et les critères de la réussite et du bonheur qui sont véhiculées et qui leur font éprouver un état de fait (stérilité ou absence d'enfant) comme une exclusion et un échec. Mais, de plus, l'écart entre la société civile et l'État, entre l'évolution des moeurs et la législation, exacerbe les désirs des individus qui investissent la vie privée comme si elle était le seul lieu de réalisation de soi. Ils ne comprennent pas que la médecine, avec ses prouesses techniques, ne parvienne pas à satisfaire leurs désirs personnels ou leur refuse ce qu'ils considèrent comme un droit. On parle beaucoup de l'impossibilité des individus contemporains à accepter les limites infligées par la condition humaine, par le temps, au corps, à la reproduction. Certes,

[Vert] mais on devrait aussi parler du désenchantement politique qui fait que les individus surdéterminent la vie privée et en arrivent à exiger des médecins qu'ils les aident à être heureux, à être eux-mêmes, à se réaliser? ce qui n'était pas la vocation première de la médecine.

Bravo! (En passant, pourquoi parlez-vous des «patientes» au féminin? Un enfant, ça se fait à deux, un vir et une femme. Il me semble plus logique de parler de couples qui veulent un enfant.

[Vert] J'ai dit que l'éthique médicale n'était pas la morale

Oui, vous l'avez affirmé sans preuves. Sauf que c'est faux. La morale médicale, c'est la morale appliquée à la médecine.

[Rouge] et que les praticiens n'avaient pas là pour faire des leçons de morale ni pour juger la moralité ni la vie sexuelle de leurs patientes.

Vous n'êtes même pas d'accord avec cela! Manifestement, un médecin qui voit un homme avoir des comportements sexuels mauvais pour la santé aura le devoir de dire à son patient qu'il agit mal, et qu'il doit changer son comportement!

C'est exactement la même chose pour, par exemple, le tabagisme. Un médecin qui voit un patient affligé du tabagisme a le devoir d'expliquer à ce patient tout le tort qu'il se fait (et qu'il fait aux gens qui respirent sa fumée secondaire), et ce médecin doit aussi exhorter ce patient à cesser de fumer. (Bien sûr, ce médecin doit exhorter avec tact, mais il doit le faire quand même.)

Prenons un autre exemple: un vir qui a malheureusement acquis l'assuétude («addiction» en anglais) de flanquer son vous-savez-quoi dans les anus des autres. C'est un comportement mauvais pour la santé (c'est prouvé médicalement). Un bon médecin devrait lui expliquer ça, et lui faire comprendre que c'est mal d'agir ainsi.

Un médecin qui ferait semblant que tout va bien, en découvrant que son patient est affligé d'une maladie aussi dangereuse, agirait mal. Même si ce médecin recommandait le condom, il devrait expliquer que c'était pour tenter d'atténuer les conséquences mauvaises de ses comportements. En d'autres mots, ce médecin prétendrait qu'agir autrement serait mal.

Vous pouvez bien prétendre qu'un bon médecin doit éviter de juger la vie sexuelle de ses patients, mais même en faisait cela, vous jugez la vie médicale des médecins qui vous désobéissent! (En plus de ne pas décrire la réalité, car les médecins jugent constamment le comportement de leurs patients, afin de pouvoir leur recommander des modifications à ces comportements qui auront des résultats plus sains.)

[Vert] En même temps, ils ne peuvent se défaire de leurs conceptions morales,

Bien! Mais pourquoi? Pourquoi les médecins ne peuvent se défaire de leurs conceptions morales? Parce qu'il y a des microbes intellectuels partout, et que rien n'est jamais parfaitement désinfecté? Ou parce qu'il y a des conceptions morales qui sont toujours valables, quel que soit le temps, le lieu, la profession, etc.?

[Jaune] si bien qu'il faut réfléchir à la juste distance entre le médecin et la patiente, surtout que, dans le domaine de la procréation médicale assistée, par exemple, la question de l'intention de la patiente entre en ligne de compte.

Concedo, un médecin n'est pas un prêtre ou un juge, mais Nego à l'idée qu'un médecin ne doit pas juger les comportements de ses patients. Quant à l'intention, elle ne peut pas à elle seule rendre un acte bon.

[Rouge] De même, il y a des conduites à risque de la part des patientes, soit parce qu'elles ne se protègent pas contre les MST [Maladies Sexuellement Transmissibles], soit parce qu'elles n'ont pas une contraception adéquate ou pas de contraception du tout.

Voici plusieurs autres de vos a priori.

[Vert] L'augmentation des IVG [Interruption Volontaire de Grossesse] chez les mineures est un problème qui ne peut laisser les praticiens indifférents et qui engagent leur responsabilité, comme elle engage la responsabilité des pouvoirs publics.

Oui, mais pourquoi? Et quelle est la responsabilité de tout médecin devant une femme qui veut tuer son enfant?

[Jaune] Mais l'approche des praticiens est une approche non moralisatrice de l'intention,

Ah, vous jugez l'intention des praticiens qui n'ont pas l'approche que vous prônez? Au nom de quels a priori?

[Vert] c'est-à-dire que le praticien est attentif à l'ambivalence du désir (d'enfant), à ce qui se passe dans un couple et qui explique que la femme ne tombe pas enceinte, à l'environnement de certaines mineures qui peut être une des causes de ces grossesses non désirées. Comment prendre en compte la demande des patientes sans les juger, en ayant en vue leur bien-être et le souci de la santé publique, en respectant leur volonté, mais sans les abandonner?

[Vert] Cette voie étroite entre «le trop et le trop peu», pour parler comme Michèle Lachowsky dans Un temps pour les femmes, est au coeur de l'accompagnement dont je parlais plus haut. Pour s'en approcher, je vais faire le point sur des distinctions fondamentales en éthique médicale, en ayant le souci de faire ressortir la spécificité de la gynécologie qui est «une médecine du sexe, de l'amour et de la mort» (M. Lachowsky, op. cit.). Il s'agira donc de revenir sur

[Jaune] des catégories cardinales de l'éthique médicale, comme le paternalisme, l'autonomie, qui jouent un rôle majeur quand on parle du corps des femmes et de votre spécialité qui a été bouleversée par la contraception et par la possibilité qui est donnée aux femmes, dans nos pays, de maîtriser leur procréation et donc de choisir plus librement de mener leur vie comme elles l'entendent

Oui, selon certains de vos a priori, le paternalisme et l'autonomie sont des «catégories cardinales de l'éthique médicale». Et vous avez en partie raison, car vous définissez très vaguement les notions de «paternalisme» et d'«autonomie». Il y a donc un mélange de vrai et de faux dans vos affirmations.

[Vert] (je dis «plus», parce que cette liberté de faire un enfant quand je veux a quand même des limites et que ces limites caractérisent le temps des femmes, le rapport des femmes au temps, qui est différent de celui des hommes).

[Vert] Je parlerai également de la vulnérabilité, qui prend une dimension nouvelle dans ce contexte où on a affaire à la sexualité, mais aussi à la nudité, à la pudeur et à l'identité corporelle, au lien entre le rapport à soi et à son corps et le rapport aux autres et à la société. Il sera également question de la responsabilité, qui est une des catégories phares, avec l'autonomie et la vulnérabilité, de ce que j'ai appelé l'éthique de la vulnérabilité laquelle invite à reconfigurer ces notions.

Wow, «reconfigurer des notions» avec «l'éthique de la vulnérabilité», ça fait très dans le vent! (Tandis que «donner une leçon de morale», ça fait tellement ringard!)

[Vert] Enfin, pour parler du droit à l'intégrité de son corps et à l'épanouissement de sa sexualité, y compris lorsqu'on est âgé ou en situation de handicap, j'introduirai la notion de capabilité qui jette une lumière nouvelle sur la place de la sexualité et de la reproduction dans la vie, dans le fait de vivre une vie humaine, et pas seulement de survivre. On reparlera à ce moment de la liberté de reproduction, du droit à la reproduction, de ce que l'État, compte tenu du contenu des droits de l'homme qui est mis en lumière par M. Nussbaum, pourrait ou non autoriser et jusqu'à quel point.

[Vert] A chaque fois, on verra que le domaine de la gynécologie souligne, de manière encore plus manifeste que dans d'autres spécialités médicales, le lien en éthique entre le niveau individuel, le niveau social et le niveau anthropologique. De même, j'essaierai de suggérer que la question de la place de la femme dans la société et donc aussi le rapport hommes-femmes ainsi que l'image de la femme sont en jeu et que, si l'on veut réfléchir aux principes et aux dispositions morales qui éclairent l'éthique en gynécologie,

[Jaune] on ne peut faire l'économie de cette interrogation-là, même si elle demeure sans réponse.

Voilà qui sent l'a priori Post-moderniste!

1. Le rejet du paternalisme comme de l'approche moralisatrice

[Vert] Dire que la relation entre un ou une gynécologue et sa patiente exclut le paternalisme, cela a l'air d'être une évidence, pour nous qui sommes désormais habitués à penser le droit des personnes à une information claire et qui savons que le consentement libre et éclairé de la personne est un des piliers de la démarche thérapeutique.

Comme vous ne définissez jamais clairement «paternalisme», il y a sûrement moyen d'être d'accord avec vous sur ce point. Oui, un patient capable d'avoir un consentement éclairé doit fournir son consentement éclairé. Je ne connais pas de manuels de médecine qui vous contrediront sur ce point (et j'inclus les manuels de médecine du Moyen-Âge, et même de l'Antiquité grecque!).

[Jaune] Pourtant, cela ne va pas de soi quand il est question de la sexualité, des modes de vie, de comportements qui peuvent mettre une personne en danger ou entraîner une intervention qui est tout sauf banale, comme une IVG.

[Vert] D'ailleurs, avant de parler du refus du paternalisme en gynécologie et de voir s'il implique la neutralité axiologique, posons-nous cette question: existe- t-il des interventions qui soient banales dans ce domaine? Est-ce qu'un frottis, une palpation des seins, c'est aussi banal que cela? Pas vraiment, parce que c'est un examen visant à détecter une maladie. De plus, cela suppose qu'on se mette toute nue et qu'on se prête à des examens relativement intrusifs, ce qui n'est pas vraiment banal ni pour la patiente ni pour le ou la praticienne. Il y a donc des deux côtés une mise à distance des émotions, une discrétion et un tact qui sont nécessaires, y compris dans la découverte du corps de l'autre. On ne peut pas réduire la patiente à un organe - ce qui est pourtant une tentation assez fréquente et qui est ressenti de manière négative par la patiente. On ne peut pas non plus être trop proche, comme dans l'érotisme. De plus, il n'est peut-être pas possible de s'abstraire de tout jugement esthétique, même si celui-ci n'est pas au premier plan dans la relation entre un ou une gynécologue et sa patiente.

[Vert] La patiente fait attention au choix de ses sous-vêtements et à son épilation quand elle se rend chez un ou une gynécologue pour un examen.

Je devrai vous croire sur parole ici!

[Vert] Ce n'est pas pour séduire, mais par respect pour l'autre. Cette juste distance qui n'est ni objectivation de l'autre ni confusion des rôles requiert du tact.

[Jaune] Le tact, comme disait le philosophe Alain, est l'effleurement de la surface des signes.

Oui, je me souviens maintenant d'avoir lu du Alain, et d'avoir pensé qu'il n'était pas fameux comme philosophe. Tu parles d'une «définition»!

[Vert] Kant disait que la politesse évitait que je me serve d'autrui uniquement comme un moyen: quand je vais, par exemple, à la poste chercher un colis, le fait de dire «bonjour» et «merci» au fonctionnaire témoignent qu'il est aussi une fin, et non un simple moyen à mon service. De même, la parole permet que l'examen ne se retourne pas en objectivation tout en respectant l'intimité de la personne, c'est-à-dire ce qu'elle ne révèle pas même en se prêtant à un examen intrusif.

[Vert] Et les jugements de valeur sur le comportement, les moeurs de la patiente, comment les éviter? Comment penser un rapport qui soit basé sur la confiance, parce que la patiente, quand elle consulte, doit quand même raconter certains événements de sa vie, des choses qu'en général, on ne confie pas à grand-monde? Le médecin doit écouter, sans tomber ni dans la technicité ou la prestation de services

[Jaune] ni dans la leçon de morale.

[Vert] Ce n'est pas si facile, si on en juge par ce genre de phrases qui ne sont pas si rares: «vous auriez pu faire attention avant de tomber enceinte». «Vous ne vous êtes pas protégée alors que vous avez eu une aventure». «Vous avez combien departenaires?» «Vous êtes active sexuellement?» «Si vous voulez un enfant, il faudrait vous dépêcher.»

[Vert] Le paternalisme, c'est le fait d'interférer avec la volonté de quelqu'un pour lui éviter de se faire mal (paternalisme faible) ou pour faire son bien, pour déterminer à sa place et sans son consentement son bien (paternalisme fort). Le paternalisme n'est donc pas le fait de décider à la place de quelqu'un qui, librement, vous a délégué sa volonté et qui, ainsi, reste autonome. Le paternalisme est une intrusion. On peut procéder par omission en dissimulant à la personne une information ou un traitement alternatif.

[Jaune] La motivation et la justification du paternalisme sont que la personne est incapable de voir par elle-même où est son bien et que l'on sait mieux qu'elle ce qu'est ce bien. (Mépris de l'autre et sentiment de sa supériorité).

Je suis en partie d'accord. Oui, bien sûr, lorsque par mépris de l'autre nous lui imposons notre fausse idée du bien, c'est mauvais. Mais il me semble que votre définition du paternalisme n'est pas assez stricte.

Que faire des cas où nous savons mieux que la personne quel est son bien? Par exemple, si vous marchez dans une ruelle sombre et qu'un individu vous agresse, vous ne serez pas contente si un policier arrive, voit que cet individu va vous violer, et dit: «Cher individu, je ne vais pas faire preuve de paternalisme, et interférer avec votre volonté! Au contraire, je vais respecter votre choix

Vous conviendrez sûrement avec moi que lorsqu'un individu est sur le point de faire quelque chose de très mal, il ne faut surtout pas respecter son choix. La gynécologie est-elle une exception à cette règle? Pas si vous cessez de fumer la marijuana philosophique, et que vous faites l'effort de définir clairement vos termes.

[Vert] Chez John Stuart Mill, dans De la liberté, on a la première condamnation du paternalisme, même s'il n'emploie pas ce terme: Mill dit que la seule raison pour laquelle on doive user de la force coercitive des lois est quand les agissements d'un individu peuvent causer un dommage réel aux autres,

[Rouge] mais il a le droit de se faire du mal. On a le droit aux vices privés.

Pauvre Stuart Mill, il n'est pas très futé!

[Vert] Bien plus, il y a une différence entre le dommage et l'offense: le premier porte préjudice à un tiers,

[Rouge] la seconde choque la morale établie, mais il s'agit d'un «crime sans victime» et, pour cette raison, on ne doit pas le criminaliser, comme on l'a fait pendant des siècles de l'homosexualité, de l'onanisme, etc.

«Crime sans victime»? Pauvre Stuart Mill! Il devrait aller voir les conséquences scientfiquement observables de la sodomie! Pour l'onanisme, il y a la province de Québec qui est en train de se suicider démographiquement!

[Vert] Enfin, derrière ce droit de chacun à mener sa vie comme il l'entend à condition qu'il ne blesse personne et que les personnes impliquées soient consentantes (pornographie ou autres comportements sexuels), il y a le refus de la notion de devoirs envers soi-même et l'idée que le corps d'un individu lui appartient.

Moi j'ajouterais surtout l'idée sotte que la morale sans Dieu est possible.

[Vert] Cette idée n'est pas évidente: dire que je n'ai pas de devoir envers moi-même veut dire que je peux boire (ex de Mill à l'époque de la prohibition), gâcher mes talents, être paresseux, faire tous les usages que je veux de mon corps, y compris me prostituer, à condition que je ne blesse pas autrui. Je peux même aussi me suicider. Je n'ai pas de devoir envers l'humanité en moi. Au contraire, pour Kant, certains comportements sont indignes de l'humanité en moi, une humanité qui n'est pas à ma mesure et m'impose un comportement, celui de ne pas me traiter simplement comme une chose ou un moyen, mais toujours en même temps comme une fin. Et, pour Kant, les devoirs envers soi-même et les devoirs envers les autres sont les mêmes. C'est pourquoi il dit que celui qui est capable de se suicider serait également capable d'homicide. Enfin, pour lui, je ne suis pas propriétaire de mon corps. Je ne peux pas vendre ma chair comme dans Le Marchand de Venise de Shakespeare. Pour Mill, si. Mon corps m'appartient.

Oui, Kant semble moins cinglé que Stuart Mill. Mais pourquoi? C'est quoi être «indigne de l'humanité en moi»? Si nous ne sommes que des tas de molécules momentanément réunis par le hasard d'une évolution sans but, que signifie cette expression de Kant?

[Vert] Le refus du paternalisme en médecine et, en particulier, en gynécologie est non seulement lié à la reconnaissance de la valeur incontournable de la décision personnelle, de l'autonomie de la personne, mais il est également lié à l'idée que notre corps nous appartient, que l'individu est le propriétaire de son corps et qu'il en fera l'usage qui lui convient, même si cela est laid ou qu'il prend des risques. Ce n'est pas à l'État de gérer les corps. L'État n'entre pas dans les chambres à coucher.

Oui, c'est un bel énoncé d'une position fausse, une position qui n'a pas de sens à moins de croire aveuglément plusieurs a priori.

[Jaune] Ce n'est pas non plus à l'institution médicale de dire quel usage de son corps, ne blessant personne d'autre, est interdit ou défendu.

D'une certaine manière, Concedo, car c'est à l'insitution juridique de le faire. Mais celle-ci dépend des médecins pour savoir ce qui est mauvais pour la santé. Et, par exemple, la médecine peut prouver que la sodomie est mauvaise pour la santé.

[Jaune] Une telle assertion n'est pas si évidente que cela, si l'on en juge par le maintien, dans les textes de loi, du principe d'indisponibilité du corps humain qui suppose cette pensée que le corps humain est le temple de Dieu ou que le rapport à son corps témoigne de ses devoirs envers l'humanité. Ce principe avait, dans la loi de bioéthique de 2004, été remplacé par celui de non-patrimonialité du corps humain qui justifie la gratuité des dons de gamètes, d'organes, de sang. Si le législateur était rigoureux, il éviterait l'usage du principe d'indisponibilité du corps humain qui renvoie à une conception de l'homme et de la vie qui n'est pas généralisable en démocratie.

Ici, la fumée de votre joint de marijuana est assez épaisse. Je ne suis pas sûr de comprendre. Pour dissiper cette fumée, il faudrait examiner vos a priori.

[Vert] De fait, la plupart des gynécologues sont des adeptes de John Stuart Mill. Ils refusent le paternalisme au sens où ils n'iront pas dénoncer les libertins que, de toute façon, la loi ne punit plus, et surtout ils pensent que le corps des femmes leur appartient. Seulement, ils ont une longueur d'avance sur les théoriciens pourfendant le paternalisme, parce qu'ils savent que la liberté de choix, l'autonomie, précisément dans les choses touchant le sexe et la reproduction, sont loin d'être aussi claires que cela.

[Jaune] Quand on est gynécologue, mieux vaut être conscient de l'ambivalence du désir, même du désir d'enfant, du fait que, parfois, on veut d'autant plus qu'on ne peut plus, mais que, si l'on peut, alors on ne sait pas si l'on veut. Bien plus, mieux vaut apprendre à repérer ce qui travaille la volonté individuelle, l'autonomie des personnes, leur désir de se réaliser à travers la maternité, le sexe, etc.

Voir ci-haut pour l'épaisse fumée.

[Vert] Qu'est-ce donc que l'autonomie? Cette notion est un des piliers de l'éthique médicale, puisqu'il n'est pas question de faire l'économie du principe du consentement libre et éclairé, mais pourquoi est-on obligé de la reconfigurer si l'on veut échapper aux deux écueils dont il a été question plus haut: le premier écueil est le fait de décider à la place de la personne en lui dictant le bien et le deuxième consiste à la laisser la personne seule avec elle-même, avec sa détresse, avec son symptôme, de l'abandonner à son sort. Comment intervenir sans être paternaliste? Comment écouter la patiente et quelles dispositions morales sont requises de la part des praticiens pour parvenir à cette juste distance ou cette juste présence que désigne l'accompagnement propre à la relation entre le ou la gynécologue et sa patiente?

2. L'autonomie en question (reconfigurée, le poids des normes sociales, les qualités requises de la part des praticiens, la responsabilité)

[Vert] On associe souvent l'autonomie à l'indépendance, à la liberté négative, au fait d'être libéré de la tutelle d'une autorité et de pouvoir faire ce que l'on veut. Cette association donne à l'autonomie un sens qui n'était pas celui que lui conférait Kant lequel soulignait la dimension universelle de la volonté: pour lui, être autonome, c'est bien choisir soi-même sa loi, s'autodéterminer, mais le soi auquel on obéit, ce n'est pas l'individu défini par ses désirs dans ce qu'ils ont de plus particulier. C'est le sujet moral, la personne, qui est capable d'universaliser sa maxime. Autrement dit, l'autonomie chez Kant, c'est le fait de se disposer ou pas à vouloir quelque chose que l'on sait être universel, que l'on pourrait vouloir que les autres fassent. C'est la liberté comme obéissance à la loi morale en moi, à l'impératif catégorique: «agis toujours de telle sorte que tu puisses vouloir que la maxime de ton action soit une loi universelle.» «Agis de telle sorte que tu traites l'humanité dans ta personne comme dans celle d'autrui toujours en même temps comme une fin et pas seulement comme un moyen». (Fondements de la métaphysique des moeurs, section II). Ne te mets pas en exception, ne t'accorde pas des droits spéciaux que tu ne pourrais pas vouloir accorder aux autres. La raison donne ici la mesure de l'universel.

À ma connaissance, Kant a dit ça. Sauf qu'il s'est mis le doigt dans l'oeil jusqu'à l'omoplate.

[Jaune] L'autonomie pensée comme indépendance n'a rien à voir avec cette soumission à l'universel en moi, à la personnalité en moi. Bien plus, quand je cède à mes désirs, pour Kant, je suis dans l'hétéronomie, car je ne veux pas le bien pour lui-même, mais pour mon bonheur, qui devient la fin en soi. Je suis, par ailleurs, dans la dispersion. Et je traite ma personne comme un moyen en vue de mon bonheur, et non comme une fin en soi. Quand on considère les glissements de sens affectant la notion d'autonomie qui est devenue une valeur, la valeur des valeurs, au moment même où on la vidait de tout contenu, on ne peut que rendre raison à Kant qui soulignait le lien entre les désirs et l'hétéronomie. En effet, l'autonomie donne à la décision sa valeur. Cela a fait de l'autonomie un principe incontournable en éthique médicale. Cela vient de Kant et c'est très précieux. Maintenant, il y a un autre glissement de sens qui est apparu: l'autonomie est devenue une obligation, une norme, comme dit le sociologue A. Ehrenberg, dans la Fatigue d'être soi: il y a, dans notre société, une obligation à être soi, à n'être que soi. Cela va plus loin que le fait de survaloriser l'autonomie, car cette injonction à vivre en étant soi-même, à trouver son épanouissement, fait que les individus placent la barre très haut. Il s'ensuit un malaise, une fatigue d'être soi et de nouvelles formes de dépression qui ne sont pas, comme les névroses, désir d'un désir insatisfait, liées à l'introjection de la loi et au complexe d'oedipe, mais qui viennent du sentiment de ne pas être à la hauteur. La dépression est ici une «pathologie de la grandeur» et elle va de pair avec un sentiment d'impuissance et d'échec que l'individu retourne contre soi et contre la société.

Voir ci-haut pour l'épaisse fumée.

[Vert] Or, qui nierait que cette recherche désespérée de soi et cette propension à penser la frustration comme un échec personnel façonnent certains désirs de vos patientes? Assurément, cette obligation d'être soi qu'est devenue l'autonomie ne les aide pas à accepter, par exemple, qu'une FIVETE ne marche pas au bout de plusieurs essais. On dit souvent que les techniques médicales et les biotechnologies déterminent les désirs des individus. Certes. Mais on ne voit pas pourquoi les individus se priveraient des progrès de la médecine. De même, il est clair que ces derniers qui ont rendu les grossesses tardives possibles donnent aux femmes le sentiment que, lorsque le désir et l'occasion seront là, elles pourront faire un enfant. Mais cette manière de voir les choses est un peu courte. D'abord parce que ce sont en effet les circonstances, les conditions du travail et de l'accès à un emploi de qualité, qui expliquent que certaines femmes, notamment les plus diplômées, retardent l'âge de leur première grossesse. La technique rend possible les choses, elle est un contexte, mais elle ne les détermine pas absolument. La société, la place de la femme dans la société, la possibilité de maintenir des ambitions professionnelles élevées et de fonder une famille, les incertitudes du couple, expliquent que, faire un enfant, cela n'est pas si facile que cela sur le plan social, même si techniquement, médicalement, peu de femmes dans nos pays ont peur de décéder en accouchant. De plus, les représentations sociales, et pas seulement les réalités sociales, ne sont pas en reste dans l'élaboration du désir d'enfant.

[Vert] En disant cela, je ne nie pas qu'il y ait un désir d'enfant qui soit «naturel», qui fasse partie des désirs des femmes et des hommes souhaitant transmettre, se prolonger, assurer la descendance de cette manière ou incarner un amour. Mais je suggère que, malgré les progrès techniques et l'évolution des moeurs, certaines représentations de la vie réussie et de la normalité expliquent que certaines femmes, n'étant pas mères, certains individus, n'étant pas parents, s'estiment exclu(e)s ou même pensent avoir une vie diminuée, une vie amputée.

Si nous prenons ces paragraphes comme une description des opinions en vogue de nos jours, mettons que oui. (Le Vert, c'est moins fatiguant! Comme une bonne note qu'un professeur donne à un étudiant, il n'est pas besoin de se justifier!
;-)

[Jaune] Tout cela confère une actualité certaine aux propos de S. de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe.

Jamais lu.

[Vert] Il me semble même que nous assistons aujourd'hui à une certaine régression qui vient des représentations normalisatrices de la vie qui met la pression aux individus et transforme la demande de liberté, qui est paradoxale et devient une demande de liberté surveillée (liberté sans risque, je veux être libre et être moi, mais il faut que je sois comme tout le monde. L'autonomie est le comble de l'hétéronomie).

[Vert] Qu'y a-t-il dans le désir d'enfant? Sans doute beaucoup de choses, comme dans tous les désirs. Mais on peut s'interroger sur les représentations normalisatrices de la vie qui empêchent certaines personnes de rebondir quand il apparaît que ce désir ne sera pas satisfait, même avec l'aide de la technique médicale. Il s'agit alors pour les gynécologues d'accompagner cette déception, qui peut être immense, mais qui, en aucun cas, ne devrait être éprouvée comme une stigmatisation, comme une exclusion sociale, ni comme un échec personnel.

Mettons.

[Rouge] On peut épargner aux patientes qui doivent faire ce cheminement un couplet

Hi hi!

[Vert] sur les limites de la condition humaine, limites qui sont liées au temps. On peut leur épargner ce qu'elles savent depuis longtemps, à savoir que le temps des femmes et celui des hommes n'est pas le même et qu'il y a une dissymétrie entre les sexes, dissymétrie qui, bien souvent, à tous les niveaux, au niveau de la fertilité, au niveau social, au niveau de la vieillesse et de la sexualité à cet âge de la vie, est à l'avantage des hommes. Mais l'avantage des femmes est qu'elles doivent, très jeunes, réfléchir avant d'agir, prendre des précautions, parce qu'elles courent des risques (le risque de tomber enceinte, d'avoir à subir une IVG) que les garçons ne courent pas. Elles n'ont pas le choix et ne pas réfléchir avant d'agir, c'est déjà une manière de se positionner. Leur liberté est liée à cette contrainte, à cette condition, qui les oblige à différer la pulsion ou à anticiper un peu, pour ne pas prendre des risques les mettant dans une situation de détresse ou pour composer avec la réalité en sachant qu'il arrivera un moment où je ne pourrais pas dire «un enfant quand je veux», mais «quand je peux» et «si je peux». Les femmes sont obligées, précisément parce que la technique leur donne plus de possibilités, de faire des choix, de savoir plus précisément ce qu'elles veulent, de hiérarchiser leurs désirs, de se connaître elles-mêmes et d'évaluer elles-mêmes leurs besoins. La liberté que la contraception et les progrès médicaux ont donnée aux femmes ne sert pas seulement leur sexualité qui peut ainsi être plus libre, l'épanouissement physique, mais elle suppose qu'elles soient plus libres également dans leur tête.

Mettons. Mais bien sûr il est farfelu de dire que les «garçons» n'ont pas besoin de «faire de choix» à propos de leur fertilité! Un vir qui met une femme enceinte, une femme qui n'est pas son épouse, a fait un choix, et un choix mauvais.

[Vert] De même, on parle beaucoup de l'incapacité de nos contemporains à accepter la maladie, l'infirmité, le vieillissement, l'insatisfaction. Mais on oublie de dire que le fait de satisfaire immédiatement ses pulsions et l'idéal de performance dans tous les domaines ont été érigées en normes sociales et que c'est cette soumission à ces conventions qui explique aussi les difficultés qu'ont les êtres à «regarder les choses du biais qui les rend favorables» et à ne trouver le contentement en ayant «une volonté ferme et constante d'exécuter tout ce que nous jugerons être le meilleur, et d'employer toute la force de notre entendement à bien juger». C'est ce que Descartes appelle, dans les lettres à Elisabeth, «être à soi». Il ne parle pas d'autonomie, mais de générosité, dont la définition est dans Les Passions de l'âme, ouvrage inspirée par sa correspondance avec Elisabeth: «se blâmer et se louer d'après l'usage de son libre arbitre et poursuivre avec constance dans la voie qu'on a reconnue meilleure pour soi» en se soustrayant à «l'empire de la fortune» et en apprivoisant ses passions. La maladie, c'est autre chose, car elle diminue la liberté. Mais l'insatisfaction, le fait que le monde ne se plie pas à ma volonté, c'est folie que de s'en désespérer, disaient, avant Descartes, les Stoïciens.

Mettons. Mais Descartes semble aussi branlant sur ce point que Kant ci-haut.

[Jaune] Autrement dit, accompagner une patiente dans son désir d'enfant, quand ce désir implique tout un cheminement, comme c'est le cas des FIVETE, c'est aussi lui permettre d'être à soi? et pas au mari, aux parents, à la famille, à la société, à leurs pressions. Cela permet de relativiser les revers de la fortune et de se soustraire, comme dit Descartes, à son empire. Au contraire, quand on n'est pas «à soi» au sens où en parle Descartes, toute autonomie est le comble de l'hétéronomie. On est soumis au désir de l'autre, on est aliéné et on est souvent balloté, avant d'être abandonné. Qu'est-ce que la liberté de choisir quand on n'a pas la force d'âme? Pourtant, cette expression n'est guère utilisée aujourd'hui ni dans les cabinets de consultation ni dans les cours d'éthique médicale. Pourtant, ce pan de la philosophie morale qui est pourtant classique, se retrouve dans toute l'histoire de la philosophie, n'a rien à voir avec la morale au sens des leçons de morale. On a fait beaucoup de progrès au niveau de la libéralisation des moeurs. Mais la liberté d'esprit, le fait d'être à soi, qui aurait dû accompagner ces progrès et cette libération, n'a pas suivi.

[Jaune] Une fois que nous avons rappelé ces glissements de sens affectant la notion d'autonomie et la vidant de tout son sens au moment où elle devenait une obligation, une norme sociale, on peut se demander ce que signifie l'autonomie dans la situation clinique, c'est-à-dire dans uns situation où la personne, qui vient consulter, est toujours, à des degrés divers, dans une situation de vulnérabilité, soit parce qu'elle est malade, soit parce qu'elle a des difficultés dans sa vie sexuelle qui font qu'elle a besoin d'aide, soit parce qu'elle n'arrive pas à avoir un enfant et qu'elle est dans l'incertitude. Si nous n'avons pas, d'un côté, une autonomie pensée comme un idéal de transparence à soi (et de parfaite connaissance et maîtrise de soi) et, de l'autre, un pouvoir médical caricaturé, si l'opposition binaire entre le respect de l'autonomie du patient et la bienfaisance médicale est elle-même une caricature, alors comment penser l'autonomie de la personne?

[Jaune] Mon avis est que, si l'on pense l'autonomie comme une double capacité, comme la capacité à avoir des désirs et des valeurs et comme la capacité à les traduire dans les faits et à savoir quelle démarche et quelle action peuvent les réaliser, alors on sort de l'opposition binaire mentionnée plus haut. De même, une telle reconfiguration de l'autonomie déplace l'accent de la hantise du paternalisme vers une réflexion où l'on se demande quelles dispositions morales sont requises de la part des praticiens pour accompagner leur patiente et soutenir son autonomie. Car l'objectif est de rendre la personne à soi - l'autonomie comportant des degrés et étant davantage un point d'arrivée qu'un point de départ.

[Jaune] La maladie, la peur, le déni, les situations diverses de la vie qui sont des facteurs vulnérants n'affectent pas l'autonomie au sens de la capacité à avoir des désirs ni à avoir des valeurs, c'est-à-dire à s'estimer soi-même dans tel ou tel environnement ou lorsqu'on réalise telle ou telle chose. Ce qui est, par contre, fragilisé, rendu difficile, c'est la capacité à exprimer ses désirs, parfois à mettre de l'ordre entre eux, car certains désirs sont contradictoires. Ce qui est menacé, c'est la capacité à faire valoir ses valeurs et à s'autoriser une estime de soi compromise par certaines représentations, par certaines habitudes, par certaines relations, par la maladie aussi, par ses effets, notamment esthétiques et en ce qui concerne l'identité corporelle et l'image de soi (je pense à la chimiothérapie, aux mutilations consécutives à certains cancers du sein ou de l'utérus et, pour les hommes, aux effets consécutifs à certains cancers de la prostate). Enfin, c'est surtout la capacité à voir ce qui peut traduire dans les actes ses désirs et ses valeurs qui est affectée et qui doit être soutenue par le praticien.

Voir ci-haut pour l'épaisse fumée.

[Vert] Pour ce faire, une écoute permettant à la personne de faire part de ses désirs et de ses valeurs et au praticien de mieux la comprendre est nécessaire. Ce dernier pourra ensuite l'informer des solutions et démarches thérapeutiques pouvant répondre au problème de la patiente et l'aider à choisir celles qui correspondent le mieux à ses attentes. Cette manière d'accompagner une patiente en allant la chercher là où elle est (définition de l'accompagnement) suppose que le praticien soit capable d'établir une relation de confiance avec elle, qu'il soit capable de l'écouter, en étant attentif.

Mettons.

[Vert] L'attention, comme le rappelle Simone Weil dans La pesanteur et la Grâce,

Votre choix d'auteurs est décidément bizarre. Pourquoi ne citez-vous jamais des moralistes sérieux et reconnus? Pourtant, vous parlez de morale dans cet article, non?

[Vert] suppose de faire le vide en soi, pour ne pas déterminer les besoins d'autrui à sa place ni faire des projections. On ne peut comprendre quelqu'un qu'en venant, au départ, les mains nues. L'attention est cette disponibilité à l'autre qui requiert, au préalable, de faire le vide en soi, donc de ne pas non plus être trop encombré par ses peurs, par ses propres manques et frustrations. Être médecin, être gynécologue, c'est un métier difficile, car il faut prendre soin de soi pour pouvoir prendre soin de l'autre.

[Vert] Des qualités de communication et des qualités herméneutiques, mais aussi le fait d'accepter qu'on ne sait pas tout, donc une certaine capacité à suspendre son jugement qui fait un avec l'exercice du jugement (Descartes) sont également nécessaires.

Mettons, mais un peu vague et poétique pour un article philosophique.

[Vert] En outre, les dispositions morales qui permettent de répondre de manière individualisée aux besoins spécifiques de la personne considérée comme un tout supposent une démarche contextualisée, narrative, où l'on part de ce que dit la patiente et de son environnement, de son contexte,

[Rouge] au lieu d'appliquer des recettes toutes faites ou de penser son cas à la lumière de normes établies a priori.

Hop, une autre contradiction.

[Vert] Cela suppose une certaine empathie et une certaine distance, condition de l'empathie et condition sans laquelle la projection ou le fait de s'arroger le droit de définir à la place de l'autre ses besoins refont surface.

Mettons.

[Vert] Enfin, cela suppose une certaine créativité et de l'imagination, comme l'ont souligné

[Jaune] les éthiciennes du care

Quelle expression bizarre! Pourquoi le mot «care» en anglais? Les médecins francophones ne sont pas capables de prendre soin de leurs patients? Ou est-ce ici le fameux snobisme des français de France qui saupoudrent la conversation de mots anglais un peu comme, tiens, comme vous saupoudrez votre article de références à des auteurs populaires, mais sans rapport au sujet?

[Vert] qui sont sensibles aux dispositions à acquérir pour répondre à une situation de manière responsable.

[Rouge] Agir de manière éthique, ce n'est pas appliquer des principes de manière homogène.

Hop, une autre contradiction.

[Vert] Certes, certains principes, qui déterminent la déontologie, sont incontournables,

Mais vous venez de dire le contraire! Et quels sont ces principes qui sont incontournables? Et pourquoi sont-ils incontournables? Si vous creusiez un peu vos affirmations, plutôt que de les exhaler artistiquement en roulant vos yeux vitreux dans la fumée psychotrope?

[Vert] mais répondre à l'appel de quelqu'un, c'est être capable de voir ce qu'il ou elle a besoin, d'identifier ses besoins, et d'y répondre de manière compétente, en sachant aussi fixer des limites à ce que l'autre peut légitimement attendre de soi et en sachant déléguer le travail ou établir un partenariat avec d'aitres professionnels quand cela est nécessaire.

[Vert] Ainsi, répondre de manière éthique à l'appel de l'autre, c'est avoir certaines qualités ou dispositions que, chez Aristote, on appelait des vertus, des manières d'être qui s'acquièrent avec le temps, par l'exemple, en agissant de manière éthique et en éprouvant un certain plaisir à agir ainsi, à faire le bien. La prudence, qui fait le bon médecin, mais aussi le bon juge, le bon politique,

Bon, enfin, une citation d'un des plus célèbres moralistes de l'histoire de la philosophie! J'ai hâte!

[Vert] qui affrontent des situations liées à une certaine incertitude et où, comme dit Aristote, «les angles ne sont pas droit» (Ethique à Nicomaque, Livre II),

Désolé, ici vous me perdez. Primo, lorsqu'on cite Aristote, il est préférable de donner la pagination de Bekker. Secundo, j'ai cherché le mot «angle» là où vous prétendez l'avoir lu, et je ne le trouve pas. (Peut-être le document PDF qui contient votre conférence a-t-il une erreur de transcription?) Le seul endroit où je l'ai vu et où ça ressemblait un peu à votre vague «citation», c'est dans le livre VI, pas le livre II:

De là vient aussi le nom par lequel nous désignons la tempérance pour signifier qu'elle conserve la prudence et ce qu'elle conserve, c'est le jugement dont nous indiquons la nature: car le plaisir et la douleur ne détruisent pas et ne faussent pas tout jugement quel qu'il soit, par exemple le jugement que le triangle a ou n'a pas ses angles égaux à deux droits, mais seulement les jugements ayant trait à l'action.
[Éthique à Nicomaque, Livre VI, chapitre 5, Bekker 1140b11, traduction J. Tricot]

J'ai quand même relu le livre II au cas où je retrouverais de quoi vous parlez. Peine perdue. Par contre, j'y a retrouvé une petite perle qui s'adressait personnellement à moi (nous sommes des amis intimes, Aristote et moi):

Mais la plupart des hommes, au lieu d'accomplir des actions vertueuses, se retranchent dans le domaine de la discussion, et pensent qu'ils agissent ainsi en philosophes et que cela suffira à les rendre vertueux: ils ressemblent en cela aux malades qui écoutent leur médecin attentivement, mais n'exécutent aucune de ses prescriptions. Et de même que ces malades n'assureront pas la santé de leur corps en se soignant de cette façon, les autres non plus n'obtiendront pas celle de l'âme en professant une philosophie de ce genre.
[Éthique à Nicomaque, Livre II, chapitre 3, Bekker 1105b12, traduction J. Tricot]

[Rouge] est le fait de viser le juste milieu qui est toujours relatif à une personne et à une situation et n'existe pas en soi.

Regardons ce qu'Aristote pense de ce que vous pensez de lui:

Mais toute action n'admet pas le juste milieu, ni non plus toute affection, car pour certaines d'entre elles leur seule dénomination implique immédiatement la perversité, par exemple la malveillance, l'impudence, l'envie, et, dans le domaine des actions, l'adultère, le vol, l'homicide. Ces affections et ces actions, et les autres de même genre, sont toutes, en effet, objets de blâme parce qu'elles sont perverses en elles-mêmes, et ce n'est pas seulement leur excès ou leur défaut que l'on condamne. Il n'est donc jamais possible de se tenir à leur sujet dans la voie droite, mais elles constituent toujours des fautes. On ne peut pas non plus, à l'égard de telles choses, dire que le bien ou le mal dépend des circonstances, du fait, par exemple, que l'adultère est commis avec la femme qu'il faut, à l'époque et de la manière qui conviennent, mais le simple fait d'en commettre un, quel qu'il soit, est une faute.
[Éthique à Nicomaque, Livre II, chapitre 6, Bekker 11078, traduction J. Tricot, mes gras]

[Vert] Cette aptitude suppose une connaissance liée à l'expérience et l'intuition. Elle est stable chez l'homme prudent et Aristote définit la prudence par la manière dont agit l'homme prudent,

[Rouge] pour dire que la prudence n'est pas l'application d'un principe.

Je pense avoir démontré ci-haut qu'il est préférable d'écouter Aristote que Pelluchon, lorsqu'on veut savoir ce que pense Aristote.

[Vert] Enfin, elle ne se confond pas avec les passions, par exemple avec la compassion, même s'il y a des composants affectifs du jugement moral (j'ai parlé tout à l'heure de l'empathie, mais on pourrait aussi parler de l'altruisme, qui ne constitue pas la prudence du bon médecin, mais qui ne peut être absente dans les métiers de soin).

[Vert] Une telle démarche n'exclut pas, mais, au contraire, suppose un certain engagement qui n'a rien à voir avec le surinvestissement affectif ni même avec l'affectivité et qui n'est pas non plus la simple obligation professionnelle. Je veux parler de la responsabilité, qui est incessible, toujours personnelle, s'adressant à moi et pas à un autre, et m'engageant, dans ma réponse, moi, engageant ou plutôt fondant mon ipséité, faisant que je suis ce moi et pas un moi. Je suis ce à quoi je réponds et la manière dont j'y réponds, comme le montre Levinas dans Autrement qu'être.

[Vert] J'ai dit que cet accompagnement suppose que la personne est prise comme un tout et qu'il engage votre responsabilité. Dans celle-ci, que je vais définir plus précisément dans un instant, il faut entendre aussi votre liberté, votre liberté de penser, voire votre audace, ou du moins votre distance à l'égard des clichés de la vie réussie et de la normalité qui saturent l'espace public et les écrans de TV.

[Vert] La sexualité fait partie de la santé prise comme un tout. Les normes ne sont pas celles qui seraient fixées par les magazines ou les médias. La santé ou l'épanouissement ne se définissent pas par rapport à une moyenne en deçà de laquelle ou au-delà de laquelle on est dans le pathologique. La distinction qu'établit Canguilhem dans Le normal et le pathologique entre la normativité de la vie et l'anomalie, entre la vie qui est, quels que soient les maladies et accidents qui surviennent, production de normes, et les jugements de valeurs qui accompagnent, dans une société donnée et à une époque, l'observation d'une anomalie, d'un déficit moteur ou cognitif, est également importante quand on parle de la sexualité, en particulier de la sexualité des personnes en situation de handicap et des personnes âgées. Dire que l'état pathologique n'est pas la modification quantitative ou qualitative de l'état normal implique déjà de considérer avant tout le point de vue du malade lui-même.

Mettons.

[Rouge] Il est important de récuser l'existence d'une norme objective

... si on s'appelle Corine Pelluchon et qu'on veut recevoir un chèque de paie donné par un employeur post-moderniste?

[Jaune] qui serait calquée sur un état descriptif, sur un fait, considéré comme une moyenne ou bonne moyenne. Nous sommes invités à penser l'altérité de l'autre homme et l'hétérogénéité des normes. Le gynécologue comme son patient sont invités à penser cela, ce qui suppose une grande résistance à l'égard des clichés relatifs à l'épanouissement dont la sexualité est une composante essentielle, mais qui, comme la plupart des dimensions essentielles de la vie, a une histoire, donc n'est pas linéaire. Or, il se peut que les patients et patientes, comme les résidents des maisons de retraite intériorisent certains clichés sur le nombre d'orgasmes par semaine, sur le nombre de rapports par semaine, etc.

Voir ci-haut pour l'épaisse fumée. Bien sûr, si on met le nombre d'orgasmes par semaine dans le même sac que l'avortement (ou l'adultère, ou l'homicide, etc.), la morale aura une grande «hétérogénéité des normes».

[Jaune] Enfin, il est clair que le nombre de films mettant en scène les rapports sexuels, avec renfort de bruits et gesticulations, encombre l'imaginaire de jeunes enfants et des adolescents qui se font une représentation de la sexualité à travers ces images. Celles-ci sont, à mon avis, plus conformistes que choquantes. Je ne parle pas de la pornographie et des tendances actuelles qui vont vers le summum du trash, l'orchestration de viol, la zoophilie, etc. Je parle des films qui passent à la TV et où, à chaque fois, il y a une scène et où l'on oscille entre la passion dévorante et la gymnastique.À trop montrer, on bloque l'imagination, à trop banaliser, on tue le mystère, le charme.

Moi qui pensais que vous alliez condamner la pornographie clairement. Non, encore de la fumée.

[Vert] Il faudrait parler du rapport au corps, à ce que Merleau-Ponty appelle la chair, le corps propre, qui a une histoire, est le mien, est habité, et n'est pas seulement partes extra partes, un ensemble de poulies et de tuyaux.

Il me semble que pour les athées comme Merleau-Ponty, l'âme spirituelle n'existe pas. Que pourrait être le corps pour eux, à part un «ensemble de poulies et de tuyaux»? Et encore plus rigolo, l'expression partes extra partes vient d'Aristote et saint Thomas d'Aquin, qui eux enseignent que nous sommes composé d'un corps matériel et d'une âme spirituelle!

[Vert] Je me demande si les gynécologues qui ont affaire au corps comme tuyau et au corps comme chair ne doivent pas faire sentir, dans l'exercice de leur profession, que les deux sont importants, et s'ils n'ont pas aussi par là un rôle à jouer au niveau de l'éducation. Parce que quelqu'un qui fait du mal à son corps, à ses organes, ou qui a mal à un organe, n'a pas seulement un corps qui souffre. Il est son corps, non pas rivé à lui, mais lié à lui par une histoire, tour à tour constituant ce corps et constitué par lui, dans une relation réciproque, disait Merleau-Ponty.

Mettons, mais encore ici du language vague et poétique, et pas d'analyse de pourquoi nous sommes plus que des tuyaux et des poulies.

3. La vulnérabilité et l'éthique de la vulnérabilité

[Vert] Quand on parle du corps, on parle déjà de la vulnérabilité, parce que le corps est ce par quoi je suis susceptibilité au plaisir, à la douleur, au vieillissement qui est temporalisation. La vulnérabilité, ce n'est pas seulement la fragilité, le fait d'être facilement blessé, de s'altérer ou d'avoir du mal à se défendre, par exemple contre les intempéries, contre les maladies. Bien sûr, c'est la mortalité et c'est la passivité du vivant, qui a besoin de nourriture, qui «vit de», comme dit Levinas, qui a faim, a soif, a froid.

[Vert] Parler ainsi du corps, c'est donc penser la corporéité du sujet. C'est donc penser le sujet autrement que le font la philosophie du sujet et même Heidegger dont Levinas disait dans un texte des années 50 intitulé Les nourritures: le Dasein de Heidegger n'a jamais faim. En effet, «le corps est une permanente contestation du privilège qu'on attribue à la conscience de «prêter un sens» à toute chose. Il vit en tant que cette contestation.» (Totalité et Infini, Le Livre de Poche, p. 136.)

Tiens tiens, vous savez citer correctement! Pourquoi ne l'avez-vous pas fait pour Aristote?

[Jaune] Avant toute donation de sens par la conscience, il y a le corps.

[Jaune] Mais la vulnérabilité, c'est aussi l'ouverture à l'autre, le fait qu'on a besoin des autres en raison de ses besoins propres. C'est une manière d'en finir avec l'image d'un sujet qui serait auto-suffisant et n'aurait de relations avec les autres que volontaires, contractuelles, maîtrisées. Le désir rend vulnérable, puisque l'appel de l'autre vient aussi de l'intérieur de moi ou y résonne de manière profonde, jusque dans mes entrailles. Il n'y a pas de corps plus vulnérable que le corps désirant. Mais la vulnérabilité, c'est, à mon avis, plus que cette idée d'une interdépendance que nous éprouvons dans notre chair et dont le nouveau-né est une incarnation. C'est même plus que l'idée que l'on se reçoit de l'autre, que mon rapport avec l'autre constitue mon identité, comme en attestent le besoin de reconnaissance, le lien entre l'image de moi-même ou l'estime de soi et l'affection reçue (ou pas) des autres ou d'un autre. La vulnérabilité, au-delà de l'interdépendance physique et psychique, culturelle, qui fait que tous nous pouvons être blessés (vulnerare, blesser) parce que nous ne sommes pas respectés, reconnus, parce que nous sommes traités comme des choses et que nous sommes dominés, désigne une autre manière de nommer le sujet. Celui-ci, loin de se définir par la liberté conçue comme la capacité à faire des choix et à en changer, loin de s'identifier même au désir de conservation, est une manière de se rapporter à soi par l'autre que soi. Elle renvoie au primat de la responsabilité sur la liberté ou du moins au fait que se pose, au coeur de mon vouloir vivre, la question de mon droit à être.

[Jaune] Mon désir de vivre reçoit une limite qui n'est pas seulement un obstacle, quelque chose d'extérieur qui m'entraverait, mais il s'agit du sens que je donne à mes gestes, à l'assouvissement de mes pulsions, à la réalisation de mes désirs, de mes ambitions. Cette limite qui me vient de l'autre n'est pas à penser comme dans le conflit entre deux libertés rivales, car le rapport à l'autre n'est pas premièrement ni essentiellement un rapport entre liberté, comme l'a vu Levinas. L'autre comme tel, qui «est ce que je ne suis pas» (De l'existence à l'existant), je le rencontre sans le constituer et m'éprouve comme non constituant dans cette approche qui se distingue de la perception des objets du monde. Et l'horizon qui surgit de ma rencontre avec l'autre, c'est l'éthique, considérée non pas comme un ensemble de représentations sur le bien et le mal, mais comme une dimension qui n'a rien à voir avec la connaissance. (Totalité et Infini). L'autre excède mon pouvoir de constituer et mon pouvoir de pouvoir. Aussi une relation avec l'autre qui est fidèle à ce que l'altérité désigne, qu'il s'agisse d'une relation amoureuse ou d'une relation professionnelle, est une relation qui préserve cette distance, qui fait en sorte que l'autre n'est pas réduit au même, à du déjà vu. Dans l'érotisme, dans la proximité, cette distance n'est jamais effacée et l'altérité est vécue précisément comme positivité, comme une différence signifiante et qui est plus que ce que je pourrais y mettre.

[Jaune] L'éthique n'est donc pas un condensé de principes, mais elle est une dimension qui s'ensuit de la considération de l'autre comme tel, de ce que la rencontre avec lui et sa présence appellent. Elle implique la considération d'une différence vécue comme positivité, ce que Levinas appelle la transcendance de l'autre qui n'est pas réductible à ce que j'en vois ou en sais. Le regard clinique est nécessaire, mais il n'épuise pas l'autre qui est irréductible à un concept, à son apparence, qui est une épiphanie? c'est-à-dire que la présentation de soi, la phénoménalité, n'épuise pas la signification. Enfin, l'éthique pensée comme dimension du rapport à autrui souligne la profondeur de la responsabilité, c'est-à-dire que le devoir que je ressens envers l'autre, le devoir de répondre à son appel, devoir qui me concerne, ne découle pas forcément ni essentiellement d'un engagement contracté. Même si je paie le médecin, il n'empêche que ce qui se joue aussi dans cette relation est une dimension éthique qui dépasse toute obligation professionnelle et renvoie au sens de l'humain ou de l'humanisme de l'autre homme. Et c'est ce qui fait que ces moments délicats de l'aveu, de la découverte de soi, de l'auscultation se passent bien. C'est ce qui fait qu'on parle d'accompagnement. L'accompagnement, comme je l'ai suggéré, suppose d'aller chercher la personne là où elle est. Il implique une proximité, une écoute, un concernement, qui supposent en même temps une distance, la prise en considération de l'altérité de l'autre, de sa transcendance, du fait que je n'en fais pas le tour. La transcendance de l'autre est intacte, elle n'est pas relative à moi. Sa dignité est donnée, elle n'est pas subordonnée à la possession de caractères qui me permettraient de la mesurer, de la quantifier. Mais, en même temps, je m'en porte garante, et c'est ce paradoxe qui fait de la relation médicale un paradigme de la relation éthique.

Impressionnante bouffée! Quelle capacité pulmonaire!

[Vert] Ce regard qui ne juge pas, cette approche qui ne fait pas disparaître la personne sous ses organes ni sous sa maladie, cet accompagnement d'une personne qui éprouve un malaise et a besoin d'un autre pour l'aider dans une dimension importante de la vie qui ne donne pas complètement raison à ceux qui disent que la santé est le silence des organes sont particulièrement importantes quand la patiente est âgée, en situation de handicap ou de dépendance. J'aimerais, pour finir, m'interroger sur la place de la sexualité, d'une part, et de la reproduction, d'autre part, dans la vie et introduire, ce faisant, la notion de capabilité qui jette une lumière nouvelle, me semble-t-il, sur ces questions et sur le rôle qui peut être le vôtre.

[Vert] À première vue, on pourrait dire que ces questions sont très vastes, déroutantes, que chacun y répond comme il veut ou comme il peut. Cependant, la situation des personnes handicapées ou polyhandicapées, des prisonniers en font une question qui sort de la sphère seulement privée. La privation de tout accès à une vie sexuelle est-elle une privation qui appauvrit l'existence, qui fait que la personne a une vie diminuée? La sexualité fait-elle partie de ce que M. Nussbaum appelle les capabilités centrales qui indiquent les dimensions de l'existence auxquelles tout individu doit avoir accès pour mener une vie vraiment humaine et s'épanouir, même si les réalisations (fonctionnements) ne sont pas les mêmes d'un individu à l'autre? Quel rôle joue la sexualité non pas dans l'épanouissement au sens banal du terme, mais dans le sentiment qu'a un individu de mener une vie digne? Car il est clair que la sexualité a un rapport avec la dignité - comme on le voit dans le viol. Enfin, si l'accès à la reproduction fait partie des capabilités centrales, alors l'accès aux procréations médicalement assistées aux homosexuels est légitime et leur interdiction est une question d'injustice.

Mettons, surtout que vous dites «si».

4. L'approche des capabilités et la place de la sexualité dans la vie humaine

[Vert] L'approche des capabilités a été introduite par Amartya Sen qui, pour définir la pauvreté, a compris qu'on ne pouvait pas la mesurer à l'aune du seul critère du revenu, mais qu'il fallait faire entrer en ligne de compte d'autres facteurs, en particulier les facteurs qui empêchent une personne de convertir des biens premiers (santé, éducation, revenus) en capacités à fonctionner. Mettant l'accent sur les libertés réelles et pas seulement formelles, il a développé cette approche qui invite les politiques publiques à travailler en amont sur ce qui permet ou pas aux individus d'exercer réellement les droits qui leur sont conférés. La citoyenneté n'a pas de sens si l'on n'a pas l'éducation. La justice consiste à promouvoir un contexte politique, social, éducatif et affectif permettant à chacun d'exercer ces capabilités qui doivent être égalisées. Autrement dit, ce ne sont pas les réalisations des individus qui doivent être égalisées ou rendues identiques, mais il y a des droits d'accès (entitlements) qui doivent être garantis par la puissance publique.

[Vert] Ce travail sur les capabilités

[Rouge] qui renouvellent la manière dont on pense les droits de l'homme

Peut-être pour quelqu'un qui n'est pas capable de citer Aristote ou saint Thomas d'Aquin...

[Vert] s'inscrit aussi dans une enquête qu'il a menée sur les famines, lesquelles ne résultent pas d'un manque de nourriture, mais s'expliquent par l'incapacité où sont les individus de se procurer cette nourriture, soit parce qu'ils n'ont pas d'argent ou que l'argent est dévalué, soit parce qu'il n'y a aucune infrastructure leur permettant de se déplacer ou que les pouvoirs publics bloquent la redistribution des aides.

[Rouge] Les famines n'existent pas dans les démocraties,

Ah oui? Il me semble facile d'imaginer une île où règnerait une démocratie parfaite, et où surviendrait l'explosion d'un volcan, qui tuerait toute végétation et condamnerait cette démocratie à la famine. Non?

[Vert] a constaté A. Sen et cela n'est pas un hasard. La pauvreté, la famine, les inégalités, la privation des droits fondamentaux doivent être appréciées non pas de manière unilatérale et homogène, mais avec des instruments de mesure multidimensionnels et des outils plus fins. Les réponses apportées à ces problèmes, qui sont des problèmes de justice, ne doivent pas non plus être homogènes, comme si le fait de distribuer une même somme d'argent ou des médicaments suffisaient, mais elles doivent être adaptées aux contextes et prendre en compte ce qui en amont empêchent certains individus de se développer, d'avoir une bonne santé (alimentation, hygiène).

Mettons, surtout que j'ai hâte de finir.

[Vert] Cette approche est particulièrement importante pour des biens complexes comme la santé. De même, elle est très précieuse quand il s'agit de réfléchir à une politique de santé publique visant à réduire la contamination par le virus du SIDA et même à réduire la natalité. Au lieu de préconiser une politique malthusienne en Afrique et dans les pays dits émergents ou dans les populations issues de l'immigration,

[Rouge] on peut penser que l'accent sur l'éducation des femmes qui leur donne accès à la contraception et va de pair avec leur prise de conscience de leur place dans la société est la voie qui mène à la maîtrise de la natalité.

On peut le penser, oui. Le prouver est autre chose.

[Vert] La promotion de la liberté de l'individu est la clef de la justice sociale chez A. Sen, ce qui est assez original (si l'on pense, par exemple, à la conception marxiste).

Mettons, surtout que vous décrivez les opinions d'auteur.

[Vert] Ainsi, l'approche des capabilités complète les théories classiques de la justice et même les politiques de discrimination positive, car elle permet de travailler sur ce qui, en amont, maintient les minorités dans un statut de domination: on constate qu'il y a peu de femmes ou de personnes issues de m'immigration à des postes de responsabilité. La solution ne sera pas réglée si l'on se borne à instaurer des politiques de quotas, mais il s'agit de travailler sur la cause de ce phénomène,

Mettons.

[Vert] c'est-à-dire sur les représentations qui font que les femmes elles- mêmes et les minorités ne vont pas vers ces postes à responsabilité, parce qu'elles ne s'en estiment pas capables.

Mettons, mais je doute que cela soit la seule cause.

[Vert] Les inégalités hommes-femmes, le cumul des vulnérabilités et des misères que l'on observe dans certains milieux où les jeunes femmes commencent leur vie amoureuse en ayant à subir une IVG, puis une autre, ne sont pas une fatalité.

[Vert] Le fait de distribuer la pilule gratuitement et sans l'autorisation d'un adulte ne suffit pas à résoudre le problème des grossesses non désirées et donc des avortements chez les mineures.

Quoi? Nous serions d'accord sur un point?

[Rouge] Sans un travail parallèle sur ce qui empêche l'accès des mineures à ces moyens de contraception,

Fausse alerte!

[Vert] sur les représentations sociales qui leur font adopter des comportements où la séduction et la soumission au désir masculin conditionnent l'estime de soi et où l'enfantement est une manière de se prouver qu'on a de la valeur, bref sans un travail s'attachant à débusquer les formes de domination acceptées et qui se reproduisent de génération en génération, il y aura toujours des jeunes filles qui tomberont enceintes à 15 ou 16 ans. Encore une fois, il n'y a pas de liberté sans la liberté de penser. La libération sexuelle sans la liberté de penser est un leurre et elle piège les personnes les plus fragiles, reconduisant de manière sournoise la domination des plus forts ou des plus favorisés.

Ici je serais d'accord avec ce que vous dites, mais vous n'en dites pas assez. (Même si les mauvaises choses que vous décrivez disparaissaient, le problème ne serait pas encore réglé.)

[Vert] Cette approche des capabilités a été renouvelée grâce à M. Nussbaum, une philosophe qui enseigne à l'université de Chicago. Reprenant les catégories introduites par A. Sen, la différence entre la capabilité et le fonctionnement et soucieuse de fournir des guidelines ou des repères pour des politiques publiques travaillant à établir plus de justice dans les rapports entre les hommes et les femmes, mais aussi entre les personnes dites normales et celles qui sont, en raison de leur âge, de leur maladie ou de leur handicap, en situation de dépendance, M. Nussbaum a établi une liste de 10 capabilités centrales. A. Sen refusait de déterminer le contenu des capabilités ou droits d'accès que les États devaient s'engager à garantir. Il en restait à la détermination classique des droits de l'homme et insistait sur l'approche permettant de faire passer ces droits de la puissance à l'acte, mais il pensait que chacun était libre de déterminer le contenu de ces droits. M. Nussbaum va transgresser cet interdit et établir une liste qui donne un contenu aux besoins de base que l'État doit garantir et souligne les dimensions de la vie dont la privation n'est pas seulement un problème de malheur personnel, mais une injustice.

Mettons.

[Vert] Or, parmi ces dix capabilités centrales auxquelles tout individu, quels que soient son âge, ses capacités cognitifs, son état, a droit, figurent, à côté du développement de ses émotions, de son imagination, du jeu, du développement de sa raison pratique, de la capacité à nouer des relations privilégiées avec les autres, du contrôle sur son environnement et du rapport aux autres espèces, des bases sociales de l'estime de soi, le droit à la vie, à la santé et à l'intégrité de son corps. Ces trois premières capabilités qui donnent un contenu aux droits de l'homme impliquent, selon Nussbaum, que le viol est un crime, que les rapports sexuels contraints entre époux est un crime,

[Jaune] mais aussi que tout individu a droit à un épanouissement de sa sexualité et à l'accès à la reproduction, aux moyens de reproduction existants.

Si par cela Nussbaum veut dire qu'un bébé est un simple objet auquel on peut avoir droit, Nego. Nul n'a le «droit» à un bébé. Un bébé est une personne humaine, pas un simple objet.

[Vert] Notons qu'il n'y a pas une liste de capabilités centrales qui seraient valables pour les personnes dites normales et une autre pour les personnes en situation de handicap, car cela signifierait que ces dernières sont des êtres humains et des citoyens de second rang.

[Vert] Si l'on passe de la théorie à la pratique, cela signifie que les personnes qui sont en prison, les résidents des maisons de retraite, les personnes en situation de handicap et, en particulier de polyhandicap, ne doivent pas être privés de ces droits d'accès, ce qui ne veut pas dire que les personnes handicapées auront forcément des enfants. Quand on pense aux capabilités telles que le développement de son imagination, de ses émotions, au lien social, on comprend bien quels efforts peuvent être faits dans les maisons de retraite pour que les résidents mènent une vie vraiment humaine, s'épanouissent. On peut penser aux ateliers d'art, à la visite d'enfants, aux activités responsabilisant ou sollicitant les personnes, au lieu de les enfermer dans leurs fonctions vitales. S'agissant de l'intégrité de son corps aussi, on imagine ce que peut être la toilette d'une personne âgée ou en situation de handicap. La contention devrait également être interdite. Maintenant, quand on s'interroge sur le droit à la reproduction et sur la sexualité, que faut-il penser?

Mettons, quoi que pour la contention des vieillards ayant perdu la raison, mieux vaux être attaché dans son lit que par terre avec une hanche cassée, il me semble. Feu mon grand-père Ferdinand est probablement d'accord avec moi, de là-haut au Ciel!

[Vert] Les réponses sont bien moins claires que pour les autres capabilités. Pourtant, la privation de toute sexualité ou plutôt le fait que l'on ferme les yeux sur la frustration sexuelle qu'entraînera l'emprisonnement sont un réel problème. En prison, il y a des viols, des agressions sexuelles. La privation de liberté ne devrait pas être une privation de dignité. La privation de liberté ne devrait pas être la privation de tout lien social privilégié avec des personnes extérieures à la prison. Certes, les prisonniers voient leurs enfants, mais, à quelques exceptions près, on leur interdit de toucher leur femme.

Mettons, mais à un moment donné, se faire jeter en prison n'est pas une récompense que la société nous fait. De plus, ne pas avoir de relations sexuelles n'est pas dangereux pour la santé. Enfin, l'interdiction d'avoir les relations sexuelles ne cause pas le viol.

[Vert] De même, tout n'est pas handicapé dans le handicap. La question de la sexualité des adolescents et des adultes en situation de handicap et de polyhandicap est une question fondamentale.

[Vert] Ce n'est certainement pas aux parents ni aux soignants de répondre à cette demande qui existe, est pressante, est déroutante.

Ouille, je ne suis pas sûr de vous comprendre. Êtes-vous en train de dire que ce n'est pas aux parents de fournir les services d'inceste à leurs enfants handicappés? Si oui, c'est vous qui êtes déroutante, pas les handicappés!

[Vert] En Hollande, il existe des services sexuels rémunérés, des personnes qui font ce métier et se consacrent en particulier aux personnes en situation de handicap et de polyhandicap.

Oui, il y a des fous partout, même en Hollande.

[Vert] Aborder cette question,

[Rouge] qui est importante,

Je ne vois pas pourquoi c'est si important. La dignité humaine ne se définit par par la capacité de se payer les services d'une prostituée (même Hollandaise!).

[Vert] suppose qu'on assume l'idée que l'on peut faire ce que l'on veut de son corps, pourvu que l'on ne fasse pas de mal aux autres. Cela suppose d'être clair avec la prostitution qui ne devrait pas être un délit.

Oui, l'idée perverse des prostitués pour handicappés suppose plusieurs autres idées perverses.

[Rouge] Au contraire, je crois qu'elle doit être encadrée,

Moi je crois en Dieu le Père, créateur du ciel et de la terre, et en Jésus Christ son Fils unique, etc. En d'autres mots, nous sommes en philosophie. Laissez vos croyances à la porte SVP.

[Vert] qu'il faut lutter contre la prostitution des mineures, l'exploitation des filles et des garçons venus d'Afrique et des pays de l'Est.

[Vert] Poursuivre le client et de transformer les prostituées en délinquantes en fermant les yeux sur le fait qu'elles bradent leurs services et se font agresser de plus en plus et de plus en plus violemment depuis qu'elles sont obligées de se cacher parce que le racolage est interdit, est-ce faire oeuvre de justice? Criminaliser la prostitution, traquer le client, est-ce le meilleur moyen de promouvoir la liberté des femmes et de mettre fin à la soumission au désir masculin?

Pour répondre à vos questions, il faudrait commencer par étudier la philosophie morale. Il faudrait étudier ce qui fait qu'un acte est bon. Il faudrait explorer les fondements de la morale, etc. Toutes des choses que vous avez soigneusement évité de faire...

[Jaune] Enfin, le silence sur la question de la sexualité des adultes en situation de handicap et de polyhandicap est une discrimination, donc une injustice à leur égard.

Il faudrait définir «silence», et surtout «sexualité». La sexualité n'est pas coextensive à la copulation, comme vous semblez insinuer.

[Vert] S'agissant du droit à la reproduction, si l'on se rappelle tout ce qui a été dit sur la différence entre capabilité et fonctionnement et sur votre rôle dans l'accompagnement des personnes, on voit bien que les choses sont plus complexes que ce que les débats télévisés et idéologiques nous font accroire. Il n'y a pas, d'un côté, un droit à l'enfant et aux PMA et, de l'autre, une image de la famille idéale, candidate exemplaire aux PMA et susceptible de faire passer le droit de l'enfant devant son désir et ses droits.

Mettons.

[Rouge] Il y a le cas par cas.

Et ce «cas par cas» est une Loi Absolue?

[Jaune] La loi ne peut pas répondre à toutes les situations. Et c'est parce que la loi n'est pas magique, qu'elle n'est pas tout, que votre travail a du sens au-delà des gestes techniques que vous effectuez.

Encore ici, de quelle loi parlez-vous? De plus, ce qui donne du sens au travail du gynécologue (et de toutes les professions médicales), c'est qu'il s'efforce de diminuer les souffrances et de guérir les maladies des personnes humaines, créées à l'image et à la ressemblance de Dieu.

[Vert] On ne peut pas séparer le métier de gynécologue du dialogue, de la communication qui s'établit avec un ou une patiente.

Oui, mais dans le sens où vous semblez le prendre, le «dialogue» est inséparable de tous les métiers autres que mécaniques. Le professeur, le prêtre, le parent, le politicien, etc., tous ces gens ne peuvent pas faire leur travail sans communiquer, sans penser, et surtout sans aimer.

[Vert] L'équilibre entre le trop et le trop peu, la voie étroite entre la leçon de morale ou le paternalisme et l'indifférence, entre la réduction de la personne à ses organes et l'immixtion dans la vie de l'autre, supposent cet art de l'entretien qui est ce par quoi commence la relation patient/médecin et ce qui la nourrit, ce qui en est l'étoffe. Et quand il est question de la sexualité, de la reproduction, mais aussi de la maladie, de la mort,

Mettons.

[Rouge] la parole, loin d'être accessoire, change tout.

Strictement parlant, non. Vous pourriez bien parler tant que vous voudrez, si un patient est en train de mourir du cancer, il va continuer à mourir du cancer. Le mot «tout» est ici, comme à votre habitude, vague et poétique.

[Vert] C'est aussi elle qui invite à ne pas prendre la frustration pour un échec, l'insatisfaction pour une question de normalité ou d'anormalité.

[Jaune] La parole est essentielle à la promotion de la liberté de penser qui, dans le domaine de la vie en général et dans le domaine de la sexualité, est ce qu'il y a peut-être de plus difficile à conquérir et à conserver.

En parlant de «liberté de penser», je pense qu'il serait bon pour vous de commencer par prendre acte de vos a priori, avant de prétendre libérer les autres.

3) C. Pelluchon (2012-jan-24)

-----Original Message-----
From: Corine Pelluchon
Sent: 24 janvier 2012 03:53
To: stefan.jetchick.1
Subject: (pas de sujet)

Monsieur

j'ai fait une conférence à un public de non spécialistes et
j'ai eu la gentillesse de la leur laisser afin qu'ils s'en
servent, puisque tel était leur souhait. Mais ce n'est pas un
texte PUBLIE ni un article destiné à un autre public que celui
que j'ai eu devant moi ce jour-là. Si vous voulez critiquer des
articles, prenez de vrais articles, publiés dans des revues, ou
des livres, où je mets les références, etc.Ou bien c'est que
vous ne faites pas la différence entre le statut des textes (
publiés, non publiés, articles finis, texte d'une conférence,
grand public, spécialistes, etc). C'est dommage pour vous.

Quoi qu'il en soit, à cause de votre geste extrêmement
maladroit , je ne donnerai plus jamais aucun texte issu d'une
conférence grand public. Je citerai même votre nom quand on me
demandera le texte d'une conférence: "il y a un certain Stefan
Jetchick qui confond le statut des différents textes , ne prend
pas la peine d'ouvrir les livres pour les critiquer, et se
jette sur ce qu'il trouve sur Internet pour diffamer les
conférenciers. Pirate des photographies et fais des montages
peu plaisants). A cause de lui, je ne donne plus le brouillon
de mes conférences."

Je suis par ailleurs en train de corriger les épreuves de deux
articles, dont un en Espagnol, et je n'ai pas le temps de vous
lire. J'ai regardé les photos et vu le ton de vos remarques.
Cela me suffit. Restons-en là.Je ne m'abaisse pas à entrer dans
la polémique avec quelqu'un qui agit ainsi.C'est malhonnête et
malveillant. La malhonnêteté et la malveillance ne doivent pas
nous faire perdre notre énergie.

Bien à vous

CP

4) S. Jetchick (2012-jan-24)

-----Original Message-----
From: Stefan Jetchick
Sent: 24 janvier 2012 11:06
To: Corine Pelluchon
Subject: Mais, mais, Mme Pelluchon, je vous aime!

Bonjour Mme Pelluchon,

Manifestement, je vous ai vexé. Je m'en excuse. Surtout que
quelques minutes avant d'ouvrir mon ordinateur ce matin pour
y découvrir votre réponse, nous avions dit à la Messe
l'antienne de communion suivante:

	«À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples:
	si vous avez de l'amour les uns pour les autres.»
	[Jn 13:35]

Comme vous pouvez le constater, j'ai encore beaucoup à
apprendre de ma propre religion!

:-)


>> ce n'est pas un
>> texte PUBLIÉ ni un article destiné à un autre public que celui
>> que j'ai eu devant moi ce jour-là.

Ah, OK. Mais cela ne fait pas de moi un bandit de grand chemin!

J'ai véritablement reçu un courriel d'une connaissance, qui
prétend avoir assisté à votre conférence (avec son épouse),
et qui m'a fourni un hyperlien. Je ne suis pas entré par
effraction dans votre demeure pour aller fouiller dans votre
coffre-fort! J'ai accédé à un document qui était sur l'Internet,
disponible à qui voulait le télécharger.

Je ne sais pas quel âge vous avez, mais vos concepts de
«publication» sont peut-être d'une génération passée, habituée
aux cadres stricts, aux balises claires, aux normes
universelles. De nos jours, il faut penser un peu plus
librement. L'Internet, si je reprends vos termes, vient
«reconfigurer l'autonomie» de la publication. C'est
pourquoi il faut se protéger. (Je suis contre le condom,
mais pas contre toute forme de protection!)


1) Exemple de protection: l'accès sécurisé («login» en anglais)

Voici un document à diffusion restreinte (SVP cliquez
sur cet hyperlien):

	Correspondance M. Jacques David

Normalement, votre fureteur va vous demander un nom d'usager
et un mot de passe. Sinon, votre fureteur va se plaindre:

	Authorization Required
	This server could not verify that you are authorized to access
	the document requested. Either you supplied the wrong
	credentials (e.g., bad password), or your browser doesn't
	understand how to supply the credentials required.


2) Exemple de protection: le désistement («disclaimer» en anglais)

Si j'ai l'impression que mon article n'est pas parfaitement
«solide», j'avertis mon lecteur. Par exemple:

	[...] malgré mon manque de formation, je vais quand même
	tenter de vous résumer quelques notions, en quelques
	pages, surtout pour vous donner le goût d'en apprendre plus.
	[Qu'est-ce que la morale?]

ou encore:

	[...] vous aimez la Sagesse et vous désirez ardemment l'acquérir?
	[...] je veux vous aider dans votre quête. Mais [...] À moins que
	l'aveugle ne conduise l'aveugle, je dois moi-même avoir une
	certaine idée de ce qu'est la Sagesse (et nombreux sont ceux
	qui témoigneraient que ma maîtrise de la Sagesse est parfois,
	comment le dire... hum... disons suboptimale!).
	[Le Gant du philosophe]


3) Exemple de protection: la mise-à-jour («update» en anglais)

«Errare humanum est», et tôt ou tard même le meilleur
philosophe finit par publier un texte qui contient une erreur.
Je suis contre «la pilule du lendemain» (la pilule abortive), mais
je suis tout-à-fait en faveur d'un mécanisme pour corriger
les erreurs après publication.

Imaginons un exemple. Vous allez à Strasbourg donner une
conférence, et vos auditeurs sont tellement ravis qu'ils
vous supplient de leur laisser une copie de votre texte.
Sagement, vous ne leur tendez pas votre copie papier («scripta
manent»!), et vous ne mettez pas non plus une copie électronique
sur un site bizarre que vous ne contrôlez pas. Au contraire,
vous leur promettez que vous allez mettre votre conférence
sur votre site web, dès votre retour chez vous. Et à votre
retour, vous faites cela, sur (supposons)

	www.corine-pelluchon.org

Quelques jours plus tard, vous recevez un courriel d'un
lecteur qui prétend avoir trouvé une faute dans votre
conférence. Hop, vous corrigez cette faute, et hop, vous
téléchargez la nouvelle version corrigée sur votre site!
Problème réglé!

Si vous êtes encore plus futée, vous offrez sur votre site
web une récompense monétaire pour toute erreur trouvée
dans un de vos articles! (Un exemple classique est le
très célèbre «Knuth reward check».)

(En fait, la seule raison pour laquelle je me suis acharné
de longues heures à lire soigneusement votre texte, c'est
que le ci-mentionné monsieur, qui avait été écouter votre
conférence, avait auparavent trouvé pour 63 dollars de fautes
sur mon site web! Ouille! Heureusement, il a eu pitié de
moi et m'a dit que si j'analysais votre conférence, il oublierait
ma dette.)


4) Exemple de protection: la bonne vieille abstinence!

Malgré les nombreuses technologies de protection disponibles,
la meilleure demeure la bonne vieille abstinence. En d'autres
mots, si un texte est prêt à être mis sur l'Internet, vous le
faites. Sinon, non.

Oui, c'est une protection qui paraît «primitive», mais c'est
la plus efficace!


>> vous ne faites pas la différence entre le statut des textes

Désolé, mais un bon philosophe se protège. Ne me blâmez
pas pour vos défaillances de contraception philosophique.


>> je ne donnerai plus jamais aucun texte issu d'une
>> conférence grand public.

«Grand public»? N'est-ce pas une contradiction? Vous dites
ci-haut que votre texte n'était pas destiné à un «autre
public que celui que j'ai eu devant moi ce jour-là».

Mais c'est peut-être une question de différences de vocabulaire
entre la France et le Québec. Ici, «grand public», ça veut
dire exactement ça!


>> Je citerai même votre nom quand on me
>> demandera le texte d'une conférence: "il y a un certain Stefan
>> Jetchick

Doux Jésus, vous avez épelé mon nom correctement! Merci! Merci!


>> ne prend pas la peine d'ouvrir les livres pour les critiquer,
>> et se jette sur ce qu'il trouve sur Internet pour diffamer les
>> conférenciers. Pirate des photographies et fais des montages
>> peu plaisants

Hi hi! La dernière fois que j'ai entendu quelqu'un fulminer
comme ça, c'était mon ancien Directeur spirituel qui réagissait
à la photo en tête de cet article:

	L'Opus Dei, et le culte de l'insignifiance

Disons que «être plus intolérant à la critique qu'un prêtre de
l'Opus Dei», ce n'est pas un compliment pour un philosophe!

:-)


>> Je suis par ailleurs en train de corriger les épreuves de deux
>> articles, [...] et je n'ai pas le temps de vous lire.

Je ne suis pas pressé. Prenez le temps de bien corriger vos
épreuves avant de les publier!


>> Je ne m'abaisse pas à entrer dans
>> la polémique avec quelqu'un qui agit ainsi.

C'est drôle, un bon philosophe aurait probablement réagi tout
autrement. Voyant un adversaire coriace qui attaquait sans
pitié les points les plus faibles de son argumentation, ce
bon philosophe lui aurait probablement dit:

	«AH! Mes prières ont été exaucées! Enfin, quelqu'un qui
	ose me dire franchement ce qu'il pense! Enfin quelqu'un
	qui va m'aider à voir mes erreurs! Enfin le compagnon
	d'armes qui me permettra de corriger mes points les plus
	faibles!»


>> C'est malhonnête et malveillant.

C'est rigolo! Vous ne cessez de répéter dans votre conférence
qu'il faut éviter de juger les intentions des autres! Or
être malveillant, c'est avoir une mauvaise intention.

De plus, vous faites l'éloge du dialogue, et vous dites:

	«La parole est essentielle à la promotion de
	la liberté de penser».

Dois-je comprendre que c'est seulement votre parole qui doit
être libre? Et que le dialogue doit seulement se produire
entre vous et vos admirateurs inconditionnels? Et qu'il ne
faut jamais juger l'autre, sauf quand l'autre nous tape
sur les nerfs?

;-)


Au plaisir,

Stefan

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